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Full text of "Mélanges de polémique et d'études religieuses, politiques et littéraires"

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University  of  Ottawa 


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MÉLANGES 


PAR 


THOMAS  CHAPAIS 


>. 


MÉLANGES 


de 


Polémique  et  d'études  religieuses, 
politiques  et  littéraires 


par 


THOMAS    CHAPAIS 


^C^f-*^ 


QUÉBEC 

Impkimerie  de  la  Compagnie  de  s  L'Evénement  » 
30,  rue  de  la  Fabrique 

1905 


Enregistré  conformément  à  l'acte  du  Parlement  du  Canada  concernant  la 
propriété  littéraire  et  artistique,  en  l'année  mil  neuf  cent  cinq,  par 
Thomas  Chapais,  au  ministère  de  l'Agriculture,  à  Ottawa. 


T- 

50ÎI 


PREFACE 


Nous  n'obéissons  pas  à  un  sentiment  d'amour- 
propre  en  commençant  aujourd'hui  la  réimpres- 
sion de  quelques-uns  des  articles  publiés  par 
nous  dans  la  presse.  Si  notre  vanité  d'auteur 
était  seule  en  cause,  elle  trouverait  mieux  son 
compte  à  les  voir  continuer  leur  sommeil  dans 
le  silence  de  l'oubli.  Aussi  n'est-ce  pas  à  titre 
de  fragments  littéraires  dignes  de  l'estime 
publique  que  nous  les  exhumons  de  leurs  cata- 
combes. Mais  c'est  plutôt  à  titre  de  documents 
ayant  peut-être  quelque  utilité  pour  l'histoire 
sociale,  religieuse  et  politique  du  dernier  quart 
de  siècle. 

La  plupart  des  écrits  reproduits  dans  ce 
recueil  ont  paru  d'abord  dans  le  Courrier  du 
Canada,  à  la  tête  duquel  nous  avons  fourni  une 
carrière  de  dix-sept  ans.  Dès  1880  nous  avions 
commencé  à  y  collaborer.  En  1884  nous  deve- 
nions son  rédacteur  en  chef.  En  1890  nous  en 
acquérions  la  propriété.  Et  le  11  avril  1901, 
nous  avions  le  profond  regret  de  voir  tomber 


6  PRÉFACE 

SOUS  nous  ce  bon  destrier  qui  nous  avait  porte 
dans  maintes  batailles. 

Faire  du  journalisme  militant  durant  près  de 
vingt-cinq  années,  c'est  toucher  à  bien  des 
faits,  à  bien  des  hommes,  à' bien  des  questions. 
C'est  recevoir  tous  les  jours  l'impression  directe 
et  vivace  des  événements.  C'est  aussi,  tous  les 
jours,  essayer  d'exercer  sur  eux  une  action  par 
la  prosélytisme  et  par  la  polémique. 

Pendant  ces  derniers  mois  nous  avons  fait 
une  longue  et  laborieuse  excursion  à  travers 
ces  années  évanouies  et  ces  écrits  oubliés.  Plus 
d'une  figure  presque  noyée  dans  la  brume  du 
temps  lointain  s'est  animée  pour  nous  d'une 
vie  nouvelle.  Plus  d'un  épisode  aux  contours 
effacés  a  repris  à  nos  yeux  tout  son  relief.  Plus 
d'une  discussion,  passée  à  l'état  de  vague  rémi- 
niscence, a  fait  jaillir  soudain  en  nous  un  flot 
de  souvenirs.  Plus  d'un  acte,  dont  la  physiono- 
mie vraie  s'était  altérée  dans  notre  mémoire, 
nous  est  apparu  de  nouveau  dans  sa  réalité  et 
son  caractère  véritables.  Et  nous  nous  sommes 
persuadé  que  si,  parmi  ces  pauvres  pages  écrites 
au  jour  le  jour,  quelques-unes  nous  aidaient 
nous-même  à  apprécier  plus  judicieusement 
les  faits  auxquels  nous  fûmes  mêlé,  elles  pour- 
raient rendre  à  autrui  le  même  service. 

Au  retour  de  cette  excursion,  nous  faut-il 
entrer  avec  nos  lecteurs  dans  la  voie  des  confi- 


PRÉFACE  7 

dences  ?     Soit  ;    nous   leur  confesserons  donc 
volontiers  que  nous  avons  constaté  avec  tris- 
tesse   combien    ces   produits   hâtifs   de    notre 
plume  sont  insuffisants  dans  le  fond  et  défec- 
tueux dans  la  forme.     Dans  le  fond,  trop  sou- 
vent au  lieu  d'une  étude  solide  et  approfondie, 
on  ne  trouvera  que  des  traits  rapides  et  des 
notes  superficielles.     Dans  la  forme,  on  cher- 
chera vainement  la  pureté,   l'éclat  du  style, 
l'atticisme  du  langage.     Et  malheureusement, 
on  les  verra  parfois  remplacés  par  des  excès 
d'expression  que  la  vivacité  de  certains  débats 
pourrait  seule  excuser. 

Mais  il  est  une  déclaration  que  nous  nous 
croyons  en  droit  de  faire,  et  que  nous  tenons  à 
faire  ici.  C'est  que  nous  n'avons  jamais  man- 
qué à  la  sincérité  qui  doit  être  l'une  des  lois  les 
plus  rigoureuses  du  journalisme  honnête.  Nous 
avons  donné  et  reçu  bien  des  coups  ;  nous  avons 
soutenu  des  controverses  passionnées  ;  nous 
avons  pris  une  part  active  à  des  crises  poli- 
tiques intenses  ;  nous  avons  subi  et  livré  de 
rudes  assauts  dans  le  journalisme  quotidien. 
Mais  nous  pouvons  nous  rendre  ce  témoignage 
que  jamais  nous  n'avons  affirmé  sciemment  une 
chose  fausse  ;  que  jamais  nous  n'avons  accusé 
un  adversaire  sans  être  convaincu  du  bien 
fondé  de  notre  accusation  ;  que  jamais  nous 
n'avons   soutenu  une    opinion   sans   la  croire 


8  PKÉFACE 

vraie.  Nous  dous  sommes  plus  d'une  fois 
trompé,  sans  doute,  et  nous  avons  eu  peut-être, 
en  quelques  occasions,  le  malheur  d'être  injuste 
ou  excessif.  Mais  lorsque  nous  avons  péché  par 
inexactitude  ou  par  outrance,  au  moins  nous 
l'avons  fait  de  bonne  foi.  La  bonne  foi,  voilà 
ce  qui  est  essentiel  dans  le  journalisme,  et 
voilà  ce  qui  fait  trop  souvent  défaut.  Nous 
avouons  que  la  polémique  de  mauvaise  foi  a 
toujours  eu  le  don  de  nous  exaspérer,  et  cela 
paraît  dans  plusieurs  des  pages  de  ce  recueil. 
Puisque  nous  en  sommes  au  chapitre  des 
aveux  et  des  excuses,  nous  sera-t-il  permis  de 
faire  observer  que  la  condition  du  journalisme 
dans  notre  pays  est  assez  difficile  pour  mériter 
au  journaliste  consciencieux  quelque  indul- 
gence de  la  part  du  public  ?  Lorsque  nous 
sommes  entré  dans  la  presse,  un  rédacteur  en 
chef  était  un  homme  à  tout  faire.  Aidé  à  peine 
d'un  ou  deux  sous-rédacteurs,  il  devait  mettre 
la  main  aux  différentes  besognes  qui  ont  pour 
objectif  d'emplir  les  colonnes  du  journal  :  tra- 
duction des  dépêches,  rédaction  des  faits  divers, 
des  comptes  rendus,  voire  des  annonces  et  des 
réclames,  correction  des  épreuves,  et  même 
surveillance  de  la  mise  en  pages.  Il  lui  fallait 
souvent,  pour  un  même  numéro,  s'occuper  de 
tout  cela  en  même  temps.  Tâche  agréable  et 
intéressante  !  La  division  du  travail,  qui  est  la 


PRÉFACE  9 

règle  du  journalisme  en  France,  en  Angleterre, 
et  ailleurs,  était  ici  chose  à  peu  près  inconnue, 
par  suite  du  défaut  de  ressources.  Les  grands 
journaux  étrangers  ont  un  nombreux  état- 
major  :  tel  rédacteur  fait  la  critique  littéraire, 
tel  autre  fait  le  compte  rendu  parlementaire, 
celui-ci  la  politique  extérieure,  celui-là  la  poli- 
tique intérieure.  Dans  beaucoup  de  cas,  le  direc- 
teur ou  le  rédacteur  en  chef  n'écrit  pas  tous 
les  jours,  ou  n'écrit  qu'une  soixantaine  de 
lignes.  Nous  ne  parlons  pas  des  reporters,  des 
rédacteurs  de  dépêches,  de  faits  divers,  etc. 
Chaque  atelier  d'imprimerie  a  son  correcteur 
d'épreuves  expert,  qui  corrige  jusqu'aux  fautes 
de  français. 

Ici  rien  de  tel,  à  l'époque  dont  nous  parlons. 
Le  rédacteur  en  chef  jouait  le  rôle  de  factotum, 
au  grand  et  lamentable  détriment  de  la  rédac- 
tion. On  comprend  à  quel  labeur  acharné  il 
était  tenu,  s'il  voulait  faire  un  journal  passable, 
en  dépit  de  tant  d'empêchements.  A  mesure 
que  les  événements  se  succèdent,  événements 
politiques,  événements  sociaux,  événements 
religieux,  le  journaliste  soucieux  de  son  devoir 
doit  en  parler,  leur  consacrer  au  moins  quelques 
mots  d'appréciation.  Et  lorsqu'une  question 
grave  surgit  devant  le  public,  il  lui  incombe 
de  la  discuter,  d'en  exposer  à  ses  lecteurs  la 
nature  et  la  portée.    Mais  pour  cela  il  faut  des 


10  PKÉFACE 

études,  il  faut  des  recherches  et  de  la  réflexion, 
et  par  conséquent  il  faut  du  temps.  Tel  article 
d'une  colonne  et  demie  sur  un  sujet  nouveau 
a  coûté  peut-être  à  son  auteur  la  valeur  de 
trois  jours  de  travail.  Mais  l'abonné  exigeant 
fait  la  moue.  —  Penh  !  c'est  bien  incomplet  !  — 
Et  il  écrit  au  journal  que  la  rédaction  laisse 
beaucoup  à  désirer. 

Histoire,  théologie,  droit,  finances,  économie 
politique,  littérature,  géographie,  le  journaliste 
devrait  au  moins  savoir  un  peu  de  tout  cela, 
et  étudier,  lire  sans  cesse  pour  suppléer  à  ce 
qui  lui  manque.  Comment  peut-il  le  faire  lors- 
que ses  journées  sont  prises  par  ce  que  l'on 
pourrait  appeler  la  cuisine  du  numéro,  la  mise 
en  train  de  la  feuille  éphémère,  la  lecture  des 
journaux,  des  revues  et  de  la  correspondance 
volumineuse,  sans  compter  les  visites  impor- 
tunes ?  Il  lui  reste  ses  soirées,  qu'il  ne  saurait 
constamment  dérober  à  ses  devoirs  de  famille 
et  de  société,  et  ses  nuits  durant  lesquelles  il 
est  souvent  obligé  de  préparer  l'article  du  len- 
demain. Plus  d'une  fois  —  on  nous  pardonnera 
cette  mention  personnelle  —  les  heures  mati- 
nales nous  ont  surpris  courbé  sur  les  colonnes 
rébarbatives  des  comptes  publics  et  des  rap- 
ports de  l'auditeur  général.  Plus  d'une  fois  aux 
époques  de  crise  et  de  polémique  à  jet  continu, 
les  premiers  rayons  de  l'aube  ont  fait  pâlir  la 


PRÉFACE  11 

lueur  de  la  lampe  qui  avait  éclairé  notre  labeur 
nocturne.  Un  grand  nombre  de  nos  confrères 
pourraient  nous  faire  la  même  confidence. 

Ce  que  nous  venons  d'écrire  s'applique  sur- 
tout sans  doute  aux  conditions  du  journalisme 
canadien  d'il  y  a  vingt  ans.     Depuis  quelques 
années  la  carrière   est  devenue   moins   dure. 
Mais  elle  est  encore  pénible  et  ingrate.  Aujour- 
d'hui comme  autrefois  le  journaliste   sérieux 
doit  faire  face  à  une  tâche  dont  le  public  ne 
soupçonne  pas  le  fardeau.     Il  est  exigeant,  le 
public,  et  il  est  peu  généreux.  Son  idéal  serait 
d'avoir  au  rabais  un  journal  complet  et  parfait. 
De  la  politique,  de  la  critique,  de  la  science 
vulgarisée,  de  la  discussion  mordante,  puis  beau- 
coup de  nouvelles  diverses,  du  sport,  des  mon- 
danités, des  dépêches  de  partout,  des  informa- 
tions variées  et  générales,  et  tout  cela  à  un  sou 
le  numéro  ! 

Durant  la  dernière  décade,  notre  journalisme 
a  subi  une  transformation  profonde.  II  a  évolué 
vers  le  genre  américain.  Nous  avons  des  jour-  \ 
naux  composés  d'un  plus  grand  nombre  de 
pages,  illustrés  avec  profusion  et  parfois  avec 
luxe,  offrant  à  certains  jours  soixante  colonnes 
de  lecture  flanquées  de  cent  colonnes  d'annon- 
ces, et  atteignant  un  tirage  qui  plongerait  dans 
la  stupéfaction  MM.  Etienne  Parent  et  Augus- 
tin-Norbert Morin.     Les  progrès  matériels  de 


12  PRÉFACE 

notre  presse  sont  incontestables;  et,  à  ce  point 
de  vue,  nos  grands  journalistes  d'autrefois 
ne  nous  marchanderaient  pas  leur  admiration. 
D'autre  part,  peut-être  nous  diraient-ils  que 
nous  n'avons  pas  gagné  en  dignité,  en  éléva- 
tion, en  autorité  morale,  autant  qu'en  format 
et  en  circulation. 

Mais  nous  ne  devons  pas  laisser  prendre  à 
cette  préface  les  allures  d'une  dissertation  sur 
les  mérites  et  les  démérites  comparés  du  jour- 
nalisme ancien  et  du  journalisme  moderne.  Et 
nous  nous  hâtons  de  dire  un  mot  sur  la  compo- 
sition de  ce  volume.  Le  lecteur  n'y  rencontrera 
pas  un  ordre  chronologique  continu.  Nous 
avons  cru  mieux  faire  en  divisant  la  matière 
par  sujets.  Seulement  pour  chaque  classe  de 
sujets,  nous  avons  reproduit  les  articles  suivant 
leur  date.  Il  nous  a  paru  qu'avec  une  bonne 
table  ce  mode  rendrait  les  recherches  plus 
faciles  à  ceux  qui  croiront  pouvoir  trouver 
dans  ce  recueil  quelques   informations  utiles. 

Nos  lecteurs  remarqueront  sans  doute  que 
nous  avons  consacré  une  très  grande  partie  de 
ce  volume  à  la  question  des  écoles  du  Manitoba. 
Elle  couvre  à  elle  seule  plus  de  deux  cents 
pages,  ce  qui  restreint  beaucoup  trop  l'espace 
accordé  à  divers  autres  sujets  :  questions  reli- 
gieuses, littéraires,  sociales,  etc.  Nous  recon- 
naissons et  regrettons  ce  défaut  de  proportion. 


PRÉFACE  13 

Mais  il  nous  a  été  impossible  de  l'éviter.  La 
question  des  écoles  a  été,  sans  contredit,  l'une 
des  plus  importantes  et  des  plus  graves  qui 
aient  agité  l'opinion  publique  au  Canada  depuis 
trente  ans.  Il  nous  a  semblé  que  le  temps  était 
venu  de  retracer  dans  ses  différentes  phases 
cet  épisode  d'histoire  contemporaine.  Dans  les 
volumes  qui  suivront  —  nous  l'espérons,  du 
moins  —  une  plus  large  part  sera  faite  à  des 
sujets,  à  des  controverses,  à  des  études  qui 
n'ont  pu  trouver  place  dans  celui-ci. 

Nous  répéterons  en  terminant  que  nous  nous 
sommes  surtout  placé  au  point  de  vue  docu- 
mentaire en  faisant  le  triage  de  ces  écrits. 
Nous  avons  laissé  dans  la  poussière  tout  ce  qui 
n'avait  eu  qu'un  à-propos  de  circonstance,  tout 
ce  qui  avait  été  d'un  intérêt  purement  transi- 
toire et  accidentel,  tout  ce  qui  ne  relevait  que 
de  la  politique  pure  dans  son  sens  le  plus  étroit, 
le  moins  noble.  Et  nous  avons  limité  notre 
choix  à  ce  qui  pouvait  jeter  quelque  lumière 
sur  les  problèmes  sociaux,  sur  le  mouvement 
des  idées,  sur  les  conflits  des  doctrines,  sur  les 
agitations  des  partis,  en  un  mot,e t  d' une  manière 
générale,  sur  les  hommes  et  les  choses  de  notre 
époque. 

Thomas  Chapais. 

Québec,  1er  mars  1905. 


MÉLANGES 


AU  PUBLIC 


4  mars  1884. 


Nous  prenons  aujourd'hui  la  rédaction  du  Courrier 
du  Canada.  Ce  n'est  pas  sans  avoir  beaucoup  hésité 
et  beaucoup  réfléchi.  Le  journalisme  est  une  rude  car- 
rière, une  carrière  laborieuse  et  ingrate,  féconde  en 
écueils  et  en  déboires.  Et  cependant  nous  y  entrons 
décidément,  et,  en  écrivant  cet  article,  nous  franchissons 
notre  Eubicon.  La  confiance  en  nos  forces,  en  nos 
lumières,  en  notre  talent,  n'est  pas  le  motif  de  notre 
détermination.  Nous  connaissons  trop  notre  insuffisance 
pour  espérer  être  toujours  à  la  hauteur  de  la  tâche 
dont  nous  acceptons  la  responsabilité. 

Cette  responsabilité  est  grande  et  de  nature  à  faire 
trembler.  Le  journaliste  parle  tous  les  jours  à  des  cen- 
taines d'intelligences,  qui  souvent  attendent  de  lui  le 
mot  décisif,  pour  s'engager  dans  l'erreur  ou  la  vérité. 
Combien  de  gens  ne  lisent  qu'un  journal,  et  reçoivent 
ses  opinions  comme  des  oracles.  Vous  calomniez  un 
adversaire,  et  la  calomnie  trouve  accueil  chez  des  cen- 
taines de  lecteurs  honnêtes,  qui  la  propageront  aux 
quatre  vents  du  ciel.  Vous  vous  jouez  en  un  paradoxe 
ingénieux,  et  le  paradoxe,  grossi  par  le  défaut  d'instruc- 
tion de  l'abonné,  deviendra  préjugé  et  s'installera  avec 


16  MÉLANGES 

la  feuille  amie  au  foyer  de  la  famille.  Vous  donnez  au 
faux  la  couleur  du  vrai,  et  le  faux  prend  racine  dans 
plus  d'une  âme,  et  si  le  vrai  vient  ensuite  frapper  à  la 
porte,  ou  réconduira  comme  un  intrus.  Influence  redou- 
table et  périlleuse  ! 

Toutefois,  en  dépit  de  cette  responsabilité  et  de  ces 
risques,  puisque  le  journalisme  existe,  il  faut  bien  qu'il 
y  ait  des  journalistes.  En  entrant  aujourd'hui  dans  la 
presse,  nous  obéissons  d'abord  aux  conseils  d'amis 
éclairés,  ensuite  à  un  certain  goût  naturel  qui  nous 
pousse  de  ce  côté. 

Notre  profession  de  foi  sera  courte.  Nous  n'aimons 
guère  à  parler  de  nous-même,  et  ne  le  ferons  que  le 
moins  souvent  possible.  En  politique  nous  sommes 
conservateur  ;  conservateur  de  tradition  et  de  convic- 
tion. Et  par  ce  mot,  nous  n'entendons  pas  désigner 
telle  ou  telle  attache  de  parti  ou  de  préférence  person- 
nelle. Ce  sont  nos  idées,  nos  tendances,  nos  aspirations 
qui  sont  conservatrices.  C'est  dire  assez  que  les  prin- 
cipes les  plus  conservateurs  sont  nos  principes,  que  les 
mesures  les  plus  conservatrices  sont  nos  mesures,  que 
les  hommes  les  plus  conservateurs  sont  nos  hommes. 
Nous  croyons  devoir  avertir  nos  lecteurs  qu'ils  peuvent 
se  préparer  à  nous  entendre  plus  d'une  fois  qualifier 
d'esprit  étroit,  et  de  journaliste  rétrograde.  En  religion, 
nous  sommes  profondément  dévoué  à  l'Eglise  romaine, 
et  humblement  soumis  à  ses  pasteurs.  Nous  n'avons 
nulle  prétention  à  être  plus  catholique  que  le  pape  ; 
mais  nous  voulons  nous  efforcer  de  l'être  autant  que 
lui  ;  et,  en  dépit  d'une  opinion  assez  répandue,  nous 
estimons  que,  de  nos  jours,  ce  n'est  pas  une  mince 
entreprise. 


MÉLANGES  17 

Nous  voulons  faire  du  journalisme  honnête,  rendre 
justice  à  nos  adversaires,  ou  plutôt  aux  adversaires  de 
notre  cause,  ne  jamais  travestir  leur  pensée  ou  dénatu- 
rer leurs  actes,  ne  jamais  leur  attribuer  des  paroles  qu'ils 
n'auraient  pas  dites.  Tout  en  combattant  les  idées  et  les 
procédés,  nous  espérons  ne  nous  oublier  jamais  au  point 
de  diffamer  les  personnes  ;  et,  tout  en  mettant  dans  la 
polémique  l'énergie  et  la  chaleur  que  comporte  le  jour- 
nalisme militant,  nous  entendons  rester  toujours  dans  les 
limites  de  la  politesse  et  de  la  courtoisie. 

Le  Courrier  du  Canada  a  un  beau  passé.  Il  a  pu 
commettre  des  erreurs  ;  comme  les  hommes  qui  les  fout, 
les  journaux  sont  faillibles.  Mais  il  n'a  jamais  manqué 
à  l'honneur,  et  n'a  jamais  offensé  la  morale.  Plusieurs 
hommes  distingués  se  sont  succédés  à  sa  rédaction.  Entre 
tous,  il  en  est  un  qui  a  surtout  contribué  à  le  popula- 
riser, qui  l'a  marqué  de  sa  forte  empreinte,  qui  lui  a  donné 
le  souffle  et  la  vie.  M.  J.-C.  Taché  a  laissé  dans  la  presse 
un  trop  grand  vide  et  une  trop  vivante  mémoire,  pour 
que  nous  fassions  ici  son  éloge.  D'ailleurs  nous  savons 
qu'il  n'aime  pas  les  louanges.  Nous  nous  contenterons 
de  dire  que  nous  voulons  nous  inspirer  de  ses  écrits,  et 
marcher  de  loin  sur  ses  traces.  C'est  probablement  la 
promesse  la  plus  agréable  qu'il  soit  possible  de  faire  au 
public  du  Courrier. 

A  notre  entrée  dans  le  journalisme  nous  pouvons 
déclarer  sans  arrière  -  pensée  que  nous  n'avons  nul 
motif  d'aigreur  ou  de  haine  personnelle  contre  aucun 
de  nos  confrères  ou  aucun  homme  public.  Nous 
apportons  à  la  presse  une  plume  inexpérimentée  mais 
loyale.  Malgré  notre  éloignement  naturel  pour  les  polé- 
miques aiguës  et  les  discussions  irritantes,  nous  ne 
2 


18  MÉLANGES 

les  éviterons  pas  lorsqu'elles  s'imposeront  à  nous.  Mais 
nous  espérons  que,  même  au  milieu  des  escarmouches 
les  plus  vives,  nos  lecteurs  s'apercevront  que  nous 
n'avons  aucun  goût  particulier  pour  les  batailles  de 
plume. 

En  voilà  plus  qu'il  n'en  fallait  pour  définir  notre  posi- 
tion et  dessiner  notre  programme.  Nous  terminerons  en 
demandant  aux  lecteurs  du  Courrier  du  Canada  leur 
confiance  et  leur  sympathie. 


La  Fédération  impériale. 


SIR  CHARLES  TUPPER  ET  LA  FÉDÉRA- 
TION BRITANNIQUE 


15  août  1884. 

Un  »rand  nombre  d'hommes  politiques  appartenant 
aux  deux  partis  se  sont  réunis  à  Londres,  le  29  juillet, 
pour  discuter  la  question  de  la  fédération  impériale.  Sir 
Charles  Tupper  était  présent.  La  plupart  des  orateurs 
qui  ont  pris  la  parole,  entre  autres  l'honorable  M.  Forster 
se  sont  prononcés  pour  une  fédération  impériale  de 
toutes  les  colonies  avec  la  mère-patrie.  La  résolution 
suivante  fut  proposée  : 

"  Que  les  relations  politiques  entre  la  Grande-Bre- 
tagne et  ses  colonies  doivent  inévitablement  conduire  à 
la  fédération  ou  à  la  séparation  ;  que,  pour  éviter  la 
dernière  alternative  et  pour  assurer  l'unité  permanente 
de  l'empire,  une  fédération  quelconque  est  indispen- 
sable." 

Sir  Charles  a  cru  devoir  prendre  la  parole  sur  cette 
résolution,  et  il  a  parlé  avec  un  sens  politique  qui  lui  a 
valu  les  applaudissements  unanimes  de  l'assemblée  et 
les  félicitations  du  Times.  Ne  voulant  pas  heurter  de 
front  les  sentiments  manifestes  des  hommes  publics 


20  MÉLANGES 

qui  formaient  la  réunion,  et  désirant  marquer  les  réserves 
qu'il  croyait  nécessaires,  il  a  proposé  un  changement 
dans  la  phraséologie  de  la  résolution.  Il  a  fait  l'éloge 
des  sentiments  de  loyauté  du  peuple  canadien  et  a  sou- 
tenu qu'il  est  trop  tôt  pour  déclarer  qu'une  fédération 
impériale  est  nécessaire  afin  d'empêcher  la  sécession  des 
colonies. 

L'opinion  de  Sir  Charles  a  prévalu.  Et  le  Times  a 
reconnu  la  sagesse  de  la  position  prise  par  le  haut- 
commissaire  canadien.  En  effet,  si  l'on  proclame  à  son 
de  trompe  aujourd'hui  que  la  fédération  des  colonies 
avec  la  métropole  est  le  seul  moyen  de  maintenir  leur 
fidélité  à  la  Couronne,  et  que  cette  fédération  ne  se 
réalise  pas,  ce  qui  est  plus  que  probable,  on  fortifie  la 
position  des  avocats  de  la  sécession.  C'est  ce  que  Sir 
Charles  Tupper  a  fait  comprendre  à  la  réunion  des  fédé- 
ralistes, et  il  mérite  les  félicitations  de  tous  les  loyaux 
sujets  de  Sa  Majesté  au  Canada. 


LA  FEDERATION  IMPERIALE 


1er  août  1885. 

Les  partisans  de  la  fédération  impériale  s'agitent 
beaucoup  et  s'efforcent  de  rallier  l'opinion  à  leurs  théo- 
ries. Ils  ont  bien  le  droit  de  travailler  à  faire  prévaloir 
leurs  idées  sur  cette  question.  Mais  nous  ne  croyons 
pas  qu'ils  produisent  grand  effet  dans  les  colonies,  au 
moins  dans  la  ruissance  du  Canada. 


MÉLANGES  21 

Voici  le  document  ^  que  l'Association  des  fédéralistes 
vient  de  lancer  dans  la  publicité  : 

Article  I. — La  constitution  de  l'empire  fédéré  sera 
basée  sur  la  loyauté  envers  Sa  Très  Gracieuse  Majesté 
et  ses  successeurs. 

Article  II. — Le  parlement  fédéral  pour  l'empire  an- 
glais s'assemblera  à  Londres  et  sera  convoqué  et  dissous 
par  Sa  Majesté  et  ses  successeurs. 

Article  III. — Tous  les  représentants  des  colonies  an- 
glaises et  leurs  dépendances  conserveront  leurs  sièges 
au  parlement  fédéral  pendant  cinq  ans. 

Article  IV. — Tous  les  membres  du  parlement  fédéral 
et  tous  les  électeurs  par  qui  ils  sont  élus  devront,  comme 
qualification  essentielle,  savoir  parler,  lire  et  écrire 
l'anglais. 

Article  V. — Toute  colonie  anglaise  dont  la  popula- 
tion excède  100,000  âmes  aura  droit  d'envoyer  un 
représentant  au  parlement  fédéral. 

Article  VI. — Les  colonies  et  dépendances  anglaises 
éliront  un  tiers  des  membres  du  parlement  fédéral  et 
le  Eoyaume  Uni  élira  les  deux  autres  tiers. 

Article  VII. — Les  franchises  électorales  dans  chaque 
colonie  seront  réglées  par  les  législations  respectives  de 
chaque  colonie.     Sujet  à  l'approbation  de  la  couronne. 

Article  VIII. — Dans  le  but  de  soustraire  la  politique 
aux  fluctuations  et  aux  considérations  de  parti,  les 
ministres  des  colonies  et  des  affaires  étrangères  seront 
nommés  pour  cinq  ans. 

Article  IX. — Chaque  colonie  ou  dépendance  fournira 
£500  par  année  pour  chacun  de  ses  représentants  au 
parlement  fédéral.  Chaque  membre  du  parlement  devra 
prêter  le  serment  d'allégeance  à  Sa  Majesté  et  à  ses 
successeurs. 


1 Nous  reproduisons  ce  document  parce  qu'il  est  main- 
tenant peu  connu  et  qu'il  jette  beaucoup  de  lumière  sur  les 
visées  et  le  programme  des  fédéralistes,  au  début  du  mouve- 
ment. 


22  MÉLANGES 

Article  X. — Le  parlement  fédéral  nommera  un  comité 
de  cent  de  ses  membres  pour  cinq  ans,  dans  le  but  de 
constituer  une  chambre  de  commerce  pour  régler  le 
commerce  et  l'industrie  ;  un  tiers  au  moins  de  ces  mem- 
bres devront  être  des  représentants  des  colonies  ou 
dépendances  anglaises. 

Article  XI. — Le  parlement  fédéral  se  composera  de 
six  cent  quarante  membres. 

Article  XII. — Le  nombre  de  représentants  de  nos 
colonies  sera  deux  cent  quatorze. 

Article  XIIL — L'Inde  déléguera  cinquante-neuf  re- 
présentants au  parlement  fédéral  ;  ces  représentants 
seront  élus  par  le  Conseil  législatif  de  l'Inde. 

Article  XIV. — Le  Canada  déléguera  quarante-cinq 
représentants  au  parlement  fédéral. 

Article  XV. — Chypre  en  déléguera  1,  Gibraltar  1, 
Malte  1,  Penang  et  Malacca  1,  la  Guyane  anglaise  1, 
l'Honduras  anglais  1,  les  îles  Fiji  1,  Antigues  et  Bar- 
buda  1,  Montserrat,  Saint  Christophe  et  Nevis  1,  Saint 
Vincent,  Grenade  et  Tabago  1,  Saint  Domingue  1,  les 
îles  de  la  Vierge  1,  Sainte  Lucie  1,  Bahama  et  Ber- 
mudes  1,  les  établissements  de  la  côte  occidentale  d'Afri- 
que 3,  Jersey  2,  Guernesey  1,  Ile  de  Man  1.  Ces  diffé- 
rents pays  délégueront  en  tout  23  membres. 

Article  XVI. — Toute  colonie  anglaise  dont  le  nom 
ne  figure  pas  ici  et  qui  aura  une  population  de  100,000 
habitants  aura  droit  d'élire  un  représentant  au  parlement 
fédéral,  s'il  y  a  un  siège  vacant  :  dans  le  cas  contraire 
elle  aura  droit  de  se  faire  représenter  par  l'un  des  repré- 
sentants qui  occuperont  des  sièges.  Les  colonies  des 
îles  Falkland,  Sainte-Hélène  et  autres  colonies  qui  ne 
seraient  pas  représentées  individuellement  par  les 
députés  auront  le  droit  de  nommer  des  membres  du 
parlement  comme  leurs  agents  parlementaires. 

Article  XVII. — Les  colonies  australiennes  de  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud  délégueront  dix-huit  représen- 
tants au  parlement   fédéral  ;  Victoria    14,    l'Australie 


MÉLANGES  23 

Méridionale  7,  Queensland  6.  l'Australie  Occidentale  3, 
la  Nouvelle-Zélande  9,  Tasmanie  4. 

Article  XVIII. — La  Jamaïque  déléguera  4  repré- 
sentants; les  Barbades  2;  Trinidad  2,  Maurice  2, 
Ceylan  3. 

Article  XIX.— Les  colonies  du  Sud  de  l'Afrique 
délégueront  10  représentants. 

Article  XX. — Si  les  colons  n'ont  pas  leur  nombre  de 
représentants  au  complet,  les  membres  présents  pour- 
ront représenter  avec  des  procurations  les  membres 
absents  de  façon  à  ce  que  chaque  colonie  ait  le  nombre 
de  voix  qui  lui  aura  été  attribué. 

Article  XXI. — La  Chambre  des  Communes  actuelle 
sera  la  base  du  parlement  fédéral.  Deux  cent  quatorze 
sièges  présentement  occupés  par  des  représentants  du 
Eoyaume-Uni  seront  donnés  aux  représentants  des 
colonies  ;  les  circonscriptions  électorales  en  Angleterre 
conserveront  toutefois  le  même  nombre  de  voix  que 
par  le  passé. 

Article  XXII. — Si  la  proportion  de  la  population 
des  colonies  anglaises  est  changée,  cinq  ans  après  la 
date  de  l'acceptation  de  la  présente  constitution,  le 
nombre  de  leurs  représentants  sera  augmenté  dans  la 
proportion  de  l'augmentation  de  la  population. 

Article  XXIII.— Afin  de  maintenir  d'une  manière 
permanente  une  politique  constitutionnelle  pour  l'em- 
pire anglais,  chaque  colonie  ou  groupe  de  colonies  élira 
un  ou  plusieurs  lords  fédéraux  pour  agir  comme  séna- 
teurs à  vie  et  siéger  dans  la  chambre  des  lords  ;  le 
nombre  d'iceux  devant  être  de  deux  cents,  le  choix 
devant  eu  être  fait  parmi  ceux  qui  auront  des  ressources 
suffisantes  pour  faire  honneur  à  leur  dignité  de  pairs  et 
qui  seront  d'une  réputation  et  d'une  force  de  caractère 
capables  d'en  faire  des  sénateurs  utiles.  L'élection  de 
ces  lords  sera  régie  par  des  règlements  faits  par  chaque 
colonie. 

Les  délégués  des  colonies  suivantes  sont  invités  à 
assister  à  la  prochaine  conférence  à  Exeter  Hall,  le  14 


24 


MÉLANGES 


juin  1886  et  sont  priés,  dès  leur  arrivée  à  Londres,  de 
prévenir  M.  W.  H.  Taylor,  18,  rue  Elgin,  Saint  Peters 
Park,  Londres  : 


Inde 

Aden 

Ceylan 

Hong  Kong 

Labuan 

Maurice 

Chypre 

Ontario 

Québec 

Nouvelle-Ecosse 

N.-Brunswick 

Cap-Breton 

Ile  du  P.  Edouard 

Colombie  Augl. 

Terreneuve 

Labrador 

Guiane  anglaise 

Honduras  anglais 

N.-Galles  du  Sud 

Victoria 

Queensland 

Australie  mérid. 

Australie  occid. 

Nouvelle-Guinée 

Nouvelle-Zélande 

Tasmanie 

Fiji 


Jamaïque 

ïrinidad 

Antigues 

Montserrat 

Saint  Christophe 

Nevis 

Domingue 

Les  Iles  de  la  Vierge 

Barbades 

Saint  Vincent 

Grenade 

Tabago 

Sainte- Lucie 

Bahamas 

Bermudes 

Colonies  du  Cap 

Natal 

Sierra  Leone 

Côte  d'Or 

Ascension 

Iles  Ealkland 

Sainte  Hélène 

Malte 

Gibraltar 

Jersey 

Guernesey 

Ile  de  Man 


Pour  aujourd'hui,  nous  nous  bornerons  à  dire  que  ce 
projet  nous  paraît  totalement  impraticable 


MÉLANGES  25 

LE  JOURNAL  DE  LA  LIGUE  FÉDÉ- 
RALISTE 

15  janvier  1886. 

Nous  avons  reçu  le  premier  numéro  d'un  journal 
mensuel  intitulé  :  Impérial  Fédération.  Ce  journal 
est  publié  à  Londres  sous  les  auspices  de  la  Ligue  pour 
la  fédération  impériale.  Sa  toilette  typographique  et  sa 
rédaction  nous  paraissent  également  soignées. 

Le  numéro  que  nous  avons  sous  les  yeux  contient» 
comme  matière  d'intérêt  particulier  pour  le  Canada,  un 
article  sur  le  chemin  de  fer  du  Pacifique  et  une  étude 
sur  le  livre  du  marquis  de  Lorne  intitulé  :  La  Fédéra- 
tion Impériale. 

Dans  l'article  sur  le  chemin  de  fer  du  Pacifique  nous 
lisons  ce  qui  suit  : 

•'  Les  derniers  mois  de  l'année  1885  ont  vu  l'achève- 
ment de  l'un  des  plus  gigantesques  et  des  plus  impor- 
tants travaux  du  génie,  entrepris  par  l'homme.  Le  7 
novembre,  la  dernière  fiche  du  Pacifique  Canadien  a  été 
posée  près  de  Parwell,  dans  la  Colombie  Britannique, 
et  ainsi  la  ligne  de  chemin  de  fer  est  devenue  continue 
de  Québec  au  Pacifique.  D'un  océan  à  l'autre  s'étend 
maintenant  à  travers  le  territoire  britannique  une  ligne 
non  interrompue  de  rails  couvrant  une  distance  de  2,898 
milles  et  dont  la  valeur  ne  peut  être  que  difficilement 
estimée.  La  grandeur  de  l'œuvre  accomplie,  considérée 
simplement  au  point  de  vue  du  génie  civil,  ne  peut 
être  bien  comprise  d'après  le  simple  énoncé  de  la  dis- 
tance parcourue.     Les  difficultés  physiques  qui  ont  dû 


26  MÉLANGES 

être  surmontées  doivent  être  prises  en  considération,  et 
elles  n'étaient  ni  en  petit  nombre,  ni  médiocres.  Dans 
l'Ouest,  trois  chaînes  distinctes  de  montagnes  ont  dû. 
être  traversées  ;  et  un  passage  a  dû  être  tracé  au  tra- 
vers d'une  région  presque  aussi  difficile  à  l'est  et  au  nord 
du  lac  Supérieur.  Les  rochers  qui  s'étendent  derrière 
ce  lac  sont  les  plus  vieux  qui  soient  connus  par  les 
hommes  de  la  science,  et  les  plus  impraticables  qu'aient 
rencontrés  les  ingénieurs. 

"  Les  difficultés  rencontrées  là,  aussi  bien  que  plus 
loin  dans  la  "  mer  des  montagnes  "  en  grande  partie 
inexplorée  et  qui  devait  être  traversée,  furent  énormes 
et  à  première  vue  apparemment  insurmontables  ;  mais 
lahor  omnia  vincit,  avec  l'aide  de  la  science,  de  l'habi- 
leté et  de  la  dynamite,  et  les  difficultés  ont  dû  céder 
devant  la  volonté,  l'intelligence  et  la  puissance  de 
l'homme  civilisé.  Aujourd'hui  malgré  les  prophéties 
adverses  des  incrédules,  le  chemin  de  fer  du  Pacifique 
Canadien  est  un  fait  accompli.  Il  en  sera  de  même  un 
jour  de  la  confédération  de  l'Empire  de  la  Grande-Bre- 
tagne, en  dépit  des  difficultés  à  rencontrer  et  des  pro- 
phéties de  ceux  qui  prédisent  un  échec." 

Nous  acceptons  les  compliments  que  nous  décerne  le 
nouveau  journal  au  sujet  du  Tacifique,  mais  nous  ne 
saurions  acquiescer  au  mot  de  la  fin,  touchant  la  fédé- 
ration impériale. 

L'Impcrial  Fédération  donne  une  grande  place  au 
Canada  dans  ses  visées  et  ses  projets  fédéralistes.  A  la 
page  trois  du  numéro  que  nous  feuilletons  en  ce  moment, 
on  trouve  le  passag  equi  suit:  "  M.  Martin  J.  Griffin, 
le  bibliothécaire  de  la  bibliothèque  parlementaire  à 
Ottawa,  est  un  ardent  ami  de  la  fédération  impériale  et 


MÉLANGES  27 

apparemment  un  avocat  capable  et  bien  informé  de  ce 
projet.  Il  a  écrit  dans  le  Week,  une  publication  cana- 
dienne, sur  ce  sujet,  le  justifiant  et  argumentant  en  sa 
faveur  contre  les  adversaires.  Nous  sommes  heureux 
d'apprendre  de  M.  Griffin,  qui  certainement  peut  être 
regardé  comme  étant  en  position  d'exprimer  une  telle 
opinion,  que  dans  n'importe  quel  auditoire  au  Canada, 
il  y  aurait  une  plus  vive  et  ardente  réponse  à  un  appel 
en  faveur  de  l'idée  de  fédération  qu'à  une  critique  par 
ses  adversaires." 

Malgré  toute  la  déférence  que  nous  pouvons  avoir 
pour  les  opinions  de  M.  Griffin,  nous  croyons  qu'il  est 
dans  une  complète  erreur,  et  que  V Impérial  Fédéra- 
tion aurait  tort  de  s'en  rapporter  à  son  témoignage  au 
sujet  des  sentiments  du  peuple  canadien.  L'opinion 
publique  ici  est  hostile  à  la  fédération  impériale,  les 
fédéralistes  de  Londres  peuvent  en  être  convaincus. 


M.  BLAKE  ET  LA  FÉDÉRATION   IMPE- 
RIALE 


9  avril  1887. 

La  presse  libérale  ne  passe  pas  de  jours  sans  agiter 
devant  ses  lecteurs  le  spectre  de  la  fédération  impériale, 
et  sans  accuser  le  parti  conservateur,  Sir  John  Mac- 
donald,  en  particulier,  de  vouloir  nous  conduire  à  cet 
abîme. 

Inutile  de  dire  que  le  parti  conservateur  n'est  pas  en 
faveur  d'une  fédération  impériale.    Nous  n'en  voulons 


28  MELANGES 

pas,  et  nous  la  repousserons  toujours  de  toutes  nos 
forces. 

Mais,  messieurs  les  libéraux,  avant  d'attaquer  leurs 
adversaires,  feraient  bien  de  compulser  un  peu  le  dossier 
de  leur  chef. 

En  effet,  c'est  M.  Blake  qui  a,  le  premier,  lancé  dans 
le  public  canadien,  l'idée  d'une  fédération  impériale. 
Dans  son  fameux  discours  d'Aurora,  on  trouve  le  pas- 
sage suivant  que  nous  recommandons  à  l'attention  de 
tous  ceux  qui  s'occupent  de  politique, 

"  Permettez-moi  de  toucher  une  question  qui  sera 
toute  d'actualité  avant  qu'il  soit  longtemps,  celle  des 
rapports  du  Canada  avec  l'empire.  Il  y  a  trois  ou 
quatre  ans  j'eus  occasion  de  traiter  cette  question; 
j'émis  l'idée  que  nous  devrions  faire  un  effort  pour 
réorganiser  l'empire  sur  une  base  fédérale.  Je  répète  ce 
que  je  disais  en  cette  occasion,  que  le  temps  n'est  peut- 
être  pas  éloigné  où  le  peuple  canadien  sera  appelé  à 
discuter  cette  question.  Les  choses  ne  peuvent  traîner 
longtemps  en  langueur. 

"  Le  traité  de  Washington  produisit  une  profonde 
impression  dans  le  pays.  Il  inspira  au  peuple  le  désir 
d'avoir  avant  longtemps  une  plus  grande  part  de  con- 
trôle dans  le  règlement  des  affaires  étrangères  :  le  désir 
de  voir  cesser  l'anomalie  qui  existe  maintenant,  celle 
d'un  gouvernement  le  plus  libre,  et  peut-être  le  plus 
démocrate  qui  soit  au  monde  pour  ce  qui  concerne  ses 
affaires  locales,  qui  se  gouverne  aussi  librement  que 
tout  autre  peuple  au  monde,  tandis  que  dans  vos 
affaires  étrangères  avec  les  autres  pays  en  temps  de 
paix  ou  en  temps  de  guerre,  en  matière  commerciale 
ou  financière,  vous  n'avez  pas  plus  d'avis  à  donner  que 
le  Japon. 


MÉLANGES  29 

"  C'est  un  état  de  choses,  toutefois,  dont  vous  n'avez 
pas  à  vous  plaindre,  car,  aussi  longtemps  que  vous  ne 
vous  déciderez  pas  à  encourir  les  responsabilités  et  les 
frais  qu'entraîne  toute  part  de  contrôle  en  ces  affaires> 
vous  ne  pouvez  réclamer  les  droits  et  les  privilèges  des 
Anglais  nés  libres.  Mais  combien  de  temps  se  conten- 
tera-t-on  de  paroles  dans  les  journaux  ou  ailleurs  ? 
Combien  de  temps  se  contentera-t-on  de  parler  dans 
des  cercles  très  élevés  de  l'opportunité,  de  la  nécessité 
même  de  développer  un  sentiment  national  parmi  la 
population  du  Canada.  Il  est  impossible  de  développer 
un  sentiment  national  à  moins  que  vous  n'ayez  des 
intérêts  nationaux  à  surveiller,  impossible  de  développer 
ce  sentiment  chez  un  peuple  qui  ne  veut  pas  assumer 
les  responsabilités  et  les  devoirs  auxquels  appartiennent 
les  attributs  nationaux.  Nous  avons  été  invités  par 
M.  Gladstone  et  autres  hommes  d'Etat  anglais — notam- 
ment par  M.  Gladstone,  dans  la  Chambre  des  Com- 
munes, peu  de  temps  avant  la  chute  de  sou  cabinet,  à 
faire  un  pas  en  avant.  M.  Gladstone,  parlant  comme 
premier  ministre  d'Angleterre,  exprima  l'espoir  que  les 
colonies  feraient  bientôt  une  démarche  et  exprimeraient 
leur  intention  d'obtenir  leur  part  de  privilèges  et  de 
responsabilités  comme  sujets  anglais.  C'est  à  nous  de 
décider — pas  maintenant,  ni  cette  année,  ni  même  pen- 
dant ce  parlement,  mais  toutefois  avant  qu'il  soit  long- 
temps— quelle  ligne  de  conduite  nous  devons  tenir. 

"  Pour  ma  part,  j'ai  trouvé  assez  naturel,  assez  rai- 
sonnable, pendant  la  période  de  développement  qui  se 
poursuit  dans  notre  pays  si  jeune  et  si  peu  colonisé,  de 
consentir,  nous,  si  peu  nombreux,  si  préoccupés  d'af- 
faires locales,  si  absorbés  dans  la  conquête  du  sol  et  du 


30  MÉLANGES 

développement  du  pays,  à  laisser  à  la  métropole  les 
soucis  et  les  privilèges  auxquels  j'ai  fait  allusiou.  Le 
temps  viendra  où  cet  esprit  national  dont  il  a  été  ques- 
tion se  manifestera  pleinement  parmi  nous,  où  nous 
comprendrons  que  nous  sommes  quatre  millions  d'An- 
glais pas  encore  libres,  où  nous  serons  prêts  à  revendi- 
quer notre  liberté  et  à  réclamer  ce  qui  nous  appar- 
tient d'après  le  ci-devant  premier  ministre  d'Angleterre 
savoir  :  notre  part  de  droits  nationaux. 

"  Demain,  la  politique  anglaise,  sur  laquelle  vous 
n'influez  en  rien,  peut  plonger  notre  pays  dans  toutes 
les  horreurs  d'une  guerre.  Pas  plus  tard  que  ces  jours 
derniers,  hors  de  notre  connaissance  et  sans  notre  con- 
sentement, le  droit  de  naviguer  sur  le  Saint- Laurent 
fut  cédé  à  jamais  aux  Etats-Unis.  C'est  un  état  de 
choses  dont  vous  n'avez  pas  droit  de  vous  plaindre  aussi 
longtemps  qu'il  vous  plaira  de  dire  :  "  Nous  préférons 
éviter  les  soucis,  les  dépenses  et  les  charges,  et  nous 
sommes  inférieurs,  sous  le  rapport  de  l'habileté,  à  rem- 
plir les  devoirs  qui  nous  incombent  comme  Anglais,  nés 
libres."  Aussi  longtemps  que  vous  raisonnerez  ainsi, 
il  ne  vous  siéra  pas  de  prendre  les  airs  ni  le  ton  d'un 
peuple  complètement  libre. 

"  L'avenir  du  Canada  dépend,  je  crois,  en  grande 
partie,  du  développement  du  sentiment  national." 

Après  cela,  que  les  libéraux  cessent  de  crier  aux  ten- 
dances fédéralistes  de  nos  amis. 

Le  premier  des  fédéralistes,  c'a  été  M.  Blake. 

Et  le  second  a  été  probablement  Sir  Eichard  Cart- 
wright,  qui,  dans  un  discours  célèbre,  a  introduit  dans 
notre  vocabulaire  politique  le  terme  :  conglomération 
impériale  ! 


MÊTANGES  31 

LE  GLOBE  ET  LA  FÉDÉRATION  IMPÉ- 
RIALE 

3  avril  1888. 

On  lit  dans  La  Patrie  de  samedi  : 

"  Il  paraît  que  nous  allons  enfin  avoir  une  expression 
à  peu  près  définie  de  ce  que  les  loyaux  par  excellence 
appellent  la  Fédération  impériale.  Jusqu'ici  on  avait 
eu  simplement  un  aperçu  bien  vague  de  cette  grande 
utopie  que  les  flatteurs  appellent  la  suprême  idée  du 
règne  de  Sir  John. 

"  On  savait  bien  quel  était  le  but  principal  du  projet 
de  la  part  des  amis  de  Sir  John  :  noyer  la  race  cana- 
dienne-française dans  un  faisceau  de  forces  anglo- 
saxonnes  capables  de  l'étouffer.  Ou  savait  aussi  quel 
était  le  rêve  des  promoteurs  anglais  de  cette  entreprise  : 
se  procurer  le  concours  moral  et  physique  de  toutes  les 
colonies  dans  le  cas  de  conflit  avec  des  puissances  étran- 
gères. Mais  on  ignorait  quel  serait  le  mode  pratique 
adopté  par  les  loyaux  pour  créer  ce  lien  tant  désiré." 

C'est  ainsi  que  parle  La  Patrie.  Suivant  elle  la 
fédération  impériale  est  un  projet  conçu  par  Sir  John 
et  ses  amis  pour  noyer  l'élément  franco-canadien. 

Mais  La  Patrie  n'est  pas  le  seul  organe  de  l'opposi- 
tion. Il  y  en  a  un  autre,  plus  grand,  plus  important, 
plus  puissant,  plus  autorisé,  et  cet  autre  c'est  le  Globe, 
le  chef  de  file  de  toute  la  presse  libérale  dans  notre 
pays. 

Voyons  donc  ce  que  pense  le  Globe  : 

"  Le  premier  •  Canadien  distingué  qui  ait  appuyé  la 


32  MÉLANGES 

fédération  impériale  est  l'honorable  Edward  Blake  dans 
son  fameux  discours  d'Aurora,  qui  n'est  pas  oublié.  Il 
n'y  a  aucune  raison  de  douter  qu'il  sympathise  autant 
que  jamais  avec  le  sentiment  vrai  qui  est  la  base  de  !a 
Ligue  de  la  Fédération.  Il  est  très  regrettable  qu'il  n'ait 
pu  être  présent  à  la  grande  assemblée  de  samedi  soir. 
Il  a  droit  à  la  satisfaction  d'être  témoin  d'une  démons- 
tration en  faveur  de  son  idée,  démonstration  conduite 
par  des  meneurs  du  parti  qui  l'a  dénoncé  pour  l'avoir 
émise  il  y  a  treize  ans. ... 

"  La  Ligue  de  la  Fédération  Impériale  pour  le  Canada 
semble  avoir  pour  but  d'effectuer  un  changement  radi- 
cal; de  mettre  les  Canadiens  sur  un  pied  d'égalité 
politique  avec  leurs  co-sujets  de  la  Grande-Bretagne. 
Le  cœur  de  l'homme  ne  peut  désirer  aucune  condition 
politique  plus  noble  que  celle-là." 

Ecoutez,  gens  de  VElecteur  et  de  La  Patrie.  C'est 
le  Globe  qui  parle  ainsi,  le  Globe  organe  de  Sir  Richard 
Cartwright,  de  M.  Edgar,  de  M.  Paterson,  le  Globe 
interprète  fidèle  de  la  pensée  de  M,  Blake.  Allez-vous 
crier  que  vos  alliés  d'Ontario  veulent  noyer  l'élément 
franco-canadien  ? 

Dites  donc  à  vos  lecteurs  trompés  que  le  père  de  la 
Fédération  impériale  au  Canada,  c'est  M.  Blake,  Réédi- 
tez, si  vous  l'osez,  le  discours  d'Aurora.  Reproduisez 
les  déclarations  du  Globe.  Ou  bien  cessez  de  battre  en 
brèche  le  parti  conservateur  avec  ce  cri  de  guerre. 

La  vérité,  c'est  que  l'idée  de  la  fédération  impériale 
n'appartient  en  propre  à  aucun  parti.  Il  y  a  des  fédé- 
ralistes dans  les  deux  camps. 

Pour  nous,  nous  n'en  sommes  pas.  Et  nous  préten- 
dons avoir  le  droit  de  dire  que  le  parti  conservateur  n'en 


MÉLANGES  33 

est  pas,  quoique  fasse  et  dise  M.  McCarthy.  M.  McCar- 
thy,  homme  de  valeur  et  de  talent,  n'est  point  le  parti 
conservateur.  Sir  John  Macdonald  lui-même,  à  suppo- 
ser qu'il  fût  personnellement  en  faveur  d'une  fédération 
impériale,  ne  serait  point  en  cela  l'interprète  de  son 
parti. 

Nous  ne  croyons  pas  trop  risquer  en  afîirmant  que 
la  province  de  Québec  est  tout- entière  hostile  à  la  fédé- 
ration impériale. 


NOS  HOMMES  POLITIQUES  ET  LA  FEDE- 
RATION IMPÉRIALE 

15  août  1888. 

On  sait  que  nos  chefs  conservateurs  bas-canadiens 
se  sont  prononcés  carrément  contre  la  fédération  impé- 
riale, à  la  grande  démonstration  de  Joliette. 

Ils  ont  été,  en  cette  circonstance,  l'écho  fidèle  de  leur 
parti,  et  l'opinion  conservatrice  leur  sait  gré  d'avoir 
parlé  aussi  hautement. 

Mais  leurs  déclarations  si  importantes  ne  font  pas 
l'affaire  de  la  presse  libérale.  Aussi  faut-il  voir  l'em- 
barras dans  lequel  cette  excellente  presse  s'est  trouvée 
placée. 

VEledeuT  est,  de  tous  les  journaux  libéraux,  celui 
qui  a  le  plus  glorieusement  pataugé. 

Le  9  août  il  accusait  Sir  Hector  Langevin  de  s'être 
prononcé  en  faveur  de  la  fédération  impériale. 

**  Le  pique-nique  de  Joliette  n'a  pas  été  un  succès. 


34  MÉLANGES 

Des  discours  ne  disant  rien  de  nouveau,  moins  peut- 
être  celui  de  Sir  Hector  qui  s'est  prononcé  en  faveur 
de  la  fédération  impériale." 

C'était  dire  noir  quand  il  fallait  dire  blanc.  Une  aussi 
impudente  falsification  ne  pouvait  tenir.  Aussi  le  11 
août  le  même  Electeur  publiait-il  ce  qui  suit  : 

"  Les  tories  d'Ottawa,  presque  tous  fédéralistes  impé- 
riaux, se  prétendent  fort  mécontents  de  la  conduite  de 
Sir  Hector  Langevin  qui  a  refusé  d'adopter  exacte- 
ment leur  manière  de  voir  dans  son  discours  à  Joliette. 
Ils  se  consolent  par  la  pensée  que  lorsque  le  parti  tory 
aura  formellement  adopté  la  fédération  impériale  comme 
base  de  son  programme,  M.  Ghapleau  se  rangera  du 
côté  de  M.  Daltou  McCarthy  et  d'autres  d'Ontario,  et 
que  le  parti  sera  assez  fort  pour  jeter  sir  Hector  par- 
dessus bord." 

Cette  fois  l'Electeur  disait  moins  faux:  Sir  Hector 
avait  contredit,  dans  une  certaine  mesure,  les  fédéra- 
listes ;  mais  M.  Chapleau  devait  former  une  alliance 
avec  les  chefs  de  la  Ligue  et  renverser  son  collègue. 

L'Electeur  avait  encore  un  pas  à  faire.  Il  l'a  fait 
dans  son  numéro  du  13,  où  nous  lisons  ces  lignes  : 

"  On  se  rappelle  avec  quelle  fureur  la  presse  tory  a 
accueilli  les  paroles  prononcées  par  l'honorable  M.  Mer- 
cier au  banquet  du  club  National  au  sujet  de  la  fédé- 
ration impériale. 

"  Pendant  quelque  temps,  ce  fut  un  concert  unanime 
d'imprécations,  et  peu  s'en  fallut  qu'on  ne  fît  passer  le 
premier  ministre  pour  un  révolutionnaire  coupable  de 
haute  trahison  et  punissable  de  mort. 

"  Or,  M.  Mercier  avait  si  fidèlement  exprimé  le  senti- 
tnent  public  que  l'autre  jour,  au  banquet  de  Joliette, 


MÉLANGES  35 

Sir  Hector  Langevin  a  dû  parler  de  la  fédération  et 
s'exprimer  dans  le  même  sens  que  le  chef  national. 
M.  Chapleau  est  venu  aprè?  lui  déclarer  qu'il  était  du 
même  avis  ;  quant  à  Sir  Adolphe  Caron,  il  s'est  pru- 
demment contenté  de  dire  que  la  question  ne  lui  parais- 
sait pas  mûre  pour  la  discussion. 

"  Nous  nous  demandons  maintenant  si  les  journaux 
tories  vont  stigmatiser  les  deux  ministres  fédéraux 
comme  ils  ont  fait  de  M,  Mercier. 

"  S'ils  sont  sincères  et  logiques,  c'est  ce  qui  va  arri- 
ver." 

Cette  fois  le  chat  est  sorti  du  sac  :  Sir  Hector  s'est 
prononcé  carrément  contre  la  fédération  et  M.  Chapleau 
s'est  déclaré  du  même  avis. 

Inutile  de  dire  que  ce  n'est  pas  M.  Mercier  qui  dicte 
à  nos  chefs  leurs  déclarations.  Ajoutons  que  si  le  pre- 
mier ministre  de  Québec  a  été  critiqué  par  la  presse 
conservatrice,  ce  n'est  pas  pour  avoir  combattu  l'idée 
de  la  fédération,  c'est  pour  avoir  attaqué  avec  un  man- 
que de  tact  complet  notre  nouveau  gouverneur-général 
lord  Stanley  de  Presto n. 

Tout  de  même  l'Electeur  est  impayable.  Se  contre- 
dire trois  fois  dans  l'espace  de  quelques  jours  sur  un 
fait  important,  c'est  un  tour  de  force  dont  peu  de  jour- 
naux sont  capables. 

17  août  1888. 

Le  Mail  de  mercredi  commençait  un  article  par  les 
lignes  suivantes  : 

«'  La  fédération  impériale  peut  encore  servir  de  sujet 
pour  une  discussion  académique  par  les  membres  de  la 
Lioue  en  cette  ville,  mais  elle  a  disparu  du  domaine 


36  MÉLANGES 

de  la  politique  pratique,  en  autant  du  moins  que  le 
Canada  est  concerné,  par  le  fait  de  la  récente  action 
des  chefs  Canadiens-français." 

Voilà  donc  un  journal  anti-ministériel  qui  proclame 
que  les  ministres  bas-canadiens   ont  porté  le  coup  de 
mort  à  la  fédération  impériale. 
Et  il  a  parfaitement  raison. 

Certains  journaux  ont  prétendu  que  Sir  Hector  et  ses 
collègues  étaient  restés  dans  le  vague,  n'avaient  dit  ni 
oui  ni  non,  ne  s'étaient  pas  compromis.  Nous  affirmons, 
nous,  qu'ils  se  sont  compromis  dans  le  bon  sens  du 
mot.  Et  nous  les  en  félicitons. 

Qu'on  lise  les  paroles  suivantes  du  ministre  des  Tra- 
vaux Publics  : 

"  Y  a-t-il  au  monde  un  pays  et  un  peuple  plus  libres 
et  plus  heureux  que  les  nôtres  ?  Notre  liberté  va  jus- 
qu'à pouvoir  taxer  les  produits  de  la  Grande-Bretagne 
comme  nous  taxons  ceux  des  autres  pays. 

"  Et  j'entends  des  hommes  sensés,  bien  posés  et  bons 
patriotes,  s'oublier  au  point  de  vouloir  mettre  en  péril 
tout  ce  bonheur  et  toute  cette  liberté,  simplement  pour 
une  question  de  sentiment.  On  nous  dit  :  "  Il  nous 
faut  la  fédération  impériale." 

"  Messieurs,  personne  plus  que  moi  n'est  loyal  à  la 
couronne  d'Angleterre...  Mais  vouloir  nous  engager  dans 
la  nouvelle  voie  de  la  fédération  impériale  sans  nous 
consulter,  sans  avoir  notre  assentiment,  je  n'en  suis 
pas.  C'est  très  bon  d'avoir  un  sentiment  et  de  dorer  la 
pilule.  Pour  moi,  j'aime  encore  mieux  la  raison  que  le 
sentiment.  Qu'on  nous  montre  en  blanc  et  en  noir  com- 
ment peut  s'effectuer  cette  fédération  impériale  sans 
détruire  nos  libertés  actuelles.    Qu'on  nous  fasse  voir 


MÉLANGES  37 

quelle  voix  nous  aurons  dans  ce  grand  parlement 
impérial  destiné  à  régler  les  questions  se  rapportant  à 
toutes  les  parties  de  l'empire.  Qu'on  nous  montre  com- 
ment le  Royaume-Uni  modifiera  sa  politique  fiscale 
de  manière  à  ne  pas  nous  forcer  de  recourir  à  la 
taxe  directe.  Et  puis,  notre  représentation  sera-t-elle 
basée  sur  la  population,  de  manière  que  le  Royaume- 
Uni  et  ses  possessions  aient  des  représentants  d'après 
leurs  populations  respectives. 

"  J'en  doute,  messieurs,  puisque  la  population  des 
trois  Royaumes  était  en  1886  de  43,153,780  habitants, 
tandis  que  la  population  des  colonies  ou  possessions 
anglaises  était  de  213,918,000  habitants. 

"  Le  fait  est  que  cette  question  n'a  pas  été  examinée 
mûrement  et  avec  soin.  On  semble  croire  qu'il  sufiSt 
de  dire  •'  Fédération  impériale  "  et  que  l'on  doit  de  suite 
battre  des  mains  et  se  précipiter  tête  baissée  dans  le 
nouvel  ordre  de  choses. 

"  Pour  moi,  je  dirai  avec  lord  Lansdowne  :  prenons 
garde  d'agiter  cette  proposition  trop  fortement  et  trop 
précipitamment,  et  par  là  même  de  dépasser  le  senti- 
ment public. 

"  Si  la  proposition  est  bonne,  elle  doit  se  poser  d'une 
manière  pratique.  Que  l'on  dise  quels  sont  les  sacrifices 
que  nous  aurons  à  faire,  quelle  sera  notre  position  nou- 
velle. Qu'on  ne  se  tienne  pas  dans  les  généralités  et 
que  l'on  ne  s'imagine  pas  qu'une  question  de  cette 
importance  puisse  se  régler  indépendamment  de  nous 
et  sans  notre  concours. 

"  Et  en  attendant,  je  vous  dis  à  tous  comme  je  dis  à 
tous  les  Canadiens  de  n'importe  quelle  origine  :  Nous 
savons  ce  que  nous  avons,  gardons-le.  Il  a  coûté  assez 


38  MÉLANGES 

cher  pour  ne  le  changer  que  contre  un  état  de  choses 
meilleur." 

Dans  la  bouche  d'un  ministre  de  la  couronne,  ces 
paroles  sont  très  explicites.  Le  mode  dubitatif  employé 
par  l'orateur  est  évidemment  un  plaidoyer  contre  la 
fédération.  Chaque  phrase  est  une  objection  écrasante 
au  projet.  Comment  pourra-t-on  l'effectuer  sans  détruire 
nos  libertés  actuelles  ?  sans  nous  amener  la  taxe  directe  ? 
sans  nous  imposer  une  représentation  inégale  et  consé- 
quemment  injuste  ?  etc.,  etc.  Puis  cette  condamnation 
formelle  de  l'idée:  "J'entends  des  hommes  sensés... 
s'oublier  au  point  de  vouloir  mettre  en  péril  tout  ce 
bonheur  et  toute  cette  liberté,  simplement  pour  une 
question  de  sentiment.  On  nous  dit:  Il  nous  f mit  la 
fédération  ir)ipériale" 

Enfin  le  dernier  mot  qui  vient  couronner  le  tout  : 
"  Nous  savons  ce  que  nous  avons,  gardons-le" 

Il  est  inutile  d'insister.  Ce  que  sir  Hector  et  ses  col- 
lègues ont  fait  et  voulu  faire,  c'a  été  une  répudiation 
éclatante  du  projet  de  la  fédération  impériale.  Et  l'opi- 
nion ne  s'y  est  pas  trompée  ;  elle  a  compris,  comme  le 
Mail,  que  Vidée  fédéraliste  est  disparue  du  domaine 
de  la  politique  pratique  par  le  fait  des  chef  s  canadiens- 
français. 

Nous  disons  du  fond  du  cœur  :  tant  mieux.  Nos  chefs 
n'ont  pas  parlé  trop  tard,  mais  ils  ont  parlé  à  temps.  Il 
était  temps  de  couper  court  à  ces  projets,  à  ces  manifes- 
tations, à  ces  espérances  de  la  Ligue.  Il  était  temps  que 
la  voix  du  Bas-Canada  se  fît  entendre  d'une  façon  non 
équivoque.     C'est  fait. 

Et  disons-le,  ce  qui  nous  réjouit  davantage  dans  la 
position  qui  se  dégage  des  récentes  déclarations,  c'est 


MÉLANGES  39 

r unanimité  de  la  province  de  Québec  manifestée  hau- 
tement sur  cette  question. 

M.  Laurier  vient  de  dénoncer  la  fédération  à  Oak- 
ville  en  présence  de  Sir  Kichard  Cartwright.  Eh  bien  ! 
nous  applaudissons  chaleureusemeut  à  ce  spectacle. 
Enfin,  nous  sommes  d'accord  !  Malgré  nos  dissensions, 
et  nos  vues  divergentes  sur  une  foule  de  sujets,  voici  un 
terrain  sur  lequel  nous  nous  rencontrons  et  pouvons  nous 
donner  une  poignée  de  main  fraternelle.  La  province 
de  Québec  est  unanime  à  repousser  la  fédération  impé- 
riale !  Libéraux  et  conservateurs  seront  prêts  à  ne  for- 
mer qu'une  phalange  compacte  si  jamais  on  tente  de 
réaliser  cette  idée. 

Pour  notre  part,  cette  pensée  nous  inspire  un  senti- 
ment de  joie  sincère.  Il  n'est  pas  un  bon  citoyen  qui 
ne  doive  être  heureux  de  cette  unanimité  patriotique  en 
face  d'une  aussi  sérieuse  éventualité. 

Puissent  les  occasions  favorables  de  donner  le  même 
spectacle,  se  répéter  plus  souvent. 
.  La  province  de  Québec  a  tout  à  y  gagner. 


UNE  LETTRE  DE  L'HON.  M.  BLAKE 


24  novembre  1888. 

Lorsque  nos  adversaires  s'écriaient  que  la  fédération 
impériale  est  un  projet  tory,  que  le  parti  conservateur 
lui  est  favorable,  et  que  le  parti  libéral  lui  est  hostile, 
nous  répondions  que  le  parti  conservateur,  comme 
parti,  ne  veut  pas  de  la  fédération,  et  que  l'honorable 


40  MÉLANGES 

M.  Blake  a  été  le  premier  homme  d'Etat  canadien  à 
lancer  cette  idée  dans  le  domaine  de  l'opinion. 

Les  organes  libéraux  ont  toujours  nié  énergiquement 
cette  initiative  de  M.  Blake. 

Eh  bien,  voici  l'illustre  homme  politique  lui-même 
qui  vient  prouver  la  vérité  de  ce  que  nous  avons  affirmé 
tant  de  fois. 

Nous  tenons  à  publier  intégralement  la  correspon- 
dance suivante  qui  jette  un  grand  jour  sur  ce  sujet: 

"  Ingersoll,  Ont.,  15  nov.  1888. 
"  Honorable  Ed.  Blake,  C.  R.,  Toronto. 
"  Cher  Monsieur, 

"  A  la  dernière  assemblée  de  la  section  d'IngersoU  de 
la  Ligue  de  la  Fédération  Impériale  au  Canada,  une 
résolution  a  été  passée,  me  requérant,  comme  secrétaire 
de  cette  section,  de  vous  écrire,  pour  savoir  si  vous 
pourriez  venir  à  Ingersoll  l'hiver  prochain  et  y  donner 
une  conférence  sur  la  Fédération  Impériale.  Notre 
section  d'Ingersoll  se  compose  d'hommes  appartenant 
aux  deux  partis  et  tous  sont  unanimes  à  solliciter 
votre  visite. 

"  La  population  de  notre  ville  et  des  districts  envi- 
ronnants est  généralement  libérale  et  un  orateur  con- 
servateur amènerait  peu  de  monde  à  notre  conférence. 
Aussi,  comme  vous  avez  été  le  premier  homme  public 
au  Canada  à  parler  en  faveur  du  mouvement  qui  est 
dirigé  en  dehors  des  lignes  do  parti,  nous  croyons 
qu'un  discours  de  votre  part  dans  les  circonstances 
actuelles  serait  très  opportun.  Personnellement  je 
suis  d'opinion  que  l'action  du  gouvernement  actuel 


MÉLANGES  41 

en  établissant  la  protection  a  pratiquement  tué  le 
mouvement  ;  mais  maintenant  que  je  vois  que  la  ten- 
dance des  jeunes  libéraux  de  Toronto  est  dirigée  vers 
l'Indépendance  ou  l'Annexion,  je  dois  jeter  toutes  mes 
forces  dans  une  direction  opposée.  Le  mouvement  au 
Canada  a  pris  la  forme  d'une  union  douanière  entre  les 
colonies.  Dans  l'attente  d'une  réponse,  je  reste  votre 
tout  dévoué, 

BeNJ.-E.  SWAYZIE." 

"  Une  première  conclusion  se  déduit  de  cette  lettre. 
C'est  que  la  fédération  impériale  recrute  des  partisans 
dans  les  deux  camps,  que  ce  n'est  pas  une  question  de 
parti.  Le  signataire  lui-même  paraît  être  un  grit  de  la 
plus  belle  eau  ;  ce  qu'il  dit  de  la  protection  le  prouve 
surabondamment.  Mais  hâtons-nous  de  donner  l'impor- 
tante réponse  de  M.  Blake  : 

"  Toronto,  16  novembre  1888. 
"  Cher  monsieur, 

"  Je  suis  très  honoré  de  votre  lettre  d'hier  m'invitant 
à  parler,  à  Ingersoll,  sur  la  Fédération  impériale. 

"  Incapable  actuellement  de  prendre  une  part  active 
aux  affaires  politiques,  j'ai  été  obligé  de  décliner  des 
propositions  aimables  qui  m'étaient  faites  de  plusieurs 
côtés  pour  discuter  des  questions  politiques. 

"  Quand  même  il  en  serait  autrement,  je  n'aurais 
pas  pu  convenablement  accepter  une  invitation  de  la 
part  d'une  section  de  la  Ligué. 

"  Il  est  vrai  qu'il  y  a  bien  des  années,  j'avais  conçu 
V espoir  que  la  population  canadienne  pourrait  être 
amenée  à  s'intéresser  plus  sérieusement  à  son  avenir 


42  MÉLANGES 

national  et  qu'il  pourrait  peut-être  être  temps  de  créer 
un  sentiment  en  faveur  de  la  Fédération  Imjyériale. 

"  Je  sentais  que  les  difficultés  étaient,  même  alors, 
énormes  ;  que  la  tendance  nous  était  adverse  ;  et  que 
les  délais  étaient  dangereux. 

"  On  a  pensé  que  ma  suggestion  était  prématurée. 

"  Elle  était  peut-être  même  trop  tardive. 

"  Dans  tous  les  cas,  elle  fut  reçue  froidement  et  nous 
laissâmes  faire. 

"  Dans  mon  humble  opinion,  le  courant  a  continué  à 
lui  être  opposé  et,  à  part  cela,  il  est  arrivé  bien  des 
choses  qui  ont  changé  les  difficultés  en  impossibilités. 

"  J'ai  été  obligé  de  repousser  des  demandes  qui 
m'étaient  faites  de  m'identifîer  avec  le  mouvement 
récent,  à  la  fois  pour  la  raison  que  je  vous  donne  et 
aussi  parce  que  je  n'avais  ni  comme  canadien,  ni  comme 
citoyen  de  l'empire,  aucune  sympathie  pour  certaines 
vues  manifestées  et  soutenues  énergiquement  par  les 
premiers  promoteurs  du  mouvement. 

"  Par  exemple,  pour  laisser  de  côté  d'autres  questions, 
mêmes  fondamentales,  je  ne  crois  ni  possible  ni  dési- 
rable de  restreindre  l'importation  des  objets  de  première 
nécessité  pour  les  masses  en  Angleterre,  quand  bien 
même  cela  devrait  enrichir  les  propriétaires  là-bas  et 
les  producteurs  ici. 

"  Maintenant,  je  me  réjouissais  de  voir  que  la  ques- 
tion est  enfin,  quoique  bien  tard,  tombée  dans  les 
mains  d'hommes  d'influence,  pensant  que  la  discussion 
ne  peut  qu'être  utile  et  même  fructueuse,  et  j'avais 
décidé  que  s'il  m'était  impossible  d'y  aider,  je  ne  vou- 
drais rien  dire  qui  pût  y  faire  le  'plus  léger  tort. 

"  Je  suis,  par  conséquent,  resté  à  l'écart  jusqu'à  ce 


MÉLANGES  43 

jour,  mais,  en  suivant  le  cours  des  événements,  je  me 
sens  libre  et  peut-être  même  obligé  de  dire  que  je  ne 
puis  participer  à  ce  mouvement,  dans  aucune  des  direc- 
tions qu'on  lui  a  données  jusqu'à  ce  jour. 

Votre  dévoué, 

Ed.  Blake.  . 
Benj.  E.  Swayzie,  Ecr, 

Ingersoll." 

Il  ressort  de  cette  lettre  : 

1°  Que  M.  Blake  a  été  le  premier  homme  public  au 
Canada  qui  ait  prôné  l'idée  de  la  fédération  impériale  ; 

2*^  Qu'il  est  encore  favorable  en  principe  à  la  fédé- 
ration impériale,  quoique  certaines  vues  des  promoteurs 
actuels  du  mouvement  lui  semblent  inadmissibles  ; 

3"  Qu'il  est  jusqu'à  un  certain  point  sympathique 
à  l'œuvre  de  la  ligue,  puisque,  sans  y  prendre  part,  il 
déclare  n'avoir  voulu  rien  faire  qui  puisse  lui  causer  le 
plus  léger  tort. 

Voilà  ce  que  l'Electeur  appelle  une  rebuffade  pour 
les  apôtres  de  la  fédération  impériale. 

La  rebuffade,  ils  l'ont  eue  à  Joliette  lorsque  Sir  Hector 
s'est  écrié  :  "  J'entends  des  hommes  sensés  s'oublier  au 
"  point  de  vouloir  mettre  en  péril  tout  ce  bonheur, 
•'  toute  cette  liberté  simplement  pour  une  question  de 
"  sentiment.  On  nous  dit  :  Il  nous  faut  la  fédération 

"  impériale En  attendant  je  vous  dis  comme  je 

"  dis  à  tous  les  Canadiens  de  n'importe  quelle  origine  : 
"  Nous  savons  ce  que  nous  avons,  gardons-le. 

Il  y  avait  à  Joliette  trois  ministres  de  la  Couronne, 
et  des  centaines  de  conservateurs  qui  ont  couvert  ces 
paroles  d'applaudissements.  Voilà  l'attitude  du  parti 
conservateur,  comme  parti,  envers  la  fédération  impé- 
riale. 


44  MÉLANGES 

M.  LAURIER  VEUT  UNE  FÉDÉRATION 
ANGLO-SAXONNE 

16  septembre  1893. 

Quand  les  chefs  libéraux  parlent  à  des  auditeurs 
canadiens  français,  ils  n'ont  pas  d'épithètes  assez  vio- 
lentes pour  stigmatiser  la  conduite  et  les  discours  des 
conservateurs,  qui,  disent-ils,  sont  traîtres  à  leur  race  et 
travaillent  systématiquement  à  écraser  tout  ce  qui  est 
français. 

L'honorable  M.  Laurier  fait,  en  ce  moment,  le  tour 
de  la  Province  d'Ontario.  L'on  se  rappelle  que,  d'après 
ses  pompeuses  déclarations  en  chambre,  il  devait  aller 
porter  la  guerre  aux  orangistes  jusque  dans  les  profon- 
deurs de  leurs  loges. 

Or,  voici  ce  qu'il  vient  de  dire  à  Saint-Thomas,  Ont.  ' 

"  Nous  devons  être  canadiens,  il  faut  que  nous  soyons 
une  nation  ;  nous  devons  combattre  pour  les  intérêts  de 
notre  patrie  commune.  Voilà  le  but  de  ma  vie,  l'objet 
pour  lequel  je  lutte.  On  dit  que  nous  sommes  des 
annexionnistes  déguisés;  si  je  le  suis,  je  suis  encore 
quelque  chose  de  plus.  Je  suis  en  faveur  de  la  fédéra- 
tion impériale  dans  l'acception  la  plus  large  du  mot, 
mais  je  ne  suis  pas  en  faveur  de  la  fédération  impériale 
qui  a  pris  naissance  dans  les  rangs  des  tories.  Les  tories 
désirent  une  fédération  composée  de  la  Grande-Bretagne 
et  de  ses  dépendances.  Je  suis  en  faveur  d'un  pro- 
gramme plus  large  ;  je  veux  que  la  confédération  ait 
pour  base  la  race.  (I  want  to  rtiake  the  race  the  basis 
of  the  confédération).  Je  veux  une  confédération  qui 
embrassera  non  seulement  l'Angleterre  et  ses  dépen- 


MÉLANGES  45 

dances,  mais  toutes  les  nations  de  la  race  anglo-saxonne. 
Je  vois  arriver  le  jour  où  il  y  aura  une  union  entre 
tous  les  hommes  parlant  la  langue  anglaise,  Voilà  la 
politique  vers  laquelle  le  parti  libéral  se  dirige,  et  si 
nous  arrivons  au  pouvoir,  nous  ferons  ce  que  nous 
pourrons  pour  faire  réussir  cette  politique,  qui  doit  se 
recommander  à  tout  homme  qui  apprécie  le  lien  britan- 
nique et  les  institutions  britanniques." 

Analysons  brièvement  ce  morceau  d'éloquence  an- 
glaise. 

M.  Laurier  consacre-t-il  sa  vie  entière  à  l'unification 
du  pays,  au  rapprochement  des  diverses  races  qui  l'habi- 
tent, tout  en  conservant  à  chacune  ses  droits,  ses  privi- 
lèges, au  moins  ses  souvenirs  ? 

Pas  du  tout,  il  consacre  sa  vie  à  l'union  des  tous  les 
hommes  parlant  l'anglais,  à  une  grande  confédération 
basée  sur  les  seules  assises  de  la  langue.  Et  cette 
langue,  ce  n'est  pas  le  français,  notez-le  bien,  patriotes 
libéraux,  et  vous  électeurs  de  Québec-Est,  c'est  l'anglais  ! 
Le  rêve  du  chef  libéral,  c'est  de  voir  tous  les  peuples 
qui  parlent  l'anglais  réunis  ensemble  en  une  grande 
nation  qui  dominera  le  monde. 

Et  qu'on  le  remarque  bien,  M.  Laurier  prend  la  peine 
de  dire  qu'en  exprimant  ces  sentiments,  il  ne  parle  pas 
seulement  en  son  nom  personnel  ;  il  a  soin  de  déclarer 
à  son  auditoire  qu'il  parle  au  nom  du  parti  dont  il  est 
le  chef;  sa  politique,  sur  ce  point,  est  la  politique  du 
parti  libéral,  c'est  le  programme  qu'il  mettra  à  exécu- 
tion s'il  arrive  au  pouvoir. 

Et  dans  cette  grande  confédération,  où  est  la  place 
des  Canadiens  français  ?  Seront-ils  exclus  de  la  nation 
que  M.  Laurier  veut  fonder,  ou  bien  seront-ils  obligés. 


46  MÉLANGES 

dès  à  prissent,  de  renoncer  à  leur  langue  afin  d'être  prêts 
à  s'abriter  sous  le  drapeau  nouveau  ? 

Qu'en  pensent  les  braves  électeurs  canadiens-français 
de  M,  Laurier,  eux  qui  tiennent  tant  à  leur  langue  et  à 
tout  ce  qui  touche  à  la  tradition  nationale  ?  Approuvent- 
ils  cette  nouvelle  idée  de  leur  chef  ?  Sont-ils  prêts  à 
adopter  comme  un  des  articles  du  programme  libéral 
la  fondation  d'un  peuple  dont  l'unique  lien,  le  seul  fac- 
teur de  cohésion  entre  ses  différents  éléments,  sera  la 
langue  anglaise  ? 

De  ce  discours  de  M.  Laurier,  nous  devons  conclure 
qu'il  a  inventé  une  conception  nouvelle  et  peu  banale 
de  la  fédération  impériale  :  la  fédération  impériale  anglo- 
saxonne. 

Les  gens  sages  concluront  de  plus  que  M,  Laurier 
est  un  utopiste  de  belle  envergure. 


17  octobre  1893. 

Depuis  plusieurs  semaines  nous  avons  mis  devant 
nos  lecteurs  un  passage  à  sensation  du  discours  de 
M.  Laurier  à  Saint  Thomas,  Ontario, 

Nous  avons,  à  plusieurs  reprises,  sommé  la  presse 
libérale  de  nous  donner  son  avis  à  ce  sujet,  de  nous  dire 
ce  qu'elle  pense  de  cette  tirade  de  M,  Laurier.  Un  élec- 
teur de  Québec-Est,  en  particulier,  a  mis  les  libéraux 
en  demeure  de  s'expliquer,  dans  ses  lettres  qui  ont  eu 
un  si  vif  succès.  Et  cependant,  jusqu'ici,  dans  la  presse 
libérale,  silence  sur  toute  la  ligne. 

Mais  voici  la  Patrie  qui  prend  la  parole.  Et  c'est 
pour  endosser  bravement  les  déclarations  de  M.  Lau- 


MÉLANGES  47 

rier.  11  est  vrai  qu'elle  ne  les  reproduit  pas,  mais  elle 
les  approuve.  Nous  citons: 

"  Nous  avons  négligé  de  répondre  aux  insultes  pro- 
férées contre  l'honorable  M.  Laurier  à  propos  des  paroles 
qu'il  a  prononcées  à  Saint  Thomas  et  dans  lesquelles  il 
a  appelé  de  ses  vœux  l'assimilation  des  races  qui  exis- 
tent sur  le  sol  canadien. 

"  Nous  n'avons  rien  à  reprendre  à  l'expression  de 
cette  espérance." 

Bravo  !  voilà  de  la  franchise  intrépide.  Ce  que  M. 
Laurier  veut,  et  ce  que  le  parti  libéral  entend  réaliser  à 
sa  suite,  c'est  l'assimilation  des  races  !  !  Plus  de  natio- 
nalité canadienne-française,  arrière  la  vieille  formule  : 
nos  institutions,  notre  langue  et  nos  lois  !  La  for- 
mule de  l'avenir,  c'est  :  engloutissement  de  notre  race 
dans  une  fédération  de  toutes  les  branches  de  la  famille 
anglo-saxonne  !  ! 

Cet  aveu  de  la  Patrie  est  significatif. 

Evidemment  certains  hommes  réservent  de  jolies 
surprises  à  ceux  qui  restent  fidèles  au  vieux  patrio- 
tisme canadien-français. 


SIR  WILFRID  LAURIER  FEDERALISTE 


7  juillet  1897. 

C'en  est  fait.  M,  Laurier  est  devenu  partisan  de  la 
fédération  impériale. 

Une  dépêche  du  cable  l'annonçait  hier  en  ces  termes  : 
"  Londres,  G. — Sir  Wilfrid  Laurier  a  adressé  hier  la 


48  MÉLANGES 

parole  à  une  assemblée  des  membres  de  la  Chambre  des 
Communes  connus  sous  le  nom  de  parti  colonial. 

"  Il  a  été  accueilli  avec  la  plus  grande  cordialité.  Il 
a  demandé  la  représentation  directe  des  colonies  dans 
le  parlement  impérial  national,  ou  un  parlement  fédéral 
impérial.  Il  dit  que  si  l'Australie  et  l'Afrique  du  Sud 
étaient  des  colonies  confédérées  comme  le  Canada,  cela 
simplifierait  grandement  la  question." 

Imaginez  quelle  doit  être  la  consternation  dans  le 
camp  libéral  ! 

Contemplez  de  loin  la  binette  de  ces  journalistes,  de 
ces  hommes  politiques  qui  ont  tant  crié  contre  la  fédé- 
ration impériale,  qui  ont  tant  accusé  Sir  John  à  ce  pro- 
pos, qui  ont  tant  essayé  de  soulever  les  préjugés  contre 
nous  au  temps  où  M.  Tarte,  membre  de  la  ligue,  était 
dans  nos  rangs  ! 

Les  libéraux  sont  si  consternés  que  le  Soleil  n'a  pas 
voulu  publier  cette  dépêche  sans  la  tronquer.  En  effet, 
voici  comment  ce  cablegramme  de  la  presse  associée  se 
lit  dans  les  colonnes  de  l'organe  libéral  : 

"  Londres,  6. 

"  Sir  Wilfrid  Laurier  a  porté  la  parole  hier  devant 
les  membres  de  la  Chambre  des  Communes  réunis,  au 
nom  du  parti  canadien.  Sir  Charles  Dilke,  George 
Curzon,  sous-secrétaire  d'Etat  des  affaires  étrangères, 
sir  John  Gorst,  de  l'Université  de  Cambridge,  sir  How- 
ard Vincent,  le  général  J.  Wilburn  Laurie,  et  plusieurs 
autres  députés  étaient  présents.  Sir  Charles  Dilke  pré- 
sidait. 

"  Son  discours  a  été  vivement  applaudi." 


MÉLANGES  ^^ 

Pas  un  mot  du  parlement  fédéral  impérial  où  les 
colonies  seraient  représentées. 

Il  est  évident  que  le  Soleil  a  peur  de  montrer  à  son 
public  la  palinodie  de  M.  Laurier. 

Il  va  bien,  le  grand  homme,  le  patriote,  le  libéral, 
l'apôtre  de  l'indépendance  canadienne. 

Partisan  de  la  fédération  impériale  ! 

Il  fait  un  mémorable  voyage  en  Angleterre,  Sir  Wil- 

frid  ! 

"  9  juillet  1897. 

Voici  le  texte  anglais  même  de  la  dépêche  de  la  presse 
associée  où  sont  rapportées  les  paroles  de  M.  Laurier 
relatives  à  la  fédération  impériale  : 

«  London,  July,  6.— Sir  Wilfrid  Laurier  yesterday 
addressed  a  meeting  of  members  of  the  House  of  Gom- 
mons kuown  as  the  Colonial  party.  Sir  Charles  Dilke, 
member  for  the  Forest  Dean,  Mr.  Geo.  Curzon,  under 
Secretary  of  State  for  Foreign  Affairs,  Sir  John  Gorst, 
member' for  Cambridge  University,  Sir  Howard  Vin- 
cent, member  for  Central  Sheffield,  Gen.  J.  Wilburn 
Lauiie,  member  for  Pembroke,  and  others  were  there. 
Sir  Charles  Dilke  presided. 

«  Sir  Wilfrid  Laurier,  who  was  cordially  received, 
urged  the  direct  représentation  of  the  colonies  in  the 
Impérial  Parliament,  which  oiight  to  be,  he  contended, 
a  grand  national  council  or  impérial  fédéral  parliament. 
In  the  course  of  his  address  he  said  that  if  Australia 
and  South  Africa  .were  confederated  like  Canada  it 
would  greatly  simphfy  the  question.  " 

C'est  cette  dépêche  que  le  Soleil  a  reçue  comme  tous 
les  autres  journaux  et  qu'il  a  tronquée  afin  de  ne  pas 
4 


50  MÉLANGES 

laisser  connaître  à  son  public  que  M.  Laurier  est  devenu 
partisan  de  la  fédération  impériale. 

En  effet  de  la  part  de  M.  Laurier  c'est  là  une  volte- 
face  incroyable.  En  feuilletant  les  discours  du  chef 
libéral  ces  jours  derniers,  nous  tombions  sur  le  passage 
suivant  d'une  harangue  prononcée  par  lui  à  Toronto,  en 
1889: 

"  Dans  les  rangs  des  conservateurs  on  trouve  une 
association  organisée  en  vue  de  favoriser  le  mouvement 
de  la  fédération  impériale. 

"  Qu'est-ce  que  cela  signifie  ?  Cela  signifie  certaine- 
ment qu'à  leur  avis  il  faudrait  faire  quelque  chose.  Je 
ne  suis  pas  de  ceux  qui  croient  à  la  fédération  impé- 
riale. Ce  qu'il  nous  faut  à  l'heure  présente,  ce  n'est 
point  une  réforme  politique,  ce  n'est  pas  un  changement 
dans  notre  état  politique.  Ce  qu'il  nous  faut,  c'est  une 
réforme  économique  et  commerciale." 

Donc  M.  Laurier  répudiait  en  1889  cette  idée  de 
fédération  impériale  dont  il  vient  de  se  déclarer  le  cham- 
pion à  Londres, 

On  conçoit  que  ses  partisans  aient  honte  de  cette 
palinodie  du  grand  homme  à  qui  les  honneurs  et  les 
titres  anglais  semblent  avoir  tourné  la  tête. 


21  juillet  1897. 

La  tendance  à  faire  absorber  entièrement  le  Canada 
dans  le  grand  tout  britannique,  que  vient  de  manifester 
Sir  Wilfrid  Laurier,  cette  tendance  n'est  pas  née  d'hier 
chez  notre  silver  tongued. 

En  1890,  le  New-York  Herald  avait  adressé  une 
circulaire  à  un  certain  nombre  d'hommes  politiques  et 


MÉLANGES  51 

de  journalistes  du   Canada,  dans  le  but  de  connaître 
leur  opinion  sur  l'avenir  de  ce  pays. 

L'honorable  M.  Laurier  avait  répondu  en  ces  termes  : 
"  Ce  qu'il  nous  faut  n'est  pas  le  cri  de  la  Fédération 
Impériale  tel  qu'il  a  été  lancé  récemment,  mais  une 
réforme  politique,  commerciale  et  économique,  et  une 
alliance  qui  ne  se  limiterait  pas  à  l'Empire  Britannique 
mais  une  alliance,  une  fédération  qui  embrassera  toutes 
les  nations  issues  d'origine  britannique,  Y  a-t-il  quel- 
que bonne  raison  contre  l'accomplissement  de  ce  projet  ? 
Y  a-t-il  une  raison  pour  laquelle  les  Etats-Uuis  seraient 
laissés  de  côté  dans  cette  grande  réforme  ?  J'admets  n'en 
voir  aucune,  La  race  britannique  est  la  grande  race 
commerciale  du  monde.  Elle  est  répandue  sur  toute  la 
surface  de  ce  continent, 

"  Je  suis  un  Canadien-français  tenant  le  langage 
d'un  Canadien,  et  je  dis  à  mes  concitoyens  que  la  route 
que  le  grand  parti  libéral  devrait  suivre  est  celle  qui 
conduira  d'une  manière  plus  sûre  à  l'accomplissement 
de  ce  grand  objet,  une  alliance  de  toute  la  race  britan- 
nique sur  la  surface  du  globe.  Si  nous  obtenons  une 
alliance,  une  alliance  commerciale  entre  les  Etats-Unis 
et  le  Canada,  nous  aurons  préparé  un  anneau  de  la 
chaîne.  Mais  nous  ne  devrons  être  satisfaits  que  quand 
les  anneaux  auront  été  ajoutés  aux  anneaux,  —  que 
quand  nous  aurons  encerclé  le  globe  entier  d'une  chaîne 
puissante." 

WiLFRiD  Laurier. 

Pour  une  utopie,  c'en  était  une  de  gigantesque  cali- 
bre ?  Pensez-y  :  une  fédération  non  seulement  de  l'An- 
gleterre et  de  ses  colonies,  mais  une  fédération  de  toute 


52  MÉLANGES 

la  race  britannique  sur  la  surface  du  globe,  y  compris 
les  Etats-  Unis  ! 

C'était  le  rêve  d'un  songe- creux  ou  le  coup  d'audace 
d'un  poseur  qui  veut  ëbahir  le  public. 

M.  Laurier  s'est  aperçu  sans  doute  du  ridicule  de  sa 
chimère.  Et  il  s'est  rabattu  sur  la  fédération  impériale, 
qu'il  repoussait  alors. 

Mais,  dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas,  ce  à  quoi  il 
tend  visiblement,  c'est  à  l'absorption  du  Canada  au  sein 
d'un  corps  plus  vaste. 

Eh  bien,  nous  n'en  voulons  pas  !  Dans  notre  état 
actuel  nous  sommes  des  sujets  loyaux  de  la  couronne 
britannique,  mais  jouissant  d'une  quasi-indépendance. 
Pourquoi  changer  cet  heureux  statu  quo  et  nous  lier 
plus  que  nous  ne  le  sommes  actuellement? 

Pourquoi  aller  nous  noyer  dans  le  grand  parlement 
impérial  où  nous  ne  pourrions  pas  avoir  une  représen- 
tation proportionnée  à  notre  importance  ? 

Pourquoi  risquer  d'imposer  à  notre  pays  des  fardeaux 
dont  il  est  exempt  dans  son  état  actuel  ? 

Pourquoi  nous  imposer  une  solidarité  plus  étroite  et 
plus  gênante  qui  nous  entraînerait  peut-être  à  des  mesu- 
res et  à  des  entreprises  contraires  à  nos  intérêts  ? 

Non,  non,  Sir  Wilfrid  n'a  pas  été  l'écho  du  sentiment 
canadien  quand  il  s'est  fait  là-bas  le  champion  de  la 
fédération  impériale. 

Il  n'avait  pas  le  droit  de  tenir  un  tel  langage. 

Il  n'avait  pas  de  mandat  pour  trafiquer  ainsi  des  des- 
tinées canadiennes. 


MÉLANGES  53 

22  juillet  1897. 

Les  déclarations  de  sir  Wilfrid  en  faveur  de  la  fédé- 
ration impériale  provoquent  des  commentaires  variés. 
V Orange  Sentinei  les  accueille  avec  bonheur. 
Dans  son  numéro  du  8  juillet,  l'organe  officiel  des 
orangistes  entonne  cet  hymne  d'allégresse  : 

"  Comme  fermes  adeptes  de  la  fédération  impériale, 
nous  saluons  avec  plaisir  la  conversion  du  premier- 
ministre  et  de  son  parti  à  nos  vues,  et  nous  espérons 
sincèrement  que  les  déclarations  de  sir  Wilfrid  Laurier 
feront  sur  le  public  anglais  une  impression  aussi  pro- 
fonde et  aussi  favorable  que  celle  qu'elles  ont  produite 
sur  ceux  qui  les  ont  entendues.  Le  jubilé  de  la  reine 
fait  faire  un  grand  pas  à  la  fédération  impériale  que 
nous  pourrons  voir  s'accomplir  d'ici  à  peu  d'années." 

D'autre  part,  le  Gleaner,  de  Huntingdon,  n'est  pas 
enthousiaste  : 

"  Les  déclarations  de  M.  Laurier  en  Angleterre,  à 
propos  de  la  fédération  impériale,  ne  rencontrent  guère 
d'approbation  en  Canada,  dit-il.  Son  idée  de  faire  élire 
par  les  colonies  des  députés  aux  Communes  anglaises 
n'est  pas  pratique.  Les  électeurs  des  Iles  Britanniques 
ne  consentiraient  jamais  à  se  faire  faire  la  loi  par  des 
gens  du  dehors,  dont  les  besoins  sont  différents  des  leurs. 
Les  colonies,  de  leur  côté,  ne  recueilleraient  qu'un  bien 
mince  avantage  de  leur  représentation  dans  nue  Cham- 
bre où  la  plupart  des  affaires  traitées  ne  les  concernent 
pas  le  moins  du  monde. 

"  Une  union  commerciale  avec  l'empire,  complétée 
par  une  entente  pour  déférer  toute  question  concernant 
une  colonie  au  Parlement  de  celle-ci,  voilà  tout  ce  que 
requiert  l'état  présent  des  choses.  " 


54  MÉLANGES 

26  juillet  1897. 

De  tous  côtés  les  discours  prononcés  par  M.  Laurier, 
en  Europe,  provoquent  la  censure  et  la  critique. 

Et  ce  ne  sont  pas  les  conservateurs  seuls  qui  trou- 
vent à  redire.  M,  Goldwin  Smith  n'est  pas  conserva- 
teur. 

Le  célèbre  écrivain  appartient  au  parti  libéral. 

Voici  ce  qu'il  dit  au  sujet  de  la  conversion  de  M. 
Laurier  à  la  fédération  impériale  : 

"  11  y  a  un  mois,  tout  le  monde  aurait  affirmé  que 
M.  Laurier  était  opposé  à  la  fédération  impériale.  C'était 
la  tendance  de  toute  sa  politique  ;  c'était  l'impression 
de  tous  ceux  qui  avaient  conversé  avec  lui,  et  ses  adver- 
saires avaient  même  pris  l'habitude  de  lui  reprocher 
d'être  déloyal  à  l'empire. 

"  Après  quinze  jours  passés  sur  le  sol  de  l'Angleterre, 
avec  ses  dîners,  ses  ovations,  ses  fascinations,  voyez  le 
changement.  M.  Laurier  prévoit  avec  amour  le  temps 
où  le  Canada  sera  représenté  dans  le  Parlement  Impé- 
rial, et  il  jure  qu'obtenir  un  siège  là-bas,  s'il  était  plus 
jeune,  serait  son  vœu  suprême,  le  summum  de  son 
ambition,  et  serait  une  gloire  comme  le  Canada  n'en 
offre  pas  de  pareille.  Ce  qui  arrive  pour  M.  Laurier, 
arriverait  encore  plus  sûrement  dans  d'autres  cas. 

"  Les  délégués  canadiens  envoyés  au  parlement  impé- 
rial, sous  le  régime  de  la  fédération  impériale,  tombe- 
raient absolument  sous  l'influence  de  la  société  de  Lon- 
dres, et  cesseraient  d'être  des  représentants  fidèles  des 
intérêts  coloniaux.  Il  en  résulterait  certainement  de 
sérieux  désappointements,  une  lutte  pour  se  débarrasser 
de  la  fédération  et  des  querelles  peut-être  avec  la  nation- 


MÉLANGES  55 

mère,  au  lieu  du  resserrement  des  liens  d'affection  qui 
doit  être  l'objectif  de  tous  les  fédéralistes." 

Voilà  comment  le  plus  remarquable  de  nos  publicistes 
libéraux  juge  le  chef  du  parti  libéral. 

C'est-à-dire  que,  suivant  M.  Goldwin  Smith,  les  déco- 
rations et  les  politesses  anglaises  ont  tourné  la  tête  à 
sir  Wilfrid. 


LA  FÉDÉRATION  IMPÉRIALE  ET  LA 
GUERRE 

9  novembre  1899. 

M.  Tarte  vient  d'adresser  à  M,  Castell  Hopkins  une 
lettre  au  sujet  des  relations  du  Canada  avec  l'Empire 
britannique. 

Comme  elle  touche  à  un  sujet  important  et  plein 
d'actualité,  nous  croyons  devoir  la  reproduire  in  ex- 
tenso : 

"  Ottawa,  1"  novembre  1899. 

"  Mon  cher  M.  Hopkins, 

"  Je  suis  bien  heureux  que  vous  ayez  été  assez  bon 
de  m'écrire  sur  le  sujet  des  relations  futures  entre  la 
Grande-Bretagne  et  ses  colonies. 

"  J'ai  essayé  d'établir  aussi  clairement  que  possible 
ma  position  dans  mon  discours  à  Saint-Vincent-de-Paul. 

"  J'ai  dit  là,  et  je  le  répète  aujourd'hui,  que  je  suis 
prêt  à  discuter  ces  relations  aussitôt  qu'il  sera  possible. 
Il  y  a  dix  à  douze  ans  que  j'ai  sur  la  question  les 
mêmes  vues  qu'aujourd'hui. 


56  MÉLANGES 

"  Ce  à  quoi  j'objecte,  c'est  que  nous  soyons  appelés  à 
lever  des  troupes  et  à  faire  des  déboursés  sans  avoir 
aucun  droit  quelconque  à  la  représentation  dans  le  gou- 
vernement impérial.  Je  sais  qu'une  telle  politique 
créera  du  mécontentement  et  de  la  méfiance, 

"  Je  ne  puis  être  autrement. 

"  Il  est  bien  beau  de  dire  que  le  peuple  du  Canada 
ou  d'autres  colonies  ont,  cette  fois,  fait  une  offre  volon- 
taire. Mais,  comme  question  de  fait,  le  secrétaire  d'Etat 
pour  les  colonies  a  envoyé  à  toutes  les  colonies  une  cir- 
culaire dont  le  sens  est  une  invitation  d'envoyer  des 
troupes.  Suivant  moi,  une  semblable  invitation  est  pra- 
tiquement une  requête. 

"  Eh  !  bien,  si  nous  devons  prendre  notre  part  des 
guerres  de  l'Angleterre,  nous  devons  avoir  notre  mot  à 
dire  à  ce  sujet. 

"  Les  Canadiens-français  de  la  province  de  Québec 
sont  aussi  loyaux  que  leurs  concitoyens  d'autres  origi- 
nes. Mais  vous  ne  devez  pas  oublier  qu'étant  une  mino- 
rité, ils  sont  peut-être  plus  désireux  que  leurs  amis  les 
anglais  de  s'en  tenir  à  la  constitution  canadienne  telle 
qu'elle  a  été  comprise  et  interprétée  jusqu'ici. 

"  Je  n'ai  pas  le  moindre  doute  qu'ils  n'objecteraient 
pas  à  des  relations  plus  étroites  avec  l'Angleterre,  pourvu 
que  ce  pays  obtienne  une  représentation  équitable. 

"  Dans  mon  discours  à  Saint- Vincent-de-Paul,  lors- 
que j'ai  dit  que  sir  Wilfrid  Laurier  et  d'autres  ne  feraient 
pas  mauvaise  figure  aux  Communes  Impériales,  j'ai  été 
applaudi  à  outrance. 

"  Je  crois  qu'il  serait  plus  pratique  pour  le  peuple 
canadien  de  discuter  avec  calme  la  situation  que  de 
s'accuser  réciproquement  de  déloyauté. 


MÉLANGES  57 

"  Kien  ne  me  fera  plus  grand  plaisir  que  d'exprimer, 
l'un  de  ces  jours,  mes  vues  au  cœur  même  de  Toronto. 

"  Croyez-moi  et  bien  sincèrement, 

"  Votre  dévoué,  , 

"  J.-I.  Tarte.  " 

On  ne  peut  tirer  de  cette  lettre  d'autre  conclusion  que 
celle-ci  :  c'est  que  M.  Tarte  est  encore  en  faveur  de  la 
fédération  impériale.  La  phrase  dans  laquelle  il  dit  que 
les  Canadiens-français  n'auraient  pas  d'objection  à  des 
relations  plus  étroites  avec  l'Angleterre,  pourvu  que 
notre  pays  obtînt  une  représentation  plus  équitable,  cette 
phrase  ne  saurait  avoir  d'autre  signification. 

Il  y  a  longtemps  que  M.  Tarte  est  fédéraliste.  Dès 
1888  ou  1889,  il  s'enrôlait  dans  les  rangs  de  la  Ligue 
fondée  à  Londres  en  1884,  croyons-nous,  et  dans  son 
journal,  le  Canadien,  il  a  soutenu  alors  plus  d'une  dis- 
cussion en  faveur  de  la  fédération  des  colonies  avec 
l'Empire. 

L'attitude  qu'il  prend  en  ce  moment,  si  elle  n'est  pas 
nouvelle,  nous  semble  absolument  singulière.  En  effet, 
il  est  bien  connu  que  M.  Tarte  était  entièrement  opposé 
à  l'envoi  d'un  contingent  canadien  au  Transvaal.  Sa 
théorie,  dont  son  journal  La  Patrie  n'est  que  l'écho, 
c'est  que  le  Canada  n'a  rien  à  voir  dans  les  guerres 
lointaines  de  l'Empire.  Mais  alors,  pourquoi  essayer  de 
se  retrancher  derrière  une  fiction  ?  Pourquoi  venir  nous 
chanter  :  si  nous  devons  participer  à  ces  guerres,  il 
faut  que  nous  soyons  représentés  dans  le  parlement 
impérial  ;  pas  de  taxation,  pas  d'impôts,  ni  en  argent, 
ni  en  soldats,  sans  représentation  !  Tout  cela  peut  en 


58  MÉLANGES 

imposer  aux  simples,  mais  tout  cela  n'est  que  simulacre 
et  creux  parlage. 

Aurions-nous  été  plus  avancés  si  nous  eussions  été 
représentés,  il  y  a  un  mois,  dans  le  parlement  impérial  ? 
La  guerre  n'en  aurait  pas  moins  été  acclamée  dans  un 
élan  de  patriotisme  anglo-saxon,  avec  ou  sans  le  con- 
cours de  nos  représentants  canadiens,  et  il  aurait  fallu 
marcher  et  payer  quand  même. 

Eien  de  plus  ridicule  que  ces  poses  convenues  et  ces 
vaines  formules  !  Voici  un  homme  qui  ne  veut  pas  que 
les  colonies  soient  appelées  à  porter  le  fardeau  des 
guerres  impériales.  Au  lieu  de  le  dire  nettement  et 
posément,  en  donnant  de  bonnes  raisons  pour  étayer 
son  avis,  ''  si  nous  devons  nous  battre  pour  l'Empire 
britannique  en  Afrique  où  ailleurs,  s'écrie-t-il,  au  moins 
soyons  représentés," — Mais,  pauvre  homme,  si  vous 
êtes  représentés,  vous  vous  battrez  à  coup  sûr,  et  c'est 
précisément  ce  que  vous  ne  voulez  pas  !  0  funeste  pou- 
voir et  décevant  mirage  de  la  phrase  ! 

Une  des  choses  les  plus  rares  dans  les  écrits  et  dans 
les  discours  des  hommes  publics,  c'est  la  sincérité.  C'est 
aussi  la  logique.  Comment  ceux  qui  sont  opposés  à  la 
participation  des  colonies  aux  guerres  de  l'Angleterre, 
peuvent-ils  favoriser  l'idée  d'une  fédération  impériale  ? 
La  fédération  impériale,  c'est  l'Angleterre  et  ses  colo- 
nies ne  formant  qu'un  seul  grand  Etat,  un  Empire, 
avec  un  parlement  central  siégeant  à  Londres  pour 
traiter  tous  les  sujets  d'intérêt  géoéral,  les  affaires  étran- 
gères, les  questions  de  commerce  international,  de  paix 
et  de  guerre,  etc.  ;  et  avec  des  parlements  locaux,  pour 
s'occuper  uniquement  des  affaires  intérieures  de  chaque 
colonie.     Or,    de  quel    poids    serait   notre  poignée   de 


MÉLANGES  59 

représentants,  au  milieu  de  cette  immense  assemblée  ? 
Quelle  influence  auraient-ils  pour  enrayer  une  guerre 
voulue  par  le  reste  de  l'Empire  ? 

Ils  seraient  annihilés,  noyés,  peut-être  entraînés  par 
un  de  ces  courants  impétueux  qui  se  produisent  à  cer- 
tains moments  dans  les  grands  corps  délibéràtifs.  Et 
l'argent  canadien  devrait  être  payé,  le  sang  canadien 
devrait  couler,  en  dépit  des  sentiments  et  des  voeux  de 
notre  peuple. 

Mais  qu'importe  ?...  Nous  serions  représentés  !  !  Tout 
est  là.  Nous  paierions  malgré  nous,  nous  nous  battrions 
malgré  nous,  mais  nous  jouirions  "  d'un  droit  quelcon- 
que à  la  représentation  dans  le  gouvernement  impérial," 
et  M.  Tarte  serait  heureux. 

Etre  absorbé,  être  dominé,  être  contraint,  être  poussé 
malgré  soi  vers  l'inconnu,  c'est  parfait,  pourvu  que  l'on 
soit  représenté  ! 

Etant  données  les  idées  qu'on  lui  prête  dans  les  cir- 
constances actuelles,  M.  Tarte  a  rarement  fait  preuve 
d'un  plus  saisissant  illogisme. 


FEDERALISTES  DE  LA  VEILLE  ET  DU 
LENDEMAIN 

16  novembre  1899. 

Nous  avons  parlé,  hier,  de  fédération  impériale  à 
propos  d'une  lettre  de  M.  Tarte. 

Monsieur  le  ministre  des  Travaux  Publics  a  écrit  deux 
épîtres  à  M.  Castell  Hopkins,  et  nous  n'en  avions  lu 


60  MÉLANGES 

qu'une,  celle  qui  avait  été  reproduite  par  La  Patrie  et 
Le  Soleil. 

Depuis,  le  Glohe  nous  a  apporté  toute  cette  corres- 
pondance, et  nous  y  avons  trouvé  une  confirmation 
nouvelle  des  opinions  fédéralistes  de  M.  Tarte. 

M.  Hopkins  avait  écrit  à  ce  dernier  pour  lui  deman- 
der une  expression  d'opinion  au  sujet  de  la  loyauté 
des  Canadiens-français,  et  des  relations  du  Canada  avec 
l'Empire.  M.  Tarte  a  répondu  par  la  lettre  que  nous 
avons  reproduite  hier.  M.  Castell  Hopkins  lui  a  écrit 
de  nouveau  pour  le  remercier,  et  lui  faire  quelques 
observations  au  sujet  de  la  fédération  impériale.  Voici 
un  passage  de  cette  lettre  : 

"  J'ai  été  très  intéressé  par  votre  affirmation  que  le 
peuple  de  Québec  serait  favorable  à  des  relations  plus 
étroites  avec  l'Angleterre,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  dire 
combien  je  partage  votre  manière  de  voir  lorsque  vous 
dites  que  Sir  Wilfrid  Laurier  et  d'autres  leaders  cana- 
diens se  distingueraient  dans  le  parlement  impérial. 
Mais  il  me  semble  que  le  temps  n'est  pas  encore  venu 
de  discuter  la  question  d'une  représentation  coloniale 
dans  ce  corps.  Nous  serions  noyés  et  perdus  au  point 
de  vue  numérique,  et  notre  influence  dans  les  conseils 
de  l'Empire  ne  serait  réellement  pas  plus  considérable 
qu'elle  ne  l'est  maintenant.  " 

Ainsi,  M.  Hopkins  faisait  justement  l'objection  que 
nous  formulions  hier  :  nous  serions  noyés  dans  le  parle- 
ment impérial. 

Mais  M.  Tarte,  n'a  pas  voulu  en  avoir  le  démenti.  Il 
a  répliqué  comme  suit  : 

"  Mon  cher  M.  Hopkins,  je  regrette  de  ne  pas  être 
de  votre  avis  lorsque   vous  dites  que,   si  nous  étions 


MÉLANGES  61 

représentés  dans  le  parlement  impérial,  nous  n'aurions 
pas  plus  d'influence  qu'aujourd'hui.  Ce  n'est  pas  tou- 
jours le  nombre  qui  détermine  le  poids  et  produit  la 
conviction.  Cependant  les  détails  de  notre  représenta- 
tion dans  les  conseils  de  l'empire  devront  être  discutés 
avec  soin,  etc." 

Nous  n'avons  donc  rien  dit  de  trop  lorsque  nous  avons 
représenté  M.  Tarte  comme  un  partisan  persistant  de  la 
fédération  impériale. 

Au  moins,  lui,  il  y  a  longtemps  qu'il  préconise  cette 
idée.  Mais  que  dire  de  Sir  Wilfrid  Laurier,  qui  autre- 
fois dénonçait  la  fédération  impériale,  et  qui  maintenant 
semble  s'y  être  rallié  ?  Voici  ce  que  M.  Laurier  disait 
dans  un  discours  à  Boston,  il  y  a  huit  ans  : 

"  Dans  mon  pays  il  y  a  des  gens  qui  disent  qu'une 
fédération  impériale,  une  fédération  entre  l'Angleterre 
et  ses  colonies  serait  le  meilleur  système  pour  le  Canada. 
Autant  que  la  doctrine  Monroe  est  applicable  au  Canada, 
je  suis  en  faveur  de  la  doctrine  Monroe.  Je  ne  veux 
pas  d'intervention  européenne  dans  nos  affaires.  Ce 
serait  un  suicide  pour  le  Canada  de  s'engager  dans  une 
fédération  qui  nous  forcerait  à  prendre  part  à  toutes  les 
guerres  que  la  Grande-Bretagne,  à  cause  de  sa  position, 
est  obligée  d'entreprendre  dans  toutes  les  parties  du 
monde.  Je  considère  que  ce  seul  fait  suffit  à  détourner 
le  Dominion  d'une  telle  idée." 

C'était  bien  net,  bien  catégorique.  Mais  le  temps  a 
marché,  M.  Laurier  est  devenu  premier-ministre.  Il  est 
allé  à  Londres.  Il  s'est  pavané  au  jubilé  de  la  Eeine. 
Et  on  l'a  entendu  s'écrier  qu'il  espérait  ne  pas  mourir 
avant  de  voir  le  jour  où  le  Canada  serait  représenté  à 
Westminster. 


62  •  MÉLANGES 

Une  fois  de  plus,  M.  Laurier  avait  fait  volte-face. 

L'autre  jour  encore,  à  Smith's  Falls  il  s'est  écrié  : 
"  Nous  sommes  heureux  d'aider  la  mère  patrie  à  com- 
battre ses  combats  qui  sont  aussi  nos  combats."  N'est- 
ce  pas  qu'il  a  fait  du  chemin  depuis  son  discours  de 
Boston  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  aujourd'hui  nous  avons  le  droit  de 
considérer  M.  Tarte  et  M.  Laurier  comme  deux  parti- 
sans de  la  fédération  impériale,  l'un  plus  ancien,  l'autre 
plus  récent. 

En  1848,  à  l'avènement  de  la  deuxième  république 
en  France,  on  distingua  les  hommes  politiques  qui 
avaient  soutenu  la  forme  républicaine  sous  la  monar- 
chie, de  ceux  qui  s'y  étaient  ralliés  seulement  après  la 
chute  de  Louis-Philippe,  en  appelant  les  premiers,  répu- 
blicains de  la  veille,  et  les  seconds,  républicains  du 
lendemain. 

Disons  que  M.  Tarte  est  un  fédéraliste  de  la  veille, 
et  M.  Laurier  un  fédéraliste  du  lendemain. 


LAl   FEDERATION   IMPERIALE   ET  NOS 
CHEFS  POLITIQUES 

29  novembre  1899. 

Nous  avons  signalé,  l'autre  jour,  dans  ces  colonnes, 
les  lettres  de  M.  Tarte  à  M.  Castell  Hopkins,  au  sujet 
de  la  fédération  impériale. 

Il  est  certain  que  la  guerre  du  Transvaal  et  l'envoi 
d'un  contingent  canadien  en   Afrique  ont  donné  un 


MÉLANGES  63 

regain  d'actualité  à  cette  question.  M.  Henri  Bourassa 
citait  récemment  un  journal  anglais,  le  London  Out- 
look, qui  s'écriait  :  "  this  is  impérial  fédération — c'est 
la  fédération  impériale,"  Et  vers  le  même  temps,  le 
Herald  de  Montréal  publiait  ces  lignes  : 

"  L'opinion  publique  au  Canada  a  couru  si  rapide- 
ment, depuis  trois  ans,  vers  une  forme  quelconque  de 
fédération  impériale,  que  nous  n'avons  pas  bien  réalisé 
la  distance  parcourue  sur  cette  voie  durant  cette  période. 
Et  si  le  gouvernement  a  agi  sans  la  sanction  formelle 
du  parlement,  il  trouvera  sa  justification  dans  la  nou- 
velle situation  où  l'Exécutif  se  trouvait  placé  par  suite 
d'une  demande  populaire,  soudaine  et  débordante,  qui 
ne  laissait  aucun  doute  sur  ce  que  le  parlement  et  le 
pays  exigeaient  ;  dans  la  dépense  relativement  insigni- 
fiante qui  se  trouvait  encourue,  et  dans  la  nécessité 
absolue  d'une  action  immédiate." 

Eh  bien,  pour  notre  part,  nous  nous  inscrivons  en 
faux  contre  cette  affirmation.  L'opinion  publique  en 
ce  pays  ne  s'est  pas  prononcée  pour  la  fédération  impé- 
riale. 

Sans  doute  un  courant  puissant  s'est  produit  en  faveur 
d'une  aide  à  l'Angleterre  dans  la  campagne  sud-afri- 
caine. Mais  un  grand  nombre  de  ceux-là  mêmes  qui 
considéraient  impossible  de  répondre  par  un  refus  à  la 
demande  de  concours  du  gouvernement  anglais,  ne 
sont  nullement  favorables  à  une  fédération  politique 
des  colonies  avec  l'empire. 

On  a  dit  que  Sir  Charles  Tupper  était  un  partisan  de 
cette  idée.  Nous  sommes  en  mesure  d'établir  le  con- 
traire, comme  on  le  verra  plus  loin.  Sir  Charles  a  favo- 
risé l'envoi  d'un  contingent.    Il  appartient  à  une  vieille 


64  MÉLANGES 

famille  de  loyalistes  anglais.  Tout  en  ayant  parfaite- 
ment le  droit  de  discuter  son  opinion,  on  peut  s'expli-- 
quer  facilement  les  sentiments  traditionnels  qui  l'ani- 
ment en  cette  circonstance.  Mais  on  ne  serait  pas  jus- 
tifiable d'aller  plus  loin  et  de  lui  attribuer  des  vues  qui 
ne  sont  pas  les  siennes  au  sujet  de  la  féd(5ration  impé- 
riale. 

Non,  les  apôtres  les  plus  notoires  de  cette  idée  au 
Canada,  ne  sont  pas  dans  les  rangs  du  parti  conserva- 
teur. Ils  sont  à  la  tête  du  parti  libéral  :  ce  sont  sir 
Wilfrid  Laurier  et  M.  Tarte. 

M.  Tarte  l'est  depuis  dix  ans.  Dès  1889,  il  faisait 
partie  de  la  ligue.  Et  l'autre  jour  encore,  il  écrivait  à 
M.  Hopkins  : 

"  Je  n'ai  pas  le  moindre  doute  que  les  Canadiens- 
français  n'objecteraient  pas  à  des  relations  plus  étroites 
avec  l'Angleterre,  pourvu  que  le  pays  obtienne  une 
représentation  équitable." 

Mais  le  chef  politique  canadien  qui  s'est  le  plus  com- 
promis sur  cette  question,  c'est  incontestablement  sir 
Wilfiid  Lauiier.  Durant  son  séjour  en  Angleterre,  lors 
du  jubilé  de  la  Reine  en  1897,  il  n'a  cessé  de  faire 
sonner  la  note  impérialiste,  et  il  a  rivalisé  d'ardeur  avec 
M.  Chamberlain  pour  faire  acclamer  devant  les  audi- 
toires auxquels  il  s'adressait  l'idée  de  fédéiation  impé- 
riale. 

A  un  banquet  donné  en  l'honneur  des  premiers 
ministres  coloniaux,  Sir  Wilfrid  prononça  ces  paroles  : 

"  En  Canada,  nous  avons  une  foi  illimitée  dans  notre 
pays.  Quand  il  aura  atteint  le  plein  développement  de 
sa  virilité,  rien  ne  pourra  le  satisfaire  sinon  la  repré- 
sentation dans  le  parlement  de  l'empire.     Je  crois  que 


MÉLANGES  65 

cette  question  n'est  pas  sans  difficultés.  Mais  il  appar- 
tient aux  hommes  forts  de  vaincre  les  difficultés.  La 
carrière  du  Parlement  de  la  Grande-Bretagne  a  été 
illustre,  mais  non  moins  illustre  peut-être  sera  celle  du 
Parlement  de  la  Greater  Britain." 

Etait-ce  assez  impérialiste  ?  "  Eien  ",  d'après  Sir 
Wilfrid,  "  ne  pourrait  satisfaire  le  Canada  sinon  la 
représentation  dans  le  parlement  de  l'empire." 

A  quelques  jours  de  distance,  sir  Wilfrid  Laurier 
faisait  un  autre  discours  dans  lequel  il  s'écriait  : 

"  Je  crois  au  Parlement  de  la  Greater-Britain  et 
jamais  je  ne  serai  plus  fier — si  je  ne  vis  pas  assez  long- 
temps pour  cela,  il  y  a  bien  des  Canadiens  qui  vivront 
jusqu'à  ce  moment — que  le  jour  où  un  Canadien-fran- 
çair  soutiendra  le  principe  de  liberté  dans  ce  Parlement 
de  la  Greater-Britain." 

Enfin  pour  couronner  le  tout,  il  lança  un  jour  devant 
le  prince  de  Galles  cette  tirade  où  sa  ferveur  impéria- 
liste allait  jusqu'à  offrir  d'avance  à  la  Grande-Bretagne 
notre  concours  militaire  : 

"  Lord  Lansdowne  a  parlé  d'un  jour  où  notre  empire 
serait  peut-être  menacé  par  quelque  danger.  L'Angle- 
terre a  toujours  montré  qu'elle  était  capable  de  combat- 
tre ses  propres  combats.  Mais,  si  l'heure  du  danger 
sonnait  un  jour  pour  elle,  que  le  son  du  clairon  (hugle) 
retentisse,  que  les  feux  s'allument  sur  les  collines,  et 
nous,  les  colonies,  quoique  nous  ne  puissions  peut-être 
faire  beaucoup,  nous  ferons  pour  l'aider  tout  ce  qui  nous 
sera  possible." 

On  ne  pouvait  être  plus  formel,  plus  catégorique,  et 
Ton  ne  pouvait  être  plus  imprudent. 

De  quel  droit  M.  Laurier  allait-il  aussi  loin  ? 
5 


66  MÉLANGES 

OÙ  était  son  mandat  pour  parler  ainsi  en  notre  nom  ? 
Quand  donc  le  peuple  canadien  l'avait-il  chargé  de 
soutenir  à  Londres  le  principe  de  la  fédération  impé- 
riale ? 

Heureusement  qu'il  se  trouva  alors  eu  Angleterre  un 
homme  pour  protester  contre  ces  exagérations  de  sir 
Wilfiid  Laurier,  et  cet  homme  ce  fut  sir  Charles  Tupper. 
Uu  reporter  du  Daily  News  de  Londres,  l'ayant  inter- 
viewé, lui  posa  cette  question  : 

"  Dois-je  comprendre  que  vous  croyez  à  l'avènement 
prochain  de  la  fédération  impériale  ?  " 

Sir  Charles  répondit  en  ces  termes,  et  nous  prions 
nos  lecteurs  de  bien  peser  ces  paroles  : 

"  Je  ne  crois  certainement  pas  à  l'idée  proclamée  ici 
par  sir  Wilfrid  Laurier,  relativement  à  l'établissement 
d'un  grand  parlement  impérial.  C'est  un  plan  irrémédia- 
blement voué  à  l'insuccès.     Il  y  a  quelques  années  la 
ligue  de  la   fédération   impériale,  qui  comprenait  des 
hommes  comme  lord  Kosebery,  le  marquis  de  Ripon, 
l'honorable  Philippe  Stanhope,  le  très  honorable  W.-H. 
Smith  et  plusieurs  autres,  étudia  la  question  sous  tous 
ses   aspects.     A   l'exception  d'un  seul  membre   nous 
décidâmes  unanimement  que  l'idée  d'un  parlement  impé- 
rial était  en  dehors  de  toute  politique  pratique,  et  lord 
Eosebery  se  fit  l'écho  de  notre  délibération  dans  une 
réunion  au  "  Mausion  House."     Deux  raisons  militent 
contre  ce   parlement  impérial.     D'abord  un  tel  corps 
devrait  avoir  le  pouvoir  de  taxer  pour  des  fins  impé- 
riales, et  par   conséquent  la  représentation  devrait  y 
être  basée,  dans  une  mesure  quelconque,  sur  la  popu- 
lation. Cela  signifie  que,  dans  peu  d'années,  la  voix  de 
l'Angleterre  serait  complètement  étouffée  par  celle  des 


MÉLANGES  67 

colonies  les  plus  populeuses.  L'Augleterre  ne  s'y  sou- 
mettrait jamais.  En  second  lieu,  les  colonies  ne  con- 
sentiraient jamais  à  renoncer  à  leur  autonomie,  et  à 
remettre  une  grande  partie  de  leurs  pouvoirs  à  un  corps 
éloigné  de  trois  mille  milles  ou  plus.  —  Q.  Devons- 
nous,  alors,  demeurer  comme  nous  sommes  mainte- 
nant ? K  Mon  idée  est  celle  que  la  conférence  d'Ottawa 

a  formulée,  et  qui  a  ensuite  été  appuyée  par  M.  Cham- 
berlain dans  son  discours  devant  la  Chambre  de  Com- 
merce. Qu'il  y  ait  un  commerce  'préférentiel  dans  les 
limites  de  l'Empire,  et  que  l'Angleterre  fortifie  l'Empire 
en  favorisant  le  commerce  avec  ses  colonies.  " 

C'était  là  une  déclaration  bien  nette  et  bien  péremp- 
toire.  Sir  Wilfrid  Laurier  criait  à  tous  les  échos  qu'il 
nous  fallait  la  fédération  et  la  représentation  impériales. 
<'  C'est  absurde,  lui  répondait  Sir  Charles  Tupper,  cette 
fédération  est  impossible  au  double  point  de  vue  impé- 
rial et  colonial  ;  l'Angleterre  ne  voudra  pas  être  noyée 
par  ses  colonies  et  les  colonies  ne  voudront  pas  abdi- 
quer leur  autonomie  entre  les  mains  d'un  parlement 
siégeant  à  trois  mille  milles  ;  ce  qu'il  nous  faut,  c'est 
le  commerce  liréférentiel  entre  les  différentes  parties 

de  l'Empire.  " 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  qu'un  chef  conserva- 
teur se  prononçait  nettement  contre  la  fédération  impé- 
riale. Nous  nous  rappelons  qu'en  1888,  lorsque  Sir 
John  Macdonald  vivait  encore.  Sir  Hector  Langevin 
avait  prononcé  à  Juliette  un  discours  qui  avait  eu  le 
plus  arand  retentissement.  Notre  confrère  du  Monde 
Canadien  le  citait  l'autre  jour.  C'était  une  rebuffade 
en  règle  adressée  aux  impérialistes. 

Sir  Adolphe  Chapleau,  qui  assistait  à  cette  assemblée, 


68  MÉLANGES 

parla  dans  le  même  sens.  Toute  notre  presse  fit  écho 
aux  deux  ministres,  et,'  quelques  jours  après,  le  Mail, 
alors  dans  l'opposition,  déclarait  que  la  fédération  impé- 
riale venait  de  sortir  du  domaine  de  la  politique  pra- 
tique, par  le  fait  de  l'attitude  des  ministres  canadiens- 
français. 

Nous  avons  cru  qu'il  était  aujourd'hui  important  de 
bien  dessiner  la  position,  afin  d'empêcher  l'opinion 
publique  de  s'égarer. 


Questions  religieuses. 


LES  IDEES  DE  V ÉLECTEUR 

9  juillet  1885. 

Des  sphères  supérieures  où  il  plane,  V Electeur  a  laissé 
tomber  un  regard  sur  une  "  certaine  presse  "  de  Québec. 
Et  une  grande  pitié  s'est  emparée  de  lui.  Hélas  !  dans 
quel  état  est  cette  presse,  et  combien  peu  elle  répond  à 
l'idéal  que  l'Electeur  s'est  fait  du  journalisme  intelli- 
gent et  consciencieux  !  Songez  donc  qu'il  se  rencontre  à 
Québec  des  journaux  qui  s'occupent  des  questions  reli- 
gieuses, qui  suivent  avec  intérêt  le  mouvement  des 
idées  en  Europe,  qui  prennent  part  à  tout  ce  qui  émeut 
l'Eglise  !  Peut-on  méconnaître  à  ce  point  le  rôle  et  la 
mission  de  la  presse  ? 

Ah  !  l'Electeur  ne  donne  pas  dans  ce  travers,  lui.  Il 
offre  à  son  public  une  nourriture  plus  saine,  il  se  fait 
l'interprète  d'idées  plus  élevées,  il  s'occupe  de  plus 
nobles  intérêts,  il  traite  des  sujets  d'une  plus  haute 
portée.  Ce  n'est  pas  lui  qu'on  prendra  jamais  à  étudier 
une  question  religieuse.  L'indépendance  et  la  liberté 
de  l'Eglise,  les  grands  problèmes  posés  devant  la  société 
chrétienne  au  XIXe  siècle,  les  faits  qui  se  produisent 
dans  le  monde  moral,  que  lui  importe  tout  cela  ?  Est-ce 
pour  s'amuser  à  de  pareilles  futilités  qu'on  est  journa- 


70  MÉLANGES 

liste  ?  Non,  ce  qui  convient  à  des  écrivains  dignes  de 
leur  mission,  c'est  de  se  décerner  à  soi-même  des  lau- 
riers, c'est  de  ramasser  des  cancans  et  de  colporter  des 
calomnies,  c'est  de  cultiver  les  préjugés  et  d'amuser  les 
badauds,  c'est  de  populariser  les  mauvais  livres  et  de 
prôner  les  mauvais  théâtres.  Voilà  le  véritable  rôle  de 
la  presse,  sourtout  de  la  presse  catholique. 

Il  n'est  pas  surprenant  que  les  écrivains  de  l'Electeur 
soient  navrés  de  l'état  déplorable  où  se  trouvent  quel- 
ques-uns de  leurs  confrères.  Voyez  quel  douloureux 
spectacle  ils  doivent  subir,  plusieurs  fois  la  semaine  : 

'•  Il  y  a,  s'écrient-ils,  trois  ou  quatre  journaux  que 
nous  ne  pouvons  ouvrir  chaque  jour  sans  y  trouver  de 
longs  et  violents  articles  de  polémique  sur  le  pouvoir 
temporel  du  Pape,  sur  les  relations  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat,  sur  toutes  les  difficultés  religieuses  qui  peuvent 
surgir  en  Europe." 

N'est-ce  pas  déplorable  ?  Heureusement  que  l'Elec- 
teur est  là  pour  servir  d'antidote,  et  rétablir  le  renom 
de  la  presse  québecquoise. 

Les  rédacteurs  du  journal  libéral  ont  rendu  un  vrai 
service  à  notre  public  en  lui  fournissant  un  infaillible 
critérium  pour  juger  la  valeur  des  journaux.  — Voici 
tel  numéro  de  telle  feuille.  Qu'y  trouve-t-ou  d'intéres- 
sant et  d'important  ?  —  Oh  !  rien  qui  vaille  :  un  article 
sur  la  question  du  pouvoir  temporel,  un  autre  sur  les 
rapports  de  l'Eglise  et  de  l'Etat.  Bagatelles  !  Mais  pre- 
nez ce  journal.  Vous  y  trouverez  votre  profit.  —  Oui  ; 
que  dit-il  donc?  —  Il  apprend  au  public  que  MM. 
Charles  Langelier  et  Ernest  Pacaud  sont  des  foudres  de 
guerre,  il  donne  le  nombre  de  télégrammes  envoyés  par 
nos  ministres  pendant  une  année,  et  constate  à  peu  de 


MÉLANGES  71 

chose  près,  le  nombre  de  serviettes  salies  dans  les 
ministères  durant  les  derniers  douze  mois. — À  la  bonne 
heure,   voilà  un  journal  sérieux  et bien  informé. 

Soyons  justes  ;  l'Electeur  entrevoit  une  circonstance 
atténuante  à  la  faute  commise  par  les  écrivains  qui 
s'occupent  de  questions  religieuses.  Ça  les  paie  !  ce 
sont  des  industriels  qui  gagnent  gros  d'argent  en  sui- 
vant ce  système  !  JJ Electeur  le  déclare  sans  détour  : 

"  Nous  devrions  peut-être  dire  plutôt  que  c'est  une 
industrie  qu'ils  exercent,  et  ce  n'est  pas  la  moins 
'payante." 

La  moins  payante  ?  question  douteuse.  Mais  non 
la  plus  payante,  très  certainement.  Il  est  beaucoup  plus 
lucratif  de  brocanter  des  entreprises  avec  M.  Sénécal, 
— cet  homme  qui  "  suinte  la  corruption  par  tous  les 
pores  ", — que  d'écrire  des  articles  sur  le  pouvoir  tem- 
porel, ou  contre  les  réclames  de  l'Electeur. 

L'organe  de  M.  Langelier  est  très  curieux.  Il  pose 
une  série  de  questions  des  plus  importantes  avec  une 
volubilité  sans  égale. 

"  Est-il  possible,  en  effet,  s'écrie-t-il,  de  trouver  nulle 
part  ailleurs,  sur  la  surface  du  globe,  une  société  reli- 
gieuse plus  fidèle,  plus  soumise  que  la  nôtre  ?  Est-on 
capable  de  sigualer  chez  la  population  catholique  de 
notre  district  un  seul  acte  de  révolte  contre  l'enseigne- 
ment des  autorités  religieuses,  l'expression  d'une  seule 
doctrine  fausse,  d'une  seule  idée  subversive  émanant 
de  quelque  quartier  que  ce  soit,  de  la  classe  instruite 
comme  de  la  classe  illettrée  ?  " 

C'est  toute  une  enquête  que  demande  l'Electeur. 
Toutefois  sans  avoir  fait  d'investigation  spéciale,  nous 
connaissons   pour  notre  part,  un  journal  québecquois 


72  MÉLANGES 

qui  a  prôné  une  troupe  de  comédiens,  plusieurs  jours 
après  que  celle-ci  a  été  solennellement  dénoncée  par 
l'Ordinaire  ;  qui  a  publié  des  réclames  scandaleuses,  en 
faveur  de  livres  abominables  ;  qui  a  prêté  ses  colonnes 
aux  annonces  d'une  association  maçonnique  ;  qui  a 
traité  avec  une  injustice  et  un  manque  de  respect  absolus 
d'éminents  dignitaires  ecclésiastiques,  etc.,  etc.  L'Elec- 
teur connaît  bien  ce  journal. 

C'est  probablement  parce  qu'il  le  connaît  trop  bien, 
qu'il  écrit  de  si  belles  choses  contre  la  certaine  'presse 
qui,  très  souvent,  se  place  à  un  point  de  vue  religieux 
pour  publier  des  critiques  importunes.  Nous  compre- 
nons le  zèle  de  Y  Electeur^  nous  ne  sommes  pas  surpris 
de  l'entendre  nous  dire  :  faites  comme  moi,  laissez  de 
côté  les  principes. 

Mais  son  éloquence  ne  nous  convainc  pas,  et  son 
exemple  ne  nous  séduit  pas. 


LES  JESUITES  ET  LE  MAIL 


9  mai  1887. 

La  Législature  de  Québec  est  saisie  d'un  projet  de 
loi  dont  l'objet  est  de  donner  la  reconnaissance  et  la  vie 
civiles  à  un  ordre  religieux  qui  porte  le  nom  de:  Com- 
pagnie de  Jésus. 

Ce  projet  de  loi  tombe  nécessairement  sous  la  juridic- 
tion du  Mail,  qui  a  reçu  de  M.  Bunting  la  mission  de 
mettre  le  nez  dans  toutes  nos  affaires  provinciales,  reli- 
gieuses ou  civiles. 


MÉLANGES-  73 

Ces  incursions  périodiques  du  Mail  dans  les  domai- 
nes où  il  n'a  rien  à  voir,  comiques  au  début,  finissent 
par  devenir  superlativement  agaçantes.  Les  intrus  sont 
parfois  amusants  pendant  un  quart  d'heure  ;  mais  il 
arrive  un  moment  où  l'on  se  sent  pris  d'une  furieuse 
démangeaison  de  les- mettre  à  la  porte. 

L'organe  fanatique  de  Toronto  voudrait-il  nous  faire 
la  grâce  de  se  mêler  de  ses  affaires  ? 

Il  ne  pourra  qu'y  gagner  ;  car,  chaque  fois  qu'il  sort 
de  sa  sphère,  il  donne  dans  les  plus  ridicules  bévues,  et 
dans  les  erreurs  les  plus  grossières  qui  puissent  décon- 
sidérer un  journal  sérieux. 

Le  bill  des  Jésuites  ne  concerne  que  les  catholiques. 
Quels  que  soient  les  sentiments  divers  des  fidèles  et 
des  pasteurs  à  son  égard,  nos  frères  séparés  n'ont  pas  à 
s'en  inquiéter.  Et  ils  l'ont  compris,  dans  notre  Législa- 
ture, car  ils  se  sont  tranquillement  divisés  comme  sur 
n'importe  quel  autre  bill  privé. 

Mais  cela  ne  fait  pas  l'affaire  du  Mail.  Il  lui  faut 
souffter  la  flamme  du  fanatisme  religieux.  11  est  voué 
à  cette  tâche  an ti- patriotique  et  anti-sociale.  Et,  dans 
celte  campagne  criminelle  qu'il  a  commencée  depuis  un 
an,  c'est  pour  lui  un  coup  de  fortune  qu'un  projet  de 
loi  bas-canadien  où  se  trouve  le  mot  :  Jésuite  ! 

Jésuite  !  !  quelle  sonnerie  de  clairon  pour  le  public 
haineux  et  préjugé  que  le  Mail  exploite  a  outrance. 
Quelle  fanfare  retentissante  pour  les  ennemis  séculaires 
et  irréconciliables  de  l'Eglise,  à  qui  les  enfants  de  saint 
Ignace  ont  voué  leur  cœur,  leur  intelligence,  leur 
volonté,  leur  vie  tout  entière  ! 

L'organe  anti- catholique  et  anti-canadien  n'a  garde 
de  manquer  pareille  aubaine.    Il  évoque  tous  les  fan- 


74  MÉLANGES 

tomes  du  passé;  il  se  pare  de  la  vieille  défroque  vol- 
tairienne  ;  il  remet  au  jour  toutes  les  calomnies  fanées 
des  jansénistes  et  des  encyclopédistes.  Il  ment  à  l'his- 
toire, il  fausse  les  faits  les  plus  connus.  Et,  tout  en 
frappant  sur  les  Jésuites,  il  insulte  l'Eglise,  donne  le 
coup  de  pied  au  Syllabus,  soulève  les  passions  aveugles 
et  ignorantes  des  adorateurs  du  dieu  Etat  contre  le 
Vicaire  de  Jésus-Christ. 

Nous  n'espérons  pas  guérir  le  Mail  de  sa  rage  sec- 
taire. Mais  nous  croyons  opportun  de  relever  ses  erreurs 
historiques  et  doctrinales. 

Il  en  tient  contre  la  Compagnie  de  Jésus.  Pourquoi  ? 
Parce  que,  dit-il,  "  elle  ne  se  confine  pas  à  l'œuvre  de 
"  l'éducation,  mais  qu'elle  s'est  partout  montrée  hostile 
"  aux  institutions  libres.  "  Assertion  vague  et  sans 
valeur.  Par  institutions  libres,  le  Mail  entend  sans 
doute  le  régime  constitutionnel.  Où  sont  les  preuves 
que  les  Jésuites  ont  déclaré  la  guerre  à  ce  régime  ? 
Comme  tout  homme  qui  pense,  ils  ont  le  droit  d'avoir 
individuellement  leurs  opinions  sur  le  mérite  relatif  des 
formes  du  gouvernement  humain.  Mais  le  Mail  ne 
saurait  prouver  que  l'institut  de  Saint-Ignace  combat 
les  gouvernements  modernes. 

Il  vit  et  fleurit  en  Angleterre.  Il  couvre  le  sol  des 
Etats-Unis  de  ses  collèges  et  de  ses  communautés.  En 
quelle  circonstance  le  Parlement  de  Westminster  ou  le 
Congrès  de  Washington  ont-ils  eu  à  se  défendre  contre 
les  agressions  ou  les  doctrines  séditieuses  de  la  Compa- 
gnie ?  Ici,  au  Canada,  quel  exemple  le  Mail  pourrait-il 
apporter  à  l'appui  de  ses  dénonciations  ?  Des  faits  et  non 
des  mots  !  Nous  défions  l'organe  jésuitophobe  d'en  pro- 
duire. 


MÉLANGES  75 

Le  Mail  ose  mettre  le  pied  sur  un  terrain  qui  lui  est 
étranger,  et  parler  de  la  suppression  des  Jésuites  par 
Clément  XIV.  Il  cite  les  termes  du  bref  Dominus 
ac  Redeinptor.  Mais  comme  on  pouvait  s'y  attendre 
d'un  tel  docteur,  il  en  altère  le  sens  et  la  portée.  Oui, 
un  pape  a  supprimé  les  Jésuites  ;  mais  il  l'a  fait  en 
gémissant,  après  une  lutte  de  trois  ans  contre  les  cours 
avilies  de  France,  d'Espagne  et  d'Italie  ;  il  l'a  fait  pour 
éviter  peut-être  un  schisme;  il  l'a  fait  par  crainte  de 
plus  grands  maux  dont  les  jansénistes,  les  encyclopé- 
distes, les  sectaires  de  toute  école,  précurseurs  de  la 
dévolution,  menaçaient  en  ce  moment  la  catholicité.  Il 
a  supprimé  les  Jésuites  ;  mais  il  ne  les  a  pas  flétris,  ni 
condamnés.  Le  bref  énumère  les  accusations  portées 
contre  la  Compagnie  ;  il  ne  les  sanctionne  pas  positive- 
ment, comme  le  fait  remarquer  l'historien  de  l'Institut, 
Crétineau-Joly.  Et  quarante  ans  plus  tard,  lorsqu'il  a 
été  prouvé  que  la  suppression  des  Jésuites,  au  lieu 
d'apaiser  la  rage  des  ennemis  du  Christ,  a  été  pour 
l'Eglise  et  le  monde  le  signal  d'effroyables  malheurs  ; 
lorsque  les  rois  et  les  peuples  ont  été  assez  broyés  par 
l'adversité  pour  reconnaître  les  errements  du  passé,  un 
Pape,  le  deuxième  successeur  de  Clément  XIV,  rétablit 
l'illustre  Compagnie  qui  a  toujours  été  l'avant-garde  de 
l'armée  catholique. 

Le  Mail  rappelle  que  la  Eussie  schismatique,  après 
avoir  donné  asile  aux  Jésuites,  au  lendemain  de  leur 
suppression,  a  dû  les  expulser  plus  tard,  parce  qu'ils 
troublaient  l'Etat  par  leurs  intrigues.  Avis  au  Canada, 
semble-t-il  ajouter. 

Le  journal  fanatique  devrait  ouvrir  un  peu  l'histoire. 
Il  y  verrait  sans  doute  que   l'impératrice  de  Kussie, 


76  MÉLANGES 

schismatique  et  quelque  peu  philosophe,  accueillit  avec 
faveur  les  Jésuites  proscrits.  Il  y  verrait  que  la  grande 
Catherine  écrivait  de  sa  main  au  Pape  Pie  VI  :  "  Les 
motifs  d'après  lesquels  j'accorde  ma  protection  aux 
Jésuites  sont  fondés  sur  la  raison  et  sur  la  justice, 
ainsi  que  sur  l'espoir  qu'ils  seront  utiles  à  mes  Etats. 
Cette  troupe  d'hommes  paisibles  et  innocents  vivra  dans 
mon  empire,  parce  que,  de  toutes  les  sociétés  catholiques 
c'est  la  jplus  propre  à  instruire  mes  sujets  et  à  leur 
inspirer  des  sentiments  d'humanité  et  les  vrais  prin- 
cipes de  la  religion  chrétienne." 

Il  y  verrait  aussi  que  les  Jésuites  furent  expulsés  de 
Kussie  en  1815,  par  suite  des  intrigues  des  sociétés 
bibliques  introduites  dans  l'Empire  en  1811,  et  parce 
qu'on  attribua  aux  Pères  la  conversion  du  jeune  prince 
Gallitzin,  neveu  du  ministre  des  cultes.  L'Eglise  schis- 
matique s'alarmait  des  progrès  du  catholicisme.  Voilà 
le  crime  qu'on  reprocha  aux  Jésuites,  en  cette  circon- 
stance. 

Enfin,  accusation  suprême,  les  principes  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus  sont  contenus  dans  le  Syllabus  dont 
les  Jésuites  sont  les  auteurs,  et  qui  est  la  "  mise  en 
accusation  de  la  civilisation  moderne."  Faut-il  appren- 
dre à  cet  aveugle  que  les  principes  du  Syllabus  sont 
ceux  de  l'Eglise  même,  et  que  le  crime  des  Jésuites  se 
borne  tout  simplement  à  être  orthodoxes.  En  jetant  le 
Syllabus  à  la  tête  des  Jésuites,  c'est  l'Eglise  catholique 
que  le  Mail  essaie  d'outrager.  Elle  est  au-dessus  de 
ses  atteintes  ;  mais  une  fois  de  plus  le  fanatisme  a 
prouvé  que  dans  la  personne  des  Jésuites,  il  entend 
frapper  l'Eglise. 

Pauvre  Mail  !  Quelle   triste  et  humiliante  besogne 


MÉLANGES  77 

que  celle  de  ramasser  dans  la  poussière  des  bibliothèques 
jansénistes  et  philosophiques,  ces  vieilleries  nauséabon- 
des, ces  déclamations  surannées  contre  les  empiéte- 
ments jésuitiques  et  cléricaux,  que  dédaignent  tous  les 
esprits  bien  faits,  toutes  les  intelligences  éclairées,  en 
Angleterre  et  au  Canada. 

Dans  le  passé,  d'ailleurs,  les  témoignages  protestants 
n'ont  pas  manqué  à  la  Société  de  Jésus.  Bacon,  péné- 
tré d'admiration  pour  les  vertus  et  les  travaux  des 
Jésuites,  a  écrit  un  jour. 

"  En  pensant  à  eux  je  me  ressouviens  de  ce  qui  fut 
dit  jadis  au  Persan  Pharnabaze  par  le  roi  grec  Agésilas  : 
Etant  ce  que  vous  êtes,  que  n'êtes-vous  des  nôtres.  " 

Grotius,  autre  célèbre  écrivain  protestant,  a  dit  : 

"  Les  Jésuites  exerçaient  une  grande  puissance  sur 
l'opinion,  à  cause  de  la  sainteté  de  leur  vie,  et  du  par- 
fait désintéressement  avec  lequel  ils  instruisaient  la 
jeunesse  dans  les  sciences  et  dans  la  religion.  " 

Frédéric  II,  prince  luthérien,  protégeait  les  Jésuites 
et  écrivait  à  Voltaire  : 

"  Ganganelli,  (Clément  XIV)  me  laisse  nos  chers 
Jésuites.  J'en  conserverai  la  précieuse  graine  pour  en 
fournir  à  ceux  qui  voudraient  cultiver  chez  eux  cette 
plante  rare.  " 

On  pourrait  multiplier  ces  citations.  Mais  en  voilà 
assez  pour  prouver  que  le  grand  journal  anglais  de 
Toronto  a  fort  mauvaise  grâce  à  lever  l'étendard  anti- 
jésuitique. 

Heureusement,  le  Mail  est  isolé  dans  cette  odieuse 
entreprise.  Sa  voix  est  sans  écho  dans  notre  Canada  : 
les  dernières  élections  d'Ontario  l'ont  surabondamment 
prouvé.     Ici,  nous  avons  vu  des  protestants  comme  M. 


78  MÉLANGES 

Lynch,  ancien  ministre,  comme  M.  Cameron,  comme 
M,  Hall,  comme  M.  Baldwin,  proclamer  que  la  recon- 
naissance civile  des  Jésuites  ne  blessait  en  rien  leurs 
prédilections  religieuses,  et  que  le  bill,  à  leurs  yeux, 
était  une  affaire  de  famille  pour  les  catholiques. 

Voici  la  vérité.  Nos  frères  protestants  arrangent  libre- 
ment leurs  affaires  entre  eux  ;  nous  faisons  de  même, 
et  personne  n'est  lésé.  Qu'il  se  produise  parmi  nous 
des  divergences  de  vues  quant  à  certaines  questions 
d'opportunité,  etc.  :  cela  ne  regarde  pas  le  Mail  ;  et  les 
pasteurs  aussi  bien  que  le  troupeau  se  passeront  par- 
faitement de  son  avis. 


ULTRAMONTAIN 


15  août  1889. 


Après  avoir  reproduit  notre  entrefilet  à  l'adresse  du 
Canada  relativement  au  mot  uUramontain  \  la 
Presse  publie  les  lignes  suivantes  : 

"  Avec  toute  la  réserve  que  nous  devons  à  un  jour- 
naliste distingué  comme  M.  Chapais,  nous  nous  per- 
mettrons de  lui  faire  remarquer  que  le  titre  d'ultramon- 
tain  n'est  plus  aujourd'hui  un  titre  d'honneur  pour  les 
catholiques  ;  au  contraire,  c'est  un  mot  de  division  et 
de  dispute.  Il  n'y  a  plus  d'ultramontains  et  il  ne  doit 
plus  y  en  avoir  pour  l'excellente  raison  que  l'on  est 


1 Le  Canada  s'était  servi  du  mot  "  ultramontain  "  comme 

d'un  terme  outrageant.    Le  Courrier  du  Canada  lui  avait  fait 
observer  que  c'était  plutôt  un  titre  d'honneur. 


MÉLANGES  79 

catholique  même.  Autrefois  on  était  catholique  gallican 
contre  Eome,  c'était  une  erreur  combattue  par  les  ultra- 
montains,  c'est-à-dire  les  français  catholiques  restés 
avec  l'autorité  infaillible  de  Rome. 

"  Le  gallicanisme  a  reçu  son  coup  de  mort  par  le 
décret  de  l'infaillibilité  et  n'a  plus  de  suivants.  Alors 
pourquoi  y  aurait-il  des  ultramontains  ?  " 

Avec  toute  la  réserve  que  nous  devons  à  notre  con- 
frère en  opposition,  M.  Nantel,  nous  nous  permettrons 
de  lui  faire  remarquer  que  le  titre  d'ultramontain 
ayant  toujours  été  employé  pour  signifier  l'attachement 
et  le  dévouement  le  plus  absolu  aux  doctrines  romaines 
et  au  Saint-Siège,  il  doit  être  pour  tout  catholique  un 
titre  d'honneur  aujourd'hui  autant  que  jamais. 

A  l'époque  des  luttes  entre  catholiques,  auxquelles 
La  Presse  fait  allusion,  on  a  appliqué  l'épithète  d'ultra- 
montaine  à  une  illustre  école  qui  a  livré  de  glorieux- 
combats,  afin  de  faire  rentrer  dans  le  large  courant 
romain  le  particularisme  français,  qui  s'en  écartait  en 
bien  des  points.  Dom  Guéranger,  le  cardinal  Gousset, 
Mgr  Parisis,  Mgr  Gerbet,  Mgr  de  Salinis,  Louis  Veuil- 
lot,  le  cardinal  Pie,  Rohrbacher,  et  une  foule  d'autres 
ont  été  des  ultramontains,  c'est-à-dire,  des  hommes 
dévoués  avant  tout  aux  pures  doctrines  romaines,  et 
combattant,  avec  une  égale  ardeur,  le  gallicanisme  et  le 
libéralisme,  sous  toutes  leurs  manifestations. 

Dans  le  passé,  dans  l'histoire  des  controverses  con- 
temporaines, cette  grande  école  est  la  nôtre  :  elle  a  tou- 
jours eu  et  elle  aura  toujours  notre  adhésion,  notre 
admiration  et  nos  plus  ardentes  sympathies. 

Dans  le  présent,  quoique,  pour  correspondre  à  un 
désir  légitime  d'apaisement  et  de  concorde,  on  s'étudie — 


80  MÉLANGES 

l'Univers  en  est  un  bel  exemple — à  ne  pas  perpétuer 
ces  appellations  et  ces  dissensions  d'école,  ce  qui  n'eiu- 
pêche  pourtant  pas  les  tendances  divergentes  d'exister 
et  de  paraître,  dans  le  présent,  disons-nous,  les  termes 
uUramontain  et  gallican  sont  moins  fréquemment 
employés.  Mais  cela  n'empêche  pas  que  le  premier  ne 
se  prenne  en  bonne  part  et  le  second  en  mauvaise 
part. 

Quant  à  nous,  nous  ne  laisserons  jamais  sans  protes- 
tation M.  Michel  Vidal,  ou  M.  P.-A.-J.  Voyer,  de  pas- 
sage au  Canada,  ou  qui  que  ce  soit,  bafouer  et  mépriser 
le  nom  d'ultramontain,  et  nous  le  revendiquons  d'autant 
plus  hautement  qu'on  l'attaque.  Ce  n'est  pas  notre  habi- 
tude de  laisser  insulter  nos  principes  sans  dire  un  mot 
à  l'insulteur,  et  nous  ne  la  contracterons  pas  dans  la 
circonstance  actuelle. 


24  août  1889. 

Notre  confrère  de  la  Presse  revient  à  la  charge  à 
propos  du  mot  ultramontain. 

Vidons  pour  tout  de  bon  l'incident.  Et  d'abord  éta- 
blissons nettement  la  position. 

Le  Canada  publie  un  entrefilet  où  il  est  dit  que 
l'épithète  idtramontain  constitue  un  affront  pour  celui 
à  qui  on  l'applique. 

Nous  faisons  observer  que  cette  qualification,  loin 
d'être  une  injure  doit  être  considérée  comme  un  terme 
d'honneur,  puisqu'elle  "  signifie  union  intime  et  absolue 
avec  le  siège  de  Eome.  Il  n'est  pas  un  bon  catholique, 
ajoutions-nous,  qui  ne  doive  être  ultramontain." 

Là-dessus,   notre  confrère  de   la   Presse   intervient 


MÉLANGES  81 

pour  nous  redresser  et  nous  éclairer.  Il  aJB5rme  qu'il  n'y 

a  plus  d'ultramontains,  qu'il  ne  doit  plus  y  en  avoir,  et 

que  maintenant  "  ce  titre  n'est  plus  un  titre  d'honneur 

pour  les  catholiques." 

Nous  insistons,  nous  maintenons  notre  position,  nous 

prouvons  que,  dans  l'histoire  religieuse  contemporaine, 

ce  qu'on  a  appelé  l'ultramontanisme  a  joué  un  grand  et 

glorieux  rôle. 

Peine   inutile,  notre  confrère  ne  veut  pas  en  avoir 

le   démenti,  et  nous   adresse  des  objurgations  comme 

celles-ci  : 

"  Nous  demandons  mille  pardons  à  notre  confrère, 

mais  être  catholique  tout  court,  voilà  le  titre  d'honneur 

auquel  toutes  les  épithètes  du  monde  ne  sauraient  rien 

ajouter. 

"  Croire  ce  que  croit  et  enseigne  la  sainte  Eglise 

catholique,  apostolique  et  romaine,  cela  suffit  pour  être 

du  plus  pur  catholicisme. 

"  Nous  ne  voyons  pas  pourquoi  M.  Chapais  quali- 
fierait son  catholicisme  autrement  que  le  nôtre,  si  nous 
avons  absolument  la  même  foi.  " 

Notre  confrère  nous  permettra  de  lui  dire  qu'il  dé- 
place la  question.  Nous  ne  qualifions  pas  notre  catho- 
licisme autrement  que  le  sien.  Nous  tenons  que  tout 
enfant  de  l'Eglise  doit  être  satisfait  de  s'appeler  catho- 
lique, tout  court.  Mais  notre  confrère  n'ignore  pas  sans 
doute  que,  dans  l'application  des  principes  et  des  doc- 
trines catholiques  aux  temps  et  aux  lieux,  il  peut  se 
produire  et  il  se  produit  des  vues  divergentes.  C'est  un 
fait  historique  indéniable.  Or,  dans  une  certaine  période 
de  notre  siècle,  ces  vues  divergentes  se  sont  manifestées, 
spécialement  en  France,  avec  une  grande  vivacité,  sous 

6 

f 


82  MÉLANGES 

les  noms  de  libéralisme-catholique,  d'un  côté,  et  d'ultra- 
montanisme,  de  l'autre.  Le  Syllabus  et  le  Concile  du 
Vaticau  ont  fait  triompher  l'ultramontanisme,  c'est 
connu,  et  depuis  ce  temps  tout  bon  catholique  doit  être 
ultramontain.  Notre  confrère  comprend-il  que  nous 
ayons  été  indigné  de  voir  le  Canada  se  servir  de  ce 
mot  comme  d'un  terme  injurieux? 

Si  le  directeur  de  la  Presse  n'admet  pas  la  justesse 
de  la  démonstration  et  des  définitions  que  nous  venons 
de  faire,  nous  pouvons  lui  fournir  des  autorités  qui  le 
satisferont  peut-être  davantage.  Il  connaît  sans  doute 
Konings,  le  grand  docteur,  le  grand  auteur  de  théologie 
morale,  fameux  dans  les  écoles,  dont  les  traités  sont 
enseignés  dans  presque  toute  l'Amérique  Septentrionale, 
et  ont  été  récemment  substitués  à  ceux  de  Gury  par 
Son  Eminence  le  Cardinal  Taschereau  dans  ses  grands 
séminaires.  Voici  ce  qu'enseigne  ce  savant  théologien  : 

"  Graviter  quis  peccat  contra  fidem...  interrogatus 
utrum  sit  liomanista  aut  Papista,  responderet  se  non 
èsse...  Idem  hodie  post  Syllabum  et  Décréta  Concilii 
Vaticani  dicendum  videtur,  si  quis  negaret  se  esse 
Ultramontanum.  * 

"  11  pécherait  gravement  contre  la  foi  celui  qui,  inter- 
rogé s'il  est  Romaniste  ou  Papiste,  répondrait  qu'il  ne 
l'est  pas.  Aujourd'hui,  après  le  Syllabus  et  les  Décrets 
du  Concile  du  Vatican,  il  nous  paraît  qu'on  doit  en  dire 
autant  de  celui  qui  nierait  qu'il  est  Ultramontain. 
Konincs  :  Theol.  Moral.  S.  Alplionsi  compendium 
Tractatus  de  virtut:  Cap.  I,  de  Fide,  art.  I,  Nos  254 
et  251)." 

Voilà  qui  est  péremptoire  et  positif.  Voilà  ce  qui 
est  enseigné  dans  nos  grands  séminaires.   Il  nous  semble 


MÉLANGES  83 


que  notre  manière  de  voir  est  désormais  suffisamment 
étayée  pour  résister  aux  impertinences  du  Canada,  et 
aux  observations  critiques  de  notre  confrère  delà  Presse, 


LE  SCANDALE  DE  MASKINONGÉ  ET  LE 
CANADIEN 

29  août  1892. 

On  lit  dans  le  Canadien  de  samedi  : 

"  Un  grave  événement  a  eu  lieu  jeudi  dans  la  paroisse 
de  Maskinongé.  Treize  de  nos  compatriotes  ont  aban- 
donné la  religion  catholique  pour  devenir  membres  de 
l'église  Baptiste, 

"  Un  différend  à  propos  de  la  construction  d'une  église 
a  été  la  cause  première  de  cette  malheureuse  scission. 

"  Je  ne  viens  pas  aujourd'hui  jeter  l'insulte  et  l'ou- 
trace  à  ceux  des  nôtres  qui  ont  renoncé  à  la  foi  de  nos 
aïeux.  Ils  sont  nos  frères  par  le  sang.  Nous  les  aimons 

toujours Ils  restent  membres  de  la  grande  famille 

chrétienne " 

Nous  non  plus,  nous  n'avons  pas  l'intention  de  jeter 
l'insulte  et  l'outrage  à  la  figure  des  malheureux  de  Mas- 
kinon<7é.  Mais  nous  estimons  que  l'article  du  Canadien, 
avec  sa  sensiblerie  trop  bénigne,  ne  remplit  pas  envers 
ces  dix  catholiques  devenus  publiquement  protestants 
le  devoir  de  justice  qui  est  exigé  par  les  circonstances. 

Le  Canadien  n'approuve  pas  les  dissidents,  sans 
doute.  Mais  son  écrit  est  pour  eux  d'une  douceur  into- 
lérable, d'une  suavité  détestable,  tandis  que  toutes  ses 
rigueurs  vont  à  une  autre  adresse. 


84  MÉLANGES 

Ce  n'est  pas  ce  langage  onctueux  qu'il  faut  tenir  en 
présence  du  plus  effroyable  scandale  dont  notre  pro- 
vince catholique  ait  été  le  théâtre  depuis  un  grand  nom- 
bre d'années.  Sans  doute,  les  dissidents  de  Maskinongé 
sont  nos  frères.  Mais  ce  sont  des  frères  dénaturés  qui 
viennent  de  cracher  à  la  figure  de  notre  mère  commune, 
la  sainte  Eglise  catholique,  et  de  la  souffleter  lâchement 
en  face  de  tout  un  pays  occupé  en  majorité  par  ses 
ennemis. 

Les  dix  nouveaux  baptisés  de  Maskinongé  sont  des 
renégats,  voilà  ce  qu'il  faut  dire.  Il  n'y  a  pas  de  raison, 
pas  de  prétexte,  pas  de  misères  paroissiales  qui  puissent 
excuser  des  catholiques,  et  surtout  des  catholiques  cana- 
diens-français, de  fouler  aux  pieds  leur  foi,  de  trahir 
l'Eglise,  de  violer  les  engagements  solennels  de  leur 
confirmation  et  de  leur  première  communion,  de  renier, 
crime  abominable,  le  baptême  qui  les  a  fait  chrétiens  et 
lavés  de  la  souillure  originelle,  pour  se  soumettre  à  je 
ne  sais  quelle  parodie  sacrilège  d'un  baptême  qui  ne 
saurait  attirer  sur  leur  tête  que  la  malédiction  du  ciel. 

Les  dissidents  de  Maskinongé  sont  des  apostats  ;  des 
apostats  de  leur  foi,  des  apostats  de  leur  race,  car  un 
Canadien-français  qui  apostasie  ne  trahit  pas  seulement 
l'Eglise,  il  trahit  la  nationalité.  L'Eglise  catholique  et 
la  race  franco-canadienne  sont  indissolublement  unies 
par  les  liens  les  plus  indestructibles.  Un  Canadien- 
français  qui  n'est  pas  catholique  constitue  une  anomalie. 
Un  Canadien-français  qui  n'est  plus  catholique  après 
l'avoir  été,  constitue  une  monstruosité. 

Nous  regrettons  amèrement  d'être  forcés  de  tenir  un 
tel  langage  i\  l'adresse  de  gens  qui  sont  de  notre  sang. 
Mais  c'est  le  devoir  de  tout  bon  Canadien  et  de  tout 


MÉLANGES  85 

catholique  dévoué  de  flétrir  et  de  vouer  à  l'exécration 
publique  une  aussi  noire  trahison,  une  désertion  aussi 
lâche. 

L'article  doucereux  et  sentimental  du  Canadien  con- 
stitue donc  à  nos  yeux  une  défaillance  coupable.  C'est 
pactiser  avec  l'apostasie  que  de  lui  débiter  ces  tendres 
reproches,  ces  fades  remontrances  et  ces  blâmes  édul- 
corés  de  lait  et  de  miel. 

L'article  du  Canadien  contient  de  pi  as  une  perfidie 
à  l'adresse  des  ordres  religieux,  objet  de  la  vieille  haine 
de  M.  Tarte.  En  effet,  après  avoir  parlé  de  l'interven- 
tion véhémente  du  P.  Hendricks,  le  Canadien  ajoute 
ces  paroles  significatives  : 

"  Cet  exemple  engagera,  nous  en  sommes  sûr,  Yépis- 
copat  à  ne  pas  permettre  l'usage  des  chaires  de  nos 
églises,  à  des  prédicateurs  qui  n'ont  pas  les  affections 
et  les  instincts  de  notre  nationalité,  avant  de  bien  savoir 
qui  ils  sont." 

C'est  là  une  sommation  très  respectueuse  à  l'épis- 
copat  d'interdire  l'accès  de  nos  chaires  aux  ordres  reli- 
gieux, de  faire  taire  ces  voix  éloquentes  qui  apportent 
un  si  puissant  secours  à  notre  patriotique  clergé  !  Quelle 
prétention  téméraire  ! 

Supposons  qu'il  y  ait  eu  des  écarts  de  langage. 
Faudra-il  pour  cela  limiter  le  champ  de  la  parole  apos- 
tolique ? 

Le  Canadien  dénonçait  l'autre  jour  un  prêtre  cana- 
dien séculier.  Voudrait-il  demander,  comme  consé- 
quence, à  l'épiscopat  d'interdire  la  direction  de  nos 
paroisses  à  nos  prêtres  séculiers  ? 

Cet  article  du  Canadien  est  déplorable.  Certes  nous 
souhaitons  ardemment  que  les  malheureux  apostats  de 


86  MÉLANGES 

Maskinongé  ouvrent  les  yeux  et  réparent  le  scandale 
qu'ils  ont  donnd.  S'ils  se  repentent,  les  bras  maternels 
de  l'Eglise  leur  seront  ouverts,  et  ils  redeviendront  nos 
frères.  Mais  nous  devons  leur  faire  bien  comprendre  la 
profondeur  de  l'abîme  où  ils  se  sont  laissés  choir  et  pour 
cela  il  faut  leur  parler  hautement  et  fermement  le  lan- 
gage de  la  vérité  et  de  la  justice. 


12  septembre  1892. 

Les  doux  pasteurs  de  V Aurore,  journal  chiniquiste  et 
Moniteur  des  apostats  canadiens,  sont  pénétrés  d'une 
fureur  fort  peu  évangélique  contre  le  Courrier  du 
Canada.  Ils  nous  consacrent  toute  une  page  de  leur 
journal!  Quel  honneur  ! 

C'est  naturellement  notre  article  sur  le  scandale  de 
Maskinongé  qui  fait  mal  au  cœur  de  ces  malheureux. 
\! Aurore  nous  en  informe  par  les  lignes  suivantes  : 

"  Le  scandale  de  Maskinongé  "  tel  est  l'en-tête  d'un 
article  du  Courrier  du  Canada,  ancien  cliché,  qui  répète 
ses  diatiibes  d'il  y  a  un  demi-siècle.  Certains  vins  s'amé- 
liorent en  vieillissant,  mais  le  venin,  lui,  reste  toujours 
le  même,  alors  même  qu'il  est  versé  d'une  coupe  plus  ou 
moins  cléricale.  Le  Courrier  déplore  la  douceur,  la 
suavité,  la  sensiblerie  àes  paroles  humaines,  charitables, 
bien  que  très  catholiques  encore  du  Canadien.  Ce  n'est 
pas  ainsi,  écrit-il,  qu'il  faut  traiter  ces  gens,  quoiqu'ils 
soient  très  respectables.  Ils  ont  quitté  l'Eglise  romaine, 
leur  mère — des  Canadiens-Français  !  Eh  bien  !  il  faut 
leur  dire  qu'ils  sont  des  renégats,  des  apostats,  des 
monstres.  Pas  de  chariié  pour  ces  gens  qui  "  viennent 
de  cracher  à  la  figure  de  notre'  mère  commune  la  sainte 


MÉLANGES  87 

Eglise  catholique,  et  de  la  souffleter  en  face  de  tout  un 
pays  occupé  en  majorité  par  ses  ennemis.  "  Voilà  sans 
doute  le  grand  péché,  le  crime  impardonnable  :  se  join- 
dre à  une  majorité  opposée  à  l'Eglise  !  Mais  quand 
l'Eglise  romaine  est  en  majorité  !  Voilà  la  morale  et  la 
religion  toute  mondaine  de  ces  fidèles  catholiques.  "  Le 
crime  abominable,  "  selon  le  pauvre  écrivain  du  Cour- 
rier, c'est  pour  ces  catholiques  canadiens-français  "  de 
fouler  aux  pieds  leur  foi,  de  trahir  l'Eglise,  de  violer 
leurs  engagements  solennels — ^le  baptême  qui  les  a  faits 
chrétiens  et  lavés  de  la  souillure  originelle  pour  se 
soumettre  à  je  ne  sais  quelle  parodie  sacrilège  d'un 
baptême  qui  ne  saurait  attirer  sur  leur  tête  que  la 
malédiction  du  ciel.  " 

Eh  bien  oui,  messieurs  les  pasteurs  de  V Aurore,  nous 
avons  dit  tout  cela,  et  tout  ce  que  nous  avons  dit  est 
juste. 

Oui,  un  Canadien-français  qui  n'est  pas  catholique 
est  une  anomalie,  un  Canadien-français  qui  ne  l'est  plus 
après  l'avoir  été,  est  un  phénomène  monstrueux. 

En  dépit  de  toute  votre  réclame,  vous  ne  ferez  pas  des 
héros  des  onze  malheureux  que  vous  avez  fait  barboter 
dans  vos  piscines.  Ce  ne  sont  pas  des  esprits  partis  des 
ténèbres  pour  aller  à  la  lumière,  ce  ne  sont  pas  des 
cœurs  séduits  par  l'exemple  de  vos  vertus  héroïques,  ce 
ne  sont  pas  des  prosélytes  conquis  par  votre  éloquence, 
subjugués  par  votre  science,  éclairés  par  vos  enseigne- 
ments. C'est  une  poignée  d'entêtés  et  d'orgueilleux  pour 
qui  le  site  matériel  d'une  église  est  plus  important  que 
les  sacrements,  que  la  foi  de  leurs  pères,  que  le  salut  de 
leur  âme,  que  la  vie  éternelle,  que  toutes  les  considé- 
tions  religieuses,  et  qui  vous  auraient  bellement  envoyés 


88  MÉLANGES 

promener  avec  vos  cuves,  si  le  clocher  s'élevait  à  gau- 
che plutôt  qu'à  droite  de  la  rivière. 

Voilà  toute  la  conviction  des  dissidents  de  Maski- 
nongé.  Et  voilà  la  portée  de  votre  glorieuse  victoire, 
doux  pasteurs  de  l'Aurore. 


LES  AVENTURES  DE  M.  LAURIER 

11  septembre  1894. 

Evidemment  M.  Laurier  fait  un  voyage  malchanceux. 

Nous  l'avons  montré  à  Winnipeg  trahissant  le  prin- 
cipe des  écoles  séparées,  acceptant  celui  des  écoles  neu- 
tres, et  essayant  misérablement  de  tromper  à  la  fois  les 
catholiques  et  les  protestants. 

Mais  quelques  jours  auparavant  son  voyage  avait  été 
marqué  par  un  autre  épisode  qui  provoque  les  plus 
graves  commentaires. 

Voici  l'incident  tel  que  le  racontait  une  dépêche  : 

"  Sault  Sainte  Marie,  30. — Le  Eév.  C.  E.  Manning, 
de  l'église  méthodiste,  est  très  populaire  ici.  L'hono- 
rable Wilfrid  Laurier  et  ses  compagnons  de  voyage  ont 
assisté  au  service  religieux  de  son  église,  dimanche  soir, 
et  le  révérend  monsieur  a  prononcé  un  éloquent  sermon 
après  lequel  il  a  été  chaleureusement  félicité  par  le  chef 
libéral.  " 

Cette  dépêche  a  produit  dans  le  public  catholique  une 
véritable  commotion.  On  a  attendu  quelques  jours  pour 
voir  si  elle  serait  contredite.  Mais  elle  est  restée  sans 
dénégation. 


MÉLANGES  89 

La  Croix  a  alors  protesté  en  termes  véhéments.  Voici 
quelques  extraits  de  son  article  : 

"  Tout  enfant  qui  sait  son  petit  catéchisme  n'ignore 
pas  qu'il  est  expressément  défendu  aux  catholiques  de 
prendre  part  aux  cérémonies  religieuses  des  hérétiques, 
des  schismatiques,  des  Juifs  ou  des  infidèles.  L'Eglise 
recommande  à  ses  enfants  la  plus  grande  charité  à 
l'égard  de  ceux  qui  n'ont  pas  le  bonheur  d'appartenir  à 
la  vraie  religion  :  elle  leur  ordonne  de  prier  pour  eux, 
de  les  respecter  et  de  leur  témoigner  en  toute  occasion 
des  sentiments  véritablement  et  sincèrement  chrétiens  ; 
mais  elle  leur  défend  expressément  de  communiquer 
avec  eux  in  sacris. 

"  Cette  dépêche,  déjà  vieille  de  cinq  jours,  n'a  pas  été 
contredite  ;  on  peut  donc  sans  témérité  la  considérer 
comme  vraie.  Eh  bien  !  nous  le  répétons,  il  y  a  là  un 
scandale,  et  M.  Laurier  cherchera  en  vain  dans  les 
ouvrages  de  ses  auteurs  favoris,  de  ses  modèles,  un  mot 
qui  excuse  sa  conduite, 

"  Assister  au  prêche  méthodiste  n'était  pas  assez  pour 
le  zèle  catholique  du  chef  libéral;  il  a  tenu  à  féliciter 
chaleureusement  le  prédicateur;  c'est  complet. 

"  Quel  a  donc  pu  être  le  mobile  de  cette  étrange  con- 
duite ?  Inutile  de  chercher  bien  loin.  La  dépêche  ne 
dit-elle  pas  :  Le  rév.  Manning  de  l'église  méthodiste, 
eU  très  poimlaire  ici.    L'explication,  la  voilà. 

"  Il  s'agissait  de  capter  la  faveur  d'un  homme  très 
populaire.  Si  cet  homme  eût  été  un  prêtre  catholique, 
M.  Laurier  serait  allé  à  la  messe,  le  dimanche  26  août  -. 
mais,  comme  il  se  trouve  qu'il  est  méthodiste,  M.  Lau- 
rier est  allé  à  la  mitaine,  tout  simplement." 
Cet  article  de  la  Croix  était  sévère,  mais  juste.    Les 


90  MÉLANGES 

catholiques  n'ont  pas  le  droit  de  communiquer  avec  nos 
frères  séparés  in  saeris.  C'est  élémentaire,  et  tous  les 
enfants  de  nos  écoles  doivent  savoir  cela. 

On  n'est  pas  de  cet  avis  à  la  Liberté,  le  journal  radical 
de  Sainte-Scholastique.  Naturellement  la  feuille  rouge 
défend  M.  Laurier.  11  faut  lire  cette  élucubration  : 

"  La  Croix  vient  dé  publier  un  sale  article  contre 
M.  Laurier  parce  que  celui-ci  s'est  permis,  lors  de  son 
passage  au  Sault  Sainte-Marie,  d'assister  à  un  service 
religieux  à  l'église  méthodiste  de  l'endroit. 

"  Quel  crime  !  aller  voir  des  protestants  prier  Dieu 
dans  leur  temple  ! 

"  Quelle  infamie  !  oser  aller  écouter  prêcher  le  pasteur 
Manuing  ! 

"  Ces  pauvres  calotins  nous  maudissent  parce  que 
nous  n'avons  pas  leur  étroitesse  d'esprit,  leur  chauvi- 
nisme, leur  sotte  intolérance  et  parce  que  nous  respec- 
tons toutes  les  croyances.  Nous  plaignons  sincèrement 
les  curés  d'avoir  pour  organe  un  journal  abruti  comme 
la  Croix  qui  en  est  encore  aux  ténébreuses  doctrines  du 
moyen  âge,  au  système  des  bîichers,  de  l'intimidation,  de 
la  proscription,  etc  ? 

"  Mais  en  revanche,  nous  félicitons  M.  Laurier  d'avoir 
su  s'attirer  les  haines  et  les  colères  de  ce  chat-huant  de 
la  presse. 

"  Ayons  des  idées  larges,  soyons  tolérants,  aimons- 
nous  les  uns  les  autres,  et  allons  dioit  notre  chemin  sans 
nous  occuper  des  excommunications  de  la  Croix." 

Pauvre  M.  Laurier  !  Il  a  de  jolis  thuriféraires  ! 

Eécemment  La  Liberté  se  proclamait  favorable  aux 
écoles  neutres. 

Elle  est  maintenant  en  faveur  de  la  religion  neutre. 


MÉLANGES  91 

Et  M.  Laurier  est  son  chef  de  file. 

Partisan  des  écoles  neutres  à  Winnipeg,  sectateur  de 
la  religion  neutre  au  Sault  Sainte-Marie,  M,  Laurier 
récolte  les  applaudissements  et  la  sympathie  des  radi- 
caux de  la  Liberté.  ■ 

Ils  l'acclament,  ils  en  sont  fiers,  ils  applaudissent  à 
ses  principes,  à  sa  largeur  d'idées,  comme  ils  disent. 

Le  voyage  de  M.  Laurier  dans  l'Ouest  a  été  marqué 
jusqu'ici  par  de  bien  malencontreuses  aventures  ! 


22  septembre  1894. 

La  Liberté  est  vraiment  à  peindre. 

Elle  continue  à  couvrir  l'infortuné  M.  Laurier  de  son 
égide  protectrice. 

Il  faut  lire  les  jolies  choses  qu'elle  nous  dédie  : 

"  La  presse  ramollie,  c'est-à-dire  la  Vérité,  la  Croix, 
le  Courrier  du  Canada,  le  Trifluvien,  ne  cesse  de  baver 
sur  M.  Laurier,  depuis  qu'il  est  allé  entendre  prêcher  le 
révérend  M.  Manning  au  Sault  Sainte-Marie.  Mais 
l'éminent  chef  libéral  est  au-dessus  des  atteintes  de  ces 
journaux  venimeux,  et  son  prestige  ainsi  que  ses  hautes 
vertus  civiques  et  politiques  le  placent  hors  de  la  portée 
des  p'tits  manteaux.  ' 

"  Oh  !  quel  forfait  inouï  a  commis  M.  Laurier  !  Le 
bon  Dieu  a  dû  verser  des  torrents  de  larmes  divines  en 
voyant  ce  chef  politique  canadien  s'asseoir  un  moment 
dans  un  temple  protestant  où  l'on  adore  et  prie  le  même 
Jésus-Christ  que  les  catholiques  adorent  et  prient. 

"  Pauvres  cagots,  en  ont-ils  d'épouvantables  notions  en 
religion.  Ils  font  du  Père  Eternel  un  vrai  bourreau  qui 
voit  de  gros  péchés  dans  tout  ce  que  les  hommes  font. 


92  MÉLANGES 

S'il  fallait  les  écouter  oa  recommencerait  les  guerres 
religieuses  pour  le  plaisir  d't^gorger  ceux  qui  n'ont  pas 
nos  croyances,  mais  qui  vraiment  nous  valent  à  bien  des 
points  de  vue." 

Il  est  bien  évident  que  les  cnergumènes  qui  pondent 
ces  rapsodies  n'ont  aucun  sens  catholique. 

L'Eglise  catholique  défend  à  ses  enfants  de  commu- 
niquer avec  les  hérétiques  in  sacris. 

On  peut  être  tolérant,  charitable,  aider  nos  frères  sépa- 
rés dans  leurs  besoins  ou  leurs  malheurs,  être  animé  à 
leur  égard  des  sentiments  de  la  fraternité  chrétienne,  sans 
participer  au  culte  protestant,  sans  aller  au  prêche  et  au 
service  religieux  des  églises  protestantes. 

Mettre  toutes  les  religions  sur  le  même  pied  sous  pré- 
texte qu'on  peut  prier  Dieu  dans  chacune  d'elles,  sou- 
tenir que  les  catholiques  peuvent  aller  indifféremment 
au  temple  protestant  ou  à  l'église,  c'est  se  rendre  cou- 
pable d'un  éclectisme  criminel,  c'est  commettre  une  sorte 
d'apostasie. 

Nous  n'écrivons  pas  cela  pour  les  gens  de  la  Liberté 
qui  sont  incurablement  fermés  à  toutes  ces  considéra- 
tions de  l'ordre  spirituel.  Nous  écrivons  cela  pour  les 
gens  qui  ont  la  foi  catholique,  et  qui  croient  à  l'autorité 
de  l'Eglise. 

Ce  n'est  pas  pour  le  plaisir  de  nuire  à  un  adversaire 
que  nous  avons  dénoncé  l'acte  de  M.  Laurier.  C'est 
pour  empêcher  que  cet  exemple  ne  produise  un  perni- 
cieux effet  sur  nos  populations  ;  c'est  pour  prévenir  le 
mal  que  cette  leçon  d'indifférentisme  aurait  pu  faire. 


Figures  disparues. 


M.  JOSEPH  DOUTEE 


4  février  1886. 


M.  Joseph  Doutre  est  mort  dans  la  nuit  de  mardi  à 
mercredi,  à  Montréal,  à  l'âge  de  soixante-uu  ans. 

Le  défunt  élait  né  à  Beauharnois,  en  1825.  11  avait 
étudié  au  collège  de  Montréal  et  fait  son  droit  sous 
l'honorable  A.  N.  Morin  et  M.  N.  Dumas. 

En  1844,  il  publia  un  roman,  sa  première  production 
littéraire,  intitulé  :  Les  fiancés  de  1812.  Les  livraisons 
de  cette  œuvre  sont  maintenant  très  rares,  surtout  les 
dernières.  En  1848,  il  publia  aussi  Le  frère  et  la  sœur, 
et,  en  1852,  Le  sauvage  du  Canada,  conférence  donnée 
par  lui  à  l'Institut-Canadien. 

Il  collabora  activement  à  V Avenir  fondé  en  1848 
par  les  adeptes  de  M.  Papineau.  A  partir  de  ce  moment 
on  sait  quel  rôle  tristement  célèbre  il  joua  dans  nos 
luttes  sociales  et  politico-religieuses. 

Libre-penseur  absolu,  il  se  constitua  le  champion  du 
libéralisme  le  plus  avancé,  et  fit  une  guerre  acharnée 
aux  prérogatives  et  aux  droits  sacrés  de  l'Eglise,  qui 
l'avait  baptisé  et  bercé  sur  son  sein.  Qui  ne  se  rappelle 
les  luttes  de  l'Institut-Canadien  contre  les  prescriptions 
de  l'Index  et  les   censures  épiscopalep,  et  surtout  le 


94  MÉLANGES 

fameux  procès  Guibord,  au  cours  duquel  M.  Doutre 
prononça  de  si  odieuses  paroles  contre  la  société  de 
Jésus,  le  Pape  et  l'Eglise  ?  Hélas  !  que  d'activité, 
d'énergie,  et  aussi  de  talent, — car  ^I.  Doutre  n'était  pas 
un  homme  ordinaire — dépensés  au  service  de  l'erreur  ! 

Aujourd'hui  cet  homme  de  combat  et  de  publicité 
retentissante  est  entré  dans  le  silence  et  dans  le  calme 
de  la  mort.  Son  nom  appartient  à  l'histoire  qui  jugera 
son  œuvre  avec  sévérité,  comme  celle  de  tous  les  démo- 
lisseurs sociaux. 

La  mort  désarme  toutes  les  inimitiés.  Et  M.  Doutre 
aura  cette  suprême  faveur  que  ceux  qu'il  a  le  plus  com- 
battus durant  sa  vie  sont  des  hommes  de  paix,  qui 
prieront  ardemment  pour  le  repos  de  son  âme. 

M.  Doutre  était  un  avocat  éminent,  un  écrivain  sou- 
vent incorrect,  mais  vigoureux  et  abondant,  un  orateur 
plein  d'énergie  et  de  ténacité.  Dieu  lui  avait  départi 
des  dons  précieux. 

Qu'il  daigne  le  recevoir  en  sa  miséricorde. 


L'HONORABLE  P.-J.-O.  CHAUVEAU 


5  avril  1890. 

L'honorable  P.-J.-O.  Chauveau,  shérif  de  Montréal, 
est  mort,  hier  soir,  à  sept  heures  et  demie,  à  la  rési- 
dence de  M.  le  Dr  Vallée,  son  gendre,  rue  Sainte- Anne. 

C'est  une  de  nos  plus  grandes  figures  contemporaines 
qui  disparaît  d'au  milieu  de  nous.  Orateur,  poète,  roman- 


MÉLANGES  95 

cier,  historien,  critique,  bibliographe,  journaliste,  député, 
ministre,  professeur,  il  a  touché  à  tous  les  sommets 
auxquels  les  hommes  doués  d'im  talent  supérieur  peu- 
vent atteindre  dans  notre  pays.  Ses  facultés  brillantes 
et  fécondes  se  sont  déployées  dans  vingt  genres  diffé- 
rents. Parvenu  aux  premiers  confins  d'une  vieillesse 
sereine,  glorieuse,  et  intellectuellement  active,  il  était 
plus  qu'un  écrivain,  plus  qu'un  orateur,  plus  qu'un 
publiciste,  plus  qu'un  homme  d'Etat  en  retraite,  il  était 
à  lui  seul  toute  une  époque,  et  cette  époque  s'achève 
avec  lui. 

En  sa  personne  les  lettres  canadiennes  perdent  leur 
représentant  le  plus  complet,  et  l'une  de  leurs  gloires 
les  plus  incontestées.  Il  avait  débuté  en  1839,  et  depuis 
lors  jamais  il  n'avait  cessé  d'écrire,  de  produire,  de 
remuer  des  idées,  de  livrer  au  public  de  la  prose  ou  des 
vers,  d'agir  sur  la  société  canadienne  par  la  parole  ou 
par  la  plume.  Cinquante  ans  de  carrière  littéraire,  de 
carrière  publique  !  cinquante  ans  d'activité  intellec- 
tuelle jamais  interrompue,  toujours  grandissante  au  con- 
traire, et  toujours  acquérant  plus  d'éclat,  plus  d'éléva- 
tion, plus  de  force  et  d'essor!  Il  a  été  donné  à  bien  peu 
d'hommes,  dans  notre  pays,  de  vivre  une  vie  aussi 
noblement  remplie. 

M.  Chauveau  était  né  le  30  mai  1820.  Il  terminait 
ses  études  au  séminaire  de  Québec  en  1837,  l'année 
terrible.  Ses  compagnons  de  classe  étaient  MM.  J.-B. 
Côté,  prêtre  ;  A.  Marcoux,  prêtre  ;  A.-D.  Eoss,  avocat; 
Joseph  Maurault,  prêtre  ;  Luc  Letellier,  lieutenant-gou- 
verneur de  la  province  de  Québec,  en  1877  ;  A.  Parent, 
notaire  ;  F.  Bardy,  prêtre  ;  0.  Campeau,  notaire  ;  Char- 
les Cinq-Mars,  notaire  ;  P.  Patry,  prêtre  ;  Elie  Riufret, 


96  MÉLANGES 

médecin  ;  M.  de  Lachevrotière,  notaire.  Nous  ne  croyons 
pas  qu'il  y  ait  plus  que  deux  ou  trois  survivants  de 
cette  classe. 

M.  Chauveau  se  maria  eu  1840  à  mademoiselle 
Masse,  de  Québec.  Il  fut  admis  au  barreau  en  1841,  et 
nommé  conseil  de  la  Reine  en  1853.  En  1844  il  fat 
élu  député  du  comté  de  Québec  contre  M.  Neilson,  le 
vétéran  de  nos  luttes  constitutionnelles.  En  1851  il 
entra  dans  l'administration  Hincks-Morin  comme  solli- 
citeur-général, et  il  échangea  ce  portefeuille  pour  celui 
de  secrétaire  provincial  en  1853.  Sorti  du  cabinet 
en  septembre  1S54,  il  fut  nommé,  en  1855,  surin- 
tendant de  l'instruction  publique,  poste  qu'il  occupa 
jusqu'à  1867.  C'est  alors  qu'il  créa  le  Journal  de 
V Instruction  'publique,  où  il  prodigua  des  trésors  de 
style  et  d'érudition.  En  1867  il  devint  premier-ministre 
de  la  province  de  Québec,  et  tout  le  monde  se  rappelle 
avec  quelle  distinction  il  inaugura  le  nouveau  régime. 

En  janvier  1872,  M.  Chauveau  se  retira  de  la  poli- 
tique provinciale  et  fut  appelé  à  la  présidence  du 
Sénat,  à  Ottawa.  Après  la  chute  du  gouvernement 
Macdonald,  en  1873,  il  se  démit  de  ses  fonctions  de 
président  du  Sénat,  et  se  présenta  pour  les  Communes, 
dans  le  comté  de  Charlevoix,  aux  élections  générales  de 
1874.  11  fut  défait  par  M.-P.-A.  Tremblay,  et  rentra 
dans  la  vie  privée.  De  1867  à  1873,  M.  Chauveau 
avait  représenté  le  comté  de  Québec  pour  les  deux 
Chambres,  les  Communes  d'Ottawa  et  l'Assemblée 
législative  de  Québec, 

En  1874,  le  gouvernement  fédéral  le  nomma  prési- 
dent de  la  commission  du  havre  de  Québec,  et  enfin, 
en  1877,  il  reçut  du  cabinet  de  Boucherville  la  commis- 


MÉLANGES  97 

sion  de  shérif  de  Montréal,  poste  qu'il  occupait  à  sa 
mort. 

En  187S,  l'université  Laval  de  Montréal  lui  avait 
confié  la  chaire  de  droit  romain. 

La  disparition  de  cette  haute  personnalité  crée  un 
grand  vide  dans  notre  société  canadienne.  Elle  causera 
une  sensation  de  tristesse  dans  tout  le  pays,  et  surtout 
à  Québec  que  M.  Chauveau  avait  tant  aimé. 

Qui  ne  se  rappelle  son  émouvante  apostrophe  à  la 
vieille  Stadaconé,  dans  son  discours  du  24  juin  dernier? 
Hélas  !  c'était  son  chant  du  cygne. 

M.  Chauveau  était  un  chrétien  fervent.  On  pouvait 
ne  pas  accepter  sa  manière  de  voir  sur  certains  sujets 
controversés.  Mais  c'est  un  devoir  de  rendre  hommage 
à  la  sincérité  de  sa  foi,  à  l'intégrité  de  son  caractère,  et 
à  la  dignité  de  sa  vie. 

Sa  mort  enlève  au  Canada  un  de  ses  hommes  illus- 
tres, aux  lettres  canadiennes  un  maître,  et  à  notre  natio- 
nalité l'un  de  SCS  fils  les  plus  glorieux. 


SIR  JOHN  MACDONALD 


8  juin  1891. 

L'empire  britannique  vient  de  perdre  un  de  ses  plus 
illustres  hommes  d'Etat,  l'Amérique  un  de  ses  plus 
grands  citoyens,  et  le  Canada  sa  personnalité  la  plus 
éminente* 

Sir  John  Macdonald  est  mort  à  Earnschffe,  samedi  soir, 
à  dix  heures  et  quart. 
7 


98  MÉLANGES 

De  l'Atlantique  au  Pacifique,  la  funèbre  nouvelle, 
attendue  pourtant  depuis  plusieurs  jours,  a  plongé  dans 
le  deuil  la  moitié  d'un  continent.  Et  une  puissante 
émotion  a  secoué  le  Canada  tout  entier  lorsque  le  cou- 
rant électrique  a  jeté  cette  parole  lugubre  aux  quatre 
coins  de  la  Puissance  :  Sir  John  Macdonald  est  mort  ! 
Sir  John  Macdonald  !  Que  de  choses  dans  ce  seul 
nom  !  Quel  éblouissant  prestige  il  dégage  !  Quels  sou- 
venirs il  évoque  ! 

Ce  n'est  pas  une  carrière  ordinaire  qui  se  ferme. 
C'est  un  demi-siècle  de  la  vie  nationale  qui  descend  au 
tombeau  avec  le  premier-ministre  expiré.  Et  en  nous 
inclinant  sur  ce  cercueil,  nous  disons  adieu  à  quelque 
chose  de  nous-même,  nous  saluons  une  époque  qui  s'en 
va,  nous  fermons  un  volume  de  l'histoire  de  la  patrie. 
A  quoi  a  tenu  l'influence  immense,  l'influence  pres- 
que souveraine  exercée  par  Sir  John  sur  les  hommes  et 
les  choses  de  son  temps  ?  L'histoire  répondra  que  pour 
remplir  aussi  glorieusement  une  aussi  étonnante  car- 
rière, au  milieu  de  tant  de  difficultés,  il  fallait  plus  que 
du  talent,  plus  que  de  l'adresse,  plus  que  du  bonheur, 
il  fallait  du  génie. 

On  peut  être  doué  du  génie  littéraire,  du  génie  artis- 
tique, du  génie  militaire  ;  Sir  John  avait  le  génie  poli- 
tique. Il  était  né  meneur  d'hommes  ;  et,  sur  un  théâtre 
étroit,  il  a  déployé  des  facultés  qui  lui  auraient  assuré 
la  même  prééminence  dans  les  grandes  arènes  de  la 
politique  européenne. 

Ce  qui  faisait  sa  force  ce  n'était  pas  l'excellence  dans 
tel  ou  tel  genre  particulier.  Il  n'était  pas  précisément 
grand  orateur,  quoiqu'il  fut  vraiment  un  maître  de  la 
parole  ;  il  n'était  pas  un  grand  écrivain  ;  il  n'avait  pas 


MÉLANGES  99 

de  spécialité  reconnue.  Ce  qui  faisait  sa  force  c'était  la 
supériorité  de  sa  vaste  et  lumineuse  intelligence,  bril- 
lante, rapide,  embrassant  tout  dans  son  activité  prodi- 
gieuse, dominant  tous  les  préjugés,  comprenant  toutes 
les  nuances  d'idées  et  de  situations,  voyant  clair  et  vite. 
Et,  en  second  lieu,  c'était  son  caractère  fait  de  souplesse 
et  de  résistance,  c'était  sa  bienveillance  universelle,  la 
bonté  et  la  générosité  de  son  cœur,  dont  adversaires 
comme  amis  ont  pu  faire  l'expérience. 

Cette  intelligence  vivante,  cette  souplesse  doublée 
d'énergie,  cette  bienveillance  et  cette  bonté,  tout  cela 
c'était  le  magnétisme  mystérieux  dont  on  parle  tant  à 
propos  de  sir  John,  et  qui  donne  la  clef  de  ses  succès 
constants. 

Le  moment  n'est  pas  venu  de  porter  un  jugement 
d'ensemble  sur  la  vie  de  ce  grand  homme  d'Etat.  Il  a 
été  député  quarante-sept  ans,  ministre  trente-trois  ans, 
premier  ministre  vingt  ans.  Nous  croyons  ne  rien 
outrer  en  affirmant  que  c'est  là  une  carrière  sans  paral- 
lèle dans  les  annales  parlementaires  des  nations  con- 
temporaines. 

Durant  près  d'un  demi-siècle,  il  a  pris  part  à  la  direc- 
tion des  affaires  de  son  pays.  Durant  un  quart  de  siècle, 
il  a  été  le  leader  incontesté  de  la  nation  canadienne. 
Et  si  la  Confédération,  durant  son  âge  critique,  n'a  pas 
fait  naufrage,  on  peut  dire  que  c'est  grâce  aux  éton- 
nantes facultés  de  Sir  John,  qui  a  servi  de  lien  à  toutes 
les  races,  et  qui  a  su  amortir  tous  les  chocs. 

On  n'a  pas  toujours  été  juste  poiir  ce  politique  en- 
touré d'écueils.  Sans  doute  il  a  commis  des  fautes,  et 
bien  des  erreurs  sont  inscrites  aux  pages  de  sa  vie 
publique.    Mais  le  grand,  l'inoubliable  service  qu'il  a 


100  MÉLANGES 

rendu  aux  provinces  du  Canada,  c'est  d'avoir  été  par 
excellence  un  pacificateur  et  un  modérateur.  Quoi  qu'on 
ait  dit  dans  la  chaleur  des  luttes,  il  n'avait  ni  préjugés 
ni  fanatisme.  Il  voyait  juste  et  discernait  aussi  bien  les 
excès  de  l'intolérance  haut-canadienne,  que  les  suscep- 
tibilités bas-canadiennes.  Il  comprenait  notre  race, 
comme  il  connaissait  la  sienne  ;  et  son  étude,  son  labeur 
perpétuel  étaient  de  prévenir  les  conflits  ou  d'en  amoin- 
drir les  résultats,  et  de  faire  travailler  toutes  les  nationa- 
lités, dans  l'harmonie,  au  progrès  du  Canada.  Durant  des 
années,  seul  il  a  tenu  en  bride  le  fanatisme  de  sa  pro- 
vince, et  l'éternel  honneur  de  sa  vie  ce  sera  précisé- 
ment d'avoir  discipliné  et  contenu  les  éléments  dange- 
reux qui  auraient,  sans  cela,  compromis  notre  avenir. 

La  province  de  Québec  perd  aujourd'hui  un  ami, 
nous  n'hésitons  pas  à  l'afîirmer,  malgré  les  opinions 
contraires.  Par  sa  nature  primesautière,  par  son  esprit 
vif  et  la  verve  de  son  humeur,  il  avait  des  affinités 
réelles  ayec  notre  race.  De  plus  Sir  John  était  un 
homme  de  l'Union.  Il  avait  vécu  chez  nous  ;  Québec 
était  une  ville  où  il  avait  passé  quelques-unes  des  plus 
belles  années  de  sa  carrière.  Il  avait  été  l'hôte  aimé 
et  recherché  des  foyers  canadiens-français,  et  quand  il 
revenait  nous  visiter,  il  se  retrouvait  chez  lui.  Il  avait 
remporté  des  victoires  parlementaires  dans  notre  vieux 
Parlement,  Il  avait  fait  retentir  les  échos  de  notre 
Music  Hall  des  applaudissements  provoqués  par  sa 
parole,  lorsque  la  législature  du  Canada-Uni  y  siégeait. 
Il  connaissait  toutes  nos  sommités  religieuses  et  civiles. 
Il  n'y  a  plus  d'hommes  dans  ces  conditions  parmi  les 
chefs  politiques  anglais  de  la  Confédération, 

Ce  que  la  critique  la  plus  acharnée  ne  pourra  refuser 


MÉLANGES  101 

à  Sir  John,  ce  sera  d'avoir  eu  véritablement  le  patrio- 
tisme canadien.  Il  a  aimé  le  Canada,  il  a  voulu  sa  gran- 
deur, il  a  rêvé  pour  lui  de  hautes  destinées,  il  a  travaillé 
sans  relâche  à  lui  créer  une  large  place  au  soleil  de 
l'Amérique,  il  a  fièrement  arboré  son  drapeau  à  côté  du 
drapeau  étoile  de  la  Eépublique  voisine,  il  a  été  un 
grand  canadien,  et  ce  sera  sa  gloire. 

En  1873,  au  moment  de  succomber  sous  les  coups 
d'une  coalition  où  la  haine  donnait  la  main  à  la  trahi- 
son, Sir  John  terminait  un  des  plus  grands  discours  de 
sa  vie  par  cette  émouvante  péroraison  : 

"  I  hâve  fought  the  battle  of  confédération,  the  battle 
of  union,  the  battle  of  the  Dominion  of  Cana'la.  I  throw 
myself  upon  thehouse;  I  throw  myself  upon  the  coun- 
try;  I  throw  myself  upon  posterity  ;  and  I  believe 
that,  notwithstanding  the  many  failings  in  my  life,  I 
shall  hâve  the  voice  of  this  country,  and  this  house, 
rallying  around  me.  (Cheers).  And,  sir,  if  I  am  mis- 
taken  in  that,  I  can  confidently  appeal  to  a  higher 
court — to  the  court  of  my  own  conscience,  and  to  the 
court  of  posterity.  (Cheers).  I  leave  it  with  this  house 
with  every  confidence.  I  am  equal  to  either  fortune.  I 
can  see  past  the  décision  of  this  house,  eithor  for  or 
against  me  ;  but  whether  it  be  for  or  agaiust  me,  I  kuow 
— and  it  is  no  vain  boast  for  me  to  say  so,  for  even  my 
enemies  will  admit  that  I  am  no  boaster — that  there 
does  not  exist  in  Cariada  a  man  luho  has  given  more 
of  his  time,  more  of  his  heart,  more  of  his  weàlth,  or 
more  of  his  intellect  and  power,  such  as  they  raay  he, 
for  the  good  of  this  Dominion  of  Canada,  (Long  and 
continued  cheering)." 

Aujourd'hui,  sur  la  tombe  de  sir  John,  ce  témoignage 


102  MÉLANGES 

qu'il  pouvait  se  rendre  à  lui-même  avec  une  éloquence 
si  pathétique,  ce  témoignage  lui  est  rendu  par  la  nation 
tout  entière.  Un  journal  libéral  saluait  en  lui,  l'autre 
jour,  "  le  père  de  la  patrie,"  et  ce  magnifique  éloge 
dépasse  toutes  les  louanges  que  notre  plume  amie  pour- 
rait décerner  à  sa  mémoire. 

Sir  John  Macdonald  a  été  le  pilote  de  la  confédération 
canadienne  à  travers  bien  des  écueils  et  des  tempêtes  ; 
il  a  été  un  pilote  habile,  il  a  été  un  pilote  heureux. 
Avant  de  mourir  il  a  légué  à  ses  amis  une  suprême 
victoire,  et  maintenant  il  disparaît  en  plein  succès,  à  la 
tête  de  la  nation,  chargé  d'honneurs  et  d'années,  pleuré 
par  ceux  dont  il  était  le  chef  et  le  père,  regretté  par  ses 
-adversaires  eux-mêmes,  qui  ne  pouvaient  se  soustraire 
au  charme  de  ce  merveilleux  séducteur.  Quelle  plus 
belle  et  plus  glorieuse  fin  de  carrière  le  grand  homme 
d'Etat  aurait-il  pu  souhaiter  ? 

Et  maintenant  tout  est  fini.  Une  fois  de  plus  la 
vanité  et  le  néant  des  grandeurs  humaines  se  sont  mani- 
festés. L'arbitre  des  destinées  d'un  peuple  est  allé  ren- 
dre ses  comptes  au  Maître  de  la  vie,  et,  à  ce  moment, 
toute  sa  gloire,  toutes  ses  dignités,  ne  lui  ont  pas  été 
plus  secourables  que  s'il  eût  été  le  plus  humble  des 
mendiants.  Les  décrets  de  la  Providence  sont  impéné- 
trables et,  devant  cette  tombe  entr'ou verte  où  quelqu'un 
de  si  grand  aux  yeux  des  hommes  va  descendre,  il  n'y 
a  qu'à  s'incliner  et  à  prier. 

Sir  John  Macdonald  est  mort.  Ce  nom  prestigieux 
va  cesser  de  retentir  chaque  jour  à  nos  oreilles.  Mais  il 
va  s'inscrire  en  lettres  ineffaçables  aux  tablettes  de 
l'histoire.  Et  la  mémoire  du  grand  ministre  vivra  aussi 
longtemps  que  le  Canada  auquel  il  a  consacré  sa  vie. 


MÉLANGES  103 

MONSEIGNEUR    TACHÉ 


22  juin  1894. 

La  nouvelle  de  la  mort  de  Mgr  Taché  va  plonger 
dans  le  deuil  tout  le  Canada  catholique. 

C'est  un  grand  évêque  et  un  grand  citoyen  que  la 
mort  vient  de  terrasser,  et  l'illustre  défunt  brillera  au 
premier  rang  dans  le  Panthéon  de  nos  gloires  natio- 
nales. 

Il  était  né  le  23  juillet  1823  à  la  Eivière-du-Loup, 
et  avait  par  conséquent  près  de  soixante-onze  ans.  Il 
comptait  parmi  ses  ancêtres  Louis  Jolliet,  l'illustre 
découvreur  du  Mississipi,  et  Pierre  de  la  Verendrye,  le 
célèbre  explorateur  de  la  Rivière-Rouge,  de  l'Assini- 
boine  et  des  Territoires  du  Nord-Ouest. 

A  dix  ans  le  jeune  Alexandre  Taché  entra  au  sémi- 
naire de  Saint-Hyacinthe  où  il  fit  toutes  ses  études.  En 
1841,  il  commença  sa  théologie  au  grand  séminaire  de 
Montréal.  Trois  ans  plus  tard  il  demanda  et  obtint  son 
admission  dans  l'ordre  des  Oblats.  Il  n'était  pas  encore 
prêtre  lorsqu'il  partit  pour  les  missions  du  Nord-Ouest, 
en  1845.  Mgr  Provencher,  le  saint  évêque  missionnaire, 
distingua  bientôt  les  éminentes  qualités  du  jeune  reli- 
gieux, à  qui  il  accorda  toute  sa  confiance  et  qu'il  choisit 
bientôt  pour  son  coadjuteur.  Se  conformant  à  son  désir, 
Mgr  Taché  partit  pour  Rome,  où  il  reçut  ses  bulles.  Il 
fut  consacré  à  Viviers  en  France  ;  de  retour  au  Canada 
il  alla  demeurer  à  l'Ile  à  la  Crosse  dans  le  Nord-Ouest, 
d'où  il  fit  rayonner  soifzèle  sur  tous  les  territoires.  En 
1853  la  mort  de  Mgr  Provencher  le  fit  monter  sur  le 


1 04  MÉLANGES 

siège  épiscopal  de  Saint-Boniface,  qu'il  occupa  pendant 
quarante-un  ans. 

Mgr  Taché  a  joud  un  rôle  des  plus  importants  dans 
le  Manitoba  et  le  Nord-Ouest,  Il  était  là-bas  le  chef 
aime',  respecté  et  reconnu  de  notre  race.  Jouissant  d'une 
immense  influence  sur  ces  populations,  c'est  à  lui  qu'on 
a  eu  recours  chaque  fois  qu'il  s'est  élevé  des  difficultés 
de  toute  nature,  dans  l'Ouest,  et  toujours  sa  voix  a 
été  écoutée  des  fidèles.  C'est  lui  qui  a  ramené  la  paix 
après  les  troubles  de  1870.  Sir  John  Macdonald  le  fit 
mander  expressément  de  Eome. 

Chef  et  père  des  catholiques  et  des  Canadiens-fran- 
çais de  l'Ouest,  il  n'a  cessé  de  combattre  pour  leurs 
droits  et  de  soutenir  de  sa  parole,  de  sa  plume  et  de  son 
influence  leurs  légitimes  revendications.  On  peut  dire 
qu'il  est  mort  sur  la  brèche.  Les  derniers  eftbrts  de  son 
énergie  ont  été  pour  affirmer  une  dernière  fois  l'injus- 
tice dont  les  canadiens  catholiques  sont  les  victimes  au 
Manitoba  et  dans  le  Nord-Ouest. 

Sa  mémoire  restera  éternellement  chère  à  tous  les 
cœurs  canadiens-français  et  catholiques. 


MONSIEUR  GLADSTONE 

20  mai  1898. 

M.  Gladstone  est  décédé  hier,  et  sa  mort  est  l'événe- 
ment du  jour  pour  tout  l'immense  empire  britannique. 

Dans  sa  personne  l'Angleterre  voit  disparaître  l'un 
de  ses  plus  grands  parleuivutairie,  l'une  de  ses  plus  puis- 
santes intelligences,  son  plus  grand  orateur,  et  le  plus 
fameux  de  ses  hommes  d'Etat. 


MÉLANGES  105 

M.  Gladstone  a  exercé  une  influence  prépondérante 
sur  la  politique  de  son  pays  durant  un  demi-siècle. 
Esprit  brillant,  ardent  et  impétueux,  caractère  énergique 
et  fortement  trempé,  il  était  fait  pour  dominer  par  la 
force  intellectuelle,  par  la  parole  et  par  l'action,  et  il  a 
dominé  le  Parlement  et  l'opinion  britanniques,  surtout 
dans  les  dernières  années  de  sa  carrière  active,  à  un 
degré  inouï  depuis  les  jours  du  second  Pitt, 

Sa  vie  publique  a  été  marquée  de  bien  des  variations. 
Il  y  avait  dans  son  génie  quelque  chose  de  versatile  et 
de  mouvant  qui  diminuera  sa  gloire  aux  yeux  de  la 
postérité.  Un  écrivain  français,  madame  Dronsart,  a 
admirablement  fait  ressortir  ce  côté  de  sa  carrière,  dans 
un  des  livres  les  plus  intéressants  qui  aient  été  écrits 
sur  le  grand  homme  d'Etat  pendant  ces  dernières  années. 

Chose  remarquable,  c'est  à  l'heure  de  sa  vieillesse,  au 
moment  où  il  devenait  septuagénaire,  que  M.  Gladstone 
a  surtout  grandi  aux  yeux  de  ses  concitoyens  et  que 
sa  stature  politique  a  pris  les  proportions  colossales 
qu'on  lui  a  vues  durant  les  dix-huit  dernières  années. 
Comme  plusieurs  autres  contemporains  illustres,  un  de 
ses  plus  heureux  privilèges  c'est  d'avoir  survécu.  Il 
avait  survécu  à  Beaconsfield,  son  glorieux  rival;  il 
avait  survécu  à  lord  John  Eussell,  à  lord  Derby,  à  la 
plupart  des  hommes  éminents  qui  avaient  été  ses  alliés 
ou  ses  adversaires,  et  sa  vieillesse  prodigieusement 
robuste,  couronnée  de  labeur,  d'éloquence,  de  succès,  en 
jetait  un  plus  extraordinaire  et  un  plus  unique  éclat. 
Il  était  devenu  pour  tout  un  peuple  le  "  grand  old  man," 
et  cette  appellation  populaire  entourait  son  front  d'une 
auguste  et  rayonnante  auréole. 

L'histoire  signalera  sans  doute  des  erreurs  dans  l'écla- 


106  MÉLANGES 

tante  carrière  politique  de  M.  Gladstone.  Mais  elle  dira 
aussi  que  sa  vie  privée  fut  sans  tache,  l'une  des  plus 
belles  et  des  plus  nobles  de  notre  temps. 

Il  n'était  pas  catholique,  mais  sa  bonne  foi  était 
reconnue  par  bien  des  catholiques  distingués.  Chrétien 
convaincu,  il  pratiquait  sa  religion  avec  ferveur  et  don- 
nait autour  de  lui  le  bon  exemple. 

M.  Gladstone  s'était  signalé,  après  1870,  par  une  cam- 
pagne ardente  contre  les  décrets  du  concile  du  Vatican. 
Son  excuse  était  sans  doute  l'atmosphère  de  préjugés 
dans  laquelle  il  avait  grandi  et  vécu. 

La  mort  de  M.  Gladstone,  tout  en  produisant  une 
vive  impression  en  Angleterre,  ne  changera  rien  sur  la 
scène  politique.  L'illustre  défunt  en  était  sorti  depuis 
plusieurs  aunées  et  son  souvenir  seul  y  demeurait, 
comme  il  y  demeurera  durant  de  longues  années. 


LA  REINE  VICTORIA 

23  janvier  1901. 

Sa  Majesté  Victoria  1ère,  reine  du  royaume-uni 
de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande,  impératrice  des 
Indes,  est  morte  hier  soir  au  château  d'Osborne,  sur 
l'île  de  Wight. 

Cette  triste  nouvelle  a  plongé  dans  le  deuil  les  sujets 
britanniques,  d'un  bout  du  monde  à  l'autre. 

La  reine  Victoria  n'a  pas  longtemps  survécu  à  ce 
dix-neuvième  siècle  dont  elle  a  été  l'une  des  plus  nobles 


MÉLANGES  107 

et  des  plus  belles  figures.  Elle  occupait  le  trône  d'An- 
gleterre depuis  soixante-trois  ans  et  sept  mois.  C'est  le 
plus  long  règne  de  l'histoire  anglaise.  C'en  est  aussi  l'un 
des  plus  glorieux.  "  The  victorian  era,"  suivant  l'ex- 
pression des  historiens,  restera  dans  les  annales  du 
peuple  britannique  comme  une  époque  lumineuse  où  le 
progrès  sous  toutes  ses  formes  a  fait  des  pas  de  géant. 
Ce  règne,  durant  lequel  une  reine,  montée  sur  le  trône 
à  dix-huit  ans,  y  a  fait  briller  les  plus  belles  vertus 
d'épouse  et  de  mère  ;  sous  lequel  la  Couronne  a  été  la 
gardienne  fidèle  et  la  plus  sûre  garantie  des  libertés 
publiques  ;  au  cours  duquel  ont  brillé,  à  la  tribune  et 
au  Parlement,  Sir  Robert  Peel,  Brougham,  Lord  John 
Eussell,  O'Connell,  Palmerston,  Derby,  Bright,  Cobden, 
Beaconsfield  et  Gladstone,  dans  les  lettres,  Macaulay, 
Carlyle,  Dickens,  Thackeray,  Eliot,  Bulwer,  Swinburne, 
Tennyson,  dans  les  sciences  Earaday,Her3chell,  etc.,  etc., 
un  tel  règne  laisse  derrière  lui  une  trace  ineffaçable  et 
une  mémoire  immortelle. 

Dans  notre  pays,  cette  ère  victorienne,  commencée  au 
milieu  des  larmes  et  du  sang  répandus  durant  les  som- 
bres jours  de  1837  et  1838,  est  devenue  une  ère  de 
paix  et  de  développement  national.  Sous  le  sceptre  de 
la  reine  Victoria,  le  Canada  a  grandi  et  prospéré.  En 
1837  il  ne  se  composait  encore  que  de  deux  provinces, 
séparées,  et  bouleversées  par  la  guerre  civile,  le  Haut- 
Canada  et  le  Bas-Canada.  Maintenant  il  a  pris  les  pro- 
portions d'une  vaste  confédération,  comprenant  sept 
provinces  et  d'immenses  territoires,  et  il  est  considéré 
comme  l'un  des  plus  beaux  joyaux  de  la  couronne 
royale  et  impériale  qui  brillait,  hier  encore,  au  front  de 
notre  souveraine.     Pour  nous  Canadiens,  de  même  que 


108  MÉLANGES 

pour  les  autres  citoyens  de  l'empire  britanuique,  dans 
l'ensemble  des  faits  et  des  progrès  réalisés,  le  règne  de 
la  reine  Victoria  a  donc  été  bienfaisant  et  glorieux. 

Et  pourtant  ce  règne  mémorable  sous  tant  d'aspects 
est  déjà  une  chose  du  passé.  Un  long  et  brillant  chapi- 
tre de  l'histoire  d'Angleterre  a  vu  tourner  son  dernier 
feuillet  sous  le  doigt  glacé  de  la  mort.  Encore  une 
époque  terminée  !  époque  de  progrès  merveilleux,  de 
vie  intense,  d'hommes  éminents  dans  toutes  les  sphères 
de  l'activité  humaine  !  Les  historiens  futurs  de  la  gran- 
deur anglaise  parleront  du  siècle  de  la  reine  Victori;i, 
comme  leurs  prédécesseurs  ont  parlé  du  siècle  de  la 
reine  Anne. 

Quant  à  nous,  le  plus  bel  éloge  que  nous  puissions 
faire  de  notre  reine  défunte,  c'est  de  nous  incliner  sur 
sa  tombe  en  répétant  dans  toute  la  sincérité  de  notre 
âme  :  elle  a  été  bonne.  Bossuet,  qu'il  est  si  convenable 
de  citer  devant  le  cercueil  entr'ouvert  d'une  souveraine, 
Bossuet  a  dit  dans  son  immortelle  oraison  funèbre  de 
Condé  :  "  Loin  de  nous  les  héros  sans  humanité  !  ils 
"  pourront  bien  forcer  les  respects,  et  ravir  l'admiration, 
"  comme  font  tous  les  objets  extraordinaires  ;  mais  ils 
"  n'auront  pas  les  cœurs.  Lorsque  Dieu  forma  le  cœur 
"  et  les  entrailles  de  l'homme,  il  y  mit  premièrement  la 
"  bonté,  comme  le  propre  caractère  de  la  nature  divine, 
"  et  pour  être  comme  la  marque  de  cette  main  bienfai- 
"  santé  dont  nous  sortons...  La  grandeur  qui  vient  par- 
"  dessus,  loin  d'affaiblir  la  bonté,  n'est  faite  que  pour 
"  l'aider  à  se  communiquer  davantage,  comme  une  fon- 
"  taine  publique  qu'on  élève  pour  la  répandre.  Les 
"  cœurs  sont  à  ce  prix."  La  reine  Victoria  l'a  eue,  dans 
toute  sa  plénitude,  cette  vertu  royale  et  humaine  ;  elle. 


MÉLANGES  1 09 

a  été  bonne,  et  elle  a  possédé  les  cœurs.  Quelle  plus 
belle  et  plus  touchante  inscription  pourrait-on  graver 
sur  sa  tombe  impériale  ? 

L'histoire  commence  pour  celle  qui  a  été  la  reine 
Victoria.  Mais  nous  ne  croyons  pas  que  la  royale 
défunte  ait  beaucoup  à  redouter  ses  rigueurs.  Sans 
doute,  cette  justicière  inexorable  fera  son  partage  habi- 
tuel dans  les  événements  et  les  hommes  de  ce  grand 
règne.  Elle  indiquera  les  ombres,  à  côté  des  splendeurs. 
Elle  remaniera  peut-être  les  rangs  et  les  renommées. 
Elle  revisera  plus  d'une  réputation.  Elle  obscurcira  cer- 
taines figures  et  en  remettra  d'autres  dans  une  lumière 
plus  vive.  Elle  cassera  quelques-uns  des  jugements 
rendus  par  nos  passions  contemporaines.  Mais  pour  la 
reine  Victoria,  nous  croyons  fermement  que  le  jugement 
du  siècle  sera  ratifié  par  l'histoire,  parce  qu'elle  a  mis 
sa  gloire  dans  le  sûr  asile  de  la  vertu. 

Bien  des  milliers  de  fois,  au  cours  de  ce  règne  pres- 
tigieux, des  milliers  de  poitrines  ont  poussé  ce  cri  de 
loyauté  et  d'affection  :  God  save  the  Queen.  Et  cette 
parole  était  une  acclamation. 

Le  temps  des  acclamations  est  passé.  Elle  est  morte 
aujourd'hui,  cette  Reine  illustre  et  justement  aimée. 
Mais  notre  loyauté  la  suit  au-delà  de  la  tombe,  et  une 
dernière  fois,  nous  voulons  redire,  du  fond  de  l'âme, 
avec  l'accent  de  la  prière  et  de  l'ardente  supplication  : 
God  save  the  Queen. 


Critique  et  bibliographie. 


FREDERIC  OZANAM,  SA  VIE  ET  SES 
ŒUVRES! 

25  novembre  18&7. 

Nous  sommes  vraiment  confus  de  n'avoir  pas  encore 
entretenu  nos  lecteurs  de  cette  œuvre  nouvelle. 

L'écrivain  condamné  à  remplir  incessamment  ce  ton- 
neau des  Danaïdes,  un  journal  quotidien,  est  bien  sou- 
vent privé  des  loisirs  heureux  qui  permettent  les  travaux 
littéraires,  les  études  d'histoire  et  de  critique,  si  pleins 
de  charmes  et  d'attrait.  Il  faut  pardonner  beaucoup  au 
journaliste,  parce  qu'il  est  beaucoup  privé. 

Le  livre  que  nous  avons  sous  les  yeux,  fort  et  beau 
volume  de  six  cents  pages,  est  l'un  de  ceux  pour  les- 
quels nous  éprouvons  une  prédilection  spéciale.  Ces 
études  biographiques,  où  l'homme  est  étudié  dans  ses 
œuvres,  où  la  vie  du  héros  a  pour  commentaire  les 
pages  qu'a  tracées  sa  plume,  où  le  récit  se  fond  avec  la 
citation,  ont  pour  nous  un  charme  très  vif.  C'est  là 
le  grand  attrait,  par  exemple,  de  cette  galerie  mennai- 
sienne,  Lamennais,  Lacordaire,  Montalemhert,  Ger- 
het  et  Salinis,  qui,  sans  être  des  œuvres  d'une  origina- 


1  —  Frédéric  Ozanam,  sa  vie  et  ses  œuvres,  par  M.  Pierre 
Chauveau,  fils  ;  Montréal,  Beauchemin  &  Fils,  1887. 


112  MÉLANGES 

lité  saisissante,  ont  donné  tant  de  vogue  à  leur  auteur, 
Mgr  Eicard. 

Belle  et  pure  figure  que  celle  d'Ozanam  !  Nous  devons 
savoir  gré  à  M,  Pierre  Chauveau  de  l'avoir  exposée  à 
l'admiration  de  la  jeunesse  canadienne. 

Quel  noble  modèle  !  Quelle  éloquente  carrière  !  Apô- 
tre de  la  science,  des  lettres  et  de  la  religion,  Ozanam 
offre  en  sa  personne  un  éclatant  exemple  de  la  dignité, 
de  l'élévation,  de  la  grandeur  morale  que  donnent  à 
une  vie  l'amour  de  la  vérité,  la  recherche  du  beau,  et 
la  foi  chrétienne  manifestée  par  des  œuvras. 

Sans  doute,  la  vie  d'Ozanam  n'est  pas,  aux  yeux  de 
tous,  sans  quelques  ombres.  Ou  peut  croire  qu'il  a  été 
trop  optimiste  à  l'égard  de  notre  âge  et  des  hommes  du 
siècle.  11  a  passé  à  l'Ere  Nouvelle  en  1818.  Il  a  eu 
peut-être  ce  qu'on  pourrait  appeler  l'illusion  de  la  cha- 
rité, qui  na  doit  pas  être  confondue  avec  cette  vertu 
théologale. 

Mais,  encore  une  fois,  ce  ne  sont  là  que  des  ombres. 
Et  cela  n'enlève  nullement  à  Ozanam  son  auréole  de 
fondateur  de  la  société  de  Saint- Vincent-de-Paul,  de 
professeur  savant  et  érudit,  d'écrivain  éloquent  et  char- 
mant. 

M.  Chauveau  a  fort  heureusement  retracé  cette  phy- 
sionomie douce  et  sympathique.  Et,  ce  dont  il  mérite 
d'être  félicité,  il  a  donné  un  résumé  très  nourri,  une 
analyse  très  complète  de  l'œuvre  relativement  considé- 
rable d'Ozanam. 

Ceux  qui  n'ont  pas  le  loisir  de  savourer  lentement 
ces  livres  de  forte  substance,  où  la  hauteur  de  la  pensée 
Je  dispute  à  la  beauté  du  style  :  Dante  et  la  i^hiloso- 
phie  catholique,  Les  Poètes  franciscains,   les  Etudes 


MÉLANGES  113 

germaniques,  la  Civilisation  au  cinquième  siècle, 
ceux-là  n'ont  qu'à  lire  consciencieusement  Frédéric 
Ozanam,  sa  vie  et  ses  œuvres.  Ils  en  sortiront  avec 
une  idée  parfaite  de  l'écrivain.  Ils  auront  cueilli  la 
fleur  de  cet  esprit  délicat. 

C'est  l'honorable  M.  Chauveau  qui,  naturellement,  a 
présenté  ce  livre  au  public  canadien  dans  une  élégante 
et  attrayante  préface. 

Ce  morceau  est  digne  du  biographe  de  Garneau,  Il 
nous  offre  une  brillante  esquisse  de  l'époque  où  vécut 
Ozanam,  ce  milieu  du  siècle  si  tourmenté  par  le  doute 
religieux,  la  confusion  philosophique,  le  trouble  social. 
Au  cours  de  ces  belles  pages,  écrites  en  un  style  pur  où 
se  révèle  la  pleine  et  féconde  maturité  du  talent,  nous 
sera-t-il  permis  de  placer  un  point  d'interrogation  ? 
M.  Chauveau  parle  de  la  loi  d'enseignement  de  1850, 
et  des  divisions  malheureuses  dont  elle  fut  la  source, 
puis  il  ajoute  : 

"  La  question  de  l'enseignement  des  classiques  vint 
bientôt  envenimer  les  différences  résultant  d'une  simple 
question  d'opportunité  entre  ceux  qui  voulaient  tout 
ou  rien,  et  ceux  qui  acceptaient  quelque  chose  afin 
d'avoir  plus  tard  tout  ce  qu'ils  désiraient." 

Les  mots  par  nous  soulignés  nous  semblent  trahir 
une  préférence  nuancée  de  partialité.  Tout  ou  rien, 
est-ce  bien  là  résumer  avec  justesse  l'opinion  défendue 
principalement  par  Louis  Veuillot,  en  1850,  mais  sou- 
tenue aussi  par  Mgr  Parisis,  approuvée  par  Donoso 
Cortès,  et  partagée  par  un  grand  nombre  de  catholiques 
éminents?  L'Univers  ne  disait  pas:  tout  ou  rien;  il 
soutenait  qu'on  pouvait  obtenir  plus  en  sacrifiant  moins. 

Cette  nuance  indiquée,  hâtons-nous  de  dire  que  la 
8 


114  MÉLANGES 

préface  de  M.  Chauveau  est  une  des  productions  qui 
font  le  plus  d'honneur  à  sa  plume.  Il  y  a  vraiment  un 
plaisir  exquis  à  lire  cette  prose  claire,  correcte,  harmo- 
nieuse, cette  prose  française  maniée  avec  tant  d'aisance 
par  un  écrivain  canadien. 

Nous  voudrions  pouvoir  citer  longuement.  Choisis- 
sons ce  portrait  d'Ozanam  : 

"  Comme  maître,  il  a  tout  pour  lui  :  la  force  dans  la 
conviction  et  la  douceur  dans  la  méthode,  la  profondeur 
de  la  science  et  l'élégance  du  style,  les  recherches  labo- 
rieuses et  la  facilité  de  la  mise  en  œuvre,  enfin,  avec  la 
gravité  dans  la  pensée,  l'agrément  et  quelquefois  même 
l'enjouement  dans  l'expression  ;  et  sur  le  tout  quelque 
chose  de  jeune,  de  suave  et  de  mélancolique,  qui  ne 
cesse  d'attirer,  de  séduire  et  de  retenir.  Ceux  qui  le 
lisent,  comme  ceux  qui  l'écoutaient,  tombent  vite  sous  le 
charme  et  y  demeurent." 

Ce  crayon  n'est-il  pas  très  réussi  ? 

Mais  nous  croyons  en  avoir  assez  dit  pour  convaincre 
nos  lecteurs  que  le  livre  de  M.  Pierre  Chauveau,  orné 
de  la  remarquable  préface  qui  lui  sert  de  portique,  a  sa 
place  marquée  d'avance  dans  toute  bibliothèque  cana- 
dienne sérieuse. 


LA  VIE  DE  M.  LE  CURE  PAINCHAUD 

PAR   M.   N.-E.  DIONNE 

7  juillet  1894. 

Nous  venons,  après  beaucoup  d'autres,  offrir  à  notre 
collaborateur,  M.  le  Dr  Dionne,  nos  cordiales  félicita- 


MÉLANGES  115 

tions  à  l'occasion  de  son  beau  livre  :  Vie  de  M.  C.-F. 
Painchaud. 

L'auteur  étant  presque  de  la  maison,  il  convenait 
peut-être  que  nous  laissions  parler  les  étrangers  avant 
de  donner  nous-même  notre  appréciation.  Mais  il  ne 
convient  plus,  lorsque  tout  le  monde  a  applaudi,  que 
nous  demeurions  silencieux,  et  que  nous  ne  rendions 
pas  hommage  à  la  valeur  d'un  livre  comme  celui-là. 

Pour  dire  notre  pensée  en  deux  mots,  c'est  une  œuvre 
absolument  réussie.  Tel  est  le  verdict  de  tous  ceux  qui 
l'ont  lue,  qui  l'ont  dévorée,  devriiis-je  dire. 

M.  Dionne  avait  une  grande  figure  à  retracer,  une 
grande  mémoire  à  mettre  dans  une  lumière  complète  : 
la  figure  est  là,  vivante  et  parlante  dans  son  cadre  his- 
torique, et  la  mémoire  est  désormais  rayonnante  d'une 
gloire  qui  ne  subira  plus  d'obscurcissements. 

M.  le  curé  Painchaud,  missionnaire,  apôtre,  patriote, 
fondateur,  revit  tout  entier  dans  ces  pages  attachantes. 
L'auteur  lui  a  conféré  cette  résurrection  merveilleuse 
qui  est  le  don  des  vrais  historiens.  Après  avoir  lu  cette 
biographie  captivante,  on  connaît  M.  Painchaud,  avec 
sa  forte  volonté,  avec  son  cœur  ardent  et  sensible.  On 
le  connaît,  on  l'admire,  on  l'aime,  et  le  but  du  livre  est 
atteint  :  le  fondateur  du  collège  de  Sainte- Anne  entre 
dans  l'histoire  écrite,  avec  cette  auréole  de  sympathie, 
de  respect  et  d'admiration  dont  les  fils  de  son  œuvre 
aimaient  à  entourer  son  front.  Jusqu'ici,  la  gloire  de 
M.  Painchaud  était  surtout  une  gloire  de  famille  ;  grâce 
à  M.  Dionne  elle  devient  une  gloire  nationale. 

Nous  en  remercions  du  fond  du  cœur  le  distingué 
biographe.  Et  nous  sommes  sûr  d'être,  en  cela,  l'inter- 
prète de  tous  les  membres  de  cette   grande  famille  à 


116  '  MÉLANGES 

laquelle  nous  sommes  fier  d'appai tenir  :  la  famille  des 
élèves  de  Sainte-Anne,  M.  Dionne,  qui  est  l'un  des 
nôtres,  a  fait  une  œuvre  filiale,  en  même  temps  qu'une 
œuvre  littéraire. 

Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  l'intérêt  de  ce  livre  de 
435  pages  soit  restreint  aux  souvenirs  et  aux  affec- 
tions d'un  groupe,  d'une  maison.  Non,  l'auteur  s'était 
tracé  un  plus  vaste  programme.  C'est  toute  une  époque, 
l'époque  où  M.  Painchaud  a  vécu,  qui  est  évoquée  dans  ce 
volume.  On  y  voit  apparaître  Mgr  Plessis,  M,  Jérôme 
Demers,  M.  Eaimbault,  Mgr  Panet,  Mgr  Signay,  M. 
Chartier,  etc.  ;  le  mouvement  des  esprits  dans  la  première 
partie  du  siècle,  les  difficultés  et  les  controverses  dii 
temps,  les  événements  religieux  et  politiques,  et  une 
foule  de  détails  qui  jettent  du  jour  sur  cette  période  y 
sont  racontés  avec  un  charme  très  vif.  C'est  là  de  l'his- 
toire eu  même  temps  que  de  la  biographie. 

Bref,  M.  Dionne  a  fait  un  beau  livre,  son  meilleur 
livre,  dirons-nous,  et  ce  n'est  pas  un  éloge  banal  que 
celui-là,  décerné  à  l'auteur  de  Jacques  Cartier,  de 
Samuel  Champlain,  de  la  Kouvelle- France,  et  d'un 
grand  nombre  de  monographies  où  l'érudition  la  plus 
sûre  est  mise  en  œuvre  par  l'historien  avec  un  talent 
consommé. 

M.  Dionne  a  écrit  dans  la  belle  préface  qu'il  a  mise 
en  tête  de  son  livre": 

"  On  raconte  qu'Alexandre  le  Grand  avait  ordonné  à 
l'un  de  ces  peuples  qu'il  subjuguait  partout  sur  son  pas- 
sage triomphal,  de  lui  ériger  une  statue  pendant  qu'il 
irait  soumettre  l'Egypte.  Or  la  loi  mosaïque  défendait 
l'érection  de  statues  ou  toute  représentation  par  la  sculp- 
ture. Que  firent  ces  nouveaux  esclaves  ?  Au  retour  du 


IVIÉLANGES  117 

fier  conquérant  ils  lui  présentèrent  tous  les  enfants  nés 
durant  son  absence  et  auxquels  ils  avaient  donné  le  nom 
d'Alexandre. 

"  Prince,  lui  dirent-ils,  voilà  des  statues  vivantes  ; 
"  elles  diront  votre  grandeur  et  votre  puissance  plus  que 
"  le  marbre  le  plus  fin." 

"  M.  Painchaud  n'a  pas  de  statue  ;  il  n'en  a  pas  besoin 
pour  perpétuer  sa  mémoire  à  travers  les  âges  futurs. 
Les  statues  vivantes  érigées  à  sa  gloire,  c'est  tout  ce  qui 
porte  son  nom  et  son  empreinte.  Son  beau  collège, 
coquettement  assis  sur  le  flanc  de  la  montagne  ;  les 
trois  cents  prêtres  qui  y  ont  été  formés  ;  les  mission- 
naires qu'il  a  fournis  à  l'Eglise  ;  les  religieux  des  divers 
ordres  qui  volent  à  la  conquête  des  âmes  ;  les  centaines 
de  laïcs  à  l'esprit  chrétien,  dont  la  société  s'honore  ; 
enfin  cette  jeunesse  studieuse  et  débordante  de  foi  que 
l'on  retrouve  à  l'heure  présente  dans  les  murs  bénis  de 
ce  collège,  où  tout  respire  le  bonheur  et  la  paix." 

M.  Painchaud,  disons-nous  à  notre  tour,  n'a  pas  de 
statue,  mais  le  livre  de  M.  Dionne  est  un  monument 
élevé  à  sa  mémoire  et  un  monument  plus  durable 
qu'une  statue  de  bronze  ou  de  marbre. 

Et  si  l'auteur  n'était  pas  si  modeste,  il  pourrait  se 
dire,  en  songeant  à  la  fois  à  son  héros  et  à  lui-même  : 
Exegi  monumentum... 


lis  MÉLANGES 

LE  FORT  ET  LE  CHATEAU  SAINT-LOUIS 

PAR   M.  ERNEST   GAGNON 

24  août  1895. 

Voici  l'une  des  plus  remarquables  monographies  que 
notre  littérature  canadienne  ait  produites.  Remarquable 
par  le  sujet,  remarquable  par  l'exécution. 

Le  sujet  c'est  la  résidence  et  la  forteresse  historique 
qui  a  été  le  témoin  de  nos  luttes,  de  nos  épreuves  et  de 
nos  gloires,  qui  a  vu  défiler  dans  son  enceinte  la  plupart 
de  nos  illustrations  nationales,  fondateurs,  gouverneurs, 
généraux,  intendants,  prélats,  et  dont  l'histoire  est  un 
résumé  de  l'histoire  même  de  la  patrie  canadienne. 

Champlain,  Moutmagny,  Tracy,  Frontenac,  Callières, 
Vaudreuil,  la  Galissonnière,  Montcalm,  Murray,  Dor- 
chester,  Craig,  Richmond  s'y  sont  succédés  tour  à  tour. 
La  guerre  y  a  fait  entendre  ses  puissantes  rumeurs,  la 
paix  y  a  tenu  ses  assises.  Et  sa  destruction  par  le  feu, 
eu  1834,  a  créé  dans  toute  la  province  une  impression 
de  tristesse.  C'était  un  des  plus  illustres  monuments 
de  notre  passé  qui  disparaissait. 

Ce  monument,  M.  Gagnon  l'a  fait  renaître  de  ses 
cendres  et  l'a  pour  ainsi  dire  réédifié.  Il  l'a  fait  appa- 
raître à  nos  regards  dans  ses  transformations  succes- 
sives. Il  nous  en  a  fait  admirer  les  proportions  impo- 
santes, il  nous  a  raconté  son  histoire  éclatante  et  anec- 
dotique,  il  l'a  repeuplé  de  ses  hôtes  fameux,  nobles 
dames  et  puissants  seigneurs,  guerriers  et  diplomates, 
jl  lui  a  rendu  la  vie  en  reconstituant  ses  annales  et  ses 
souvenirs. 


MÉLANGES  119 

Eemarquable  par  son  sujet,  cette  monographie  ne 
l'est  pas  moins  par  son  exécution.  Ecrit  dans  un  style 
facile  et  châtié,  ce  livre  met  le  sceau  à  la  réputation  de 
son  auteur.  M.  Gagnon,  dont  la  modestie  aime  beau- 
coup trop  à  se  dérober,  est  un  de  nos  meilleurs  écri- 
vains. Lettré,  érudit,  poète  à  ses  heures,  il  a  les  dons 
qui  se  complètent  et  se  balancent  :  l'imagination  et  le 
goût,  l'imagination  qui  crée,  et  le  goût  qui  choisit. 
Comme  critique  littéraire  nous  ne  lui  connaissons  pas 
de  supérieur  parmi  nos  hommes  de  lettres.  Et  comme 
érudit  en  matières  historiques,  cette  étude  savante  et 
fouillée  sur  le  château  Saint-Louis  suffirait  à  lui  faire 
un  nom. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  d'analyser  ce  livre  ;  il 
est  de  ceux  qu'un  Canadien  instruit  veut  lire  d'un  bout 
à  l'autre.  Nous  tenons  cependant  à  signaler  certains 
chapitres,  où  l'abondance  et  la  nouveauté  des  renseigne- 
ments se  manifestent  surtout.  Ainsi,  le  quatrième  con- 
tient sur  la  famille  et  la  carrière  de  M.  de  Denonville, 
l'un  de  nos  gouverneurs  français,  des  informations  et 
des  détails  absolument  inédits.  Le  chapitre  intitulé  : 
Les  femmes  an  château  sous  le  régime  français,  est 
aussi  du  plus  vif  intérêt,  et  nous  le  recommandons  spé- 
cialement à  nos  lectrices. 

Si  l'on  nous  demande  maintenant  quelle  est  l'idée- 
mère  du  livre,  nous  répondrons  que  nous  croyons 
l'avoir  trouvée  dans  ses  dernières  lignes,  que  l'on  nous 
permettra  de  citer  : 

"  Au  point  de  vue  intellectuel  et  moral,  ce  qui  n'est 
plus  peut  être  encore  quelque  chose  ;  et  c'est  souvent 
en  étudiant  le  passé  que  l'on  trouve  la  règle  de  l'avenir. 

"  Le  passé,  c'est  l'explication  de  nos  mœurs  familiales 


120  MÉLANGES 

et  publiques,  c'est  le  fondement  de  nos  espérances 
nationales,  c'est  ce  qui  nous  retiendrait  dans  le  sentier 
du  patriotisme  et  du  devoir  si  nous  étions  tentés  de 
mêler  nos  destinées  à  celle  des  peuples  venus  de  tous 
les  coins  du  monde  et  dénués  d'homogénéité  qui  habi- 
tent la  république  voisine. 

"  La  nation  franco- canadienne  est  de  trop  noble  lignée 
pour  consentir  à  oublier  son  histoire,  à  jeter  au  feu  ses 
livres  de  raison,  à  renoncer  au  rôle  distinct  qui  lui  a 
éié  assigné  par  la  Providence  sur  cette  terre  d'Amérique. 
Quelles  que  soient  les  éventualités  qui  nous  attendent, 
gardons  le  plus  longtemps  possible  les  traits  caractéris- 
tiques des  familles  canadiennes  du  dix-septième  et  du 
dix-huitième  siècles  ;  restons  fidèles  à  notre  génie  par- 
ticulier, n'acceptons  que  le  progrès  de  bon  aloi  et  mon- 
trons-nous jaloux  de  donner  à  tous  l'exemple  de  la 
loyauté,  du  respect,  de  la  franchise  et  de  l'honneur." 

Remettre  en  lumière  quelques-unes  des  plus  belles 
pages,  des  plus  nobles  souvenirs,  des  plus  sympathiques 
figures  de  notre  passé,  tel  a  été  le  but  de  M.  Gagnon 
dans  cette  monographie  que  le  patriotisme  a  inspirée. 

Nous  félicitons  cordialement  l'auteur,  et  nous  espé- 
rons qu'il  reprendra  bientôt  la  plume. 


UNE  ŒUVRE  LITTERAIRE 


5  juillet  1899. 

M.  Ludovic  Brunet  vient  de  publier  un  volume  con- 
tenant les  principaux  écrits  de  feu  M.  Edmond  Paré, 


MÉLANGES  121 

avocat,  de  cette  ville,  l'un  des  directeurs  de  V  Union 
Libérale,  journal  fondé  vers  1889,  et  qui  dura  trois  ou 
quatre  ans. 

Ce  volume  intitulé  Lettres  et  opuscules,  édité  avec 
luxe  par  MM.  Dussault  et  Proulx,  est  d'une  lecture 
intéressante.  M.  Edmond  Paré  était  vraiment  un 
lettré  ;  il  avait  du  goût,  de  l'imagination,  de  l'origina- 
lité. Son  talent  n'était  pas  de  grande  envergure  et  ne 
lui  aurait  pas  permis  de  créer  des  œuvres  fortes.  11 
avait  surtout  les  dons  du  chroniqueur  et  du  critique. 
Mais,  dans  ce  genre,  il  était  parfois  étincelant  de  verve 
et  d'humour. 

Nous  étions  aux  antipodes  de  M.  Paré  sur  une  foule 
de  sujets.  Il  y  a  dans  ses  Lettres  et  opuscules  bien 
des  idées,  bien  des  appréciations  que  nous  tenons  pour 
fausses.  Cependant,  même  lorsqu'il  nous  attaquait,  nous 
et  nos  amis,  nous  aimions  à  le  lire,  à  cause  de  ses  qua- 
lités littéraires.  Il  avait  de  l'esprit,  du  trait,  et  s'il  ne 
faisait  pas  très  souvent  penser,  il  faisait  presque  tou- 
jours sourire. 

M.  Paré  était  avant  tout  un  fantaisiste,  et  il  ne  s'en 
cachait  pas.  Son  intelligence  aimait  à  vagabonder  loin 
des  grandes  routes,  à  vaguer  dans  les  sentiers  et  les  che- 
mins de  traverse,  ce  qui  a  bien  son  charme,  pourvu  que 
l'on  sache  toujours  à  temps  retrouver  sa  voie.  C'était 
un  esprit  léger  et  délicat,  ironique  et  teinté  de  scepti- 
cisme, se  moquant  un  peu  de  tout  et  parfois  de  lui- 
même. 

L'œuvre  qu'il  a  laissée,  pieusement  recueillie  par  sou 
ami  M.  Brunet,  donne  une  juste  idée  de  son  talent. 
C'est  une  suite  de  petites  esquisses,  de  lestes  croquis, 
de  courtes  chroniques,  très  libres,  très  capricieuses  dans 


122  MÉLANGES 

leur  allure,  souvent  paradoxales,  et  se  terminant  parfois 
à  la  diable,  par  un  brusque  arrêt,  comme  si  le  souffle 
venait  à  manquer, 

M.  Brunet  nous  donne  quelques  traits  bien  dessinés 
de  cette  physionomie  singulière  :  "  On  trouve  chez  lui, 
écrit-il,  un  sentiment  de  délicatesse,  de  goût  cultivé  jus- 
qu'au raffinement,  un  détachement  complet  de  tout  ce 
qui  intéresse  le  vulgaire,  symptôme  d'un  scepticisme 
qu'il  ne  cachait  pas,  et  trahissant  chez  lui  un  état  d'âme 
tout  particulier  et  peu  commun  parmi  nous." 

A  r  Union  Libérale  M.  Edmond  Paré  signait  :  "  Fan- 
tasio."  Ce  pseudonyme  était  vraiment  emblématique. 
Parcourez  le  volume  des  Lettres  et  ojmscules,  c'est 
la  fantaisie  qui  en  est  la  muse  inspiratrice,  et  qui  trace 
en  courant  sur  chaque  page  ses  changeantes  arabesques. 

Une  des  particularités  de  ce  jeune  écrivain,  si  tôt 
moissonné  par  la  mort,  est  son  éloignement  pour  la 
campagne.  Les  charmes  de  la  vie  rurale  le  laissent  assez 
froid.  C'est  un  citadin  renforcé.  "  Savez- vous,  écrit-il, 
que  j'aime  encore  mieux  la  ville  que  la  campagne  en 
été.  La  campagne  estagréable  pour  un  jour  ou  deux  ; 
plus  longtemps,  elle  est  pour  moi  royalement  ennuyeuse, 
le  soir  surtout.  L'immobilité  des  champs  et  le  silence, 
ce  silence  morne,  étouffant,  presque  funèbre,  que  rend 
sensible  et  comme  palpable  le  bruit  de  la  chute  d'une 
grenouille  dans  le  ruisseau  voisin,  ou  encore  le  mur- 
mure lointain  d'une  rivière  qu'on  ne  voit  pas,  me  rem- 
plissent l'âme  de  tristesse.  Vous  allez  me  répondre  : 
"  Les  champs  offrent  aux  yeux  des  tableaux  ravissants; 
rien  n'est  plus  beau  que  le  soleil  qui  se  lève  au  loin, 
incendiant  la  forêt  des  reflets  de  l'aurore  ;  on  respire  à 
la  campagne  un  air   pur  et  vivifiant.  "    Mais  je  vous 


MÉLANGES  123 

.  ferai  observer  que  le  soleil  ne  se  lève  qu'une  fois  par 
vingt-quatre  heures,  et  qu'on  ne  peut  s'occuper  que  de 
respirer  l'air  pur.  Il  faut  parler,  agir,  communiquer  ses 
idées.  Si  vous  restez  an  village,  c'est  très  bien.  Seule- 
ment ce  village  est  cancanier  en  diable  ;  tous  vos  acteg, 
toutes  vos  paroles  sont  observées  et  commentées  ;  c'est 
assommant.  Si,  pour  éviter  cet  inconvénient,  vous  allez 
demeurer  à  une  lieue  du  village,  vous  n'avez  personne 
avec  qui  vous  pouvez  sympathiser.  Nos  paysans  sont 
souvent  intelligents,  mais  ne  parlent  que  de  ce  qu'ils 
connaissent:  culture  et  engrais.  Cela  vous  ennuie,  vous 
qui  distinguez  difficilement  un  champ  d'avoiue  d'un 
champ  de  blé.  " 

Sans  doute  ceci  est  une  charge,  mais  la  charge  suffit 
à  indiquer  que  l'auteur  n'a  nulle  inclination  pour  les 
bucoliques.  Il  a  cela  de  commun  avec  beaucoup  d'hu- 
moristes qui  restent  insensibles  au  charme  profond,  à 
l'attrait  puissant,  aux  harmonies  graves  et  douces  des 
champs,  des  eaux  et  des  bois. 

Un  autre  trait  de  M.  Paré,  c'est  son  peu  de  goût 
pour  la  musique.  "  Les  concerts  peuvent  avoir  du  bon, 
dit-il,  mais  on  en  abuse.  Moi  d'abord,  j'ai  en  horreur  le 
violon,  le  piano,  l'orgue,  la  flûte,  les  instruments  de  cui- 
vre, les  tambours  grands  et  petits,  la  h^rpe,  etc.,  mais  je 
goûte  assez  les  autres  instruments.  Je  crois  que  ce  sont 
les  anglais  qui  nous  ont  donné  le  goût  de.^  concerts.  Les 
anglais  vont  aux  cor.certs  parce  que  ça  coûte  cher,  parce 
que  c'est  convenable,  et  pour  d'autres  raisons  de  ce 
genre."  Cette  boutade,  on  en  conviendra,  n'accuse  pas 
un  mélomane, 

M,  Paré  est  mort  jeune.  Faible,  maladif,  amoureux 
du  farniente  et  de  la  flânerie  littéraire,  nous  eût-il  donné, 


124  MÉLANGES 

s'il  eût  vécu,  des  œuvres  plus  travaillées  et  plus  sub- 
stantielles ?  On  peut  en  douter.  Quoi  qu'il  en  soit,  ses 
reliquiœ,  que  la  main  amie  de  M.  Ludovic  Brunet 
nous  offre  aujourd'hui,  le  sauveront  de  l'oubli,  et  le 
feront  survivre  auprès  du  petit  nombre  de  ceux  qui, 
parmi  nous,  ont  le  culte  des  lettres  et  le  goût  des  choses 
intellectuelles. 


Questions  de  morale  littéraire. 


LES  RECLAMES  DE  SÉLECTEUR 


11  juin  1885. 

Nos  lecteurs  saveut  surabondamment  que  l'Electeur 
n'est  pas  scrupuleux  en  fait  de  réclames  et  d'annonces. 
C'est  ce  journal  qui,  l'hiver  dernier,  publiait  les  avis  de 
l'Association  maçonnique,  et  donnait  l'hospitalité  de  ses 
colonnes  au  Dirae  Muséum,  quatre  ou  cinq  jours  après 
que  l'Ordinaire  eut  défendu  solennellement  ces  repré- 
sentations. 

Lorsqu'il  s'agit  de  littérature  Y  Electeur  ne  se  gêne 
pas  davantage  et  ne  s'inquiète  nullement  de  faire  mous- 
ser les  ouvrages  et  les  publications  les  moins  recom- 
mandables. 

Son  numéro  d'hier  contient  une  longue  et  bruyante 
réclame  en  faveur  d'un  recueil  littéraire  dans  le  goût  du 
jour,  c'est-à-dire  dangereux  et  immoral.  On  peut  juger 
du  caractère  de  cette  revue,  intitulée  :  La  Vie  popu- 
laire, par  l'aveu  suivant  qui  échappe  à  ses  maîtres. 

"  La  Vie  populaire  est  le  plus  actuel,  le  plus  litté- 
raire de  tous  les  journaux  de  lecture.  Elle  paraît  deux 
fois  par  semaine,  et  contient  tous  les  romans  à  succès 
qui  paraissent  à  Paris,  tous  les  chefs-d'œuvre  de  la 
littérature  moderne." 


126  MÉLANGES 

Ainsi  la  Vie  populaire  publie  tous  les  romans  à 
succès  qui  paraissent  à  Paris  !  Mais  pour  une  œuvre 
indifférente,  quatre-vingt-dix-neuf  de  ces  romans  à 
succès  sont  des  œuvres  abominables.  Romans  à  succès, 
les  œuvres  d'Emile  Zola  !  Romans  à  succès,  les  récits 
de  George  Ohnet  !  Romans  à  succès,  les  livres  de  Jules 
Claretie  !  Romans  à  succès  les  mélodrames  non  dialo- 
gues d'Albert  Delpit!  Et  la  plupart  de  ces  ouvrages 
sont  remplis  de  sophismes,  d'idées  fausses,  de  tableaux 
honteux. 

C'est  cette  littérature  pernicieuse  que  la  Vie  popu- 
laire annonce  au  public,  et  c'est  à  cette  littérature  que 
l'Electeur  fait  de  la  réclame. 

L'annonce  que  nous  avons  sous  les  yeux  ne  laisse 
aucun  doute  possible  sur  le  caractère  de  cette  revue. 
Elle  contient  une  liste  des  romans  déjà  publiés  dans  les 
colonnes  de  la  Vie  populaire,  "  une  quarantaine  des 
plus  beaux  romans  modernes";  et  parmi  les  titres 
énumérés.  Renée  Maupérin  par  les  frères  Goncourt,  et 
YAhhé  Tigrane,  candidat  à  la  papauté,  par  Ferdi- 
nand Fabre.  Or  ces  deux  livres,  que  nous  trouvons  dans 
la  liste  publiée  par  l'Electeur,  sont  des  mauvais  livres 
dans  toute  la  force  du  mot.  Il  suffit  d'être  un  peu  au 
courant  de  la  littérature  contemporaine  pour  savoir  que 
les  Goncourt,  réalistes  à  outrance,  n'ont  reculé  devant 
aucune  putridité,  et  que  Ferdinand  Fabre  s'est  fait  une 
spécialité  des  caractères  ecclésiastiques  dessinés  au 
crayon  noir. 

Voilà  donc  le  genre  de  la  Vie  populaire,  et  voilà  le 
catalogue  de  livres  que  les  abonnés  de  l'Electeur  vont 
trouver  dans  les  colonnes  de  leur  journal.  Combien  de 
gens  peu  informés,  séduits  par  cette  réclame,  vont  être 


MÉLANGES  127 

exposés  à  se  repaître  de  cette  nourriture  empoison- 
née ! 

Que  deviennent  dans  tout  cela  la  dignité  et  la  mora- 
lité de  la  presse  ?  Pour  de  l'argent  on  publie  tout. 
Nous  sommes  débordés  par  les  mauvaises  lectures. 
Dans  notre  humble  opinion,  c'est  là  un  des  grands 
fléaux,  un  des  grands  dangers  de  la  société  canadienne 
actuelle.  Et  malheureusement  notre  presse  s'est  consti- 
tuée un  des  agents  les  plus  actifs  de  cet  empoisonne- 
ment national.  Grâce  aux  feuilletons,  grâce  aux  réclames 
coupables,  la  littérature  daalsaine  se  retrouve  partout  ; 
sur  la  table  de  famille  aussi  bien  que  sur  le  comptoir 
des  estaminets,  dans  les  mains  de  l'écolier,  et  jusque 
sous  l'oreiller  de  la  jeune  fille, 

■Nous  n'écrivons  pas  ces  choses  pour  le  plaisir  de  les 

îcrire.     Ce  sujet  ne  nous  paraît  guère  agréable.     Mais 

n'  lus   ,'oyons   remplir  un  des  devoirs  de  notre  état  en 

L:       ,     ant  le  torrent  qui  entraîne  notre  leunesse  vers 
r  scenrf  .       ,     ,  ,     ,  ,  .  ./  ,,. 

it     ..duvaises  lectures  également  meurtrières  pour  1  ame 

e^î^Btelligence, 

Qu'on  y  prenne  garde  !    Il  y  a  là  une  grave  question 

sociale  ;  et  nous  ne  croyons  rien  exagérer  en  disant  que 

l'avenir  de  notre  peuple  au  vingtième  siècle  dépend,  en 

grande  partie,  des  lectures  de  la  génération  présente. 


15  juin  1885. 

L'Electeur  répond  à  notre  article  au  sujet  de  ses  cou- 
pables réclames,  par  des  plaisanteries  ineptes  et  des 
badinages  équivoques.  Avec  cette  méthode  il  ne  réussit 
qu'à  aggraver  sa  faute. 

Le  sujet  ne  prête  pas  du  tout  à  la  raillerie.    Nous 


128  MÉLANGES 

avons  reproché  à  V Electeur  ses  réclames  pour  une  revue 
dangereuse  et  de  mauvais  livres.  Il  ne  s'en  défend 
nullement  et  continue  à  publier  la  réclame.  Cela  donne 
la  mesure  de  sa  valeur  morale. 

Oui  ou  non,  l'Electeur  donne-t-il  le  concours  de  sa 
publicité  à  une  revue  dangereuse  ?  Oui  ou  non,  contri- 
bue-t-il  à  populariser  des  romans  honteux  ?  Le  fait  est 
indéniable  ;  il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  la  seconde 
page  de  l'Electeur  pour  le  constater.  Qu'il  supprime 
donc  le  corps  du  délit,  ou  qu'il  consente  à  passer  pour 
un  corrupteur  public.    Il  n'y  à  pas  d'autre  alternative. 

L'organe  libéral  pose  un  faux  principe  lorsqu'il  insi- 
nue qu'il  faut  avoir  lu  un  ouvrage  pour  avoir  le  droit 
de  le  dénoncer.  Nous  n'avons  jamais  lu  la  Pucelle  de 
Voltaire,  et  cependant  si  l'Electeur  prônait  demain  cet 
ignoble  poème,  nous  flétririons  sa  conduite  aussi  éner- 
giquement  que  possible.  yi'    '..-s 

titres 
V.  't,   G'. y 


L'ECHO  DES  COULLSSES 

2  novembre  1888. 

On  lisait  l'autre  jour  dans  l'Electeur  la  dépêche  sui- 
vante : 

"  New-York,  24  oct. — On  donne  de  ce  temps-ci  au 
théâtre  Palmer  la  Dame  aux  Camélias  d'Alexandre 
Dumas,  fils,  interprétée  par  les  artistes  suivants  : 

Marguerite  Gauthier Mme  Hading. 

Armand  Duval M,    Duquesue. 

M.  Duval M.  Coquelin. 


MÉLANGES  129 

"  Succès  d'arti-stes,  succès  d'argent.  Auditoire  nom- 
breux et  surtout  choisi.  Dans  les  loges  on  remarquait 
plusieurs  princes  de  la  finance,  entre  autres  Wm.  H. 
Vanderbilt. 

"  Madame  Hading  s'est  surpassée,  et  devant  ce  public 
encore  sous  le  coup  du  talent  magique  de  Sarah  Bern- 
hardt,  elle  a  créé  une  nouvelle  Margiierite  plus  pis- 
sionnée,  plas  syraiiatlàque  encore  que  celle  de  ]^ 
grande  artiste.  Le  long  dialogue  entre  Du  val  père  et 
Marguerite,  d'une  longueur  telle,  qu'il  faut  s'appeler 
Dumas  ou  Sardou  pour  oser  le  risquer,  n'a  pas  langui." 

Cette  dépêche,  qui  est  une  véritable  réclame,  n'est 
pas  isolée  dans  les  colonne»  de  V Electeur.  Depuis  quel- 
que temps  cette  feuille  semble  avoir  l'ambition  de  deve- 
nir l'écho  des  coulisses,  et  le  héraut  des  pièces  risquées. 
C'est  une  ambition  malsaine  et  une  œuvre  démoralisa- 
trice. De  nos  jours  moins  que  jamais  le  théâtre  n'est 
l'école  des  mœurs,  et  le  répertoire  contemporain  de  la 
scène  française,  en  particulier,  ne  donne  que  trop  de 
prise  aux  justes  censures  de  la  religion  et  de  la  morale. 

La  Dame  aux  Camélias,  d'Alexandre  Dumas  fils, 
est  précisément  l'une  des  pièces  les  moins  recomman- 
dables  du  théâtre  moderne.  Elle  a  eu  un  succès  de 
scandale.  Tiré  d'un  roman  à  l'index,  comme  tous  les 
romans  d'Alexandre  Dumas  père  et  fils,  elle  ne  dément 
pas  son  origine  et  ne  peut  que  fausser  le  jugement  et 
gâter  le  cœur. 

Nous  appelons  l'attention  ^qY Electeur q\x.v  l'inconvé- 
nient et  le  danger  de  publier  des  réclames  en  faveur 
d'œuvres  aussi  malsaines.  Vous  dites  à  vos  lecteurs  que 
madame  Hading  a  créé  une  Marguerite  plus  passionnée^ 
plus  sympathique  que  celle  de  Sarah  Bernhardt.     Or, 


130  MÉLANGES 

cette  Marguerite  du  dramaturge  est  une  femme  perdue, 
une  héroïne  du  demi-monde. 

La  responsabilité  des  auteurs  dramatiques  contempo- 
rains est  terrible  et  lourde.  Celle  de  la  presse  complai- 
sante qui  applaudit  et  recommande  leurs  créations  n'est 
pas  moins  redoutable. 

L'Electeur  n'est  pas  le  seul  journal  qui  manque  de 
scrupule  sous  ce  rapport.  Quelques-uns  de  nos  confrè- 
res de  Montréal  ne  sont  pas,  eux  non  plus,  assez  sévè- 
res. Nous  avons  lu  dans  le  Monde  et  dans  la  Presse 
des  correspondances  de  New-York  où  l'on  portait  aux 
nues  des  comédies  extrêmement  scabreuses. 

Nous  conjurons  tous  nos  confrères  d'écarter  ces  récla- 
mes pernicieuses.  Ce  n'est  pas  la  malveillance  ni  le 
désir  de  poser  au  puritanisme  qui  nous  font  écrire  ces 
lignes.  Mais  nous  sommes  convaincu  que  les  mauvais 
livres  et  les  mauvaises  pièces  comptent  parmi  les  agents 
les  plus  actifs  de  la  décadence  sociale,  et  nous  souhai- 
tons ardemment  voir  notre  société  canadienne  se  garder 
de  ces  écueils. 


LA  LITTERATURE  MALSAINE 


8  mars  1891.. 

V Electeur  de  ce  matin  publie  cette  dépêche  de  Mont- 
réal : 

"  On  commence  le  19  courant  l'enquête  dans  une 
cause  pour  libelle  qui  créera  un  vif  intérêt  dans  le 
public.  Cette  cause  est  celle  de  Filiatrault,  éditeur 
propriétaire  du  Canada-Revue,  contre  le  révérend  abbé 


MÉLANGES  131 

Gosselin,  éditeur  de  la  Semaine  Religieuse  de  Québec. 
Filiatrault  a  aussi  intenté  contre  le  même  une  action  au 
civil  de  810,000  de  dommages. 

"  Il  paraît  que  le  demandeur  loue  aux  abonnés  de 
son  journal  des  livres  de  sa  bibliothèque  moyennant  un 
dollar  comme  garantie  du  retour  de  ces  livres,  et  que 
M.  l'abbé  Gosselin  l'a  accusé  dans  la  Semaine  Reli- 
gieuse de  répandre  de  la  littérature  immorale  parmi  le 
peuple  et  l'a  appelé  empoisonneur  public. 

"  M.  JFiliatrault  prétend  que,  bien  que  sa  librairie 
contienne  quelques  ouvrages  à  l'index,  il  n'y  en  a  pas 
de  plus  immoraux  que  les  romans  de  Dumas,  père,  et 
que  sa  collection  de  livres  est  beaucoup  plus  morale  en 
proportion  que  celle  de  la  bibliothèque  paroissiale. 

"  M.  l'abbé  Gosselin  a  comparu  devant  le  juge  Des- 
noyers et  donné  une  caution  de  S200.  " 

Cette  cause  ne  saurait  manquer  en  effet  de  créer  un 
vif  intérêt. 

C'est  une  question  de  morale  publique  qui  est  en 
jeu.  Il  s'agit  de  savoir  si  les  tribunaux  vont  décider 
que  la  presse  n'a  pas  le  droit  d'attaquer  la  littérature 
dangereuse,  et  de  signaler  au  public  la  publication  d'œu- 
vres  qu'elle  croit  pernicieuses. 

Ce  n'est  pas  simplement  le  cas  de  la  Canada-Revue, 
que  nous  considérons  dans  cette  affaire.  Nous  n'avons 
pas  vu  un  seul  numéro  de  cette  publication.  Mais  c'est 
la  question  de  principe  qui  nous  intéresse. 

Comme  journaliste  nous  affirmons  notre  droit  de 
dénoncer  tels  et  tels  ouvrages,  recommandés  ou  publiés 
par  tel  journal  ou  telle  revue.  C'est  là  notre  droit  ;  bien 
plus,  c'est  là  notre  devoir. 

Un  journal  publie  comme  feuilleton  VAssom^moir,  ou, 


132  MÉLANGES 

si  l'on  veut  quelque  exemple  moins  brutal,  Monsieur  de 
Camors  de  Feuillet,  ou  Indiana  de  George  Sand,  ou  la 
Comtesse  Sarah  d'Ohnet,  ou  Mensonges  de  Paul  Bour- 
get  ;  nous  prétendons  avoir  le  droit  de  dire  au  public  : 
prenez  garde,  ce  journal  publie  une  œuvre  immorale  et 
fausse. 

En  un  mot,  les  journaux,  les  revues  qui  veulent 
publier  des  romans  dangereux,  doivent  au  moins  être 
soumis  à  la  critique,  sans  que  la  justice  leur  accorde  le 
privilège  d'empoisonner  impunément  l'âme  de  la  jeu- 
nesse. 

Eeproduisez  des  œuvres  mauvaises,  si  vous  le  voulez, 
mais  que  ce  soit  à  vos  risques  et  périls. 

M.  l'abbé  Gosselin  a  donc  toutes  nos  sympathies  dans 
la  cause  importante  qui  va  se  plaider  à  Montréal.  La 
liberté  de  la  presse,  entendue  dans  son  meilleur  sens, 
est  en  jeu  dans  ce  procès,  et  nous  avons  l'espoir  qu'elle 
triomphera. 


GARE  LE  POISON  ! 

13  septembre  1892. 

Nous  lisons  dans  le  Monde  : 

"  La  Bibliothèque  Française,  qui  a  laissé  de  si  agréa- 
bles souvenirs  parmi  la  classe  lettrée  de  notre  population, 
doit  reparaître  prochainement,  considérablement  amélio- 
rée, revue,  corrigée  et  augmentée,  comme  l'on  dit  en 
termes  de  prospectus. 

"  Voici  ce  que  la  direction  nous  promet  : 

"  Elle  publiera  tous  les  mois  un  volume  contenant  un 
grand  roman  complet  d'un  des  auteurs  les  plus  en  renom 


MÉLANGES  133 

en  France,  et  reproduira  les  œuvres  des  écrivains  les 
plus  éminents  du  siècle. 

"  Tous  les  ouvrages  publiés  par  La  Bibliothèque 
Française  serout  d'une  moralité  incontestable  et  pour- 
ront être  mis  dans  toutes  les  mains." 

Si  le  passé  est  un  présage  de  l'avenir,  voilà  un  nou- 
veau danger  pour  le  public  canadien. 

Cette  Bibliothèque  Française  a  publié  et  jeté  dans  la 
circulation  une  masse  d'ouvrages  immoraux. 

Eomans  de  George  Ohnet,  d'Octave  Feuillet,  d'Al- 
phonse Daudet,  etc.,  cette  publication  a  vulgarisé  tous 
ces  livres  dangereux. 

La  voilà  qui  reparaît  sur  la  scène.  Nous  l'attendons 
à  l'œuvre. 

Mais,  en  attendant,  nous  crions  :  gare  ! 


DEUX  ROMANS  FEUILLETONS 

13  février  189i. 
De  mieux  en  mieux  ! 

Us  ne  se  gênent  pas  dans  le  choix  de  leurs  feuilletons 
nos  confrères  du  Monde  et  de  la  Patrie  ! 

Le  Monde  publie  depuis  des  semaines  Les  trois  Mous- 
quetaires d'Alexandre  Dumas,  et  son  numéro  de  samedi 
nous  en  apportait  une  page  des  plus  épicées  avec  gra- 
vure ad  hoc. 

Les  lauriers  du  Monde  empêchaient  la  Patrie  de 
dormir,  et  elle  annonce  à  son  de  trompe  qu'elle  va 
publier  Monte-Christo  : 

"  Alexandre  Dumas  est  aujourd'hui  à  la  mode  et 
chacun  s'empresse  de  lire  et  de  relire  les  œuvres  de  ce 


134  MÉLANGES 

conteur  sans  rival.  Nous  croyons  devoir  entrer  dans 
le  mouvement  en  publiant,  comme  feuilleton,  le  plus 
célèbre,  le  plus  dramatique  de  ses  livres  :  Le  comte  de 
Monte- Christo. 

"  Il  serait  superflu  de  faire  ici  l'éloge  de  ce  roman  de 
la  bonne  école  qui  a  été  soumis  à  la  censure  des  lec- 
teurs intelligents  de  tous  les  pays  du  monde  et  qui  a 
été  proclamé  comme  l'œuvre  principale  du  grand  roman- 
cier, 

"  Nous  commencerons  donc  la  publication  de  Monte- 
Christo  et  nous  attirons  tout  spécialement  l'attention  de 
nos  lecteurs  sur  ce  fait  important," 

On  ne  semble  pas  du  tout  se  douter  au  Monde  et  à 
la  Patrie  que  tous  les  romans  d'Alexandre  Dumas  sont 
à  l'index. 

Ces  romans  ne  sont  pas  seulement  immoraux,  ils  sont 
faux  dans  la  donnée,  les  principes  et  les  caractères,  et 
ils  contiennent  l'apologie  de  toutes  les  passions. 

Donner  aux  lecteurs  d'un  journal  une  pareille  pâture, 
c'est  faire  une  mauvaise  action. 


LES  FARCES  DE  M.  BEAUGRAND 

21  février  1894. 

Il  vient  de  se  produire  à  Montréal  un  incident  qui 
ne  tournera  certainement  pas  à  la  gloire  de  celui  qui  a 
voulu  s'en  constituer  le  héros. 

Nos  lecteurs  savent  que  le  Monde  publie  depuis 
quelque  temps  les  Trois  Mousquetaires  d'Alexandre 
Dumas,  et  que  la  Patrie  annonçait,  de  sou  côté,  comme 


MÉLANGES  135 

son  prochain  feuilleton,  Le  comte  de  Monte- Christo,  par 
le  même  auteur. 

De  telles  publications  annoncées,  ou  en  voie  d'éxe- 
cution scandaleuse,  ne  pouvaient  manquer  d'émouvoir 
la  sollicitude  pastorale  de  Sa  Grandeur  Mgr  l'archevêque 
de  Montréal. 

Le  Monde  et  la  Patrie  reçurent  en  même  temps  un 
avertissement  de  leur  Ordinaire.  Le  Monde  n'a  pas 
rendu  publique  la  communication  qu'il  a  reçue  ;  mais  la 
Patrie  a  publié,  dans  son  numéro  de  samedi,  la  lettre 
suivante  : 

Archevêché  de  Montréal, 

Montréal,  15  février  181)4. 
A  M.  Honoré  Beaugrand, 

Directeur-propriétaire  de  La  Patrie. 
M.  le  Directeur, 

Dans  un  de  ses  derniers  numéros,  votre  journal 
annonce  la  publication  prochaine  d'un  roman  d'Alexan- 
dre Dumas:  Le  Comte  de  Monte- Christo. 

Monseigneur  l'archevêque  de  Montréal  me  charge  de 
vous  informer  que  toutes  les  œuvres  d'Alexandre  Dumas 
(père  et  fils)  ayant  été  mises  à  l'index,  (déc.  22  juin 
1863),  un  catholique  ne  saurait  les  lire  sans  pécher 
gravement  et  sans  s'exposer  à  tomber  sous  les  censures 
de  l'Eglise.  C'est  pourquoi,  si  votre  journal,  malgré  cet 
avis,  publie  Le  Comte  de  Monte-Christo  par  Alexandre 
Dumas,  Sa  Grandeur  sera  forcée  de  rappeler  aux  fidèles 
les  règles  de  l'Index  à  ce  sujet. 

Votre  humble  serviteur, 

Alfred  Archambeault, 

Chancelier. 


136  MÉLANGES 

Qui  pourrait  trouver  à  redire  à  cette  démarche  de 
l'autoriti?  diocésaine  ?  Un  journal  annonce  la  publica- 
tion d'un  roman  à  l'Index.  L'Ordinaire  avertit  ce 
journal  que  cette  publication  ne  peut  être  faite  dans 
une  feuille  catholique.  Bien  de  plus  correct  ;  l'évêque 
en  agissant  ainsi,  accomplit  un  devoir  de  justice  et  de 
charité. 

Mais  M.  Beaugrand  a  d'autres  notions,  tout-à-fait 
spéciales,  sur  la  juridiction,  les  devoirs,  les  pouvoirs  et 
le  caractère  de  l'épiscopat.  Et,  en  réponse  à  M.  le  cha- 
noine Archambeault,  il  publiait  dans  la  Patrie  de 
samedi  une  lettre  qui  est  un  chef-d'œuvre  d'impudence 
et  de  grossièreté,  en  même  temps  que  l'acte  d'insu- 
bordination et  de  révolte  contre  les  prescriptions  de 
l'Eglise,  le  plus  scandaleux  qu'un  homme  se  disant 
catholique  ait  commis  depuis  longtemps  dans  cette 
province. 

M.  Beaugrand  prétend  que  c'est  un  'piège  qu'il  a 
tendu  à  son  archevêque,  qu'il  a  voulu  le  faire  tomber 
dans  un  panneau,  qu'il  a  fait  un  pari  dont  l'enjeu 
était  un  panier  de  Champagne,  et  la  condition  un  acte 
de  l'autorité  diocésaine.  En  un  mot  M.  Beaugrand 
raconte  que,  voyant  les  Trois  Mousquetaires  publiés 
par  le  Monde  avec  la  permission  de  L'Ordinaire  (?)  il 
a  parié  que  la  Patrie  recevrait  un  monitum  de  l'évê- 
ché  si  elle  annonçait  la  publication  de  Monte-Ghristo. 

Il  faut  citer  cela  : 

"  Tout  cela  est  le  résultat  d'un  pari.  Une  dizaine 
d'amis  intimes  se  trouvaient  réunis  chez  moi,  il  y  a  une 
quinzaine  et  nous  devisions  de  choses  et  d'autres  :  de 
théâtre  et  d'opéra,  de  littérature  et  d'histoire,  de  jour- 
naux et  de  discipline  ecclésiastique. 


MÉLANGES  137 

—  Comment  se  fait-il,  disait  un  camarade,  que  le 
théâtre  français  fasse  salle  comble  tous  les  soirs  et  que  le 
Monde  ait  la  permission  de  l'Ordinaire  de  publier  Les 
Trois  Mousquetaires  de  Dumas,  alors  que  le  Canada- 
Revue  a  été  censuré  par  mandement  pour  avoir  annoncé 
la  publication  du  même  ouvrage. 

— Comment  et  pourquoi  ?  répondis-je.  Tout  bonne- 
ment une  question  de  politique,  une  question  de  rouge 
et  de  bleu.  Que  la  Patrie  annonce  demain  un  feuilleton 
de  Dumas  père  et  je  parie  que  l'Archevêché  intervien- 
dra dans  les  huit  jours  pour  nous  faire  défense  de 
publier. 

— Allons  donc  !  c'est  de  l'exagération.  L'autorité 
ecclésiastique  n'osera  pas  intervenir  contre  la  Patrie 
alors  qu'elle  a  accordé  la  permission  au  Monde. 

— Je  vous  parie  que  si,  répondis-je,  et  nous  allons 
tenter  l'expérience  dès  demain  en  annonçant  la  publi- 
cation du  plus  moral  des  livres  de  Dumas  père,  le 
Comte  de  Monte-Christo.  Vous  verrez  venir  l'interdic- 
tion dans  la  huitaine,  sans  cela  je  m'engage  à  vous 
payer  un  panier  de  Champagne. 

— Accepté — et  le  pari  tient  bon. 

Et  voilà,  M.  le  Chanoine,  pourquoi  nous  ne  publie- 
rons pas  le  Monte-Christo  vous  laissant  le  soin  de  décider 
si  j'ai  perdu  ou  gagné  mon  pari." 

Telle  est  l'histoire  que  nous  raconte  M.  Beaugrand. 
Accèptons-la  comme  elle  nous  est  donnée,  et  voyons 
sous  quel  jour  elle  nous  montre  le  directeur  delà  Patrie. 

Voici  un  directeur  de  journal  soi-disant  catholique, 
qui  se  vante  d'avoir  voulu  jouer  un  tour  à  son  arche- 
vêque, d'avoir  tenté  de  discréditer  son  autorité,  de  le 
livrer  aux  railleries  des  impies  et  des  hérétiques,  de 


138  MÉLANGES 

ruiner  son  prestige;  en  un  mot,  voici  un  catholique  qui 
se  glorifie  d'avoir  voulu  jeter  un  évêque  en  pâture  au 
mépris  public. 

C'est  là  le  rôle  odieux  que  veut  se  donner  M.  Beau- 
grand. 

Dieu  merci,  il  a  manqué  son  effet.  En  admettant  que 
son  fameux  pari  ne  soit  pas  une  fable  arrangée  après 
coup,  il  n'a  pas  atteint  son  but  qui,  d'après  lui,  était  de 
taxer  Mgr  l'archevêque  de  Montréal  d'inconséquence 
et  d'injustice. 

Le  Monde  n'avait  pas  reçu  le  visa  de  l'Ordinaire 
pour  la  publication  des  Trois  Mousquetaires.  Il  avait 
prétendu  que  le  roman  tel  que  publié  était  une  œuvre 
refaite  et  émondée,  et  même  à  l'aide  de  ces  représenta- 
tions, il  n'avait  pas  obtenu  l'autorisation  de  publier  ce 
feuilleton.  Dès  que  l'attention  de  l'Ordinaire  fut  appelée 
sur  la  véritable  nature  de  l'œuvre,  le  Monde  reçut  un 
avertissement  en  même  temps  que  la  Patrie.  Donc 
l'autorité  diocésaine  de  Montréal  n'a  pas  deux  poids  et 
deux  mesures. 

M.  Beaugrand  donne  la  politique  comme  raison  dé 
la  partialité  chimérique  qu'il  dénonce  :  le  Monde  est 
un  journal  bleu,  la  Patrie  un  journal  rouge  !  Le  Monde 
un  journal  conservateur  !  elle  est  bien  bonne  celle-là  ! 
'Lq  Monde  a  fait  plus  de  mal  au  parti  conservateur 
depuis  un  an  que  la  Patrie  depuis  cinq  ans.  Cette 
finesse  de  M.  Beaugrand  est  d'une  jolie  ineptie,  on 
l'admettra. 

En  somme  M.  Beaugrand,  en  voulant  humilier  son 
archevêque,  n'a  fait  de  mal  qu'à  lui-même.  Il  a  joué  le 
rôle  d'un  gamin  qui  rate  sa  gaminerie,  et  sa  lettre  qui 
vise  au  persiflage  spirituel  n'est  qu'une  longue  et  plate 
polissonnerie. 


MÉLANGES  139 

LA  FAMEUSE  ÉPITRE  DE  M.  BEAU- 
GRAND 

22  février  1894. 

A  part  les  injures  à  l'adresse  de  son  Ordinaire,  l'épître 
de  M.  Beangrand  contient  plus  d'une  perle. 

En  voici  une  qui  jette  beaucoup  de  lumière  sur  ses 
prédilections  en  fait  de  littérature  contemporaine  : 

"  S'il  m'était  permis  d'offrir  des  conseils  à  l'autorité 
religieuse,  au  sujet  de  la  question  qui  nous  occupe,  je 
proposerais  l'établissement  d'une  librairie  archiépisco- 
pale où  tous  les  journaux  du  pays,  anglais  comme  fran- 
çais, seraient  forcés  d'acheter  les  romans  qu'ils  vou- 
draient publier  en  feuilleton.  Un  saint  prêtre,  avec  des 
talents  littéraires  bien  connus,  —  l'abbé  Baillargé,  par 
exemple, — serait  chargé  de  revoir,  de  corriger,  de  rogner 
ou  d'amplifier  les  œuvres  d'Alphonse  Daudet,  de  Jules 
Claretie,  de  Hector  Malot,  de  Paul  Bourget,  d'Emile 
Richehourg,  de  Georges  Ohnet,  de  Dumas  père  et  fils, 
de  Balzac,  d'Eugène  Sue,  en  un  mot  de  tous  ces  écri- 
vains qui  font  la  gloire  de  la  France  et  le  désespoir 
de  ceux  qui,  ayant  la  tournure  d'esprit  voulue,  comme 
les  rédacteurs  de  la  Vérité,  du  Courrier  du  Canada  et 
de  la  Minerve,  trouveraient  des  obscénités,  dans  les 
pages  si  orthodoxes  de  Jean  de  Calais  ou  de  Geneviève 
de  Brabant.  " 

Ipse  magister  dixit,  les  écrivains  qui  font  la  gloire 
de  la  France  ce  sont  les  Dumas,  les  Balzac,  les  Eugène 
Sue,  etc.,  c'est-à-dire  des  malfaiteurs  intellectuels,  qui 


140  MÉLANGES 

ont  corrompu  bien  des  cœurs,  et  rempli  de  leurs  détes- 
tables sophismes  des  multitudes  d'intelligences, 

Eugène  Sue,  le  feuilletoniste  du  Juif-  Errant  et 
des  Mystères  de  Paris,  où  la  thèse  mensongère,  calom- 
niatrice et  anti-sociale  le  dispute  à  l'immoralité  des 
tableaux  ;  Alexandre  Dumas,  père,  l'un  des  plus  grands 
corrupteurs  de  ce  siècle  ;  Alexandre  Dumas,  fils,  l'apôtre 
du  divorce  et  du  libre  amour  ;  Balzac,  l'initiateur  du 
réalisme  et  le  théoricien  de  l'adultère  ;  George  Ohnet, 
l'auteur  de  La  comtesse  Sarah,  Alphonse  Daudet,  l'au- 
teur de  Sapho,  Paul  Bourget,  l'auteur  de  Physiologie 
de  l'amour  moderne,  tous  ces  empoisonneurs  du  roman 
contemporain,  voilà  les  maîtres  de  la  Patrie,  voilà  les 
grands  écrivains  que  vénère  M.  Beaugrand  et  qu'il  pro- 
pose à  l'admiration  publique  comme  les  plus  pures 
gloires  de  la  France  ! 

Il  a  du  toupet,  le  journaliste-gavroche  qui  trouve 
spirituel  et  convenable  de  jouer  des  tours — mal  montés 
— à  son  archevêque. 

Au  cours  de  son  épître  monumentale,  monsieur  Beau- 
grand  nous  décoche  ce  trait  mortel  : 

"  J'allais  oublier  de  dire  qu'afin  que  personne  n'en 
ignore  les  mouchards  et  les  Escobars  qui  rédigent  le 
Courrier  du  Canada  et  qui  veulent  singer  l'inquisi- 
tion des  anciens  jours,  avaient  dénoncé  la  publication 
de  Monte-Christo  dans  la  Patrie,  dans  l'espoir  d'attirer 
sur  nous  les  foudres  ecclésiastiques.  Notre  innocente 
supercherie  va  les  faire  rire  jaune." 

Non,  Gavroche,  il  n'y  a  pas  de  mouchards  ni  d'Esco- 
bars  dans  les  bureaux  du  Courrier  du  Canada.  Il  n'y 
a  que  des  journalistes  qui  se  battent  toujours  front  levé 
et  visière  découverte,  qui  ne  dissimulent  jamais  leurs 


MÉLANGES  141 

couleurs,  qui  ne  reculent  point  devant  les  préjugés,  et 
qui  se  font  un  vrai  plaisir  de  fouailler  les  cyniques  et 
de  balafrer  la  face  insolente  des  marchands  de  pour- 
riture. 

Le  Courrier  du  Canada  a  publié  dans  son  numéro 
du  13  février  les  lignes  suivantes  : 

"  De  mieux  en  mieux  ! 

"  Il  ne  se  gênent  pas  dans  le  choix  de  leurs  feuille- 
tons nos  confrères  du  Monde  et  de  la  Patrie  ! 

"  Le  Monde  publie  depuis  des  semaines  Les  trois 
Mousquetaires  d'Alexandre  Dumas,  et  son  numéro  de 
samedi  nous  en  apportait  une  page  des  plus  épicées 
avec  gravure  ad  hoc. 

"  Les  lauriers  du  Monde  empêchaient  la  Patrie  de 

dormir,  et  elle  annonce  à   son    de   trompe  qu'elle  va 

.publier  Monte-Christo.     On  ne  semble  pas  du  tout  se 

douter  au  Monde  et  à  la  Patrie  que  tous  les  romans 

d'Alexandre  Dumas  sont  à  l'Index," 

C'était  notre  droit  de  signaler  la  sereine  impudence 
avec  laquelle  des  journaux  catholiques  offraient  en 
pâture  à  leurs  lecteurs  des  œuvres  mauvaises  et  cou- 
damnées  par  l'Eglise, 

Tous  les  romans  d'Alexandre  Dumas,  père  et  fils,  ont 
été  mis  à  l'Index  in  odium  auctoris.  Par  conséquent 
il  est  défendu  de  les  publier  et  de  les  lire  et  il  est 
absurde  de  prétendre  les  expurger. 

Une  œuvre  comme  les  Trois  Mousquetaires  ne  s'ex- 
purge pas.  Pour  assainir  le  livre  il  faudrait  le  brûler. 
Et  toutes  les  coupures  du  monde  ne  sauraient  suspendre 
l'interdiction  décrétée  par  la  congrégation  de  l'Index. 

Ce  n'est  pas  pour  le  plaisir  haineux  et  méprisable  de 
nuire  à  des  journaux  hostiles  que  nous  avons  pris  cette 


142  MÉLANGES 

attitude.  C'est  pour  réagir  une  fois  de  plus  contre  le  cou- 
rant désastreux  qui  entraîne  aux  lectures  meurtrières 
un  si  grand  nombre  d'intelligences.  C'est  pour  com- 
battre ce  fléau  de  la  littérature  dépravée,  qui  a  conduit 
la  France  à  tant  de  décadences,  et  qui  commence  à  exer- 
cer en  ce  pays  de  si  cruels  ravages. 

Et  les  injures  du  faiseur  de  tours  qui  dirige  la  Patrie 
ne  nous  empêcheront  pas  de  signaler  le  péril,  chaque 
fois  que  ce  sera  nécessaire. 


Çà  et  là. 


UN  CARDINAL  A  QUEBEC 

1659  —  1886 

10  juin  1886. 

"  Sur  les  six  heures  du  soir,  arriva  de  France  à 
"  Québec  le  premier  vaisseau,  qui  nous  donne  un  évê- 
"  que,  avec  M.  Charni,  le  P.  Lallemant  et  deux  prêtres." 
Ainsi  s'exprimait  le  Père  de  Quen,  dans  le  Journal  des 
Jésuites,  le  16  juin  1659,  il  y  a  deux  cent  vingt-sept 
ans. 

Cet  évêque,  c'était  François-Xavier  de  Laval-Mont- 
morency, abbé  de  Montigny,  titulaire  in  partibus  infi- 
delium  de  Pétrée,  en  Arabie,  et  vicaire  apostolique  de 
Québec. 

Il  n'était  pas  attendu,  cette  année-là,  dans  la  pauvre 
colonie.  Eien  n'était  prêt  pour  le  recevoir.  Les  EE,  PP. 
Jésuites,  les  Dames  de  l'Hôtel-Dieu  et  les  religieuses 
Ursulines  durent  tour  à  tour  lui  donner  l'abri  de  leur 
toit,  en  attendant  qu'il  eut  une  résidence  épiscopale. 
Derrière  lui,  en  France,  il  avait  laissé  de  nombreuses 
difiBcultés.  Du  côté  de  l'Etat,  des  parlements,  qui  s'in- 
séraient alors  volontiers  dans  les  affaires  ecclésiasti- 
ques,  des  obstacles  auraient  surgi.  On  avait  essayé 
d'entraver  l'action  du  Siège  apostolique,  que  l'on  accu- 


144  MÉLANGES 

sait  d'avoir  commis  uu  empiétement  sur  les  privilèges 
et  les  libertés  de  l'église  gallicane. 

Des  juridictions  jalouses  avaient  aussi  tenté  d'étouf- 
fer dans  son  germe  cette  église  de  Québec,  à  laquelle  la 
Providence  réservait  de  si  glorieuses  destinées.  Mais 
Eome  l'avait  emporté.  A  force  de  persévérance  et  de 
fermeté,  le  Pape  avait  fait  prévaloir  ses  vues  ;  et,  au 
lieu  d'un  évêque  de  Québec  qui  aurait  été  suffragant 
d'un  archevêque  français,  il  avait  nommé,  de  sa  pleine 
initiative  et  de  sa  suprême  autorité,  un  vicaire  aposto- 
lique de  la  Nouvelle-France,  relevant  directement  et 
uniquement  du  Saiut-Siège.  Uuion  étroite  de  l'Eglise 
de  Québec  avec  l'Eglise  de  Ptomc,  mère  et  maîtresse  de 
toutes  les  églises,  voilà  donc  le  sceau  immortel  dont  les 
premières  pages  de  notre  histoire  religieuse  portent  la 
glorieuse  empreinte. 

Mais  en  dépit  de  cette  noble  origine,  quelle  humilité, 
quelle  fragilité,  et  quels  périls,  au  début  de  ce  premier 
épiscopat  canadien  !  Contestation  de  juridiction  ecclé- 
siastique, tracasseries  et  persécutions  de  gouverneurs 
trop  imbus  des  maximes  césariennes,  missions  lointaines 
et  périlleuses,  défaut  de  ressources  pour  les  œuvres  les 
plus  indispensables,  tout  se  réunissait  pour  hérisser 
d'obstacles  la  route  de  l'évêque  de  Pétrée,  pour  paraly- 
ser et  stériliser  le  présent,  et  pour  compromettre  l'avenir. 

Deux  siècles  ont  passé  sur  cette  chrétienté  naissante. 
Jetons  un  coup  d'œil  sur  ce  qui  se  déroule  en  ce  moment 
à  nos  regards.  Le  frêle  arbuste  planté  sur  le  roc  de 
Québec,  a  poussé  des  racines  profondes  et  puissantes. 
Battu  par  les  orages,  souvent  courbé  jusqu'au  sol  et 
secoué  par  la  fureur  des  vents,  frappé  quelquefois  par 
la  foudre  que  sollicitent  les  sommets,  il  a  grandi  sous 


MÉLANGES  145 

les  âpres  morsures  de  l'aquilon.  Sa  cime  s'est  élevée 
graduellement  au-dessus  des  ruines  et  des  décombres 
que  le  temps  accumulait  autour  de  lui  ;  son  tronc 
vigoureux  s'est  couvert  de  branches  florissantes;  ces 
branches  ont  porté  des  fleurs  et  des  fruits,  et,  devenant 
fécondes  elles-mêmes,  ont  étendu  leurs  rameaux  sur  la 
moitié  d'un  continent.  Aujourd'hui,  c'est  un  grand 
arbre  deux  fois  séculaire,  qui  met  à  l'ombre  des  peuples 
entiers,  qui  porte  sur  son  écorce  durcie  par  les  ans  les 
cicatrices  glorieuses  de  ses  combats,  qui  surabonde'  de 
sève  et  de  vie,  et  voit  pleuvoir  sur  sa  tête  les  rosées  et 
les  bénédictions  du  Ciel. 

Deux  siècles  ont  passé  !  Deux  siècles  de  luttes,  deux 
siècles  de  périls,  deux  siècles  d'épreuves  douloureuses, 
deux  siècles  de  crises,  mais  aussi  deux  siècles  de  vic- 
toires !  Laval  et  Saint- Vallier  ont  sauvegardé  la  liberté 
et  la  dignité  de  la  mître  contre  les  empiétements  des 
gouverneurs  et  des  Conseils  ;  Briand  et  Plessis  ont 
déjoué  les  efforts  tentés  pour  mettre  le  sacerdoce  sous 
la  domination  du  trône  ;  et,  aux  deux  époques,  l'Eglise 
canadienne  a  vu  son  indépendance  triompher  des  embû- 
ches semées  sur  ses  pas. 

Deux  siècles  ont  passé!  Laval  a  été  nommé  évêque 
de  Québec  en  1674,  par  la  nomination  directe  du  Saint- 
Siège,  de  qui  le  nouveau  diocèse  a  relevé  dès  lors  sans 
intermédiaire.  Plessis  a  fait  échouer,  en  1810,  les  intri- 
gues de  ceux  qui  voulaient  mettre  la  main  sur  la  nomi- 
nation aux  cures,  et  refusaient  au  représentant  du  Saint- 
Siège  la  juridiction  épiscopale  indépendante,  quant  au 
spirituel,  de  la  Couronne  anglaise. 

En  dépit  du  gallicanisme,  comme  de  l'anglicanisme, 
10 


146  MÉLANGES 

l'Eglise  de  Québec  est  restée  étroitement  unie  au  Siège 
de  Pierre. 

Gloire  en  soit  rendue  à  Dieu,  il  nous  est  donné 
aujourd'hui  de  voir  le  sublime  couronnement  de  ces 
deux  siècles  marqués,  d'un  côté,  par  de  si  étranges  vicis- 
situdes, et,  de  l'autre,  par  une  union  si  inaltérable  et  si 
constante  avec  l'Eglise-mère.  La  main  d'un  pape  s'est 
étendue  encore  une  fois  sur  le  Canada  catholique,  pour 
le  bénir  au  nom  du  Christ,  Mais,  en  se  retirant,  elle  a 
laissé  sur  nous  un  rayon  de  gloire  qui  nous  désigne  aux 
regards  de  l'univers  chrétien.  Le  quinzième  successeur 
de  Laval,  héritier  de  ses  vertus  et  de  son  zèle  apostolique, 
est  revêtu  de  l'auguste  pourpre  qui  rappelle  le  sang  des 
martyrs  et  des  confesseurs.  L'évêque  de  Québec  n'est 
plus  un  pauvre  vicaire  apostolique  à  qui  l'on  dispute 
sa  juridiction,  et  qui  doit  lutter  à  la  fois  contre  l'espace, 
l'ignorance  et  la  barbarie.  C'est  un  prince  de  l'Eglise, 
un  des  collaborateurs  de  son  chef  vénérable,  un  des 
membres  de  cet  illustre  sénat  qui  fait  les  papes  sous 
l'inspiration  de  l'Esprit  divin,  et  qui,  uni  au  Pontife 
Suprême,  est  l'administrateur  et  le  directeur  de  l'empire 
spirituel  du  monde. 

Depuis  trois  jours,  le  Canada  catholique,  le  Canada 
tout  entier,  tressaille  d'allégresse  et  de  fierté.  Le  palais 
de  notre  vénérable  pasteur  est  assiégé  par  une  foule 
enthousiaste.  Le  représentant  de  notre  très  aimée  Sou- 
veraine en  cette  province,  successeur  des  d'Argenson, 
des  Frontenac,  et  des  Denonville,  est  allé  saluer  le 
représentant  du  Pontife  suprême,  successeur  des  Laval 
et  des  Saint- Vallier.  Un  parlement,  qui  possède  parmi 
ses  attributions  quelques-unes  de  celles  de  l'ancien 
Conseil  Souverain,  a  voulu  rendre  solennellement  hom- 


MÉLANGES  147 

mage  au  nouveau  prince  spirituel,  dont  les  prédécesseurs 
participaient  autrefois  aux  délibérations  de  ce  corps 
administratif. 

C'est  un  grand  spectacle  que  celui  auquel  nous  assis- 
tons depuis  trois  jours,  un  spectacle  d'autant  plus  beau, 
qu'il  est  plus  inaccoutumé  dans  notre  siècle.  Le  Canada, 
qui  entre  aujourd'hui  dans  le  concert  of&ciel  des  gran- 
des nations  catholiques,  donne  en  ce  moment  au  monde 
l'exemple  d'un  pays  où  l'Eglise  et  la  patrie  célèbrent 
avec  le  même  élan  et  le  même  enthousiasme  un  mémo- 
rable événement  religieux. 

Honneur  à  Léon  XIII  qui  nous  a  conféré  cette  gloire, 
dont  le  pur  éclat  rayonnera  dans  nos  annales.  Honneur 
à  Mgr  Taschereau,  cardinal-archevêque  de  Québec,  par 
qui  nous  vient  cette  faveur  insigne,  et  dont  le  nom 
déjà  historique  acquiert  un  nouveau  titre  au  respect  de 
la  nation  canadienne.  Honneur  et  reconnaissance  à  cette 
Eglise  romaine,  qui  nous  a  enfantés  à  la  vie  religieuse, 
qui  nous  a  servi  de  boussole  lorsque  les  nuages  de  l'ad- 
versité assombrissaient  notre  horizon,  et  avec  laquelle 
nous  voulons  rester  perpétuellement  et  indissoluble- 
ment unis,  jusqu'à  la  consommation  de  nos  destinées 
terrestres. 


LE  LAURIER  YANKEE  ET  LE  SIR  WIL- 
FRID  BRITANNIQUE 

4  septembre  1897. 
Nous  relisions  ces  jours-ci  avec  un  vif  intérêt  le  dis- 
cours prononcé  par  M.  Laurier  au  banquet  donné  en 


148  MÉLANGES 

son  honneur,  à  Boston,  par  la  Société  Saint-Jean-Bap- 
tiste de  cette  ville,  le  17  novembre  1891, 

Eien  de  plus  instructif  que  ces  lectures  rétrospectives 
qui  mettent  souvent  eu  pleine  lumière  bien  des  chan- 
gements de  front  et  des  palinodies. 

Dans  le  discours  dont  il  s'agit,  entre  autres  choses 
M.  Laurier  disait  : 

"  Il  est  des  gens  de  mou  pays  qui  disent  qu'une  fédé- 
ration impériale,  c'est-à-dire  une  fédération  entre  l' An- 
gleterre et  ses  colonies,  serait  la  meilleure  alternative 
ponr  le  Canada.  En  autant  que  la  doctrine  Monroe 
est  applicable  au  Canada,  je  suis  en  faveur  de  la  doc- 
trine Monroe.  Je  ne  veux  pas  de  l'intervention  de 
l'Europe  dans  nos  affaires,  et  ce  serait  un  suicide  de  la 
part  du  Canada  que  de  s'engager  dans  une  fédération 
qui  le  forcerait  à  prendre  part  à  toutes  les  guerres  que 
la  Grande-Bretagne,  par  suite  de  sa  position,  est  con- 
stamment obligée  de  soutenir  dans  les  différentes  par- 
ties du  monde.  Cette  considération  seule  suffit  pour 
détourner  le  peuple  du  Canada  d'une  telle  idée.  Ou 
nous  dit  encore  qu'on  devrait  établir  une  ligue  entre 
l'Angleterre  et  ses  possessions  en  vertu  de  laquelle 
nous  ferions  le  commerce  entre  nous  et  l'empire  britan- 
nique, à  l'exclusion  du  reste  du  monde. 

"  Je  n'ai  que  ceci  à  dire  au  sujet  de  cette  idée  :  elle 
est  absolument  absurde.  Je  préfère  le  dollar  yankee 
au  shilling  britannique,  surtout  lorsque  le  dollar  est  si 
proche  et  le  shilling  si  éloigné.  Si  le  commerce  peut 
être  britannique  et  profitable  en  même  temps,  je  n'ai 
pas  d'objection  ;  mais  si  le  commerce  pour  être  profi- 
table doit  être  américain,  je  suis  en  faveur  du  commerce 
américain." 


MÉLANGES  149 

Ainsi  parlait  M.  Laurier  à  Boston  en  1891. 

Qu'aurait  dit  notre  silver-tongued  si,  durant  les  fêtes 
jubilaires,  à  Londres,  au  milieu  de  l'une  de  ses  effusions 
impérialistes,  quelqu'un  était  venu  lui  jeter  à  la  figure, 
en  présence  de  son  auditoire  anglais,  cette  parole  de  son 
discours  de  1891  :  "  en  autant  que  la  doctrine  Monroe 
est  applicable  au  Canada,  je  suis  en  faveur  de  la  doc- 
trine Monroe  ;  "  ou  cette  autre  :  "  je  préfère  le  dollar 
yankee  au  shilling  britannique  ?  " 

Qu'aurait-il  dit  si  on  était  venu  lui  rappeler  qu'en 
1891  il  protestait  contre  une  union  plus  intime  entre 
l'Angleterre  et  ses  colonies,  il  repoussait  l'idée  de  rela- 
tions commerciales  plus  étroites  entre  celle-ci  et  la 
métropole. 

Sir  Wilfrid,  si  anglais — "  british  to  tlie  core  " — en 
1897,  était  bien  américain  en  1891  ! 

Cela  démontre  que  notre  premier-ministre  est  terri- 
blement ondoyant  et  divers,  qu'il  n'a  guère  de  fixité, 
guère  de  suite  dans  ses  doctrines,  qu'il  est  variable  et 
changeant  plus  que  de  raison  dans  ses  opinions  et  ses 
programmes. 

Le  Laurier  yankee  de  1891  a  fait  place  au  Sir 
Wilfrid  Laurier  anglais  et  impérialiste  de  1897. 

Que  sera  notre  mobile  grand  homme  dans  deux  ou 
trois  ans  ? 


CAVOUR  ET  LAURIER 

30  mai  1898. 
Sir  Wilfrid  Laurier,  notre  premier-ministre,  vient  de 
prononcer  un  éloge  funèbre  de  M.  Gladstone,  que  ses 


150  MÉLANGES 

thuriféraires  portent  aux  nues.  C'est  un  chef-d'œuvre, 
s'écrient  eu  chœur  les  chauffeurs  de  l'enthousiasme 
ministériel,  jamais  l'éloquence  canadienne  ne  s'est  élevée 
aussi  haut. 

Au  risque  de  passer  pour  un  fâcheux,  nous  voulons 
remettre  un  peu  les  choses  au  point.  Nous  avons  lu  et 
relu  attentivement  le  dernier  morceau  oratoire  de  sir 
Wilfrid  Laurier.  Ce  n'est  point  une  pièce  sans  valeur  ; 
elle  est  travaillée,  trop  travaillée  peut-être,  elle  est 
sonore,  elle  brille  par  la  variété  et  le  choix  des  épithètes, 
elle  a  du  mouvement  et  de  l'éclat.  Mais  il  lui  manque 
une  qualité  essentielle,  la  mesure,  et  une  autre  non 
moins  importante,  la  simplicité.  A  notre  gré,  M.  Laurier 
a  déjà  fait  beaucoup  mieux.  Son  mémorable  éloge  de 
sir  John  Macdonald,  en  1891,  l'emporte  de  beaucoup 
sur  cet  éloge  de  Gladstone. 

Mais  nous  n'avons  pas  pris  la  plume  pour  écrire  un 
article  de  critique  littéraire.  Nous  l'avons  prise  pour 
faire  entendre  une  protestation  indignée  contre  l'inso- 
lente admiration  que  sir  Wilfrid  Laurier  n'a  pas  eu 
honte  de  professer  envers  l'un  des  plus  grands  malfai- 
teurs politiques  que  notre  âge  ait  connus. 

Le  premier-ministre  a  voulu  magnifier  son  héros  en 
le  comparant  à  trois  grandes  figures  contemporaines  ; 
et  pour  compagnons  de  gloire  il  est  allé  lui  choisir  Bis- 
marck, Lincoln  et  Cavour  ! 

Ne  disons  rien  de  Bismarck  et  de  Lincoln,  quoique 
le  premier  ait  bien  des  tares  dans  la  renommée  que  lui 
a  valu  son  brutal  génie,  et  qu'il  ait  manqué  au  second 
bien  des  éléments  de  grandeur.  Arrivons  à  Cavour,  et 
disons  sans  ambages  à  M.  Laurier,  ce  que  nous  avons 
sur  le  cœur. 


MÉLANGES  151 

Voici  ses  paroles  : 

"  Ce  dernier  demi  siècle  dans  lequel  nous  vivons,  a 
produit  bien  des  hommes  fortement  doués,  qui,  dans 
différentes  sphères,  ont  attiré  sur  eux  l'attention  du 
monde.  Mais  parmi  les  hommes  qui  ont  illustré  cet  âge 
il  me  semble  qu'aux  yeux  de  la  postérité,  quatre  vont 
survivre  à  tous  les  autres  et  les  éclipser.  Cavour,  Lin- 
coln, Bismark  et  Gladstone.  Si  nous  considérons  sim- 
plement la  grandeur  des  résultats  obtenus  comparée  à 
l'exiguité  des  moyens,  si  nous  nous  rappelons  que  du 
petit  royaume  de  Sardaigne  est  sortie  l'Italie  une,  nous 
devons  en  conclure  que  le  comte  de  Cavour  était  incon- 
testablement un  homme  d'Etat  d'une  habileté  et  d'une 
prescience  merveilleuses." 

Ainsi,  M.  de  Cavour,  ministre  de  Victor-Emmanuel, 
est,  aux  yeux  de  M.  Laurier,  l'un  des  quatre  plus  grands 
hommes  de  notre  âge  !  Eh  bien,  cette  audacieuse  et 
mensongère  apothéose  ne  passera  pas,  sans  que  nous 
ayons  au  moins  fait  entendre  un  cri  de  réprobation. 

Ouvrons  l'histoire  de  notre  temps.  Le  nom  de  Cavour 
est  inscrit  en  sombres  caractères  sur  quelques-unes  de 
ses  pages  les  plus  honteuses.  Ce  premier  ministre  du 
Piémont  a  eu  pour  suprême  habileté  la  déloyauté  et  la 
perfidie.  Fourbe,  intrigant,  calomniateur,  spoliateur 
sans  scrupule  et  sans  foi,  il  a  édifié  sur  le  mensonge, 
sur  le  vol  et  sur  l'iniquité  un  édifice  politique  dont  les 
assises  sont  déjà  chancelantes. 

C'est  Cavour  qui  s'est  servi,  avec  une  scélératesse 
consommée,  de  la  fameuse  formule  :  "  l'Eglise  libre  dans 
l'Etat  libre." 

Voici  en  quels  termes  écrasants  Mgr  Dupanloup  a 
jugé  l'homme  et  son  œuvre  dans  sa  brochure  :    "  La 


152  MÉLANGES 

convention  du  15  se]ytembre  et  V Encyclique  du  8 
décembre  "  : 

"  Et  d'abord  "  l'Eglise  libre  dans  l'Etat  libre."  L'Eglise 
libre,  c'est  pour  le  Piémont,  depuis  quinze  ans  :  tous 
les  biens  de  l'Eglise  confisqués  ;  les  ordres  religieux 
supprimés;  les  religieuses  jetées  dans  la  rue;  les  évê- 
ques  en  prison  ;  les  clercs  soumis  à  la  conscription  ; 
les  évêchés  vacants  ;  les  immunités  ecclésiastiques, 
stipulées  par  un  traité,  abolies  ;  la  loi  Siccardi,  votée 
aux  cris  de  :  Vive  Siccardi  !  A  bas  les  'prêtres  !  La 
loi  sur  le  mariage  civil,  votée,  le  5  juin  1852,  malgré  le 
Pape,  malgré  le  concordat,  malgré  les  évêques... 

"  M.  de  Cavour  s'aboucbait  avec  les  chefs  des  sociétés 
secrètes,  et  traçait  de  concert  avec  La  Farina,  président 
de  la  Société  Natiouale,  tous  les  plans  des  futures  révo- 
lutions, en  prenant  soin  toutefois  de  lui  dire  :  "  Vous, 
vous  n'êtes  pas  ministre,  vous  pouvez  agir  librement  : 
mais  sachez  que  si  je  suis  interpellé  à  la  Chambre,  ou 
molesté  par  la  diplomatie,  je  vous  renierai  ". — Tels 
sont  les  "  moyens  moraux  "  que  M.  de  Cavour  mit  au 
service  de  "  ses  aspirations  nationales  "  ;  et  le  "  droit 
nouveau  "  qu'il  inventa... 

"  Après  les  "  Ptévolutions  "  et  les  "  Annexions  " 
vinrent  les  "  Invasions."  Tous  les  voiles  ont  été  levés 
sur  l'expédition  de  Garibaldi.  Tout  le  monde  sait  que 
M,  de  Cavour  désavoua  Garibaldi  devant  la  France  et 
devant  l'Europe  ;  il  écrivit  même  au  roi  de  Naples  que 
des  vaisseaux  sardes  partaient  pour  arrêter  l'aventurier, 
— Et  c'est  lui  qui  l'envoyait 

"  Alors  M.  de  Cavour,  triomphant,  déclara  du  haut 
de  la  tribune  piémontaise,  que  ces  mémorables  événe- 
ments étaient  "  la  conséquence  nécessaire  de  la  politique 


MÉLANGES  153 

piémontaise  depuis  douze  ans  ;  "  et  enivré  de  ses  succès, 
s'écria  enfin,  jetant  ce  défi  à  notre  armée,  à  notre  parole 
et  à  notre  politique  déclarée  :  "  Il  nous  faut  Rome  pour 
capitale,  et  nous  y  serons  dans  six  mois." 

"  Et  le  parlement,  sanctionnant  cette  déclaration  par 
un  vote  solennel,  proclama  Eome  capitale  de  l'Italie. 
(29  mars  1861). 

"  Voilà  l'homme  et  voilà  le  gouvernement,  qui,  quel- 
ques mois  après,  ouvraient  avec  le  gouvernement  fran- 
çais les  négociations  qui  ont  abouti  à  la  convention  du 
15  septembre." 

Telle  est  la  vraie  figure  de  ce  Cavour,  que  sir  Wilfrid 
Laurier  a  exalté  comme  l'un  des  quatre  plus  grands 
hommes  de  notre  époque. 

Ah  !  si  le  premier-ministre  avait  le  sens  catholique, 
jamais  une  telle  parole  ne  serait  venue  se  placer  sur  ses 
lèvies.  Cavour  a  été,  dans  notre  siècle,  un  des  plus  mal- 
honnêtes, un  des  plus  perfides  et  un  des  plus  pervers 
ennemis  de  l'Eglise.  Durant  sa  campagne  pour  l'uni- 
fication de  l'Italie  et  contre  le  Pape,  il  a  introduit  dans 
la  diplomatie  des  procédés  et  des  tactiques  misérables 
qui  feront  la  honte  de  notre  âge.  Et  M.  Laurier  lui 
dresse  un  piédestal. 

Ce  que  vous  avez  glorifié  dans  la  personne  de  Cavour, 
sir  Wilfrid,  c'est  le  mensonge,  la  déloyauté,  la  mauvaise 
foi,  l'hypocrisie,  la  violence  et  la  rapine.  Ce  sont  les 
Légations  et  la  Romague,  les  Marches  et  l'Ombrie 
volées  au  Saint-Siège.  C'est  Garibaldi  soutenu  dans  ses 
invasions  de  bandit  contre  les  Etats  catholiques.  C'est 
Castelfidardo  et  Lorette,  Lamoricière  écrasé  dans  un 
guet-à-pens,  Pimodan  tué  à  la  fleur  de  l'âge  et  de 
l'héroïsme,  les  soldats  du   Pape  égorgés,  Ancône  bom- 


154  MÉLANGES 

bardée,  les  Etats  de  l'Eglise  inondés  de  sang  et  couverts 
de  ruines,  en  pleine  paix,  au  mépris  du  droit  naturel  et 
du  droit  international. 

Voilà  l'œuvre  dont  sir  Wilfrid  Laurier  a  osé  célébrer 
le  souvenir  dans  le  Parlement  canadien. 

Si  le  premier-ministre  voulait  entrer  dans  la  voie, 
toujours  épineuse,  des  comparaisons,  que  n'a-t-il  choisi 
ses  modèles  dans  des  sphères  plus  hautes  et  plus  pures  ? 
Dieu  merci,  notre  âge  a  connu  des  grands  hommes  d'une 
autre  stature  et  d'une  autre  valeur  morale  que  celle  du 
piémontais  Cavour.  Sir  Wilfrid  aurait  pu  choisir  entre 
les  O'Connell,  les  Manning,  les  DonosoCortès.lesWind- 
thorst  ou  les  Garcia  Moreno,  qui  tous  ont  mieux  servi 
que  Cavour  la  société,  la  vérité  et  l'humanité.  Il  aurait 
pu  surtout  faire  rayonner  la  pure  et  éclatante  figure  de 
cet  homme  au  génie  profond  et  lumineux,  à  la  vaste 
science,  maître  dans  les  lettres  et  dans  la  diplomatie  la 
plus  haute,  penseur,  écrivain  et  politique  sans  supérieur, 
qui,  (le  l'aveu  des  incroyants  comme  des  croyants,  s'il 
n'était  pas  le  vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la  terre,  serait 
encore  le  plus  grand  des  contemporains.  Nous  avons 
nommé  Léon  XIII. 

Léon  XIII  et  Cavour  !  Et,  aux  yeux  de  Sir  Wilfrid, 
Cavour  plus  grand  que  Léon  XIII  ! 

Pauvre  M.  Laurier  !  Comme  l'homme  véritable  se 
démasque  souvent  chez  lui  !  Et  comme  le  fond  du  cœur 
paraît  vite,  lorsqu'il  oublie  son  rôle  ! 

Nous  connaissons  depuis  longtemps  les  admirations, 
les  prédilections  de  M.  Laurier.  Nous  savons  de  vieille 
date  quelle  est  la  galerie  de  ses  grands  hommes.  Et  son 
apothéose  de  Cavour  n'est  qu'une  illustration  nouvelle 
de  ses  tendances  et  de  sa  formation  intellectuelle  et 
politique. 


MÉLANGES  155 

LE  COMTE  DE  FRONTENAC 

1698  —  1898 

28  novembre  1898. 

Il  y  a  deux  cents  ans  aujourd'hui,  expirait  à  Québec 
un  homme  qui,  depuis  un  quart  de  siècle,  remplissait 
de  sa  grande  figure  et  de  son  nom  retentissant  toute 
l'Amérique  Septentrionale.  Cet  homme,  avec  des  res- 
sources restreintes  avait  conduit  et  fait  réussir  des  entre- 
prises considérables  ;  avait  vaincu  des  flottes  et  des 
armées  redoutables,  relevé  et  soutenu  un  pays  qu'il  avait 
trouvé  sur  le  "  penchant  de  sa  ruine  "  ;  avait  conquis 
un  irrésistible  ascendant,  mélange  de  crainte  et  d'admi- 
ration, sur  les  nations  guerrières  des  grands  lacs  ;  avait 
couvert  de  gloire  et  de  prestige  le  drapeau  de  la  France, 
et  fait  parvenir  l'écho  de  ses  merveilleux  exploits  jus- 
qu'à Versailles,  au  milieu  des  splendeurs  triomphales  du 
grand  règne.  Si  le  drapeau  blanc  flottait  encore  sur  les 
hauteurs  de  Québec,  s'il  y  avait  encore  une  Nouvelle- 
France,  on  le  devait  à  cet  illustre  mort  qui  s'était 
appelé  haut  et  puissant  seigneur  Louis  de  Buade,  comte 
de  Palluau  et  de  Frontenac,  gouverneur  et  lieutenant- 
général  de  la  Nouvelle-France. 

Quelle  physionomie  originale  et  attachante  que  celle 
de  ce  guerrier  et  de  cet  administrateur  !  Avec  ses  défauts 
et  ses  qualités,  avec  ses  erreurs  et  ses  éclatants  servi- 
ces, il  captive  l'imagination  et  commande  la  sympathie  ; 
et  son  histoire  constitue  l'une  des  pages  les  plus  bril- 
lantes de  DOS  annales. 


156  MÉLANGES 

C'était  avant  tout  un  lutteur.  Il  était  fait  pour  les 
temps  de  crise,  et  c'est  au  milieu  des  périls  que  ses 
fortes  qualités  se  déployaient  surtout  avec  efiScacité. 
Le  terre-à-terre  de  la  vie  administrative  ne  lui  allait  pas, 
et  sa  combativité,  ardente  jusqu'au  milieu  des  glaces 
de  l'âge,  le  poussait  dans  cette  sphère  à  de  fâcheux 
extrêmes.  Mais  que  le  pays  fût  menacé  par  l'Anglais 
ou  l'Iroquois,  que  les  sombres  nuages  s'amoncelassent 
à  l'horizon  de  la  Nouvelle-France,  et  le  vieux  soldat 
des  guerres  de  Crête  et  d'Italie  grandissait  jusqu'aux 
proportions  héroïques. 

C'est  ainsi  que  nous  le  montre  la  statue  d'Hébert, 
qui  restera  pour  la  postérité  sa  représentation  idéale, 
puisque  nous  n'avons  pas  son  vrai  portrait.  La  bouil- 
lante valeur,  le  défi,  l'assurance  du  succès,  l'inspiration 
guerrière  revivent  dans  ce  bronze  artistique  qui  orne  la 
façade  de  notre  Palais  législatif.  Le  Frontenac  de  nos 
vieilles  annales,  le  voilà  !  Et  son  geste  sculptural  noua 
donne  presque  l'illusion  de  l'accent  avec  lequel  il  jeta  à 
l'envoyé  de  Phipps  cette  célèbre  parole  :  "  Allez  dire  à 
votre  maître  que  je  vais  lui  répondre  par  la  bouche  de 
mes  canons." 

En  1690,  Frontenac  a  véritablement  été  le  sauveur 
de  la  colonie.  Et  cette  grande  action  a  jeté  un  manteau 
de  gloire  sur  les  fautes  dont  sa  carrière  ne  fut  pas 
exempte.  Après  tant  de  pages  écrites  sur  lui,  cette 
appréciation  de  Charlevoix  reste  encore  la  meilleure  : 

"  Il  mourut  comme  il  avait  vécu,  chéri  de  plusieurs, 
estimé  de  tous,  et  avec  la  gloire  d'avoir,  sans  presqu'au- 
cun  secours  de  France,  soutenu  et  augmenté  même  une 
colonie  ouverte  et  attaquée  de  toutes  parts,  et  qu'il  avait 
trouvée  sur  le  penchant  de  sa  ruine.    Il  paraissait  avoir 


MÉLANGES  157 

un  grand  fonds  de  religion,  et  il  en  donna  constamment 
jusqu'à  sa  mort  des  marques  publiques.  On  ne  l'accusa 
jamais  d'être  intéressé  ;  mais  on  avait  de  la  peine  à 
concilier  la  piété  dont  il  faisait  profession,  avec  la  con- 
duite qu'il  tenait  à  l'égard  des  personnes  contre  les- 
quelles il  s'était  laissé  prévenir,  L'âcreté  de  son  humeur 
un  peu  atrabilaire,  et  une  jalousie  basse  dont  il  ne  se 
défit  jamais,  l'ont  empêché  de  goûter  tout  le  fruit  de 
ses  succès,  et  ont  un  peu  démenti  son  caractère,  où  il  y 
avait  de  la  fermeté,  de  la  noblesse  et  de  l'élévation. 
Après  tout,  la  Nouvelle-France  lui  devait  tout  ce  qu'elle 
était  à  sa  mort,  et  l'on  s'aperçut  bientôt  du  grand  vide 
qu'il  y  laissait." 

La  fin  de  Frontenac  fut  celle  d'un  chrétien.  Il  fit 
son  testament  le  22  novembre  devant  maître  Eageot  et 
Genaple,  notaires  à  Québec,  Il  intimait  sa  volonté  d'être 
inhumé  dans  l'église  des  Récollets,  dont  il  avait  été  le 
syndic  apostolique.  Il  laissait  à  ces  religieux,  pour  qui 
ses  prédilections  avaient  toujours  été  très  marquées, 
quinze  cents  livres  à  charge  de  célébrer  pour  le  testateur 
une  messe  quotidienne  pendant  un  an,  puis  à  perpétuité 
un  service  anniversaire  à  la  date  de  sa  mort,  ce  service 
devant  être  pour  le  repos  de  son  âme  et  de  celle  de  Mme 
de  Frontenac,  après  la  mort  de  celle-ci. 

Il  ordonnait  aussi  de  mettre  son  cœur  dans  un  coffret, 
qui  devrait  être  placé  dans  une  chapelle  de  l'église 
Saint-Nicolas-des-Champs,  à  Paris,  où  se  trouvaient 
déjà  les  restes  mortels  de  Mme  de  Montmort,  sa  sœur. 
Il  léguait  à  M.  de  Champigny,  l'intendant,  avec  qui  il 
avait  eu  de  violents  conflits,  un  crucifix  de  bois  de 
calambourg,  et  un  reliquaire  à  Madame  de  Champigny. 
L'apaisement  se  faisait  au  seuil  du  tombeau.    Mgr  de 


158  MÉLANGES 

Saint- Vallier,  qui  avait  eu  à  soutenir  plus  d'une  lutte 
avec  le  gouverneur,  était  venu  souvent  le  visiter.  Enfin, 
après  avoir  reçu  les  derniers  sacrements  de  la  main  du 
Père  Olivier  Goyer,  il  expirait  le  22  novembre  1698, 
à  l'âge  de  soixante-dix-huit  ans. 

Nous  sommes  aujourd'hui  au  deuxième  centenaire 
de  sa  mort.  Et  après  deux  siècles  sa  mémoire  et  ses 
hauts  faits  sont  vivants  parmi  nous.  Sa  statue  trône 
majestueusement  au  fronton  de  notre  Palais  législatif. 
Un  château,  qui  porte  son  nom  glorieux,  a  surgi  sur 
la  cime  du  rocher  d'où  il  lança  à  l'amiral  Phipps  son 
immortelle  apostrophe,  tandis  qu'à  deux  pas  se  dresse 
le  monument  où  Champlain  vient  d'apparaître,  dans 
une  apothéose,  à  nos  regards  émus.  Dualité  frappante, 
qui  nous  montre  le  fondateur  et  le  sauveur  de  la  Nou- 
velle-France unis  dans  la  reconnaissante  admiration  de 
la  postérité  ! 

Nous  n'avons  pas  voulu  laisser  passer  ce  deuxième 
centenaire  sans  le  saluer  de  la  plume  et  du  cœur,  nous 
souvenant  que  le  culte  des  gloires  de  la  patrie  est  un 
des  éléments  de  la  grandeur  nationale. 


LA  SAINT-JEAN-BAPTISTE 

24  juin  1899. 

Lundi,  la  fête  nationale  sera  célébrée  solennellement 
à  Québec.  C'est  un  beau  jour  pour  nous  tous,  un  jour 
de  publique  allégresse  et  de  fortifiante  émotion. 

On  se  demande  parfois,  et  plusieurs  de  nos  journaux 


MÉLANGES  159 

se  sont  posé  cette  question  depuis  quelques  jours  :  à 
quoi  bon  ces  démonstrations  patriotiques,  si  elles  n'abou- 
tissent pas  à  un  résultat  pratique,  tangible  ?  Nous  ne 
sommes  pas  absolument  de  cet  avis.  Sans  doute,  si  l'on 
peut  arriver,  un  jour  de  Saint-Jean-Baptiste,  à  fonder 
une  œuvre  utile,  à  créer,  par  exemple,  un  mouvement 
de  colonisation  sérieux  et  entouré  de  toutes  les  garan- 
ties de  succès,  c'est  à  merveille.  Mais  nous  croyons 
cela  difficile.  Et  l'expérience  du  passé  nous  paraît 
démontrer  que  ce  n'est  guère  un  jour  de  célébration 
nationale  que  l'on  peut  espérer  organiser  une  entre- 
prise. Certes  on  peut  jeter  des  germes,  semer  des  idées, 
ouvrir  des  horizons  ;  mais  faire  vraiment  des  affaires  le 
jour  de  la  Saint- Jean-Baptiste,  cela  nous  paraît  un  peu 
problématique. 

Il  ne  faudrait  pas  oublier  que  la  Saint-Jeau-Baptiste 
est  une  fête,  et  pas  autre  chose.  C'est  une  fête  qui,  dès 
l'origine,  a  eu  pour  unique  objet  d'évoquer  nos  grands 
souvenirs,  de  resserrer  nos  rangs,  d'alimenter  dans  les 
âmes  la  flamme  patriotique.  Raviver  la  foi  nationale, 
rapprocher  les  cœurs,  imposer  une  trêve  aux  dissen- 
sions, produire  une  détente  dans  les  combats  de  partis, 
élever  les  esprits  au-dessus  des  mesquins  intérêts  du 
moment,  et  par-dessus  tout  faire  aimer  la  patrie,  voilà 
le  but  de  la  Saint-Jean-Baptiste.  Il  est  grand,  il  est 
noble,  et,  même  si  elle  ne  produit  pas  d'autre  résultat, 
nous  disons  que  cette  fête  n'est  pas  inutile. 

Si,  en  outre,  on  parvient  ce  jour- là  à  faire  du  pratique, 
suivant  le  terme  consacré,  tant  mieux.  Mais  notre  fête 
nationale  a  sa  raison  d'être  sans  cela.  Quand  bien  même 
elle  s'écoulerait  tout  entière  sans  que  nous  sortions  un 
instant  de  l'idéal,  nous   en  sommes  encore,  nous  en 


160  MÉLANGES 

sommes  quand  même.  Il  y  aura  toujours  assez  de  prose 
sur  la  terre,  et  il  est  pour  les  peuples  des  aliments  plus 
dangereux  que  l'idéal.  Elevons  ce  jour-là  nos  esprits  et 
nos  cœurs;  comprenons  qu'en  dehors  de  nos  conflits 
passagers,  il  y  a  des  principes  immortels  qui  doivent 
nous  tenir  unis,  et  que  nous  avons  un  trésor  commun  à 
défendre  ;  oublions  un  peu  nos  rancunes  ;  pénétrons- 
nous  des  enseignements  lumineux  de  notre  histoire.  Et 
si  nous  entrons  bien  dans  cet  ordre  d'idées  et  de  senti- 
ments, le  24  juin  ne  sera  pas  un  jour  stérile. 

Donc,  lundi,  drapeaux  au  vent,  feuille  d'érable  à  la 
boutonnière,  et  vive  la  patrie  canadienne  ! 


SUR  LA.  TOMBE  DU  XIXème  SIECLE 


31  décembre  1900. 

Un  siècle  expire  ;  un  siècle  naît  ! 

Oui,  nous  assistons  à  la  transition  solennelle  d'une 
période  séculaire  à  une  autre.  Et  malgré  tout  ce  que 
l'on  pourra  dire  sur  ce  qu'il  y  a  de  conventionnel 
dans  cette  division  des  âges  et  dans  cette  classification 
du  temps,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  ressentir 
profondément  la  spéciale  gravité  de  l'heure  que  nous 
traversons. 

Sans  doute,  il  n'y  aura  rien  de  vraiment  changé  dans 
le  monde,  dans  les  conditions  politiques  et  économi- 
ques des  peuples,  parce  qu'un  nouveau  millésime  aura, 
demain,  remplacé  celui  dont  nous  datons  aujourd'hui 
cette  feuille  éphémère.    Lorsque  le  timbre  de  nos  hor- 


MÉLANGES  161 

loges  aura  sonné  cette  nuit,  son  douzième  coup,  il  ne 
se  produira  pas  assurément  de  changements  à  vue  dans 
l'univers.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  incontestable  que 
certaines  évolutions  nationales,  religieuses,  sociales,  com- 
mencées silencieusement  dans  la  dernière  période  du 
siècle  qui  finit,  s'achèveront  avec  éclat  durant  le  cours 
du  siècle  qui  va  s'ouvrir. 

Que  l'on  crie  à  la  convention  tant  que  l'on  voudra, 
on  n'empêchera  pas  que  la  succession  des  événements, 
l'orientation  des  idées,  l'action  des  doctrines,  la  nature 
du  mouvement  intellectuel,  l'enchaînement  logique  des 
faits  sociaux  et  politiques,  ne  donnent  à  l'ensemble  de 
telle  ou  telle  période  séculaire  une  physionomie  carac- 
téristique,ne  lui  confèrent  une  sorte  de  prodigieuse  entité, 
ne  lui  constituent  une  personnalité  grandiose  et  mysté- 
rieuse, et  que  l'histoire  humaine  ne  fasse  un  grand  pas 
lorsque  cette  personnalité  s'évanouit  dans  le  gouffre  du 
passé  ! 

Que  l'on  crie  à  la  convention  tant  que  l'on  voudra, 
on  n'empêchera  pas  qu'il  n'y  ait  eu  un  siècle  des  Croi- 
sades, un  siècle  de  la  Kenaissance  et  de  la  Eéforme,  un 
siècle  de  Louis  XIV,  un  siècle  de  l'Eucyclopédie,  et  que 
chacun  d'eux  ne  nous  apparaisse  nettement  avec  sa 
figure  distinctive  ! 

Que  l'on  crie  à  la  convention  tant  que  l'on  voudra, 
on  n'empêchera  pas,  enfin,  qu'il  n'y  ait  eu  un  dix-neu- 
vième siècle,  siècle  de  transformation  et  de  tempêtes, 
de  lutte  entre  le  doute  et  la  foi,  de  progrès  scientifique 
et  de  conflits  sociaux  ;  que  ce  siècle  dans  lequel  nous 
sommes  nés  et  nous  avons  grandi,  dont  nous  avons 
respires  à  pleins  poumons  la  brûlante  atmosphère,  dont 
nous  étions  habitués  à  prononcer  le  nom  avec  le  nôtre, 
U 


162  MÉLANGES 

ne  soit  tout  à  l'heure  un  siècle  mort,  auquel  nous 
aurons  survécu  pour  être  jetés  dans  le  courant  inconnu 
d'un  siècle  nouveau  ! 

Non,  ce  passage  d'un  siècle  à  un  autre  n'est  pas  une 
chose  banale  !  Voir  finir  sous  nos  yeux  une  époque  his- 
torique, lui  voir  prendre  sa  place  définitive  dans  les 
longues  annales  de  l'humanité,  cela  produit  sur  l'ima- 
gination et  sur  la  pensée  une  impression  très  vivace  et 
bien  naturelle  ! 

Le  voilà  donc  terminé  ce  tumultueux,  cet  orageux, 
ce  brillant  et  complexe  XIXe  siècle.  Quelle  carrière 
dramatique  et  mouvementée  il  a  fournie  !  Il  naît  au 
bruit  d'un  régime  qui  s'écroule,  et  le  fracas  des  batailles 
retentit  autour  de  son  berceau.  Sa  première  période  se 
résume  tout  entière  dans  le  duel  prodigieux  d'un  homme 
contre  le  monde,  dans  la  lutte  gigantesque  de  Napoléon 
contre  les  rois  et  les  peuples.  Quinze  ans  les  pages  de 
cette  merveilleuse  et  sanglante  épopée  s'écrivent  à  coup 
de  sabre  et  de  canon.  Puis  le  colosse  tombe  sous  le 
souffle  de  Dieu,  dont  il  a  été  l'instrument  providentiel; 
il  va  mourir  au  milieu  des  flots,  sur  un  rocher  solitaire, 
et  sa  pathétique  agonie,  sa  tombe  lointaine  autour  de 
laquelle  l'Océan  monte  la  garde,  font  entrer  dans  la 
légende  son  nom  qui  remplissait  déjà  l'histoire. 

A  l'autre  extrémité  du  siècle  une  autre  grande  figure 
nous  apparait.  Elle  est  moins  éblouissante,  moins  domi- 
natrice, moins  fascinatrice  peut-être,  mais  plus  pure, 
plus  noble,  plus  attachante  dans  sa  rayonnante  et  sereine 
majesté.  Léon  XIII,  captif  dans  son  palais,  mais  roi  du 
monde  par  la  hauteur  de  son  génie  aussi  bien  que  par 
la  sublimité  de  sa  mission  et  de  son  autorité  surnaturelle. 
Léon  XIII  fermant  le  siècle  ouvert  par  Napoléon,  quel 
spectacle  et  quel  contraste  ! 


MÉLANGES  163 

Si  VOUS  laissez  votre  pensée  voler  de  l'un  à  l'autre, 
elle  est  saisie  par  la  grandeur  et  la  multiplicité  des 
événements:  révolutions,  guerres,  conquêtes,  déplace- 
ment des  centres  d'action,  conflits  de  races,  de  croyances 
et  de  doctrines  !  Ah  !  les  nations  n'ont  jamais  vécu  une 
vie  plus  intense  et  plus  ardente  que  pendant  les  cent 
ans  qui  seront  terminés  ce  soir  ! 

Mais  enfin  ce  siècle,  notre  siècle  expirant,  que  faut-il 
en  penser  ?  Est-ce  un  des  grands  siècles  de  l'histoire 
universelle  ?  Oui,  sans  aucun  doute.  Il  a  enfanté  des 
œuvres  prodigieuses  et  donné  le  jour  à  des  hommes 
puissants  par  la  science  et  le  génie.  Il  a  accompli  des 
merveilles  ;  il  a  transporté  les  montagnes,  annulé  l'es- 
pace, maîtrisé  la  foudre,  mêlé  les  flots  des  océans,  scruté 
l'immensité  des  cieux  et  les  profondeurs  du  globe. 

Hélas  !  nous  voudrions  pouvoir  arracher  de  ses 
annales  bien  des  pages  honteuses  et  douloureuses,  où 
sont  inscrits  des  attentats  au  droit,  des  trahisons,  des 
lâchetés,  des  apostasies,  des  blasphèmes  et  des  cris  de 
haine.  Le  XIXe  siècle  a  vu  trop  souvent  la  lutte  entre 
le  bien  et  le  mal  se  terminer  par  le  triomphe  du  mal. 
Trop  souvent,  il  a  vu  la  faiblesse  opprimée,  la  justice 
sacrifiée,  la  vérité  méconnue.  Mais  il  a  vu  aussi  s'ac- 
complir des  prodiges  de  foi,  de  charité'  et  de  dévoue- 
ment. S'il  a  été  le  siècle  de  Proudhon,  de  Bismarck,  de 
Cavour,  de  Strauss  et  de  Renan,  il  a  été  également  le 
siècle  du  curé  d'Ars,  de  Dom  Bosco,  de  LaMoricière, 
de  Garcia  Moreno,  de  Pie  IX  et  de  Léon  XIII.  Il  nous 
semble  que,  malgré  ses  erreurs  et  ses  fautes,  la  postérité 
le  placera  bien  au-dessus  du  dix-huitième  siècle,  époque 
de  corruption  musquée  et  d'impiété  élégante,  où  le  règne 
des  sophistes  et  des  courtisanes  servit  de  prélude  à 
l'avènement  monstrueux  de  la  guillotine. 


164  MÉLANGES 

Le  voilà  qui  s'efface  à  l'horizon  de  l'histoire,  ce  siècle 
qui  a  remué  taut  de  problèmes,  fait  germer  tant  d'idées, 
modifié  si  profondément  la  physionomie  de  l'univers. 
Il  fuit  inexorablement,  il  hâte  son  déclin,  il  se  précipite 
devant  nous  dans  les  abîmes  du  temps,  comme  le  soleil 
qui  s'enfonce  sous  nos  yeux  derrière  les  monts  lointains, 
lorsque  sa  course  apparente  au-dessus  de  notre  hémis- 
phère est  terminée.  A  mesure  que  nous  traçons  ces  lignes, 
il  s'évanouit. ...Tout  à  l'heure,  il  sera  disparu,  et  nous 
aurons  assisté  à  cette  chose  rare  et  émouvante  :  le  cou- 
chant d'un  siècle  ! 

Adieu  donc,  ô  XIXe  siècle!  siècle  de  progrès  et 
de  décadence,  de  lumière  et  de  ténèbres,  de  liberté  et  de 
servitude,  siècle  hardi  âans  ses  aspirations  et  incertain 
dans  ses  voies,  siècle  fertile  en  prodiges  et  en  nau- 
frages ! 

Et  salut  à  toi,  ô  XXe  siècle  !  qui  nous  arrive  enve- 
loppé de  mystère,  et  dont  notre  regard  inquiet  est  impuis- 
sant à  sonder  les  perspectives.  Puisses-tu  apporter  au 
monde  tourmenté  un  peu  de  cette  paix  qu'il  n'a  guère 
connue  durant  le  siècle  évanoui,  et  avec  la  paix  la  pos- 
session de  ces  deux  biens  inestimables  pour  les  indivi- 
dus comme  pour  les  peuples  :  la  vérité  et  la  liberté. 


La  question  des  écoles  du  Manitoba. 


LES  AMIS   DE  L'ELECTEUR  AU 
MANITOBA 

13  août  1889. 

Si  nous  étions  l'Electeur,  comme  nous  profiterions  de 
ce  qui  se  passe  actuellement  au  Manitoba  pour  injurier 
M.  Laurier  et  son  parti  ! 

En  effet  le  ministère  libéral  de  Winnipeg,  acclamé  à 
sa  naissance  et  porté  aux  nues  sans  cesse  par  notre 
presse  grite-rouge,  menace  en  ce  moment  les  intérêts 
les  plus  vitaux  de  l'élément  catholique  et  français  au 
Manitoba. 

Le  lieutenant  de  M.  Greenway,  le  procureur-général 
Martin,  a  prononcé  à  Brandon,  en  l'honneur  de  M.  Dal- 
ton  McCarthy,  un  discours  fanatique  et  digne  en  tous 
points  de  la  ligue  des  droits  égaux. 

Nous  reproduisons  du  Manitoba,  dans  notre  numéro 
de  ce  jour,  une  analyse  de, ses  déclarations. 

Voilà  donc  le  procureur-général  du  gouvernement 
libéral  du  Manitoba  qui  pousse  le  cri  de  guerre  contre 
les  écoles  séparées  et  la  langue  française.  Que  pense 
de  cela  l'Electeur  ?  Va-t-il  essayer  de  faire  croire  à  son 
monde  que  M.  Martin  est  un  tory  déguisé  ? 

Il  paraît  de  plus  en  plus  évident  que  ce  ministère 


166  MÉLANGES 

Greenway,  cher  à  l'Electeur,  est  à  préparer  une  cam- 
pagne anticatholique  et  antifrançaise,  qui  va  mettre 
le  feu  au  Manitoba. 

Nous  croyons  qu'il  va  trouver  dans  la  constitution 
un  obstacle  invincible  à  ses  projets. 

Il  est  vraiment  singulier  que  YElecteur  n'ait  pas 
encore  lancé  ses  foudres  contre  ses  amis  de  Winnipeg. 
Dénoncer  M.  McCarthy,  c'est  très  bien.  Mais  dire  leurs 
vérités  à  MM.  Smart,  Martin,  Charlton,  ce  serait  encore 
plus  méritoire. 

Allons,  un  bon  mouvement! 


LA  CRISE  AU  MANITOBA 

16  août  1889. 

L'Electeur  d'hier  matin  avait  un  grand  article  pour 
établir  que  le  gouvernement  libéral  du  Manitoba  est 
innocent  de  tous  les  mauvais  desseins  qu'on  lui  a  attri- 
bués  

Hélas  !  au  moment  même  où,  tout  à  fait  rassuré,  il 
donnait  cours  à  son  optimisme,  une  dépêche  imprimée 
à  sa  quatrième  page,  annonçait  la  démission  de  l'hono- 
rable James  Prendergast  et  la  crise  ministérielle  du 
Manitoba. 

La  signification  de  cet  événement  est  éclatante.  M. 
Prendergast  ne  remet  pas  son  portefeuille  sans  raison 
grave.  UElecteur  disait  dans  l'article  que  nous  venons 
de  mentionner  :  "  M,  Prendergast  s'est  empressé  lui 
"  aussi   de  déclarer  qu'il  donnerait  sa  démission  s'ils 


MÉLANGES  167 

"  persistaient  à  faire  cause  commune  avec  l'agitateur 
"  tory"  Eh  bien,  il  vient  de  donner  sa  démission.  Donc 
ses  collègues  sont  décidés  à  faire  cause  commune  avec 
les  fanatiques.    Il  n'y  a  pas  à  sortir  de  là. 

Et  cependant  ce  fameux  cabinet  raanitobain,  c'est  un 
cabinet  grit,  une  administration  chère  à  l'Electeur  et  à 
tout  le  parti  libéral.  Greenway  et  ses  collègues  ne  sont 
certainement  pas  des  bleus-tories-orangistes  ;  et  les 
voilà  bras  dessus  bras  dessous  avec  M.  Dalton  McCar- 
thy  ! 

Mais  l'Electeur  n'entend  que  d'une  oreille,  et  il  est 
tellement  désireux  de  frapper  sur  le  parti  conservateur 
qu'il  trouve  moyen  de  mettre  en  cause,  dans  la  crise  du 
Manitoba,  le  cabinet  fédéral  et  de  faire  rentrer  discrète- 
ment dans  la  coulisse  le  cabinet  Greenway. 


31  octobre  1889. 

Il  y  a  quelques  jours,  le  procureur-général  Martin, 
de  Winnipeg,  annonçait  pompeusement  que  le  gouver- 
nement Greenway  allait  marcher  résolument  dans  la  voie 
des  réformes,  quant  à  la  langae  française  et  à  la  loi 
d'éducation. 

Cela  signifiait  que  les  ministreaux  du  Manitoba  veu- 
lent abolir  là-bas  l'usage  officiel  de  notre  langue  et  les 
écoles  séparées. 

Or  ces  fanfarons  du  fanatisme  oublient  une  chose. 
C'est  que  sur  leur  chemin  se  dresse  un  invincible  obs- 
tacle :  la  constitution  du  pays. 

La  constitution  du  Canada,  et  en  particulier  la  con- 
stitution du  Manitoba,  interdisent  au  gouvernement  de 


168  MÉLANGES 

Winnipeg  toute  tentative  abolitionniste,  du  genre  de 
celle  qui  est  annoncée  par  M,  Martin  le  brouillon. 

On  l'a  affirmé  plusieurs  fois.  Mais  il  ne  suffit  pas  de 
l'affirmer,  il  faut  le  prouver.  Nous  allons  le  faire  de 
manière  à  enlever  tout  doute  aux  plus  fanatiques. 

Le  gouvernement  de  la  province  du  Manitoba  a  été 
constitué  par  une  loi  (33  Vict.,  chapitre  III)  du  Parle- 
ment canadien,  sanctionnée  le  12  mai  1870.  C'est  cette 
loi  qui  forme  la  constitution  du  Manitoba. 

Or  que  dit-elle  au  sujet  des  écoles  : 

"  22.  Dans  la  province,  la  législature  pourra  exclu- 
sivement décréter  les  lois  relatives  à  l'éducation,  sujettes 
et  conformes  aux  dispositions  suivantes  : 

"  1**  Piien  dans  ces  lois  ne  devra  préjudicier  à  aucun 
droit  ou  privilège  conféré,  lors  de  l'Union,  par  la  loi  on 
par  la  coutume,  à  aucune  classe  particulière  de  per- 
sonnes dans  la  province,  relativement  aux  écoles  sépa- 
rées (denominational  schools). 

"  2''  Il  pourra  être  interjeté  appel  au  gouverneur- 
général  en  conseil  de  tout  acte  ou  décision  de  la  législa- 
ture de  la  province  ou  de  toute  autorité  provinciale 
affectant  quelqu'un  des  droits  ou  privilèges  de  la  mino- 
rité protestante  ou  catholique  romaine  des  sujets  de  Sa 
Majesté  relativement  à  l'éducation." 

On  remarquera  ici  que  cette  clause  est  beaucoup  plus 
satisfaisante  que  la  clause  analogue  de  l'acte  constitu- 
tionnel de  1867.  En  effet  la  clause  93  de  celui-ci  décrète 
que  rien  dans  les  lois  des  provinces  sur  l'éducation  "  ne 
devra  préjudicier  à  aucun  droit  ou  privilège  conféré,  lors 
de  l'union,  jmr  la  loi,  à  aucune  classe  particulière  de 
personnes  dans  la  province,  relativement  aux  écoles  sépa- 
rées."    Ce  sont  ces  mots  :  j^^i'^'  l<^  loi,  qui  ont  fait  naî- 


MÉLANGES  169 

tre  la  fameuse  question  des  écoles  du  Nouveau-Bruns- 
wick.  Avant  la  confédération  nos  coreligionnaires  du 
Nouveau-Biunswick  jouissaient  des  avantages  des  éco- 
les séparées,  mais  non  en  vertu  d'une  loi.  Lorsque  la 
législature  leur  enleva  ces  avantages,  ils  réclamèrent  en 
s'appuyant  sur  la  clause  93  de  l'acte  de  l'Amérique 
Britannique  du  Nord.  Mais  leurs  adversaires  soutin- 
rent que  cette  clause  ne  pouvait  être  invoquée  dans  ce 
cas,  parce  que  les  écoles  séparées  n'étaient  pas  établies 
jpar  la  loi  au  Nouveau-Brunswick,  à  l'époque  de  l'union 
fédérale. 

11  n'en  est  pas  de  même  du  Manitoba.  L'acte  consti- 
tutionnel de  1870  dit:  "  par  la  loi  ou  par  la  coutume." 
De  sorte  qu'il  n'y  a  pas  d'échappatoire  possible.  Nos  ' 
coreligionnaires  de  la  Rivière-Rouge  avaient,  en  vertu 
de  la  coutume,  des  écoles  à  eux,  des  écoles  catholiques, 
au  moment  de  leur  entrée  dans  la  Confédération.  Donc 
la  législature  du  Manitoba  ne  peut  porter  préjudice  à 
leurs  droits  quant  aux  écoles  séparées. 

Cette  clause  22,  relative  à  l'éducation,  de  l'acte  de 
1870,  a  d'autant  plus  d'importance  et  de  portée,  qu'elle 
a  subi  l'épreuve  de  la  discussion  et  du  vote,  dans  le 
débat  sur  le  bill  constituant  la  province  du  Manitoba. 
On  lit  à  la  page  lôlG  des  Dominion  parlia.mentary 
debates  de  1870  : 

"  M.  Oliver  propose  que  la  clause  concernant  l'édu- 
cation soit  biffée. 

"  L'honorable  M.  Chauveau  espère  que  l'amendement 
ne  sera  pas  adopté.  Il  est  désirable  de  protéger  la  mino- 
rité au  Manitoba  contre  le  grand  danger  des  dissensions 
religieuses  relativement  à  l'éducation.  Il  ne  saurait  y 
avoir  de  meilleur  modèle  à  suivre,  en  ce  cas,  que  l'Acte 


170  MÉLANGES 

d'Union,  qui  donne  protection  entière  aux  minorités. 
Il  est  impossible  de  dire  qui  formera  la  majorité  là-bas, 
les  protestants  ou  les  catholiques.  Si  la  population  doit 
venir  de  l'autre  côté  des  mers,  alors  les  protestants 
seront  en  majorité.  Si,  comme  on  l'a  déclaré,  Mauitoba 
doit  être  une  réserve  française,  alors  les  catholiques 
seront  en  majorité.  Que  ce  soit  les  uns  ou  les  autres 
qui  dominent,  il  est  à  désirer  que  la  nouvelle  province 
soit  préservée  des  discussions  qui  ont  fait  tant  de  mal 
dans  les  vieilles  provinces  du  Canada 

"  L'honorable  M,  McDougall  dit  que  l'effet  de  cette 
clause,  si  elle  n'est  pas  biffée,  sera  de  fixer  des  lois  que 
la  législature  locale  ne  ijourra  changer  dans  l'avenir, 
et  que  ce  serait  mieux  de  laisser  la  question  à  déci- 
der aux  autorités  locales,  comme  dans  les  autres  pro- 
vinces. 

"  L'honorable  sir  George  Cartier  fait  allusion  à  la 
manière  dont  la  Eivière- Rouge  fut  colonisée,  et  rappelle 
les  subventions  en  terres  qui  ont  été  accordées  au  clergé 
pour  les  fins  d'éducation. 

"  M.  Mackenzie  se  dit  prêt  à  laisser  la  question  sous  la 
juridiction  exclusive  de  la  législature  locale.  L'Acte  de 
l'Amérique  Britannique  du  Nord  donnait  toute  la  pro- 
tection nécessaire  aux  minorités  ;  et  les  autorités  locales 
comprennent  leurs  besoins  mieux  que  le  parlement 
central... 

"  Après  une  longue  discussion  le  vote  est  pris  sur 
l'amendement:   pour  34,  contre  81." 

Nous  avons  insisté  sur  ce  débat  et  ce  vote,  parce  qu'il 
accentue  la  portée  de  la  clause  22,  favorable  à  la  mino- 
rité catholique. 

Maintenant,  quant  à  langue  française,  elle  est  aussi 


MÉLANGES  171 

soigneusement  protégée  que  les  écoles  confessionnelles. 
Qu'on  lise  la  clause  23  de  la  loi  de  1870  : 

"  23.  L'usage  de  la  langue  française  ou  de  la  langue 
anglaise  sera  facultatif  dans  les  débats  des  Chambres 
de  la  législature  ;  mais  dans  la  rédaction  des  archives, 
procès- verbaux  et  journaux  respec'  ifs  de  ces  chambres, 
l'usage  de  ces  deux  langues  sera  obligatoire  ;  et  dans 
toute  plaidoirie  ou  pièce  de  procédure  par  devant  les 
tribunaux  ou  émanant  des  tribunaux  du  Canada,  qui 
sont  établis  sous  l'autorité  de  "  l'Acte  de  l'Amérique 
Britannique  du  Nord,  1867,"  et  par  devant  tous  les  tri- 
bunaux ou  émanant  des  tribunaux  de  la  province,  il 
pourra  être  également  fait  usage,  à  volonté,  de  l'une  ou 
de  l'autre  de  ces  langues. 

"  Les  actes  de  la  législature  seront  imprimés  et 
publiés  dans  les  deux  langues" 

Voilà  qui  est  péreraptoire.  Comment  les  ministreaux 
de  Winnipeg  pourront-ils  regimber  devant  une  disposi- 
tion aussi  formelle  ? 

Vont-ils  essayer  d'amender  leur  constitution  ?  C'est 
la  loi  fédérale  de  1870  qui  forme  la  constitution.  Et 
elle  ne  donne  pas  à  la  législature  manitobaine  le  pouvoir 
d'amendement.  L'assemblée  législative  de  Winnipeg 
n'a  pas  le  droit  de  toucher  à  la  loi  fédérale. 

MM.  Greenway  et  Martin  vont-ils  s'adresser  au  par- 
lement fédéral  ?  On  a  dit  que  M.  McCarthy  devait  se 
lever,  à  la  prochaine  session,  pour  demander  à  la  Cham- 
bre des  Communes  d'amender  l'acte  du  Manitoba.  Mais 
ici  un  autre  obstacle  infranchissable  surgit.  Des  doutes 
s'étant  élevés  sur  le  pouvoir  qu'avait  le  parlement  cana- 
dien d'adopter  la  loi  constituant  la  province  du  Mani- 
toba, le  gouvernement  canadien  obtint  du   Parlement 


172  MÉLANGES 

impérial,  en  1871,  une  loi  de  ratification  (34-35  Vict., 
chap.  28).     La  clause  5  se  lit  comme  suit  : 

"  5.  Les  actes  suivants  passés  par  le  dit  parlement 
du  Canada,  et  respectivement  intitulés:  "  Acte  concer- 
nant le  gouvernement  ])rovisoire  de  la  Terre  de 
Rupert  et  du  Territoire  du  Nord-Ouest  après  que  ces 
territoires  auront  été  unis  au  Canada,  et  Acte  pour 
amender  et  continuer  l'acte  trente-deux  et  trente-trois 
Victoria,  chajntre  trois,  et  pour  établir  et  constituer 
le  gouve^^nement  de  la  province  de  Manitoha,"  seront 
et  sont  considérés  avoir  été  valides  à  toutes  fins,  à 
compter  de  la  date  où,  au  nom  de  la  Eeine,  ils  ont  reçu 
la  sanction  du  gouverneur-général  de  la  dite  Puissance 
du  Canada." 

Mais  dans  la  question  qui  nous  occupe,  la  clause 
la  plus  importante  est  sans  contredit  la  clause  6^  qui 
enlève  nettement  au  Parlement  fédéral  et  à  la  lésis- 
lature  provinciale  le  pouvoir  d'amender  l'acte  de  1870. 
voici  cette  clause  : 

"  6.  Excepté  tel  que  prescrit  par  la  troisième  section 
du  présent  acte  (relative  au  changement  des  limites 
des  provinces),  le  parlement  du  Canada  n'aura  'pas 
compétence  pour  changer  les  dispositions  de  l'acte  en 
dernier  lieu  mentionné  du  dit  parlement,  en  ce  qui 
concerne  la  province  du  Manitoha,  ni  d'aucun  autre 
acte  établissant  à  l'avenir  de  nouvelles  provinces  dans 
la  dite  Puissance,  sujet  toujours  au  droit  de  la  législa- 
ture de  Manitoba  de  changer,  de  temps  à  autre,  les 
dispositions  d'aucune  loi  concernant  la  qualification  des 
électeurs  et  des  députés  à  l'Assemblée  législative  et  de 
décréter  des  lois  relatives  aux  élections  dans  la  dite 
province." 


MÉLANGES  173 

La  constitution  du  Manitoba  est  donc  au-dessus  des 
atteintes  de  la  législature  manitobaine.  Elle  ne  peut 
être  amendée  davantage  par  le  Parlement  fédéral.  Si 
MM,  Greenway  et  Martin  veulent  abolir  l'usage  oËficiel 
de  la  langue  française  et  les  écoles  séparées,  ils  doivent 
commencer  par  demander  au  Parlement  impérial  des 
amendements  à  leur  constitution.  Sans  cette  précaution, 
et  s'ils  veulent  passer  outre,  ils  ne  sont  que  des  révo- 
lutionnaires au  petit  pied. 

On  verra  quel  espèce  d'accueil  ils  recevront  à  Lon- 
dres, 

Ah  !  ils  ne  sont  pas  maîtres  de  la  position,  les  poten- 
tats de  Winnipeg  ! 


LE  FANATISME  AU  MANITOBA 

6  novembre  1890. 

Les  fanatiques  du  Manitoba  poursuivent  leur  œuvre 
de  persécution  et  d'ostracisme. 

La  dépêche  suivante  de  Winnipeg  nous  montre  à 
quels  excès  peut  se  porter  le  gouvernement  Greenway  ; 

"  Winnipeg,  4. — A  la  séance  de  la  chambre  ce  soir,  il 
y  avait  une  foule  immense,  comprenant  des  membres 
du  clergé,  catholique  et  protestant,  actuellement  en  cette 
ville. 

"  Le  discours  du  procureur  général  Martin  sur  le  pro- 
jet de  loi  pour  abolir  les  écoles  séparées  a  duré  quatre 
heures. 

"  Il  a  parlé  très  longuement  du  droit  que  les  législa- 
tures locales  avaient  de  légiférer  en  matière  d'éducation. 


174  MÉLANGES 

Il  a  prétendu  que  l'Acte  de  l'Amérique  Britannique  du 
Nord  donnait  un  pouvoir  complet  aux  législatures  sur 
ce  sujet.  Il  a  cherché  à  faire  ressortir  les  avantages  qui 
résulteraient  pour  la  province  du  projet  de  loi  abolis- 
sant les  écoles  séparées,  et  a  prétendu  que  ce  bill  avait 
l'appui  des  neuf  dixièmes  de  la  population  du  Mani- 
toba... 

"  Il  a  nié  qu'aucun  traité  ou  convention  ait  été  fait 
entre  la  province  du  Manitoba  et  le  gouvernement  du 
Canada,  en  1870,  et  donnant  aux  Canadiens-français 
droit  à  un  système  d'éducation  séparée.  Il  a  dit  que  si 
tel  avait  été  le  cas  en  1870,  cela  ne  pouvait  lier  la  pro- 
vince pour  l'avenir  et  qu'il  était  grandement  temps 
qu'elle  s'émancipât, 

"  L'honorable  M.  Martin  a  dit  que  si,  comme  on  l'avait 
prétendu,  les  catholiques  refusaient  de  payer  les  taxes 
d'écoles  si  on  ne  maintenait  pas  leurs  écoles,  le  gouver- 
nement se  hâterait  d'adopter  des  mesures  énergiques 
pour  forcer  les  catholiques  à  payer  ces  taxes." 

C'est  bien  !  que  M.  Martin  poursuive  sa  triste  beso- 
gne !  ^  Il  trouvera  sur  sa  route  des  obstacles  sur  les- 
quels toute  sa  jactance,  toute  sa  fureur  anti catholique 
et  antifrançaise  iront  se  briser,  et  des  écueils  qui  feront 
sombrer  sa  fortune  politique. 


1  —  Les  lois  iniques  proposées  par  le  gouvernement  Green- 
way  furent  adoptées  le  31  mars  1889.  Depuis  cette  date 
néfaste,  les  écoles  séparées  confessionnelles  n'ont  plus  droit 
de  cité  au  Manitoba.  Et  cela  en  dépit  des  sauvegardes  de  la 
constitution. 


MÉLANGES  175 

L'ATTITUDE  DU  GLOBE 

7  février  1891. 

L'Etendard  s'est  décidé  à  se  jeter  dans  la  lutte  contre 
le  gouvernement  fédéral,  et  en  faveur  dn  parti  libéral  ^ 

Une  de  ses  raisons,  c'est  la  loi  des  écoles  du  Mani- 
toba,  et  le  fait  que  cette  loi  n'a  pas  encore  été  désavouée. 

On  dirait  vraiment  que  notre  confrère  de  Y  Etendard 
oublie  que  ces  lois  iniques  ont  été  proposées  par  un 
gouvernement  libéral,  ennemi  du  cabinet  d'Ottawa,  et 
ami  de  l'opposition  fédérale. 

Quant  au  désaveu  de  ces  lois,  le  gouvernement  n'a 
pas  encore  fait  connaître  ses  intentions.  Et,  dans  tous 
les  cas,  qu'est-ce  que  l'Etendard  peut  attendre  du  parti 
grit-libéral  ? 

Nous  lui  signalons,  et  nous  signalons  à  la  province 
de  Québec  tout  entière  l'article  suivant  publié  par  le 
Globe  du  3  février  courant.  C'est  le  programme  du 
parti  libéral  sur  cette  question  du  désaveu  des  lois 
scolaires  du  Manitoba, 

Kous  appelons  l'attention  de  nos  lecteurs  et  de  tout 
l'électorat  sur  cet  article  : 

"  La  cour  du  Manitoba  au  complet  a  soutenu  la  déci- 
sion du  juge  Killam  déclarant  que  la  loi  scolaire  de  cette 


1  —  Le  parlement  fédéral  venait  d'être  dissous  et  des  élec- 
tions générales  avaient  lieu  en  ce  moment.  En  vertu  de  la 
constitution,  le  gouvernement  du  Canada  peut  désavouer 
toute  loi  provinciale,  mais  ce  droit  de  veto  doit  être  exercé 
dans  le  délai  d'un  an.  Pour  la  loi  des  écoles  manitobaines,  ce 
délai  expirait  le  11  avril  1891. 


176  MÉLANGES 

province  est  intra  vires.  Le  juge  en  chef  Taylor  et  le 
juge  Bain  ont  adopté  l'opinion  du  juge  Killarn,  et  le  juge 
Dubuc  seul  a  exprime  son  dissentiment.  La  période 
pendant  laquelle  cette  loi  peut  être  désavouée  sera  pro- 
bablement close  avant  que  la  cour  suprême  puisse  por- 
ter un  jugement.  Poussés  par  cette  crainte  et  antici- 
pant la  décision  qui  vient  d'être  rendue,  les  adversaires 
de  la  loi  au  Manitoba  et  à  Québec  ont  déjà  commencé  à 
s'agiter  afin  d'obtenir  un  désaveu  de  la  part  du  gouver- 
neur en  conseil  à  Ottawa.  L'attitude  qu'ils  assument 
ainsi  est  digne  d'être  signalée.  Pendant  qu'ils  criaient 
avec  rage  contre  le  désaveu  de  la  loi  des  biens  des  Jésuites, 
ils  basaient  leurs  prétentions  sur  le  fait  que  la  législature 
de  Québec  n'avait  fait  qu'user  de  son  droit  constitutionnel 
de  l'adopter.  La  constitutionnalité  de  la  loi  des  jésuites  ne 
fut  pas  alors  garantie  par  les  officiers  en  loi  de  la.  cou- 
ronne en  Angleterre,  et  par  conséquent  aucun  tribunal 
de  justice  dans  ce  pays  n'a  été  à  même  d'en  décider. 
Donc  en  demandant  le  désaveu  de  la  loi  des  écoles 
manitobaines,  ces  provinces  abandonnent  la  doctrine  des 
droits  provinciaux  qu'ils  invoquaient  en  faveur  du  bill 
des  Jésuites,  et  ils  demandent  au  gouvernement  de  la 
Puissance  d'exécuter  un  semblable  changement  de  front, 
bien  que  la  constitutionalité  de  la  mesure  ait  été  réglée 
par  deux  cours  de  justice.  Nous  ignorons  quelle  ligne  de 
conduite  le  Gouvernement  va  tenir.  Le  parti  libéral 
marchera  sans  aucun  doute  dans  la  voie  d.roite  et  s'en 
tiendra  aux  droits  provinciaux,  comme  il  a  fait  à 
plusieurs  reprises  dans  le  passé." 

Voilà  l'attitude  du  parti  libéral,  de  l'opposition,  sur 
cette  question  du  désaveu  des  lois  du  Manitoba  ! 

L'organe    en    chef  de   l'opposition,    le   Globe,   nous 


MÉLANGES  177 

apprend  que  si  l'opposition  arrive  au  pouvoir,  les  lois 
iniques  du  gouvernement  Greenway  -  Martin  seront 
maintenues. 

Qu'est-ce  que  notre  confrère  peut  donc  attendre  de 
la  chute  de  Sir  John  ? 

U Etendard  dénonce  Sir  John,  "  ce  centralisateur  à 
outrance,  si  empressé  de  désavouer  les  lois  passées  par 
les  législatures." 

Et  la  loi  des  biens  des  Jésuites,  Sir  John  l'a-t-il  désa- 
vouée? A-t-on  déjà  oublié  sa  noble  attitude  et  ses 
nobles  paroles,  en  certain  lieu  ?  A-t-on  déjà  oublié  la 
fermeté,  le  courage  et  l'habileté  suprêmes  avec  lesquelles 
il  a  fait  face  aux  passions  déchaînées,  et  muselé  le  fana- 
tisme sectaire  ? 

Ce  grand  service  que  Sir  John  nous  a  rendu  n'a-t-il 
laissé  aucune  trace  dans  certaines  mémoires  ? 

Sir  John  a  joué  incontestablement  sa  popularité  dans 
Ontario,  en  cette  circonstance.  Il  a  risqué  de  briser  son 
parti. 

Devons-nous  l'en  récompenser  en  décrétant  sa  déché- 
ance ? 

Et  le  parti  dont  le  Glohe  est  l'organe  offre-t-il  bien 
des  garanties  à  VEtendard,  lorsque  le  journal  grit  pro- 
clame que  l'opposition  libérale  sera  favorable  au  main- 
tien des  lois  du  Manitoba  ? 

Où  est  donc  la  logique  dans  cette  attitude  et  dans 
cette  argumentation  ? 


12 


178  MÉLANGES 

LARMES  DE  CROCODILE 

17  mars  1891. 

Le  preraier-QuL'bec  de  l'Electeur  de  ce  matin  est  un 
des  articles  les  plus  impudents  et  les  plus  hypocrites 
qui  aient  jamais  paru  dans  un  journal  canadien. 

Nous  allons  citer  intégralement  ces  lignes  qui  pei- 
gnent proprement  le  journal  qui  les  publie. 
"  C'en  est  fait. 

"  Le  gouvernement  fédéral  a  décidé  de  ne  pas  désa- 
vouer ou  contester  la  légalité  de  la  loi  des  écoles  du 
Manitoba. 

"  Inutile  pour  nos  coreligionnaires  de  l'Ouest  d'espé- 
rer davantage,  la  décision  est  donnée. 

"  Cette  décision  du  gouvernement  fédéral  créera  un 
profond  désappointement  dans  le  cœur  de  tous  les  bons 
catholiques  du  Dominion.     Quant  à  nouSj'^nous  nous  y 
attendions.    Nous  ne  pouvions  espérer  autre  chose  d'un 
gouvernement  tory,  mais  nous  aurons  au  moins  le  cou- 
rage de  dire  à  Vépiscopat  de  cette  iwovince  qu'il  n'a 
jyas  j)arlé  assez  tôt,  qu'il  a  eu  trop  de  scrupules,  en 
attendant,  pour  plaider  la  cause  de  la  minorité  catho- 
lique du  Manitoba,  que  la  décision  fut  prise  à  Ottawa, 
"  Avec  un  tribunal  aussi  mal  disposé  il  eût  fallu  se 
défendre  avec  énergie.     Nos  plus  puissantes  influences 
ne  sont  intervenues  que  lorsque  le  jugement  était  rendu. 
Le  parti  tory  n'en  souffrira  pas  puisque  les  élections 
sont  maintenant  faites,  mais  pour  nos  pauvres  coreli- 
cionnaires  du  Manitoba  l'on  ne  saurait  en  dire  autant." 
Un  journal  qui  aurait  fait  une  lutte  ardente,  con- 
stante, acharnée,  désespérée,  pour  obtenir  le  désaveu  de 


MÉLANGES  179 

la  loi  manitobaine,  pourrait  à  la  rigueur  publier  un 
article  comme  celui-là. 

Mais  V Electeur  n'a  rien  fait  dans  ce  sens  ! 

Il  n'a  pas  lutté  pour  obtenir  le  désaveu  ! 

Il  n'a  publié  aucun  de  ces  articles  flamboyants  dont 
il  est  coutumier  quand  il  veut  ameuter  l'opinion  ! 

Il  a  eu  peur  de  compromettre  son  chef,  M.  Laurier. 

Durant  les  élections  ^  il  s'est  soigneusement  abstenu 
d'agiter  la  question  du  désaveu  parce  que  cela  pouvait 
nuire  à  M.  Cartwright  dans  Ontario. 

Et  maintenant,  après  le  rapport  du  ministre  de  la 
Justice,  il  pousse  un  cri  de  détresse  ;  il  verse  des  lar- 
mes sur  les  pauvres  catholiques  du  Manitoba,  persécu- 
tés par  ses  amis  ou  ses  alliés,  les  Martin  et  les  Gresn- 
way,  ministres  libéraux  !  ! 

Que  ne  protestait-il,  que  n'embouchait-il  le  clairon 
des  batailles,  quand  son  chef  de  file,  l'organe  accrédité 
du  parti  libéral  d'Ontario,  le  Globe,  proclamait  d'avance 
la  doctrine  libérale  sur  cette  question  ? 

En  effet,  au  début  des  élections,  le  3  février,  le  Globe 
publiait  un  article  que  nous  avons  cité  dans  notre 
numéro  du  7  février  dernier,  et  dans  lequel  il  était 
déclaré  que  le  parti  libéral  s'opposerait  au  désaveu. 

Voilà  ce  que  l'organe  en  chef  du  parti  libéral  annon- 
çait à  l'électorat  dès  l'ouverture  de  la  campagne. 

VEledeur  a-t-il  répudié  cet  article  ? 

A-t-il  protesté  contre  sa  publication  ? 

A-t-il  dégagé  la  responsabilité  du  chef  de  l'opposition, 
M.  Laurier  ? 


1  _  Elles  s'étaient  terminées  le  5  mars  par  la  victoire  du 
ministère  présidé  par  Sir  John  Macdonald. 


180  MÉLANGES 

M.  Laurier  lui-même  a-t-il  parlé  du  désaveu  durant 
les  élections  ? 

A-t-il  formulé  un  programme  sur  cette  question  si 
importante  ? 

Non,  rien,  silence  sur  toute  la  ligue. 

Mieux  que  cela,  l'Electeur  a  pris  position  contre  le 
désaveu. 

Voici  la  preuve  de  notre  assertion. 

L'Electeur  du  24  mars  disait  : 

"  Nous  croyons  savoir  que  dans  la  lettre  collective 
qui  sera  publiée  prochainement  par  les  évêques  du 
Canada  au  sujet  de  la  loi  des  écoles  du  Manitoba, 
Leurs  Grandeurs  reconnaissent  la  justesse  du  inin- 
cipe  posé  par  Vhonorahle  M.  Mercier,  qu'une  loi  pro- 
vinciale inconstitutionnelle  ne  doit  pas  être  désavouée 
par  le  gouvernement  central  mais  déclarée  nulle  par 
les  tribunaux.  L'on  ne  demandera  donc  pas  le  désa- 
veu de  la  loi  mais  simplement  que  la  question  soit 
soumise  aux  tribunaux." 

Que  signifiait  cela,  sinon  que  d'après  le  principe  posé 
par  M.  Mercier,  le  gouvernement  ne  devait  pas  désa- 
vouer la  loi. 

Dans  son  numéro  du  2  avril,  l'Electeur  disait  encore  : 

"  Dans  son  dernier  numéro,  la  Vérité  revient  à  la 
charge  au  sujet  de  la  calomnie  inventée  par  la  presse 
tory  que  l'honorable  M.  Laurier  aurait  donné  à  M. 
Watson,  député  de  Marquette,  la  promesse  solennelle 
que  le  parti  libéral  ne  demanderait  pas  le  désaveu  de  la 
loi  scolaire  du  Manitoba. 

"  Nous  avons  déjà  publié  la  dénégation  formelle  des 
intéressés.  En  fait,  M.  Laurier  n'a  jamais  promis  rien 
de  semblable  ;  tous  ceux  qui  sont  au  courant  des  choses 


MÉLANGES  181 

politiques  le  savent  et  la  Vérité  est  injuste  en  feignant 
de  l'ignorer. 

"  M.  Laurier  n'a  jamais  fait  pareille  promesse,  mais 
l'eût-il  fait,  il  n'aurait  pas  été  en  désaccord  avec  les 
évêques  du  Canada,  qui,  dans  leur  lettre  collective  aa 
gouvernement,  demandent,  croyons-nous,  non  pas  que 
la  loi  soit  désavouée,  mais  qu'elle  soit  soumise  aux 
tribunaux,  qui  ne  peuvent  manquer  de  la  déclarer 
inconstitutionnelle." 

Où  étaient  donc  les  foudres  de  l'Electeur  en  ce 
moment  ? 

Ne  ressort-il  pas  clairement  de  ces  citations  que 
l'organe  libéral  ne  demandait  pas  le  désaveu,  mais 
favorisait  plutôt  l'idée  de  faire  déclarer  la  loi  inconsti- 
tutionnelle d'après  le  principe  posé  par  M.  Mercier  ? 

Il  ne  saurait  y  avoir  deux  manières  d'interp  éter 
l'attitude  de  l'Electeur  jusqu'à  aujourd'hui. 

Et,  lorsque  les  choses  arrivent  précisément  comme 
l'Electeur  le  demandait,  après  le  Globe,  ce  journal  impu- 
dent s'en  vient  hypocritement  déplorer  que  la  loi  no 
soit  pas  désavouée,  et  il  pousse  l'audace  jusqu'à  atta- 
quer l'épiscopat  à  ce  sujet  !  ! 

En  vérité  c'est  un  étrange  spectacle. 


LA.  LOI  DES  ECOLES  DU  MANITOBA 


4  avril  1891. 

Il  y  a  déjà  plus  d'un  an,  dans  le  Courrier  du  31 
octobre  1889,  nous  exposions  toute  la  question  des 
écoles  du  Manitoba. 


182  MÉLANGES 

C'était  avant  l'adoption  des  lois  Martin.  Depuis  lors 
le  cabinet  de  Winnipeg  est  entré  à  pleines  voiles  dans  la 
persécution,  et  la  législation  qu'on  redoutait  en  octcbre 
1889  a  été  édictée  par  la  législature  du  Manitoba. 

Les  clauses  odieuses  de  cette  loi  n'ont  pas  encore  été 
citées  dans  nos  journaux.  11  importe  de  les  faire  con- 
naître pour  bien  faire  juger  l'état  de  la  question. 

Le  but  de  la  loi  est  d'établir  dans  la  province  du 
Manitoba  un  système  d'écoles  publiques,  non  confes- 
sionnelles, pour  remplacer  les  écoles  confessionnelles, 
catholiques  ou  protestantes,  qui  existaient  jusque-là,  et 
étaient  subventionnées  par  la  province  proportionnelle- 
ment au  nombre  des  élèves  respectifs  de  ces  écoles. 

L'abolition  des  écoles  séparées  et  l'établissement  des 
écoles  publiques,  où  les  enfants  catholiques  et  protes- 
tants iront  ensemble,  tel  est  l'objet  de  la  loi. 

Voici  maintenant  les  clauses  les  plus  importantes  : 

La  clause  8  dit  : 

"  Les  écoles  publiques  seront  entièrement  non-con- 
fessionnelles, et  aucun  exercice  religieux  n'y  sera  per- 
mis excepté  tel  que  pourvu  plus  haut." 

La  clause  89,  sous-section  I,  dit  : 

"  Pour  compléter  la  subvention  de  la  législature,  ce 
sera  le  devoir  du  conseil  de  chaque  municipalité  rurale 
de  prélever  et  collecter  chaque  année  par  imposition  sur 
la  propriété  dans  la  municipalité,  une  somme  égale  à 
vingt  piastres  par  chaque  mois  durant  lequel  l'école  a 
été  tenue  dans  chaque  district  scolaire,  etc." 

L'article  108,  sous-section  3,  dit  : 

"  Aucune  école  non  conduite  d'après  toutes  les  pro- 
visions de  cet  acte  ou  d'aucun  autre  acte  en  force,  ou 
d'après  les  règlements  du  département  de  l'éducation 


MÉLANGES  183 

OU  du  Conseil  ne  sera  réputée  une  école  publique  dans 
le  sens  de  la  loi,  et  aucune  telle  école  ne  pourra  parti- 
ciper à  la  subvention  législative." 

L'article  179  dit  : 

"  Dans  les  cas  où,  avant  la  mise  en  force  de  cet  acte, 
des  districts  scolaires  catholiques  ont  été  établis  tel  que 
mentionné  dans  la  section  précédente,  ces  districts  sco- 
laires catholiques,  après  la  mise  en  force  de  cette  loi, 
cesseront  d'exister,  et  leur  actif  et  leur  passif  seront 
assumés  par  le  district  de  l'école  publique." 

Voilà,  dans  ses  dispositions  principales,  relativement 
à  la  question  qui  nous  occupe,  la  loi  scolaire  du  Mani- 
toba  adoptée  l'an  dernier. 

Cette  loi  viole-t-elle  l'article  22  de  l'acte  constitu- 
tionnel qui  a  créé  la  province  du  Manitoba  en  1870  ? 

Pour  nous  il  n'y  a  aucun  doute  qu'elle  le  viole,  en 
dépit  de  l'opinion  judiciaire  émise  par  les  magistrats  de 
Winnipeg. 

Nous  discuterons  lundi  cette  opinion. 


6  avril  1891. 

Nous  avons  donné  samedi  le  texte  des  clauses  prin- 
cipales de  la  loi  scolaire  adoptée  par  la  législature  de 
cette  province,  l'année  dernière. 

Les  catholiques  du  Manitoba,  leur  illustre  arche- 
vêque en  tête,  protestèrent  éuergiquement  contre  cette 
législation  inique,  et  résolurent  d'en  appeler  aux  tribu- 
naux de  leur  pays. 

En  vertu  de  la  clause  89,  sous-section  1,  le  conseil 
municipal  avait  le  droit  de  prélever  une  taxe  scolaire 
sur  la  propriété  pour  le  soutien  des  écoles  publiques  : 


184  MÉLANGES 

"  Pour  compléter  la  subvention  de  la  législature,  ce 
sera  le  devoir  du  conseil  de  chaque  municipalité  rurale, 
de  prélever  et  collecter  par  impositions  sur  la  propriété 
imposable  dans  la  municipalité,  une  somme  égale  à 
vingt  piastres  par  chaque  mois  durant  lequel  l'école  a 
été  tenue  dans  chaque  district  scolaire,  etc." 

Conformément  à  cette  clause,  le  conseil  de  Winnipeg 
passa  un  règlement  pour  l'imposition  d'une  taxe  scolaire. 
Nos  coreligionnaires  résolurent  de  résister,  et  M.  Barrett, 
de  Winnipeg,  citoyen  important,  refusa  de  payer  la  taxe, 
afin  de  faire  un  test  case. 

La  cause  fut  plaidée  devant  le  juge  Killam,  en  pre- 
mière instance.  Après  une  longue  plaidorie,  elle  fut 
prise  en  délibéré,  et  le  juge  Killam  finit  par  rendre  un 
jugement  affirmant  la  validité  du  règlement  municipal 
et  la  constitutionnalité  de  la  loi. 

Voici  les  motifs  du  jugement  tels  qu'exposés  par  le 
juge  Killam,  et  ensuite  par  les  juges  Taylor  et  Bain,  de 
la  cour  d'Appel. 

D'abord  la  clause  93  de  l'acte  de  l'Amérique  du  Nord 
ne  s'applique  pas  au  Manitoba,  car  cette  clause  dit  qu'au- 
cune province  ne  pourra  préjudicier  aux  droits  des  mino- 
rités quant  aux  écoles  séparées  dont  elles  jouissaient 
par  la  loi  avant  l'union.  Or  au  Manitoba,  il  n'y  avait 
pas  de  loi  scolaire  d'aucune  sorte  avant  l'union. 

Mais  il  y  a  la  clause  22  de  l'acte  du  Manitoba  : 

"  22.  Dans  la  province,  la  législature  pourra  exclu- 
sivement décréter  les  lois  relatives  à  l'éducation,  sujettes 
et  conformes  aux  dispositions  suivantes  : 

"  1^  Eieu  dans  ces  lois  ne  devra  préjudicier  à  aucun 
droit  ou  privilège  conféré,  lors  de  l'Union,  par  la  loi  ou 
2)ar  la  coutume  à  aucune  classe  particulière  de  per- 


MÉLANGES  185 

sonnes  dans  la  province,  relativement  aux  écoles  sépa- 
rées (denominational  schools)." 

Cette  clause  défendait-elle  à  la  législature  du  Mani- 
toba  d'adopter  la  loi  des  Ecoles  publiques  de  1890  ? 
Non,  dit  le  juge  Killam.  Car  elle  n'enlève  aux  catholi- 
ques aucun  des  droits  ou  privilèges  dont  ils  jouissaient 
avant  l'union. 

Avant  l'union  les  catholiques  jouissaient,  en  fait, 
d'écoles  dirigées  par  eux,  suivant  leurs  vues,  et  soute- 
nues par  leurs  deniers.  Le  gouvernement  d'Assiniboine 
ne  donnait  pas  d'argent  pour  l'éducation.  Il  n'y  avait 
pas  dans  la  province  d'éducation  aidée  par  l'Etat.  Cha- 
que confession  pouvait  avoir  ses  écoles  et  les  soutenir 
avec  ses  propres  ressources.  L'Etat  ne  s'en  occupait 
d'aucune  façon.  Telle  était  la  situation  lors  de  l'union. 

La  loi  de  1890  n'enlève  pas  aux  catholiques  les  pri- 
vilèges dont  ils  jouissaient  avant  l'union  au  point  de 
vue  scolaire.  Après  comme  avant  cette  loi,  ils  ont  le 
droit  de  tenir  des  écoles  catholiques  et  de  les  soutenir 
par  leurs  contributions  particulières. 

En  résumé  le  juge  Killam  adoptait  la  théorie  sui- 
vante :  Les  catholiques,  avant  l'union,  jouissant  sim- 
plement d'écoles  libres  non  subventionnées  par  l'Etat, 
et  la  loi  de  1890  ne  leur  enlevant  pas  le  droit  d'avoir 
des  écoles  libres  non  subventionnées  par  l'Etat,  cette 
loi  est  constitutionnelle  et  ne  viole  pas  l'article  22  de 
l'acte  du  Manitoba. 

C'est  cette  théorie  qui  a  prévalu  devant  la  cour 
d'appel  où  M.  Barrett  porta  sa  cause.  Les  juges  Taylor 
et  Bain  maintinrent  le  jugement  du  juge  Killam,  le  2 
février  dernier,  le  juge  Dubuc  enregistrant  seul  son 
dissentiment. 


186  MÉLANGES 

7  avril  1891. 

Nous  avons  exposé  hier  la  théorie  des  magistrats 
manitobains. 

Toute  spécieuse  qu'elle  puisse  être,  nous  croyons 
qu'elle  ne  peut  tenir  devant  l'examen  des  faits  et  de  la 
loi. 

Pour  nous,  la  loi  de  18î0  rend  la  position  des  catho- 
liques du  Manitoba  moins  bonne  qu'avant  l'union,  elle 
leur  enlève  un  privilège  qu'ils  avaient  avant  l'union. 
De  l'aveu  même  du  juge  Killam,  tout  est  là,  c'est  là  le 
nœud  de  la  question.  Si  la  loi  fait  perdre  aux  catholi- 
ques un  privilège  scolaire  possédé  par  eux  avant  l'union, 
elle  est  ultra  vires. 

Quel  est  donc  ce  privilège  que  la  loi  nouvelle  leur 
enlève.  Le  voici  :  c'est  le  privilège  de  soutenir  leurs 
écoles  sans  être  forcés  de  payer  pour  les  écoles  des 
autres.  Certes,  voilà  un  dioit — plus  qu'un  privilège — 
voilà  un  droit  incontestable.  Leur  religion  leur  interdit 
d'envoyer  leurs  enfants  aux  écoles  neutres  ;  il  leur  faut 
des  écoles  catholiques.  Avant  l'union  ils  avaient  ces 
écoles,  ils  payaient  pour  ces  écoles,  et  ils  ne  payaient 
pour  aucune  autre.  Us  n'étaient  pas  obligés  de  soutenir 
de  leurs  deniers  des  écoles  neutres  créées  par  l'Etat,  en 
même  temps  qu'ils  soutenaient  leurs  écoles  catholiques. 
En  un  mot  ils  n'étaient  pas  assujettis  à  une  double 
taxe  scolaire. 

Or  la  nouvelle  loi  les  assujettit  à  cette  double  taxe 
de  la  manière  suivante.    La  section  108  de  la  loi  dit: 

"  108.  Aucune  école  non  conduite  d'après  toutes  les 
provisions  de  cet  acte  ou  d'aucun  autre  acte  en  force, 
ou  d'après  les  règlements  du  département  de  l'éduca- 
tion ou  du  Conseil  ne  sera  réputée  uue  école  publique 


MÉLANGES  187 

dans  le  sens  de  la  loi,  et  aucune  telle  école  ne  pourra 
'participer  à  la  subvention  législative" 

Voilà  donc  les  écoles  catholiques  exclues  de  la  sub- 
vention législative. 

La  section  89  dit  : 

"  89.  Pour  compléter  la  subvention  de  la  législature, 
ce  sera  le  devoir  du  conseil  de  chaque  municipalité 
rurale,  de  prélever  et  collecter  chaque  année  par  impo- 
sition sur  la  propriété  imposable  dans  la  munici- 
palité, une  somme  égale  à  vingt  piastres  par  chaque 
mois  durant  lequel  l'école  a  été  tenue  dans  chaque  dis- 
trict scolaire,  etc." 

Voilà  maintenant  une  taxe  imposée  sur  la  propriété 
pour  le  soutien  des  écoles  neutres. 

Quelle  est  après  cela  la  position  des  catholiques  ? 

Leurs  écoles  sont  exclues  de  la  subvention  législa- 
tive ;  ils  devront  les  soutenir  par  leurs  contributions 
particulières.  Mais  en  même  temps  ils  devront  payer  la 
taxe  scolaire  pour  les  écoles  neutres  où  leur  religion 
leur  défend  d'envoyer  leurs  enfants. 

Ils  paient  leur  part  du  revenu  public  comme  les  autres. 
On  attribuera  malgré  eux  une  partie  de  ce  revenu  à 
subventionner  les  écoles  neutres  dont  ils  ne  peuvent  se 
servir.  Et  de  plus  on  les  assujettira  à  la  taxe  scolaire 
municipale  imposée  sur  la  propriété  pour  soutenir  ces 
écoles  neutres  que  leur  foi  leur  interdit.  Les  voilà  donc 
forcés  de  payer  deux  fois  pour  les  écoles  :  une  fois  pour 
les  écoles  qu'ils  repoussent,  et  une  fois  pour  les  écoles 
dont  ils  ont  besoin. 

Eh  bien  nous  disons  que  c'est  là  enlever  aux  catholi- 
ques un  des  droits  qu'ils  avaient  avant  l'union,  relati- 
vement aux  écoles  séparées  :  le  droit  d'avoir  leurs  écoles 


188  MÉLANGES 

séparées  catholiques,  sans  être  taxés  en  même  temps 
pour  des  écoles  que  repousse  leur  conscience. 

Si  l'on  avait  dit  simplement  aux  catholique  par  la  loi 
de  1890:  nous  allons  vous  remettre  dans  l'état  où  vous 
étiez  avant  l'union;  nous  allons  abolir  toutes  les  sub- 
ventions scolaires,  et  chaque  confession  aura  les  écoles 
qu'elle  voudra,  sans  payer  pour  celles  des  autres,  alors 
la  loi  aurait  été  constitutionnelle  incontestablement. 
Mais  on  leur  dit  :  nous  allons  créer  des  écoles  publiques, 
neutres,  qni  n'existaient  pas  avant  l'union,  nous  allons 
vous  forcer  à  payer  une  taxe  pour  soutenir  ces  écoles, 
et  après  cela  vous  aurez,  si  vous  le  voulez,  d'autres 
écoles  à  vous,  pour  lesquelles  vous  débourserez  encore  ; 
nous  vous  forçons  à  payer  pour  des  écoles  auxquelles 
votre  Eglise  vous  défend  d'envoyer  vos  enfants,  mais 
nous  vous  laissons  généreusement  la  liberté  de  payer 
deux  fois,  et  de  soutenir  aussi  des  écoles  catholiques  si 
vous  le  jugez  bon. 

Et  l'on  prétendra  que  cette  loi  de  1890  n'enlève  aux 
catholiques  aucun  des  droits,  aucun  des  privilèges  qu'ils 
avaient  avant  l'union  ! 

Avant  l'union,  ils  étaient  libres  absolument,  et  ils  ne 
payaient  que  pour  les  écoles  approuvées  par  leur  foi. 

Citons  encore  une  fois  l'article  22  de  l'acte  constitu- 
tionnel de  la  province  du  Manitoba,  1870  : 

"  22.  Dans  la  province,  la  législature  pourra  exclusi- 
vement décréter  les  lois  relatives  à  l'éducation,  sujettes 
et  conformes  aux  dispositions  suivantes  : 

"  1"  Eien  dans  ces  lois  ne  devra  préjudicier  à  aucun 
droit  ou  privilège  conféré,  lors  de  l'Union,  par  la  loi  ou 
par  la  coutume  à  aucune  classe  particulière  de  person- 


MÉLANGES  189 

nés  dans  la  province,  relativement  aux  écoles  séparées 
(denominational  schools)." 

Quel  est  l'un  des  principes  essentiels  du  système  des 
écoles  séparées  (dénominationnelles)  en  ce  pays.  L'un 
des  principes  essentiels  de  ce  système,  c'est  que  le  chef 
de  famille  peut  choisir  l'école  selon  sa  foi,  sans  être 
obligé  de  payer  pour  aucune  autre.  Voilà  eu  deux 
mots  ce  que  c'est  que  le  système  des  écoles  séparées  en 
ce  pays.  Il  n'y  a  qu'à  ouvrir  l'histoire  de  notre  pays 
et  les  débats  de  nos  assemblées  pour  s'en  convaincre. 

L'acte  22  de  la  constitution  du  Manitoba  garantit  aux 
catholiques  de  cette  province  la  jouissance  de  ce  sys- 
tème d'écoles  séparées  dans  son  intégrité. 

Or  la  loi  de  1890  viole  l'un  des  principes  fondamen- 
taux du  système  :  la  garantie  de  n'être  pas  taxé  pour 
une  éducation  que  la  conscience  repousse. 

Donc  cette  loi  est  inconstitutionnelle.  Nous  ne 
croyons  pas  qu'on  puisse  contester  la  justesse  de  notre 
raisonnement.  Et  nous  sommes  convaincu  qu'en  défi- 
nitive ce  sont  les  principes  que  nous  venons  d'exposer 
qui  triompheront. 

Le  télégraphe  nous  a  apporté  la  nouvelle  que  le 
ministre  de  la  justice,  Sir  John  Thompson,  vient  de  faire 
un  rapport  recommandant  au  gouvernement  fédéral  de 
ne  pas  soumettre  la  loi  scolaire  du  Manitoba  à  l'exer- 
cice du  désaveu,  mais  de  lui  laisser  subir  l'épreuve  des 
tribunaux  jusqu'à  la  dernière  juridiction. 

Nous  avons  hâte  de  lire  le  rapport  de  l'homme  émi- 
nent  qui  préside  au  département  de  la  justice.  Il  est 
catholique  lui-même,  et  catholique  fervent.  Il  est  de 
plus  un  des  premiers  légistes  de  la  confédération.    Son 


190  MÉLANGES 

rapport  doit  avoir  une  grande  valeur  et  nous  espérons 
qu'il  sera  publié  le  plus  tôt  possible. 

La  loi  scolaire  du  Manitoba  est,  à  nos  yeux,  certai- 
nement inconstitutionnelle,  et,  dans  tous  les  cas,  pour 
tout  homme  ayant  le  respect  du  droit,  de  la  justice  et 
de  la  liberté,  elle  constitue  une  monstrueuse  ijiiquité, 
un  crime  politique. 

Nos  seigneurs  les  évêques  viennent  d'envoyer  une 
pétition  au  gouvernement,  demandant  le  redresse  ment 
de  ce  grief,  sans  préciser  le  moyen  à  adopter. 

Le  désaveu  était  un  de  ces  moyens.  On  a  peut-être 
jugé  qu'il  était  dangereux  dans  la  circonstance  actuelle. 
Soit,  mais  il  y  en  a  d'autres.  Nous  avons  la  confiance 
qu'ils  seront  employés  le  plus  promptement  possible,  et 
que  les  tyranneaux  de  Winnipeg  n'auront  pas  libre  car- 
rière dans  leur  néfaste  entreprise. 


APRES  COUP 


10  avril  1891. 


Après  Y  Electeur,  la  Justice  et  plusieurs  autres  jour- 
naux libéraux  essaient  de  faire  de  l'agitation  avec  la 
question  du  désaveu  des  écoles  du  Manitoba. 

Ils  n'en  ont  pas  le  droit.  Car  si  le  gouvernement 
fédéral  a  commis  une  faute  en  ne  désavouant  pas  la  loi 
scolaire  du  Manitoba,  leur  parti  est  complice  de  cette 
faute. 

Mais  qu'est-ce  que  le  gouvernement  a  fait  ?  A-t-il 
dit  qu'il  refusait  d'écouter  les  griefs  des  catholiques  du 


MÉLANGES  191 

Manitoba  ?  Non,  il  a  déclaré  seulement  que  les  tribunaux 
étant  saisis  de  la  question,  on  doit  attendre  que  leur 
décision  finale  soit  rendue  ;  et  que  si,  après  cela,  les 
griefs  des  catholiques  subsistent,  alors  on  pourra  appli- 
quer les  autres  remèdes  indiqués  par  la  constitution. 

Nous  citons  cette  partie  du  rapport  de  Sir  Jobu 
Thompson  : 

"  On  en  a  appelé  de  cette  décision  (de  la  Cour  du 
Banc  de  la  Eeine  du  Manitoba)  à  la  Cour  Suprême  du 
Canada.  La  question  viendra  probablement  devant  ce 
tribunal  dans  le  cours  du  mois  prochain.  Si  l'appel  est 
maintenu,  ces  lois  seront  annulées  par  décision  judi- 
ciaire et  la  minorité  catholique  du  Manitoba  sera  pro- 
tégée. La  loi  en  question  restera  en  vigueur  jusqu'à  ce 
qu'elle  soit  révoquée,  et  ceux  dont  la  majorité  de  l'as- 
semblée législative  représente  les  vues,  admettront  que 
cette  matière  a  été  traitée  de  manière  à  sauvegarder  les 
droits  constitutionnels  de  la  province. 

"  Si  le  jugement  de  la.  Cour  du  Banc  de  la  Eeine  du 
Manitoba  est  maintenu  par  la  Cour  Suprême,  il  sera 
alors  temps  pour  Votre  Excellence  de  prendre  en  con- 
sidération les  requêtes  qui  vous  ont  été  présentées  par 
les  catholiques  du  Manitoba  et  dans  lesquelles  ils 
demandent  le  redressement  de  leurs  griefs  en  vertu  des 
sous-sections  2  et  3  de  la  section  22  de  la  "  Loi  du 
Manitoba,"  qui  seront  annexées  à  ce  rapport,  et  analo- 
gues aux  dispositions  de  l'Acte  de  l'Amérique  Britan- 
nique du  Nord  concernant  les  mêmes  matières  dans  les 
autres  provinces." 

Les  sections  2  et  3  mentionnées  dans  cette  citation 
sont  les  suivantes  : 

"  2,  Il  pourra  être  interjeté  appel  au  gouverneur- 


192  MÉLANGES 

général  en  conseil  de  tout  acte  ou  décision  de  la  législa- 
ture de  la  province  ou  de  toute  autorité  provinciale 
affectant  quelqu'un  des  droits  ou  privilèges  de  la  mino- 
rité protestante  ou  catholique  romaine  des  sujets  de  Sa 
Majesté  relativement  à  l'éducation. 

"  3.  Dans  le  cas  où  la  province  refuserait  d'adopter 
une  loi  provinciale  dans  le  but  d'assurer  le  droit  de  la 
minorité,  tel  qu'exprimé  par  un  arrêt  du  gouverneur  en 
conseil,  ou  dans  le  cas  où  une  décision  du  conseil  en 
appel  ne  sera  pas  dûment  exécutée  par  l'autorité  pro- 
vinciale, alors  et  dans  tous  les  cas,  en  autant  que  les 
circonstances  dans  chaque  cas  l'exigeront,  le  parlement 
du  Canada  pourra  y  porter  remède  à  l'aide  d'une  loi 
assurant  l'exécution  des  dispositions  de  cette  section  et 
de  toute  décision  du  gouverneur-général  en  conseil 
d'après  cette  section." 

La  porte  reste  donc  ouverte  au  redressement  des 
griefs  de  nos  frères  les  catholiques  du  Manitoba. 

Nous  avons  la  ferme  confiance  que  la  Cour  Suprême 
ou  le  Conseil  Privé  vont  déclarer  la  loi  ultra  vires. 

Mais,  dans  le  cas  contraire  même,  le  ministre  de  la 
justice  nous  fait  entrevoir  d'autres  moyens  de  remédier 
au  mal. 

Sans  doute,  il  y  a  retard.  Mais  ce  n'est  pas  la  pre- 
mière fois  que  le  temps  entre  comme  un  élément  néces- 
saire dans  la  réparation  d'une  injustice.  Pour  notre 
part  nous  aimerions  à  voir  adopter  les  moyens  les  plus 
prompts.  Mais  nous  savons  que  des  autorités  éminentes 
n'ont  pas  jugé  à  propos  d'insister  absolument  sur  le 
désaveu,  à  cause  des  conséquences  possibles. 

Résumons  la  position  : 

La  loi  scolaire  du  Manitoba  a  été  présentée   par  un 


MÉLANGES  193 

gouvernement  libéral,  le  gouvernement  Greenway- Mar- 
tin, et  adoptée  par  une  législature  libérale. 

Son  auteur  M.  Martin  a  été  le  candidat  libéral,  le 
candidat  de  M.  Laurier  à  Selkirk,  aux  dernières  élections 
fédérales. 

Le  Globe,  organe  du  parti  libéral,  a  déclaré  que  ce 
parti  serait  hostile  au  désaveu  de  la  loi. 

M.  Laurier,  le  chef  du  parti  libéral,  a  gardé  un  silence 
de  mort  sur  cette  question  durant  la  campagne  électorale  ; 
et  par  ses  doctrines,  nous  savons  qu'il  est,  lui  aussi,  hos- 
tile au  désaveu  de  la  loi. 

Les  autorités  les  plus  respectables,  tout  en  demandant 
le  redressement  des  grief-,  ne  demandent  pas  le  désaveu, 
et  laissent  au  gouvernement  le  choix  du  moyen. 

Et  enfin  le  gouvernement  annonce  qu'il  va  attendre 
la  décision  des  tribunaux  avant  de  décider  quel  moyen 
sera  choisi. 

Eh  bien,  dans  de  telles  circonstances,  nous  nions  abso- 
lument à  l'opposition  libérale  le  droit  d'élever  la  voix 
pour  censurer  la  décision  du  cabinet  fédéral. 


LE  TRIOMPHE  DU  DROIT 

29  octobre  1891. 

Nous  saluons  avec  bonheur  le  jugement  impatiem- 
ment attendu,  de  la  Cour  Suprême,  dans  la  question  des 
écoles  du  Manitoba. 

A   l'unanimité,    le   plus   haut   tribunal  du  pays  a 
déclaré  inconstitutionnelle  et  ultra  vires  l'inique  légis- 
lation scolaire  de  MM.  Greenway  et  Martin. 
13 


194  MÉLANGES 

Nous  félicitons  nos  frères  de  la  province  manitobaine 
de  leur  éclatante  victoire.  Le  bon  droit  a  triomphé  ; 
Dieu  en  soit  loué. 

Nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  faire  observer 
que  cette  solution  est  plus  heureuse  et  plus  satisfai- 
sante que  si  le  gouvernement  fédéral  eut  désavoué  la 
loi  Martin. 

Le  désaveu  pouvait  faire  éclater  une  crise  fédérale  et 
provinciale,  et  n'aurait  pas  tranché  la  question,  puisque 
la  législature  de  Winnipeg  pouvait  encore  adopter  la 
même  loi.  Tandis  que  le  jugement  de  la  Cour  Suprême 
fait  sortir  cette  question  orageuse  du  domaine  politique, 
et  la  règle  d'une  façon  souveraine  et  pacifique. 

Le  gouvernement  fédéral  a  eu  confiance  en  la  consti- 
tution et  en  la  force  du  droit.  L'événement  lui  donne 
raison.  L'autorité  de  la  constitution  est  affirmée  dans 
une  décision  retentissante,  qui  servira  de  sauvegarde 
pour  les  minorités  à  l'avenir. 

Ce  jugement  est  donc  un  grand  et  un  heureux  évé- 
nement, qui  fortifie  beaucoup  l'édifice  de  la  confédéra- 
tion canadienne. 


LE  JUGEMENT  DU  CONSEIL  PRIVE 


Le  gouvernement  manitobain  porta  en  appel  devant  le 
Conseil  Privé  impérial  le  jugement  de  la  Cour  Suprême  du 
Canada,  qui  avait  tant  réjoui  les  catholiques.  Nouveaux  délais, 
nouveaux  retards,  nouvelle  incertitude  du  résultat  !  Ce  ne 
fut  que  le  30  juillet  1892  que  le  haut  tribunal  rendit  son  juge- 
ment. Cette  décision  était  malheureusement  défavorable  à  la 


MÉLANGES  195 

minorité,  et  déclarait  la  loi  Greenway  constitutionnelle.  Elle 
nous  inspira  les  commentaires  suivants  : 

20  août  1892. 

L'émotion  causée  par  le  jugement  du  Conseil  Privé 
dans  l'affaire  des  écoles  du  Manitoba  n'est  pas  encore 
apaisée  et  ne  s'apaisera  pas  de  sitôt. 

Cette  décision  extraordinaire  est  en  effet  la  négation 
des  garanties  les  plus  positives,  les  plus  solennelles,  en 
faveur  de  la  minorité,  dans  une  de  nos  provinces  cana- 
diennes. 

Plus  nous  relisons  ce  jugement,  moins  nous  pouvons 
en  admettre  le  bien  fondé. 

Leurs  Seigneuries  nous  paraissent  n'avoir  tenu  aucun 
compte  de  la  situation  acquise  de  la  minorité  manito- 
baine. 

La  loi  constitutionnelle  de  1870,  que  nous  avons 
souvent  citée,  garantissait  à  la  minorité  mauitobaine 
le  droit  de  conserver  les  écoles  séparées,  si  ce  droit 
existait,  par  la  coutume,  avant  l'entrée  du  Manitoba 
dans  la  confédération. 

Or,  avant  cette  entrée,  par  la  coiUicme,  les  catholi- 
ques, les  anglicans,  les  presbytériens,  avaient  leurs  écoles 
confessionnelles  :  et,  point  important,  la  compagnie  de 
la  baie  d'Hudson  accordait  des  subventions  en  terres 
aux  différentes  communions  pour  le  soutien  de  leurs 
écoles. 

N'étaient-ce  pas  là  vraiment  les  écoles  séparées  à 
peu  près  telles  qu'elles  existent  dans  Ontario  et  Québec  ? 

Ces  subventions  en  terres  de  la  compagnie,  c'était  une 
subvention  de  l'Etat,  car  l'Etat  alors  c'était  la  compa- 
gnie. 

Donc,  par  la  coutume,  les  différentes  confessions  au 


196  MÉLANGES 

Manitoba  jouissaient  du  système  des  écoles  séparées 
dans  toute  sa  plénitude. 

Le  Conseil  Privé  n'est  pas  de  cet  avis.  Il  raisonne 
comme  suit  : 

Avant  l'union  les  catholiques  jouissaient,  en  fait, 
d'écoles  dirigées  par  eux  suivant  leurs  vues,  et  soute- 
nues par  leurs  deniers.  Chaque  communion  pouvait 
avoir  ses  écoles  et  les  soutenir  avec  ses  propres  ressour- 
ces. L'Etat  ne  s'en  occupait  d'aucune  façon.  Telle  était 
la  situation  lors  de  l'union.  La  loi  de  1890  n'enlève 
pas  aux  catholiques  les  privilèges  dont  ils  jouissaient 
avant  l'union  au  point  de  vue  scolaire.  Après  comme 
avant  cette  loi,  ils  ont  le  droit  d'ouvrir  des  écoles  catho- 
liques et  de  les  soutenir  par  leurs  contributions  parti- 
culières; par  conséquent  la  loi  de  1890  ne  viole  pas  la 
clause  22  de  l'acte  constitutionnel  de  1870. 

Lin  tel  raisonnement  nous  paraît  étrangement  défec- 
tueux. D'après  le  Conseil  Privé,  la  loi  Greenway  n'en- 
lève aux  catholiques  aucun  des  privilèges  dont  ils  jouis- 
saient avant  l'union.  Mais  ils  jouissaient  alors  du 
privilège  d'avoir  leurs  écoles,  de  payer  pour  ces  écoles, 
et  de  ne  fayer  "pour  aucune  autre.  Et  la  législation 
de  1890,  tout  en  leur  laissant  la  liberté  de  soutenir  à 
leurs  frais  des  écoles  confessionnelles,  les  force  à  payer 
pour  le  soutien  des  écoles  neutres.  N'est-ce  pas  là  la 
perte  d'un  privilège  ?  N'est-ce  pas  là  une  injustice  poli- 
tique ? 

Leur  conscience  interdit  à  nos  coreligionnaires  du 
Manitoba  d'envoyer  leurs  enfants  aux  écoles  neutres  ; 
il  leur  faut  des  écoles  catholiques.  Avant  l'union  ils 
avaient  ces  écoles,  et  ils  ne  payaient  pour  aucune  autre. 
Ils  n'étaient  pas  obligés  de  soutenir  de  leurs  deniers  des 


MÉLANGES  197 

écoles  neutres  créées  par  l'Etat,  en  même  temps  qu'ils 
soutenaient  leurs  écoles.  En  un  mot  ils  n'étaient  pas 
assujettis  à  une  double  taxe  scolaire. 

Or  la  loi  de  1890  les  assujettit  à  cette  double  taxe, 
nous  l'avons  déjà  établi  dans  ce  journal,  en  citant  les 
clauses  108  et  89. 

"  Voilà  maintenant,  disions-nous,  une  taxe  imposée 
sur  la  propriété  pour  le  soutien  des  écoles  neutres. 

"  Quelle  est,  après  cela,  la  position  des  catholiques  ? 

"  Leurs  écoles  sont  exclues  de  la  subvention  législa- 
tive ;  ils  devront  les  soutenir  par  leurs  contributions 
particulières.  Mais  en  même  temps  ils  devront  payer 
la  taxe  scolaire  pour  les  écoles  neutres  où  leur  religion 
leur  défend  d'envoyer  leurs  enfants. 

"  Eh  bien,  nous  disons  que  c'est  là  enlever  aux  catho- 
liques un  des  droits  qu'ils  avaient  avant  l'union,  relati- 
vement aux  écoles  séparées  :  le  droit  d'avoir  leurs  écoles 
séparées  catholiques,  sans  être  taxés  en  même  temps 
pour  des  écoles  que  repousse  leur  conscience. 

"  L'article  22  de  la  constitution  du  Manitoba  garan- 
tit aux  catholiques  de  cette  province  la  jouissance  du 
système   des  écoles  séparées  dans  son  intégrité. 

"  Or  la  loi  de  1890  viole  l'un  des  principes  fonda- 
mentaux du  système  :  la  garantie  de  n'être  pas  taxé  pour 
une  éducation  que  leur  conscience  repousse. 

"  Donc  cette  loi  est  inconstitutionnelle." 

C'est  ce  que  notre  Cour  Suprême  avait  décidé  à  l'una- 
nimité. 

Le  Conseil  privé  arrive  à  une  conclusion  contraire  au 
moyen  d'une  dissertation  où  l'esprit  de  l'acte  constitu- 
tionnel de  1870  est  complètement  méconnu. 


198  MÉLANGES 

LE  TEMPS  EST  VENU 

5  octobre  1892. 

La  nouvelle  requête  de  Mgr  Taché  que  nous  publions 
ailleurs,  prouve  que  le  vaillant  évêque  n'a  rien  aban- 
donné des  droits  de  son  peuple.  Le  Mail  surtout  s'en 
aperçoit  bien.  Le  voilà  qui  recommence  ses  attaques 
contre  le  vénérable  jjrélat  et  les  catholiques. 

On  parle  dehome  rule,  de  l'autonomie  des  provinces, 
etc.  Comme  si  nous  voulions  tout  bouleverser  !  Que 
demande  donc  Mgr  Taché,  que  demandons-nous  tous 
ensemble  ?  Nous  citons  quelques  paragraphes  de  la 
pétition  de  l'archevêque  de  Saint- Boniface  : 

"  7"  Que  le  21  mars  1891,  l'honorable  ministre  de  la 
justice  a  fait  un  rapport  sur  les  deux  actes  mentionnés 
plus  haut  (58  Vict.,  chap.  37-38)  et  que  ce  rapport  se 
termine  comme  suit  : 

"  Si  la  lutte  légale  devait  se  terminer  par  le  main- 
"  tien  de  la  décision  de  la  Cour  du  Banc  de  la  Eeine 
"  (adverse  aux  vues  catholiques)  le  temps  serait  venu 
"  pour  Votre  Excellence  de  prendre  en  considération 
"  des  pétitions  qui  lui  ont  été  présentées  au  nom 
"  des  catholiques  romains  du  Manitoba  pour  le  redres- 
"  sèment  de  leurs  griefs  eu  vertu  des  sous-sections  2  et 
"  3  de  la  section  22  de  l'acte  du  Manitoba  cité  dans  la 
"  première  partie  de  ce  rapport  et  qui  sont  analogues 
"  aux  dispositions  prises  par  "  l'Acte  de  l'Amérique  Bri- 
"  tannique  du  Nord  "  à  l'égard  des  autres  provinces. 

"  8"  Que  le  comité  judiciaire  du  Conseil  privé  de  Sa 
Majesté  a  maintenu  la  décision  de  la  Cour  du  Banc  de 
la  Eeine. 


MÉLANGES  199 

"  9"  Que  votre  pétitionnaire  croit  que  le  temps  est 
venu  maintenant  "  pour  Votre  Excellence  de  prendre 
les  pétitions  en  considération  "  telles  qu'elles  ont  été 
présentées  au  nom  "  des  catholiques  romains  du  Mani- 
toba  pour  le  redressement  de  leurs  griefs  en  vertu 
des  sous-sections  2  et  3  de  la  section  22  de  l'Acte  du 
Manitoba  "  et  il  est  "  devenu  nécessaire  d'avoir  recours 
aux  pouvoirs  fédéraux  pour  la  protection  de  la  minorité 
catholique  romaine." 

"  Votre  pétitionnaire,  par  suite,  demande  : 

"  1"  Que  Votre  Excellence  le  Gouverneur-Général 
en  Conseil  écoute  l'appel  des  catholiques  romains  du 
Manitoba  et  le  prenne  en  considération,  et  prenne  tou- 
tes mesures  ou  donne  tous  ordres  qu'il  jugera  bons  pour 
4ue  cet  appel  soit  écouté  et  pris  en  considération, 

"  2"  Que  tels  ordres  soient  donnés  et  telles  mesures 
prises  pour  le  secours  des  catholiques  du  Manitoba  que 
Votre  ExcoUeuce  en  Conseil  jugera  à  propos." 

L'autonomie  provinciale,  le  home  rule  n'ont  absolu- 
ment rien  à  faire  ici. 

Par  l'acte  du  Manitoba  de  1870,  les  catholiques  de 
cette  province  ont  droit  à  leurs  écoles  séparées.  Et  pour 
le  cas  où  un  gouvernement  injuste  viendrait  à  toucher  à 
ce  privilège,  pouvoir  est  donné  au  parlement  fédéral  de 
remédier  au  mal.  Puisque  ce  pouvoir  est  donné  au  par- 
lement fédéral,  il  n'y  a  donc  aucun  empiétement,  aucune 
inconstitutionnalité  à  lui  demander  qu'il  l'exerce. 

Le  temps  est  venu,  comme  dit  Mgr  Taché,  de  prendre 
une  décision.  Nous  croyons  sincèrement  que  le  gouver- 
nement ne  gagne  rien  à  temporiser.  La  presse  fanatique 
profite  de  ces  délais  pour  soulever  l'opinion,  au  lieu  de 
lui  faire  comprendre  que  pour  vivre  en  paix  sur  ce  sol 


200  MÉLANGES 

il  faut  respecter  les  droits  de  chacun,  surtout  lorsque 
ces  droits  ont  ëté  solennellement  garantis  par  la  consti- 
tution. 


Les  pétitions  de  Mgr  Taché  et  des  catholiques  manitobains 
furent  déférées  à  un  sous-comité  du  Conseil  privé  fédéral, 
qui  siégea  le  26  novembre  1892,  et  fit  un  rapport  adopté  par 
l'Exécutif  canadien  le  29  décembre.  En  vertu  de  l'arrêté  en 
conseil  qui  fut  pris  ce  jour-là,  le  21  janvier  1893  fut  fixé  pour 
l'audition  des  pétitionnaires  et  de  leurs  contradicteurs.  A 
cette  date,  M.  Ewart,  avocat  de  la  minorité  catholique,  com- 
parut pour  ses  clients  ;  le  gouvernement  du  Manitoba  fit 
défaut.  Après  une  longue  plaidoirie,  le  Conseil  privé  mit  la 
cause  à  l'étude.  Il  s'agissait  de  déterminer  si,  d'après  la  loi 
constitutionnelle  de  18C7,  et  d'après  la  loi  de  1870  qui  avait 
créé  la  province  du  Manitoba,  le  gouvernement  fédéral  avait, 
en  l'état  où  se  trouvait  la  question,  le  pouvoir  d'intervenir 
dans  la  législation  scolaire  de  cette  province,  pour  remédier 
aux  griefs  des  catholiques. 

Le  22  février  1893,  le  Conseil  privé  fédéral  ordonna  la  pré- 
paration d'une  cause,  comportant  une  série  de  questions  qui 
seraient  soumises  à  la  Cour  Suprême  pour  obtenir  une  déci- 
sion juridique  sur  laquelle  pourrait  ensuite  s'appuyer  le  gou- 
vernement. Après  une  assez  longue  procédure,  la  cause  fut 
préparée  et  déférée  finalement  à  la^Cour  Suprême  par  un 
arrêté  ministériel  du  31  juillet  1893.  Elle  fut  entendue  par  ce 
tribunal  le  17  octobre.  Et  le  20  février  1894,  la  Cour  Suprême 
rendit  un  jugement  par  lequel  elle  déclarait  que,  dans  l'es- 
pèce, la  voie  de  l'appel  au  Conseil  privé  fédéral  était  fermée 
à  la  minorité  plaignante.  Cette  fois,  les  catholiques  manito- 
bains furent  tentés  de  se  décourager  et  de  courber  la  tête 
devant  la  clameur  de  leurs  adversaires  qui  déclaraient  la 
question  morte  et  enterrée.  Cependant,  ils  ne  voulurent  pas 
capituler,  et  soutenus  moralement  et  pécuniairement  par  les 
ministres  fédéraux  eux-mêmes,  ils  portèrent  la  cause  en  appel 
devant  le  Conseil  privé  impérial  où  elle  fut  plaidée  au  mois 
de  décembre  1894.  Le  résultat,  comme  on  le  verra  plus  loin, 
fut  pour  eux  une  victoire  éclatante. 


MÉLANGES  201 

Dans  l'intervalle,  les  discussions  et  les  controverses  politi- 
ques au  sujet  de  la  question  des  écoles,  se  poursuivirent  avec 
plus  de  vivacité  que  jamais.  Les  griefs  de  la  minorité  catho- 
lique des  Territoires  du  Nord-Ouest  vinrent  même  leur  donner 
un  nouvel  aliment. 


LA  MOTION  DE  M.  TARTE 


-^  7  mars  1893. 

La  Chambre  des  Communes  a  été  saisie  hier  de  la 
question  des  écoles  du  Manitoba,  par  M.  Tarte  qui  a 
proposé  la  motion  suivante  : 

"  Que  cette  chambre  désire  exprimer  sa  désapproba- 
tion de  l'action  du  gouvernement  relativement  à  la 
question  des  écoles  du  Manitoba,  à  propos  de  laquelle 
le  cabinet  a  prétendu  assumer  des  fonctions  judiciaires 
qui  sont  en  conflit  avec  son  devoir  comme  aviseur 
constitutionnel  de  la  Couronne,  cette  prétention  étant 
complètement  contraire  à  la  loi,  et  tendant,  si  on  l'ap- 
prouve, à  la  subversion  absolue  du  principe  de  la  res- 
ponsabilité ministérielle," 

Cette  motion  de  non-confiance  proposée  par  M.  Tarte 
n'aborde  pas  la  question  carrément.  Après  avoir  tant 
réclamé  les  droits  de  la  minorité  manitobaine,  après 
avoir  tant  crié  que  l'esprit  de  parti  devait  être  oublié 
dans  une  question  aussi  grave,  son  seul  but  est  de  rallier 
autant  de  votes  que  possible  contre  le  gouvernement. 

Il  y  a  un  hiatus  entre  le  discours  de  M.  Tarte  et  sa 
motion.  Ayant  à  choisir  entre  une  affirmation  catégo- 
rique et  directe  du  droit  de  nos  coreligionnaires  mani- 
tobains  aux  écoles  Réparées,  et  une  proposition  de  blâme 


202  MÉLANGES 

contre  le  gouvernement,  basée  sur  la  tactique  de  celui-ci, 
il  s'est  écarté  de  la  première  et  s'est  rabattu  sur  la 
seconde. 

La  motion  de  M.  Tarte  pourra  lui  donner  plus  de 
votes  telle  qu'elle  est  rédigée  que  si  elle  l'eut  été  autre- 
ment. Mais  lors  même  qu'elle  serait  adoptée,  elle  n'ap- 
porterait aucune  solution  à  la  question  des  écoles.  Car 
elle  n'a  pour  objot  que  de  déclarer  incorrecte,  au  point 
de  vue  constitutionnel,  l'action  du  gouvernement  lors- 
qu'il assume  des  fonctions  judiciaires. 

Bien  des  députés  qui  sont  hostiles  aux  droits  de  la 
minorité  manitobaine,  pourront  voter  pour  la  motion  de 
M.  Tarte  qui  condamne  purement  et  simplement  une 
certaine  ligne  de  conduite  du  gouvernement. 

De  même  bien  des  membres  de  la  chambre  des  com- 
munes qui  sont  favorables  aux  droits  de  nos  frères  du 
Manitoba,  pourront  voter  contre  la  motion  de  M.  Tarte. 

C'est  la  meilleure  preuve  que  cette  motion  ne  touche 
vraiment  pas  au  mérite  de  la  question. 


L'OPPOSITION  A  LA  PAROLE 


16  mars  1894. 

VElecteur  défend  M.  Laurier,  et  essaie  d'établir  que 
l'opposition  et  son  chef  ont  une  attitude  franche  dans  la 
question  des  écoles. 

Toutefois,  il  laisse  entendre  que  tout  n'est  pas  har- 
monie dans  le  parti  libéral  à  ce  sujet  : 

"  Nous  ne  nous  dissimulons  pas,  dit-il,  les  difficultés 


MÉLANGES  203 

de  la  question  des  ëcoles.  Ces  difficultés  sont  encore 
aggravées  par  la  méchanceté  avec  laquelle  les  compa- 
triotes conservateurs  de  M.  Laurier  les  exploitent  contre 
lui  au  lieu  de  l'aider  patriotiquement." 

Il  ne  s'agit  pas  d'aider  M.  Laurier  ou  n'importe  quel 
homme  public  :  il  s'agit  de  savoir  s'il  y  a  un  parti  poli- 
tique qui  est  disposé  à  rendre  justice  aux  minorités 
catholiques.   Pour  nous,  voilà  la  seule  question. 

Aider  M.  Laurier  !  A  quoi  ?...  A  monter  au  pouvoir, 
et  à  introduire  dans  le  budget  fédéral  la  Clique  évincée 
de  Québec  ?  Pour  en  courir  le  risque  il  faudrait  au 
moins  des  déclarations  et  un  programme  que  ne  nous 
offre  pas  le  parti  libéral. 

Le  parti  libéral  veut-il  se  déclarer  favorable  au  désa- 
veu des  lois  scolaires  iniques  ?  Veut-il  s'engager  à  faire 
passer  des  lois  remédiatrices,  s'il  arrive  au  pouvoir  ? 
Qu'il  parle,  qu'il  se  prononce,  qu'il  soit  catégorique  ! 

Le  temps  des  équivoques,  le  temps  des  motions 
Tarte  est  passé. 

Il  ne  s'agit  pas  de  faire  le  jeu  d'un  parti  ou  de  l'autre  ; 
il  s'agit  de  savoir  s'il  y  a  un  des  deux  partis  qui  est 
disposé  à  rendre  justice  à  nos  coreligionnaires. 

Si  les  deux  partis  sont  au  même  point,  si  les  deux 
partis  ne  veulent  pas  se  compromettre,  si  les  deux  par- 
tis sont  d'accord  pour  dire  que  les  législatures  du  Mani- 
toba  et  de  l'Ouest  ont  le  droit  d'opprimer  les  catholi- 
ques sans  intervention  du  pouvoir  fédéral,  alors  de  quel 
front  le  parti  libéral  réclamerait-il  notre  concours  ? 

Des  déclarations  sympathiques  et  éloquentes  il  y  en 
a,  il  y  en  aura  des  deux  côtés.  Sir  John  Thompson  est 
plus  favorable,  en  principe,  que  sir  Ptichard  Cartwright 
aux  écoles  séparées.  Et  l'honorable  M.  Angers  est,  nous 


204  MÉLANGES 

le  savons,  plus  véritablement  et  ardemment  dévoué  à  la 
cause  des  minorités  que  MM.  Laurier  et  Langelier. 

Ce  qu'il  nous  faut  ce  sont  des  actes,  ce  sont  des  faits, 
ce  sont  des  programmes. 

Le  gouvernement  fédéral,  par  raison  politique,  par 
crainte  de  compromettre  son  existence,  par  raison  d'Etat 
ou  autrement  a  refusé  d'intervenir.  Nous  avons  nette- 
ment et  loyalement  exprimé  notre  manière  de  voir  à  ce 
sujet. 

Maintenant  c'est  au  tour  de  la  gauche. 

Oui  ou  non,  l'opposition,  comme  parti,  est-elle  prête 
à  censurer  le  gouvernement  pour  n'avoir  pas  désavoué 
l'ordonnance  Haultain  ?  ^ 

Il  importe  que  le  pays  ait  une  réponse  à  cette  ques- 
tion. 

Le  parlement  siège  à  Ottawa.  L'opposition  a  la  parole. 


LES  RESPONSABILITES 

20  mars  1894. 

Le  Cultivateur  disait  dans  son  dernier  numéro  : 

"  Hélas  !  oui,  la  question  des  écoles  est  enterrée  ! 

"  Enterrée  par  les  criviinelles  et  traîtresses  i^rocé- 
dures  du  cabinet  de  la  Puissance. 

"  Qui  les  a  appuyés,  ces  procédures  ?  La  Minerve, 
ses  confrères  en  dévotion  officielle,  les  députés  qui  sui- 


1  —  En  1892,  la  législature  des  Territoires  du  Nord-Ouest 
avait  adopté  une  ordonnance  qui  lésait  gravement  les  droits 
de  la  minorité  catholique. 


MÉLANGES  205 

vent  quand  même  le  cabinet  et,  par  malheur,  les  dupes 
au  Manitoba  de  tout  ce  monde  ministériel  lié  pieds  et 
poings  au  toryisme  d'Ontario. 

"  N'est-ce  pas  Sir  John  Thompson  qui  a  suggéré  et 
fait  accepter, — grâce  à  son  titre  de  catholique, — par 
Mgr  Taché  et  son  entourage,  la  référence  aux  cours  de 
justice,  la  référence  qui  a  eu  pour  résultat  le  jugement 
du  Conseil  Privé  d'Angleterre,  en  premier  lieu." 

C'est  vraiment  se  moquer  du  public  que  de  fausser 
ainsi  les  faits. 

La  question  des  écoles  de  Manitoba  a  pris  la  tour- 
nure que  l'on  sait  par  le  consentement  à  peu  près  una- 
nime de  tous  les  intéressés. 

Nos  amis  du  Manitoba  eux-mêmes  craignaient  le  désa- 
veu. M.  Prendergast  l'admet  franchement  dans  sa  lettre 
à  M.  Angers  ^.  On  avait  peur  des  résultats  de  l'agita- 
tion que  les  Martin  et  les  Greeuway  avaient  soulevé. 
Mgr  Taché  constate  cet  état  d'esprit  dans  sa  brochure 
publiée  il  y  a  trois  mois  ; 

"  A  Manitoba,  tant  parmi  les  libéraux  que  parmi  les 


1  —  M.  Prendergast  (aujourd'hui  le  juge  Prendergast), 
député  de  la  Vérendrj-e,  et  l'un  des  champions  les  plus  actifs 
de  la  minorité  catholique,  à  ce  moment,  avait  écrit  à  l'hono- 
rable M.  Angers,  le  25  novembre  1893,  une  lettre  où  se  trou- 
vaient les  lignes  suivantes  :  "  Quant  au  désaveu,  la  minorité 
catholique  du  Manitoba  a  pu  avoir  tort  de  ne  pas  le  récla- 
mer, mais  la  loyauté  m'oblige  à  vous  dire  qu'elle  serait  mal 
venue  de  se  plaindre  aujourd'hui  de  ne  pas  l'avoir  obtenu. 
Loin  d'y  voir  le  salut,  tous  les  députés  de  la  minorité,  tant  au 
local  qu'au  fédéral,  tant  libéraux  que  conservateurs  (et  mon 
opinion  n'a  pas  changé  depuis),  ont  été  unanimes  à  y  voir 
une  source  de  difficultés  insui-montables  dont  la  cause  pour- 
rait se  trouver  irrévocablement  compromise." 


206  MÉLANGES 

conservateurs,  le  désaveu  était  la  plus  impopulaire  des 
mesures  grâce  à  celui  exercé  contre  les  chemins  de  fer. 
Sur  la  question  des  écoles  elle-même,  on  redoutait 
l'agitation  que  ce  désaveu  pouvait  créer  ;  d'ailleurs, 
l'unanimité  du  vote  sur  la  motion  Blake  faisait  espérer 
une  solution  avantageuse,  quoique  différente.  Tout  le 
monde  sait  ici  que  je  ne  partageai  pas  cette  illusion." 

Sa  Grandeur  Mgr  l'archevêque  de  Saint-Boniface 
fait  ici  allusion  à  la  motion  Blake. 

Le  Cultivateur  a-t-il  perdu  le  souvenir  de  cette 
motion  fameuse  ?  Nous  allons  la  lui  remettre  sous  les 
yeux: 

"  Que  dans  les  occasions  solennelles,  quand  il  s'agit 
du  désaveu  d'une  législation  scolaire  ou  de  l'appel 
contre  cette  législation,  l'Exécutif  ne  procède  pas  sans 
avoir  soumis  à  un  haut  tribunal  judiciaire  les  questions 
importantes  de  loi  ou  de  fait,  de  manière  à  ce  que  les 
parties  intéressées  puissent  être  représentées  et  que 
l'Exécutif  puisse  obtenir  des  informations  pour  sa  gou- 
verne." 

Voici  comment  Mgr  Taché  commente  cette  résolution  • 

"  Je  prie  ceux  qui  nous  accusent  de  la  responsabilité 
de  ne  point  avoir  obtenu  le  désaveu,  de  méditer  cette 
résolution  et  de  lire  attentivement  le  discours  par  lequel 
M.  Blake  l'a  appuyée.  Ce  discours  est  au  Hansard  de 
1890.  Comme  tous  mes  lecteurs  n'ont  pas  la  facilité  de 
se  procurer  ce  document,  je  vais  lui  emprunter  quelques 
courts  extraits.  M.  Blake  dit  : 

"  On  convient  généralement  maintenant  qu'un  acte 
.'  nul  (void)  ne  devrait  pas  être  désavoué  mais  doit 
«*  être  laissé  à  l'action  des  cours...  Mon  opinion  person- 
"  nelle  est  que,   quand,    en   opposition    aux    vues   de 


MÉLANGES  207 

"  l'Exécutif  ou  de  la  Législature  d'une  province,  on 
"  songe  à  désavouer  un  acte  comme  ultra  vires,  il  faut 
"  avoir  recours  aux  tribunaux,  et  que  ce  recours  doit 
"  avoir  lieu  dans  certains  cas,  quand  la  disposition  de 
"  l'opinion  publique  rend  à  propos  la  solution  des  pro- 
"  blêmes  légaux  par  leur  séparation  d'avec  ces  éléments 
"  de  passion  ou  d'opportunité  qu'à  tort  ou  h  raison  on 
"  attribue  souvent  aux  corps  politiques.  Je  recomman- 
"  derais  aussi  toujours  ce  recours  dans  tous  les  cas 
"  d'appel  en  matière  d'éducation,  qui  provoque  néces- 
"  sairement  les  sentiments  auxquels  je  viens  de  faire 
"  allusion  ;  j'aurai  la  franchise  d'avouer  que  ce  senti- 
"  ment  est  un  de  ceux  auxquels  est  due  la  motion  que 
"  je  propose...  Quand  vous  vous  occupez  des  clauses 
"  de  l'appel  en  matière  d'éducation,  ^^ar  exemple  dans 
"  le  cas  du  Manitoha...  il  est  important  que  l'Exécutif 
"  politique  ne  s'arroge  pas  des  pouvoirs  judiciaires...  Il 
"  devrait  avoir  le  pouvoir  d'appeler  à  son  aide  le  juge- 
"  ment  des  tribunaux  pour  en  arriver  à  une  solution 
"  correcte...  L'union  absolue  des  fonctions  executives, 
"  législatives  et  judiciaires  serait  une  tyrannie  absolue. 
"  Je  ne  dis  pas  non  plus  qu'elles  doivent  être  toujours 
"  et  absolument  séparées,  je  ne  me  propose  aucunement 
"  de  dégager  l'Exécutif  de  ses  pouvoirs...  mais  simple- 
"  ment  d'en  faciliter  le  meilleur  accomplissement  pos- 
"  sible."... 

•  "  Tout  ceci  est  parfaitement  clair.  L'honorable  M. 
Blake  propose  qu'en  manière  d'éducation,  par  exemple 
dans  le  cas  du  Manitoba  le  gouvernement  n'use  pas  du 
pouvoir  de  désavouer  des  lois  provinciales,  ni  même 
d'entendre  l'appel  contre  ces  lois,  sans  avoir  au  préa- 
lable soumis  la  chose  à  un  haut  tribunal  judiciaire,  pour 


208  MÉLANGES 

recevoir  des  lumières  et  une  direction  qui,  tout  en  lais- 
sant la  responsabilité  ultérieure  à  l'Exécutif,  lui  per- 
mettait d'agir  plus  sûrement,  avec  moins  de  passion,  et, 
par  cela  même,  faire  moins  de  victimes  des  expédients 
politiques.  C'était  un  nouveau  rouage  qui  était  proposé 
à  l'administration. 

"  Sir  John  A.  MacDonald  remercia  M.  Blake  et  insista 
sur  deux  points  :  1"  Que  le  recours  aux  tribunaux  tel 
que  proposé  soit  appuyé  sur  une  loi  dont  les  dispositions 
seraient  telles  que  dans  tous  les  cas  on  pourrait  en 
appeler  au  Conseil  Privé.  2^  Que  cette  opinion  deman- 
dée et  reçue  des  hauts  tribunaux  ne  pourrait  jamais 
être  qu'un  conseil  qui  n'enlèverait  en  aucune  manière  la 
responsabilité  du  gouvernement.  Encore  une  fois  j'ose 
prier  le  lecteur  de  peser  ces  importantes  déclarations  ; 
elles  ont  leur  valeur  pour  le  passé  et  peuvent  en  avoir 
pour  l'avenir. 

"  Après  ces  explications  du  premier  ministre,  la 
motion  de  M.  Blake  fut  votée  à  l'unanimité  des  deux 
côtés  de  la  Chambre  par  la  gauche  comme  par  la  droite  ; 
par  les  libéraux  comme  par  les  conservateurs  ;  par  ceux 
qui  m'attribuent  aujourd'hui  la  responsabilité  qu'ils  ont 
assumée  alors  comme  par  ceux  qui  ont  la  loyauté  de 
reconnaitre  que  la  question  du  désaveu  a  été  tuée  là 
dans  les  Communes." 

Voilà  les  faits.  Le  Cultivateur  les  connaît  comme 
nous.  Comment  peut-il  venir  diviser  les  responsabili- 
tés, et  dissimuler  le  rôle  qu'a  joué  le  parti  libéral  dans 
cette  affaire  ? 

C'est  la  motion  Blake  qui  a  préparé  les  voies  aux 
procédures  devant  les  tribunaux.  Cette  motion  est  née 
dans  les  rangs  du  parti  libéral.     Et  elle  a  été  votée  par 


MÉLANGES  209 

les  deux  partis.  Donc  les  deux  partis  sont  responsa- 
bles de  ce  qui  a  suivi. 

C'est  au  parlement  canadien  tout  entier  qu'il  faut 
s'en  prendre  de  l'état  déplorable  où  se  trouve  aujour- 
d'hui la  question  des  écoles  du  Mauitoba.  Et  le  renvoi 
aux  tribunaux,  que  dénonce  le  Galtivateur,  a  eu  pour 
premier  auteur  un  des  chefs  du  parti  dans  les  rangs 
duquel  siège  M.  Tarte. 

Va-t-on  cesser  de  torturer  et  de  dénaturer  les  faits 
pour  traiter  et  maltraiter  cette  douloureuse  question  des 
écoles  ? 

Pourquoi  ne  pas  dire  toute  la  vérité  ? 

La  vérité,  c'est  que  les  deux  partis  ont  peur  de  cette 
question. 

La  vérité,  c'est  qu'elle  embarrasse  également  la  gau- 
che et  la  droite,  le  gouvernement  et  l'opposition,  à 
cause  des  passions  sectaires  et  des  intérêts  politiques. 
Ayons  donc  le  courage  de  l'avouer  ;  efforçons-nous  tous 
ensemble  de  faire  entendre  la  voix  de  la  raison  par- 
dessus la  voix  du  fanatisme,  défaire  prévaloir  à  gauche 
et  à  droite  l'amour  de  la  justice  sur  les  conseils  pusilla- 
nimes de  la  crainte  ;  et  cessons  d'avoir  deux  poids  et 
deux  mesures. 

Voilà  la  seule  ligne  de  conduite  que  doivent  adopter 
les  amis  sincères  de  la  cause  catholique,  dans  les  cir- 
constances actuelles. 


14 


210  MÉLANGES 

UNE  IMPORTANTE   NOUVELLE 

27  juillet  1894. 

Une  dépêche  d'Ottawa  nous  apportait  hier  la  nou- 
velle suivante  : 

"  Ottawa,  25. — Le  conseil  des  ministres  a  eu  aujour- 
d'hui une  longue  séance  durant  laquelle  il  s*est  occupé, 
dit-on,  de  la  requête  des  évêques  au  sujet  des  écoles  du 
Manitoba  et  du  Nord- Ouest, 

"  Sir  John  Thompson,  dit-on  encore,  a  soumis  à  l'ap- 
probation de  ses  collègues  un  arrêté  en  conseil  d'une 
grande  énergie  et  qui  fera  sensation.  Des  représenta- 
tions seraient  faites  aux  gouvernements  du  Manitoba 
et  du  Nord-Ouest  dans  une  forme  telle  qu'elles  équi- 
vaudraient à  des  ordres. 

"  On  ajoute  de  plus  que  la  position  prise  par  le  gou- 
vernement est  une  revendication  sans  équivoque  des 
droits  de  la  justice  et  des  catholiques. 

"  Interrogés  à  ce  sujet,  les  ministres  répondent  que 
si  la  rumeur  est  vraie,  elle  ne  pourra  pas  être  confirmée 
avant  que  toute  l'affaire  ait  été  soumise  au  gouverneur 
général." 

Nous  avons  à  maintes  reprises  dit  notre  pensée,  et 
toute  notre  pensée  sur  la  question  des  écoles. 

Nous  avons  demandé  justice  pour  les  minorités  du 
Manitoba  et  de  l'Ouest, 

Nous  accueillons  avec  satisfaction  tout  ce  qui  peut 
indiquer  que  la  question  va  entrer  dans  une  nouvelle 
phase. 


MÉLANGES  211 

Le  devoir  du  pouvoir  central  est  de  faire  respecter 
la  constitution,  et  d'imposer  aux  majorités  locales  le 
respect  des  minorités  ^. 


M.  LAURIER  À  WINNIPEG 

6  septembre  1894. 

Enfin  M.  Laurier  est  arrivé  à  Winnipeg,  et  il  a  parlé 
de  la  question  des  écoles  ! 

Et  qu'a-t-il  dit  ? 

Rien  du  tout  ! 

Voilà  la  position  nettement  définie, 

M.  Laurier  a  battu  la  lame,  s'est  répandu  en  généra- 
lités, en  vagues  déclamations.  Et  la  conclusion  qu'on 
peut  tirer  de  toutes  ses  paroles,  c'est  que  le  chef  libéral 
ne  veut  pas  se  compromettre  ni  compromettre  son  parti 
sur  la  question  des  écoles. 

Procédons  par  ordre.  M.  Laurier  a  touché  deux  fois 
cette  question  :  le  soir  de  son  arrivée  à  Winnipeg, 
devant  l'assemblée  libérale,  et  le  lendemain  devant  la 
délégation  catholique. 

Quelles  ont  été  ses  paroles  devant  l'assemblée  libérale  ? 

Les  voici  : 

"  Je  crois  fortement  aux  droits  provinciaux.  Aux 
Communes,  j'ai  défendu  l'autorité  de  la  province  du 

1 Le  26  juillet  1894  le  gouvernement  fédéral  avait  effecti- 
vement adopté  un  arrêté  en  conseil  en  vertu  duquel  des  repré 
sentations  furent  faites  aux  gouvernements  du  Manitoba  et 
des  Territoires.    On  les  priait  de  faire  droit  aux  griefs  légi- 
times des  minorités. 


212  MÉLANGES 

Maaitoba.  Lorsque  j'ai  pris  en  main  la  pétition  de  mes 
coreligionnaires  du  Manitoba,  qui  se  plaignent  de  la 
législation  du  Manitoba,  je  me  suis  demandé  :  de  quoi 
se  plaignent-ils  ?  J'ai  pris  la  pétition  du  défunt  arche- 
vêque— un  homme  qui,  je  crois,  était  respecté  dans 
cette  province  par  ses  amis  comme  par  ses  adversaires, — 
j'ai  pris  cette  pétition  de  l'archevêque  et  de  plusieurs 
autres  signataires  et  la  plainte  qu'elle  contenait  était 
que  les  membres  du  gouvernement  du  Manitoba — je 
parle  ici  en  présence  de  ces  membres — avaient  adopté  une 
législation  qui,  au  lieu  de  donner  à  la  minorité  des  écoles 
publiques  leur  imposait  des  écoles  protestantes  et  les 
obligeaient  ainsi  d'envoyer  leurs  enfants  catholiques  à 
des  écoles  protestantes, 

"  D'un  autre  côté,  le  gouvernement  du  Manitoba 
niait  cette  prétention  in  toto  ;  il  n'admettait  pas  que  la 
législation  eût  l'effet  qu'on  lui  reprochait  ;  il  prétendait 
que  les  enfants  catholiques  n'étaient  pas  forcés  de  sui- 
vre des  écoles  protestantes.  J'ai  dit  au  gouvernement 
fédéral  auquel  était  adressée  la  pétition  :  Voici  une  sim- 
ple question  de  fait.  C'est  à  vous  de  prouver  si  les  faits 
énoncés  sont  vrais  ou  faux."  Au  lieu  d'agir  comme  je 
leur  conseillais,  ils  en  ont  appelé  au  pays  et  ont  éludé 
la  question. 

"  J'ai  fait  plus — je  leur  ai  dit  comme  je  le  dis  aujour- 
d'hui :  si  les  plaintes  des  catholiques  sont  fondées,  s'il 
est  vrai  que  des  enfants  catholiques  sont  obligés  de 
suivre  des  écoles  protestantes,  c'est  un  outrage  telle- 
ment caractérisé  contre  la  liberté  de  conscience,  qu'aucun 
pays  ne  le  supporterait.  J'ai  dit  devant  la  Chambre  : 

"  Prouvez-moi  que  les  plaintes  de  la  minorité  catho- 
lique sont  fondées,  que   leurs  droits  sont   violés,  au 


MÉLANGES  213 

point  d'être  obligés  d'envoyer  leurs  enfants  à  des  écoles 
dont  l'enseignement  religieux  est  protestant,  et  je  suis 
prêt  à  me  présenter  devant  la  population  du  Manitoba 
et  à  leur  dire  que  cette  législation  ne  peut  pas  durer. 

"  Je  n'ai  pas  d'autre  cbose  à  dire  à  Winnipeg  que  ce 
que  j'ai  dit  au  Parlement,  à  Québec  et  ailleurs." 

Comme  nos  lecteurs  peuvent  le  constater  d'un  coup 
d'œil,  c'est  toujours  la  même  balançoire  ;  si  les  écoles 
sont  vraiment  protestantes,  si  les  catholiques  sont  for- 
cés d'envoyer  leurs  enfants  aux  écoles  protestantes,  si 
tel  est  le  résultat  des  lois  scolaires  manitobaines,  M. 
Laurier  daignera  proclamer  à  tous  venants  que  ces  lois 
sont  vilaines  et  donnent  une  entorse  à  la  justice. 

Voilà  tout. 

Le  lendemain,  même  antienne.  Qu'on  lise  ce  compte 
rendu  de  l'entrevue  de  M.  Laurier  avec  la  délégation 
catholique  : 

"  Winnipeg,  5. — C'est  hier  matin  que  l'honorable 
Wilfrid  Laurier  a  reçu  les  catholiques  qui  désiraient  le 
rencontrer  à  propos  des  écoles  du  Manitoba.  La  délé- 
gation lui  présenta  d'abord  une  adresse  de  bienvenue 
de  la  part  dos  catholiques  et  déclara  qu'elle  désirait 
profiter  de  sa  visite  à  Winnipeg  pour  lui  soumettre  les 
griefs  des  catholiques  en  rapport  avec  cette  grave  ques- 
tion des  écoles.  Avant  d'exprimer  une  opinion,  M.  Lau- 
rier a  demandé  à  plusieurs  délégués  de  faire  connaître 
leurs  vues.  Cela  lui  a  donné  occasion  d'entendre  discu- 
ter de  nouveau  toute  la  législation  scolaire  de  la  pro- 
vince du  Manitoba. 

"  En  réponse  au  chef  de  l'opposition,  les  délégués  ont 
déclaré  que  les  catholiques  n'avaient  pas  jugé  à  propos 
de  soumettre  leurs  griefs   à  l'honorable  M.  Foster  et  à 


214  MÉLANGES 

l'honorable  M.  Angers,  lors  de  la  visite  de  ces  derniers 
en  septembre  1893,  Ils  n'ont  pas  cru  la  chose  utile 
parce  que  le  gouvernement  fédéral,  s'il  faut  en  juger  par 
sa  conduite  antérieure,  ne  paraît  pas  disposé  à  proposer 
une  législation  réparatrice.  La  grande  majorité  des 
partisans  du  gouvernement  est  hostile  à  une  semblable 
mesure. 

"  M.  Laurier  a  répliqué  qu'il  croyait  qu'il  eût  été  plus 
pratique  et  plus  rationnel  de  soumettre  la  question  à 
ceux  qui  ont  le  pouvoir  et  la  responsabilité  de  la  résoudre. 

"  Le  gouvernement,  a  dit  le  chef  de  l'opposition,  est 
"  plus  influent  qu'un  seul.  Il  a  le  pouvoir,  je  ne  l'ai  pas. 
"  Vous  ne  voulez  pas  soumettre  vos  griefs  aux  minis- 
"  très,  parce  que,  dans  votre  opinion,  vous  ne  pourrez 
"  pas  obtenir  justice  d'eux.  Je  crois  que  votre  devoir 
"  est  de  faire  connaître  telle  opinion  au  gouvernement 
"  qui  a  la  responsabilité  et  le  pouvoir. 

"  Supposez,  interrompit  M.  Golden,  que  sir  John 
"  Thompson  propose  une  loi  réparatrice  ;  en  votre  qua- 
"  lité  de  chef  de  l'opposition,  lui  donneriez-vous  votre 
"  concours  pour  le  redressement  de  nos  griefs  ? 

"  M.  Laurier. — Si,  après  avoir  étudié  les  deux  côtés 
"  de  la  question,  je  trouve  que  les  catholiques  sont 
"  obligés  d'envoyer  leurs  enfants  à  des  écoles  protes- 
"  tantes,  je  crois  que  cette  cause  serait  entendue  par  le 
"  parlement  avec  impartialité,  et  pourrait  y  être  discu- 
"  tée  aussi  avantageusement  qu'aucune  autre. 

"  Plusieurs  des  plaintes  de  la  députation  sont  nou- 
"  velles  pour  moi,  elles  n'ont  jamais  été  formulées  dans 
"  aucune  des  pétitions  qui  ont  été  envoyées  à  Ottawa, 
"  et  encore  une  fois,  ces  faits  devraient  être  portés  à  la 
"  connaissance  des  ministres." 


MÉLANGES  215 

"  M.  Laurier  a  terminé  en  remerciant  la  délégation 
des  renseignements  qu'elle  venait  de  lui  fournir." 

C'est  bien  la  même  ritournelle,  n'est-ce  pis  ?  "  Si  je 
reconnais  que  les  catholiques  sont  forcés  d'envoyer 
leurs  enfants  aux  écoles  protestantes..."  Il  ne  sort  pas 
de  là,  M.  Laurier. 

Ou  conçoit  que  cette  attitude  jette  le  désarroi  dans 
les  rangs  de  nos  libéraux.  L'impression  est  désastreuse. 
On  en  trouve  une  trace  dans  cette  appréciation  du 
Monde,  dont  nos  lecteurs  connaissent  les  allures  : 

"  M.  Laurier  a  été  prudent,  c'est  vrai,  mais  il  ne 
manquera  pas  de  gens  dans  son  propre  parti  qui  trou- 
veront que  sa  réponse  est  remarquablement  vague  pour 
ne  pas  dire  vide. 

"  A  une  députation  qui  lui  criait;  "  Sauvez-nous 
puisque  le  gouvernement  nous  abandonne,"  il  a  répondu  : 
"  Mes  amis,  adressez-vous  au  gouvernement.  Je  n'ai 
rien  de  bon  à  vous  proposer." 

"  De  fait  M.  Laurier  s'est  borné  à  si  thèse  de  la  der- 
nière session  :  "  Si  les  écoles  sont  protestantes  au 
lieu  d'être  neutres,  je  les  combattrai." 

Le  Monde  a  mis  le  doigt  sur  la  plaie  :  M.  Laurier 
lâche  les  écoles  séparées  dans  l'Ouest.  Ses  déclarations 
sont  déplorables,  non  pas  seulement  à  cause  de  leurs  si 
et  de  leurs  détours  sans  franchise,  mais  encore  et  sur- 
tout à  cause  de  cette  quasi  reconnaissance  des  écoles 
neutres,  M.  Laurier  se  tue  à  répéter  :  si  les  écoles  sont 
protestantes,  si  les  catholiques  sont  forcés  d'envoyer 
leurs  enfants  à  des  écoles  vraiment  protestantes,  je  dirai 
que  la  loi  est  injuste. 

Mais  alors,  M.  Laurier  est  d'avis  que,  si  les  écoles 
ne  sont  pas  protestantes,  et  qu'elles  soient  simplement 


216  MÉLANGES 

neutres,  la  loi  est  juste  et  ne  doit  pas  être  attaquée. 

C'est  une  prodigieuse  erreur.  C'est  l'abandon  du  prin- 
cipe des  dcoles  séparées,  confessionnelles.  C'est  une 
véritable  trahison. 

Qu'on  soit  embarrassé  de  cette  question,  qu'on  soit 
effrayé  des  périls  qu'elle  comporte,  des  difficultés  qu'elle 
soulève,  des  crises  nationales  qu'elle  peut  provoquer, 
nous  comprenons  cela  jusqu'à  un  certain  point,  encore 
que  les  hommes  publics  fédéraux  nous  semblent  pous- 
ser trop  loin  la  crainte  et  la  prudence,  dans  cette  con- 
joncture. Mais  qu'un  homme  politique  pousse  la  pusil- 
lanimité jusqu'à  sacrifier  le  principe  des  écoles  séparées, 
jusqu'à  en  faire  bon  marché,  cela  c'est  trop  fort. 

C'est  une  honteuse  capitulation  que  M.  Laurier  vient 
de  commettre  à  Winnipeg, 

Désormais  on  sera  fixé  sur  le  compte  du  chef  de 
l'opposition.  On  saura  où  il  est,  ce  qu'il  veut,  et  ce 
qu'on  peut  attendre  de  lui  quant  à  la  question  des 
écoles. 

Il  n'y  a  plus  d'équivoque  possible. 


LA  POSITION  DE  M,  LAURIER 

25  septembre  1894. 
On  lit  dans  le  National  : 

"  La  Croix  demandait  bruyamment  si  oui  ou  non,  M. 
Laurier  avait  reconnu  à  Saint-Lin,  que  les  écoles  sépa- 
rées du  Manitoba  sont  des  établissements  protestants  ? 
Eh  !  que  nous  importe  au  fond  ce  que  M.  Laurier  a  pu 
dire  ?  Son  opinion  ne  changera  pas  l'état  des  choses,  du 


MÉLANGES  217 

moins  de  quelque  temps,  puisqu'il  n'est  pas  encore 
ministre.  Ne  rompons  pas  les  chiens  en  détournant 
l'attention  des  ministres  qui  peuvent  tout,  pour  l'attirer 
sur  le  chef  de  l'opposition  qui  ne  peut  rien.  Quand  ce 
dernier  sera  au  pouvoir,  alors  nous  le  sommerons  d'agir 
ainsi  que  nous  le  disions  la  semaine  dernière.  " 

Le  National  pose  mal  la  question.  On  ne  somme  pas 
M.  Laurier  d'agir.  On  le  somme  de  donner  nettement 
sou  programme  sur  cette  question  vitale. 

Poussé  au  pied  du  mur,  il  tâtonne,  il  se  répand  en 
déclamations  vagues,  il  nous  accable  de  si,  et  ce  qu'on 
peut  déduire  de  plus  clair  de  tous  ses  discours,  c'est  qu'il 
est  favorable  aux  écoles  neutres. 

Voilà  pourquoi  on  attache  tant  d'importance  à  ce  que 
M.  Laurier  a  pu  dire. 

Le  chef  de  l'opposition  demande  qu'on  lui  donne  le 
pouvoir.  On  veut  savoir  quel  usage  il  en  ferait. 

C'est  raisonnable  et  légitime,  n'en  déplaise  au 
National. 


LA    VICTOIRE    DES    CATHOLIQUES 
DEVANT  LE  CONSEIL  PRIVÉ 

30  janvier  1895. 

Nous  accueillons  avec  bonheur  la  nouvelle,  publiée 
hier  dans  notre  dernière  édition,  que  les  catholiques  du 
Manitoba  ont  réussi  dans  leur  appel  de  la  décision  de 
la  Cour  Suprême. 

Comme  on  le  sait,  la  Cour  Suprême  avait  déclaré  que 
les  catholiques  n'avaient  pas  droit  d'en  appeler  au  gou- 


218  •       MÉLANGES 

verneur  général  en  conseil  de  la  violation  de  leurs  droits 
scolaires  par  la  législature  du  Manitoba. 

C'est  ce  jugement  qui  vient  d'être  renversé  par  le 
Conseil  Privé.  Le  plus  haut  tribunal  de  l'empire  a 
décidé  que  la  voie  de  l'appel  au  gouverneur  général  en 
conseil  est  encore  ouverte  pour  les  catholiques  du  Mani- 
toba. 

Nous  exprimons  l'ardent  espoir  que  cet  important 
arrêt  fasse  entrer  la  question  dans  une  phase  nouvelle, 
qui  se  terminera,  par  la  victoire  du  droit  et  de  la  consti- 
tution. 


M.  LAURIER  A  MONTREAL 

20  février  1895. 
M,  Laurier  a  parlé  à  Montréal. 

Ses  organes  font  beaucoup  de  bruit  autour  de  son  dis- 
cours et  de  l'assemblée  libérale  du  parc  Sohraer. 

Nous  laissons  de  côté  tous  les  commentaires,  nous 
laissons  de  côté  tous  les  hors-d'œuvre  dont  la  harangue 
du  chef  de  l'opposition  est  émaillée,  et  nous  allons  droit 
à  la  partie  qui  nous  paraît  la  plus  importante  dans  le 
moment  actuel. 

M.  Laurier  a  parlé  de  la  question  des  écoles. 

Qu'a-t-il  dit  ? 

Nous  reproduisons  ses  paroles  in  extenso  telles  que 
nous  les  apporte  la  Patrie,  l'organe  libéral  de  Montréal  : 

"  Je  suis  heureux  d'abandonner  pour  un  moment  le 
domaine  de  l'économie  politique  pour  discuter  une  ques- 
tion qui  intéresse  particulièrement  les  gens  de  Mont- 
réal, la  question  des  écoles  du  Manitoba.  J'ai  déjà  parlé 


MÉLANGES  219 

plusieurs  fois  sur  ce  sujet  à  Toronto,  Winnipeg  et  Vic- 
toria. Je  vous  assure  que  j'avais  beaucoup  plus  de 
plaisir  à  discuter  cette  question  à  Winnipeg  ou  à  Toronto 
plutôt  qu'à  Montréal,  parce  que  là,  j'éprouvais  le  plaisir 
d'un  homme  qui  combat  pour  une  bonne  cause.  J'ai 
déjà  parlé  fréquemment  des  écoles  du  Manitoba  mais 
je  n'ai  pas  réussi  à  satisfaire  les  conservateurs  ;  plus  je 
discute  la  question,  moins  ils  sont  satisfaits.  La  diffi- 
culté n'est  pas  nouvelle.  En  1894,  elle  est  venue  devant 
le  Parlement,  lorsque  le  gouvernement,  après  s'être 
d'abord  adressé  aux  cours,  s'est  de  nouveau  vu  en  face 
de  la  question.  Ils  ont  cherché  à  la  soumettre  encore 
aux  tribunaux  et  ils  ont  réussi.  C'est  alors  que  j'ai 
déclaré  en  Chambre  que  ce  n'était  pas  une  question  de 
droit,  mais  une  question  de  fait.  J'ai  pris  la  pétition 
adressée  au  gouvernement  par  l'évêque  de  Saint-Boni- 
face,  le  très  regretté  Mgr  Taché,  dans  laquelle  il  décla- 
rait que,  sous  prétexte  d'introduire  au  Manitoba  des 
écoles  publiques,  on  établissait  réellement  des  écoles 
protestantes.  J'ai  demandé  au  gouvernement  pourquoi 
s'adresser  aux  tribunaux  :  Si  ce  sont  des  écoles  i^rotes- 
tantes,  c'est  un  outrage  que  ne  supportera  jamais  un 
pays  libre.  Cette  déclaration,  je  l'ai  répétée,  pas  une  fois, 
mais  dix  fois,  dans  Ontario.  Il  y  a  quinze  jours,  je  la 
répétais  à  Toronto.  Mais  les  journaux  conservateurs 
demandent  :  pourquoi  Laurier  ne  va-t-il  pas  plus  loin  ? 
Eh  bien,  messieurs,  comparez  mon  langage  avec  celui 
des  ministres.  Dans  les  pays  constitutionnels,  il  y  a 
deux  côtés  :  le  gouvernement  et  l'opposition.  J'ai  indi- 
qué ma  position.  Il  y  a  ici  des  conservateurs.  Y  en 
a-t-il  un  qui  puisse  me  dire  quelle  est  la  politique  du 
gouvernement  ? 


220  MÉLANGES 

"  Quelqu'un  peut-il  ine  citer  une  déclaration  de  M, 
Ouimet,  de  M,  Angers  ou  de  M.  Caron  ?  J'ai  déclaré 
que  c'était  une  question  de  fait  et  que  si  elle  était  con- 
forme à  ce  que  disait  Mgr  Taché,  c'était  un  outrage  into- 
lérable. La  presse  conservatrice  dit  que  ce  n'est  pas 
aller  assez  loin.  S'il  en  est  ainsi,  quel  ne  doit  pas  être 
le  mépris  dont  nous  pouvons  accabler  un  gouvernement 
qui  n'a  pas  encore  trouvé  un  mot  à  dire,  une  opinion  à 
exprimer  sur  la  question  ?  Si  je  ne  vais  pas  assez  loin, 
que  le  gouvernement  fasse  davantage.  Je  défie  M. 
Angers  d'en  faire  autant,  A  Vaudreuil,  M.  Angers  a 
dit  qu'il  se  couperait  la  main,  si  justice  n'était  pas  ren- 
due, et  pourtant  je  crois  qu'il  a  encore  ses  deux  fnains. 
Il  a  même  encore  ses  deux  pieds  pour  sauter  par-dessus 
la  constitution.  Je  défie  M.  Ouimet,  je  défie  M.  Caron 
d'en  dire  autant.  Lorsque  les  ministres  français  du 
cabinet  en  auront  fait  autant  que  moi,  je  tiendrai  compte 
de  leurs  attaques;  mais,  jusque-là,  je  les  traiterai  avec 
le  plus  profond  dédain." 

Voilà  les  paroles  de  M.  Laurier, 

Elles  sont  conformes  au  langage  équivoque  et  vague 
qu'il  a  tenu  jusqu'à  présent. 

Allons  plus  loin,  elles  sont  la  manifestation  réitérée 
d'un  état  d'esprit  absolument  repréhensible  au  point  de 
vue  catholique. 

Pour  M.  Laurier,  toute  la  question  est  dans  cette 
phrase  :  "  Si  les  écoles  du  Manitoba  sont  protestantes." 

Eh  bien,  M.  Laurier,  chef  de  parti,  canadien-français 
et  catholique,  a  l'irréparable  malheur,  soit  par  malhon- 
nêteté politique,  soit  par  une  criminelle  ignorance  des 
vérités  de  la  foi,  de  poser  à  faux  cette  grande  et  vitale 
question. 


MÉLANGES  221 

Non,  monsieur,  ce  n'est  pas  en  disant  :  Si  les  écoles 
sont  protestantes,  que  l'on  arrivera  à  une  solution  juste. 
Sans  doute,  si  les  (écoles  sont  protestantes,  c'est  une 
abomination;  mais  si  les  écoles  sont  neutres,  cela  ne 
vaut  guère  mieux. 

Le  vrai  terrain  où  doit  être  placé  le  débat,  c'est  celui 
des  écoles  séparées  :  les  protestants  ayant  leurs  écoles 
protestantes,  les  catholiques  ayant  leurs  écoles  catholi- 
ques. Dans  un  pays  mixte  comme  le  nôtre,  voilà  le 
véritable  moclus  Vivendi,  le  seul  qui  soit  pratique  et 
qui  puisse  donner  satisfaction  à  toutes  les  consciences. 

Il  est  clair  que  M.  Laurier  n'envisage  pas  la  question 
à  ce  point  de  vue.  Son  idéal,  c'est  l'école  neutre,  l'école 
sans  enseignement  religieux,  l'école  sans  credo. 

La  religion  hors  l'école,  telle  paraît  être  sa  prédilec- 
tion secrète.  Tous  les  enfants  du  peuple  s'asseyant  sur 
les  mêmes  bancs,  sans  distinction  de  races  ni  de  croyan- 
ces, le  même  maître  donnant  à  tous  le  même  enseigne- 
ment d'où  l'on  bannira  l'élément  religieux,  laissant  uni- 
quement à  la  famille  le  soin  de  l'introduire  dans  l'édu- 
cation, voilà  son  rêve. 

Eh  bien  !  ce  rêve  est  une  chimère.  Et  pis  que  cela, 
M.  Laurier,  c'est  une  apostasie  ! 

Ah  !  étant  ce  que  vous  êtes,  et  pensant  ce  que  vous 
pensez,  vous  faites  preuve  d'une  incroyable  audace  en 
apostrophant  M.  Angers  et  ses  collègues  comme  vous 
l'avez  fait  à  Montréal.  Voulez-vous  savoir  ce  qne  font 
M.  Angers  et  ses  collègues  depuis  deux  ans  ?  Pendant 
que  vous  contiez  fleurette  à  Jos.  Martin  et  à  Greenway,' 
d'une  part,  et  que  vous  essayiez,  d'autre  part,  à  blaguer 
les  catholiques  avec  votre  balançoire  oratoire  qui  pen- 
chait toujours  du  côté  de  l'école  neutre,  M.  Angers  et 


222  MÉLANGES 

ses  collègues  catholiques  luttaient  silencieusement,  mais 
avec  une  indomptable  énergie,  pour  le  triomphe  et  la 
résurrection  des  écoles  séparées.  Lorsque  le  jugement 
de  la  Cour  Suprême  semblait  enterrer  la  question,  au 
moment  même  où  vous,  M.  Laurier,  et  votre  organe  le 
Globe,  proclamiez  avec  joie  que  c'était  là  une  question 
morte,  M,  Angers  et  ses  collègues  organisaient  la  résis- 
tance, déterminaient  les  catholiques  à  porter  encore  une 
fois  la  cause  au  Conseil  Privé,  en  dépit  de  certaines 
préventions  respectables,  et  entraînaient  tous  les  mem- 
bres du  cabinet  fédéral  avec  quelques  amis — quatorze 
répondants  en  tout, — à  souscrire  la  somme  nécessaire 
aux  frais  d'appel,  $8,000  environ,  croyons-nous.  Et 
cela  pour  ressusciter  cette  question  proclamée  morte, 
avec  exultation,  par  le  parti  libéral. 

Grâce  à  leurs  efforts,  grâce  à  leurs  sacrifices,  elle  est 
ressuscitée,  cette  question  brûlante.  Aujourd'hui,  merci 
à  M.  Angers  et  à  ses  collègues,  commence  à  luire  pour 
les  catholiques  du  Manitoba  l'aurore  de  la  justice. 

Le  26  février,  mardi  prochain,  l'appel  des  catholiques 
va  être  entendu. 

C'est  le  premier  pas  dans  la  voie  de  la  réparation. 

Et  voici  ce  qui  va  suivre,  Nous  ne  sommes  pas  par- 
tisan quand  même  du  cabinet  fédéral,  nous  ne  lui  som- 
mes pas  inféodé,  nous  ne  lui  sommes  attaché  par  aucun 
lien,  et,  surtout  depuis  un  an,  nous  avons  tenu  à  garder 
envers  lui  une  attitude  indépendante,  précisément  en 
vue  de  cette  question  des  écoles.  Eh  bien,  nous  sommes 
heureux  de  pouvoir  le  dire  aujourd'hui,  le  gouvernement 
fédéral  est  déterminé  h.  rendre  justice  à  la  minorité 
opprimée  du  Manitoba.  Il  est  déterminé  à  faire  res- 
pecter  la  constitution,  coûte  que  coûte.  Il  est  déter- 


MÉLANGES  223 

miné  à  redresser  les  griefs.  Il  est  déterminé  à  rendre 
aux  catholiques  de  la  province  manitobaine  les  écoles 
séparées  qu'ils  ont  perdues. 

Ce  n'est  pas  un  vain  langage  que  nous  tenons  en  ce 
moment.  Nous  ne  prétendons  pas  avoir  autorité  pour 
faire  ces  déclarations,  mais  nous  savons  que  des  actes 
justifieront  nos  paroles. 

Et  lorsque  ces  actes  s'accompliront,  lorsque  le  pro- 
gramme du  gouvernement  recevra  ses  développements, 
laissant  de  côté  toute  autre  considération,  nous  applau- 
dirons à  ces  actes,  tous  les  bons  citoyens,  tous  les  amis 
de  l'ordre,  de  la  constitution  et  de  la  justice  y  applau- 
diront comme  nous. 

Et  alors  M.  Laurier,  emporté  par  le  courant,  lâchant 
enfin  ses  écoles  neutres,  et  se  mettant  piteusement  à  la 
remorque,  se  prononcera  à  contre-cœur  pour  les  écoles 
séparées. 

Mais  nous  ne  lui  promettons  pas  qu'il  obtiendra,  avec 
cette  conversion  tardive,  le  même  succès  que  les  ou 
vriers  de  la  onzième  heure  dont  parle  l'Evangile. 


UN  ARTICLE  DU  HAMILTON  SPEG- 
TATOR 

28  février  1895. 

Nous  avions  noté  spécialement  un  article  du  Hamil- 
ton  SiJedator,  sur  la  question  des  écoles,  dans  l'inten- 
tion d'y  répondre. 

Les  journaux  libéraux,  YEledeur  et  la  Patrie,  nous 


224  MÉLANGES 

apportent  cet  article,  ce  qui  nous  épargne  la  peine  de 
le  traduire.     Le  voici  : 

"  On  a  suggéré  au  gouvernement  du  Dominion  de 
donner  à  la  minorité  catholique  du  Manitobaune  partie 
de  ce  que  les  anglais  appellent  les  terrains  scolaires  de 
cette  province,  pour  aider  cette  minorité  à  soutenir  ses 
écoles  séparées. 

"  Ces  terrains  ont  été  donnés  au  Manitoba  par  acte  du 
parlement  pour  des  fins  scolaires.  On  peut  alléguer  que 
]e  pouvoir  qui  donne  peut  aussi  ôter.  Quoi  qu'il  en  soit, 
ces  terrains  appartiennent  ou  à  la  population  du  Mani- 
toba ou  à  celle  du  Dominion.  Nous  ne  croyons  pas  que 
le  gouvernement  du  Dominion  puisse  être  induit  à  com- 
mettre celte  injustice,  de  donner  ce  qui  appartient  à 
tout  le  Dominion  dans  le  but  de  faire  enseigner  une  cer- 
taine religion  à  une  certaine  secte. 

"  Si  ces  terres  appartiennent  au  Manitoba  à  condition 
qu'elles  servent  à  des  fins  d'éducation,  cette  province 
peut  eu  disposer  comme  elle  l'entendra,  aussi  longtemps 
que  la  condition  sera  observée.  Une  subvention  de  la 
part  du  gouvernement  du  Dominion — une  subvention 
prise  sur  l'argent  du  peuple  entier  pour  faire  ensei- 
gner une  religion  spéciale  à  une  secte — cela  donnerait 
lieu  aux  mêmes  objections  que  de  donner  une  subven- 
tion en  terres  du  Dominion. 

"  Il  nous  semble  que  l'action — ou  plutôt  l'inaction  du 
gouvernement  du  Dominion  dans  l'affaire  des  biens  des 
Jésuites  dans  la  Province  de  Québec,  est  un  bon  précé- 
dent à  suivre. 

"  Dans  ce  cas  on  n'est  pas  intervenu  sur  le  terrain  des 
droits  de  la  province  de  Québec  et  les  gens  de  Québec 
ont  été  satisfaits.    Si  la  même  règle  est  suivie  dans 


MÉLANGES  225 

cette  affaire  du  Manitoba,  les  Qiiébecquois  n'ont  pas  le 
droit  d'être  mécontents. 

La  doctrine  des  droits  des  provinces  doit  être  appli- 
quée à  toute  les  provinces  ou  à  aucune. 

Le  Hamilton  Spectator  est  un  des  principaux  orga- 
nes conservateurs  protestants  de  la  province  d'Ontario, 
et,  par  conséquent,  son  attitude  vaut  la  peine  qu'on  s'en 

occupe. 

Cette  attitude  prouve  que  le  gouvernement  fédéral  ne 
s'est  pas  mis  une  petite  besogne  sur  les  bras,  en  entre- 
prenant de  régler  la  question  des  écoles  et  de  rendre 
justice  à  la  minorité  catholique. 

Comme  on  le  voit,  nous  n'essayons  pas  de  dissimuler 
ou  de  masquer  la  situation.  Nous  sommes  d'avis  que 
cette  question  brûlante,  plus  que  toute  aiitre,  commande 
la  plus  absolue  franchise. 

Nous  reconnaissons  donc  volontiers  que  le  Hamilton 
Spectator,  journal  conservateur  important,  commence  à 
montrer  les  grosses  dents  au  gouvernement  à  propos  de 
la  question  des  écoles. 

Et  nous  sommes  heureux  de  saisir  cette  occasion  pour 
dire  notre  façon  de  penser  au  groupe  dont  ce  grand  jour- 
nal se  fait  l'écho. 

Cette  façon  de  penser,  la  voici  :  c'est  que,  quels  que 
soient  les  préjugés,  quelles  que  soient  les  répugnances 
de  l'école,  des  hommes,  des  politiciens  dont  le  Spectator 
reflète  les  idées,  il  faut  que  la  question  des  écoles  soit 
réglée  dans  le  sens  de  la  justice  et  de  la  constitution. 

Et  elle  le  sera. 

Voilà  quatre  ans  qu'elle  est  posée  devant  l'opinion, 
voilà  quatre  ans  qu'elle  trouble  les  esprits,  qu'elle  divise 
les  partis,  qu'elle  agite  le  parlement  et  l'électorat,  qu'elle 
15 


226  MÉLANGES 

est  une  source  de  malaise,  de  conflit,  de  défiance.    Elle 
est  devenue  un  danger  pour  la  paix  et  le  progrès  de 
cette  Confédération. 
Il  est  temps  d'en  finir. 

Le  Hamilton  Spectator  déplace  malhonnêtement  la 
question.  Il  rappelle  le  non  désaveu  de  la  loi  des  biens 
des  Jésuites,  et  il  s'écrie  :  on  n'est  pas  intervenu  alors, 
qu'on  n'intervienne  pas  aujourd'hui  et  tout  sera  bien. 
Eh  bien,  non,  tout  ne  serait  pas  bien  ;  car  en  interve- 
nant alors,  on  aurait  certainement  violé  l'esprit  de  la 
constitution,  et  en  intervenant  aujourd'hui,  ou  ne  fera 
qu'obéir  à  la  constitution. 

Dans  le  cas  de  la  loi  des  biens  des  Jésuites,  on  voulait 
faire  désavouer  une  législation  par  laquelle  la  province 
de  Québec  affectait  à  certaines  fins  les  deniers  publics 
dont  elle  avait  l'incontestable  disposition.  Désavouer  la 
loi,  c'eût  été  empiéter  sur  les  droits  constitutionnels  de  la 
province  de  Québec. 

Dans  le  cas  actuel,  au  contraire,  c'est  le  gouverne- 
ment du  Manitoba  qui  a  outrepassé  ses  droits  en  violen- 
tant la  minorité  ;  et  le  gouvernement  fédéral,  en  interve- 
nant pour  protéger  la  minorité,  ne  fera  que  se  conformer 
à  ce  que  prévoit  la  constitution  en  pareil  cas.  Le  Spec- 
tator connaît-il  la  clause  22  de  l'acte  du  Manitoba.  Nous 
allons  la  lui  mettre  sous  les  yeux  : 

"  22.  Dans  la  province  du  Manitoba,  la  législature 
pourra  exclusivement  décréter  des  lois  relatives  à  l'édu- 
cation, sujettes  aux  dispositions  suivantes  : 

*•  (1).  Eien  dans  ces  lois  ne  devra  préjudiciel  à  aucun 
droit  ou  privilège  conféré,  lors  de  l'union,  par  la  loi  ou 
par  la  coutume  à  aucune  classe  particulière  de  personnes 
dans  la  province  relativement  aux  écoles  séparées. 


MÉLANGES  227 

"  (2).  Il  pourra  être  interjeté  appel  au  gouverneur 
général  en  conseil  de  tout  acte  ou  décision  de  là  légis- 
lature de  la  province  ou  de  toute  autorité  provinciale 
affectant  quelqu'un  des  droits  ou  privilèges  de  la  mino- 
rité protestante  ou  catholique  romaine  des  sujets  de 
Sa  Majesté  relativement  à  l'éducation. 

"  (3).  Dans  le  cas  où  il  ne  serait  pas  décrété  par  telle  loi 
provinciale  que,  de  temps  à  autre,  le  gouverneur  géné- 
ral en  conseil  jugera  nécessaire  pour  donner  suite  et 
exécution  aux  dispositions  du  présent  article — ou  dans 
le  cas  où  quelque  décision  du  gouverneur  général  en 
conseil,  sur  appel  interjeté  en  vertu  du  présent  article, 
ne  serait  pas  dûment  mise  à  exécution  par  l'autorité 
provinciale  compétente — alors  en  tout  tel  cas,  et  en 
tant  seulement  que  les  circonstances  de  chaque  cas 
l'exigeront,  le  parlement  du  Canada  pourra  décréter  des 
lois  propres  à  y  remédier  pour  donner  suite  et  exécu- 
tion aux  dispositions  du  présent  article,  ainsi  qu'à  toute 
décision  rendue  par  le  gouverneur  général  en  conseil 
sous  l'autorité  du  présent  article." 

Voilà  la  constitution. 

Le  plus  haut  tribunal  de  l'empire  vient  de  décider 
qu'en  vertu  de  cette  clause  le  gouvernement  fédéral  a 
le  droit  d'intervenir. 

Que  le  Spectator  nous  cite  un  article  spécial  de  la 
constitution  qui  enjoignît  au  gouvernement  fédéral  de 
désavouer  la  loi  des  Jésuites.  Nous  l'en  défions. 

Bien  au  contraire,  les  aviseurs  légaux  de  la  Couronne 
en  Angleterre,  ont  déclaré  officiellement  que  le  cabinet 
d'Ottawa  avait  agi  conformément  à  la  constitution  en 
ne  la  désavouant  pas. 


228  MÉLANGES 

Le  Hamilton  Spedator  devra  reconnaître  lui-même 
que  sa  position  est  insoutenable. 

Mais  qu'il  le  reconnaisse  ou  non,  ce  qui  doit  se  faire 
se  fera, 

La  question  des  écoles  est  devenue  une  de  ces  grandes 
questions  constitutionnelles  et  politiques  dont  la  solu- 
tion s'impose  aux  hommes  d'Etat  dignes  de  ce  nom  ; 
une  de  ces  questions  dont  les  annales  parlementaires 
anglaises,  en  ce  siècle,  nous  ont  transmis  plus  d'un 
exemple  mémorable,  et  qui  ont  été  réglées  par  la  sagesse 
opportune  et  l'esprit  d'équité  de  grands  ministres  et  de 
grands  citoyens,  tels  que  Wellington,  pour  ne  citer  qu'un 
nom,  réglant  la  question  catholique  en  1829,  en  dépit 
de  préjugés  séculaires. 

Notre  pays  est  dans  un  de  ces  moments  solennels  où 
la  voix  des  préjugés  doit  se  taire,  nous  en  avertissons 
le  Hamilton  Spedator. 

Il  faut  que  le  parti  conservateur  règle  la  question 
des  écoles  et  protège  la  minorité,  ou  qu'il  tombe. 

Si  le  Hamilton  Spedator  veut  que  le  parti  conser- 
vateur tombe,  qu'il  persévère  dans  la  voie  indiquée  par 
son  article. 

Pour  nous,  nous  voulons  que  justice  soit  rendue  par 
le  parti  conservateur,  nous  savons  qu'elle  le  sera,  et 
nous  afiBrmons  que  malgré  tous  les  préjugés,  le  parti 
conservateur  triomphera  en  rendant  justice. 


MÉLANGES  229 

LES  FANATIQUES   ET   LE  GOUVERNE- 
MENT 

1er  mars  1895. 

Les  fanatiques  de  Toronto  se  trémoussent. 
Une  dépêche  annonce  que  certains  meneurs  prépa- 
rent une  immense  démonstration  soit-disant  conserva- 
trice, pour  protester  contre   la  politique  réparatrice  du 
gouvernement  dans  la  question  des  écoles. 

On  veut  intimider  sir  MacKenzie  Bowell  et  ses  col- 
lègues. On  veut  les  menacer  de  la  mort  politique  s'ils 
rendent  justice  à  la  minorité. 

Et  bien,  soit  !  Il  est  aussi  bon  que  la  question  se 
pose  nettement. 

Et  il  vaut  peut-être  mieux  que  les  positions  se  des- 
sinent et  s'accusent. 

Nous  ne  ferons  pas  de  menaces  au  gouvernement, 
nous  ;  nous  n'en  avons  pas  à  lui  faire,  car  nous  savons 
qu'il  est  décidé  à  protéger  la  minorité. 

Mais  nous  dirons  aux  fanatiques  du  News  et  à  ses 
pareils  qu'ils  ne  sont  pas  le  parti  conservateur,  et  qu'ils 
ne  mèneront  pas  le  parti  conservateur. 

Nous  leur  dirons  que  le  jeu  qu'ils  veulent  jouer  se 
joue  à  deux. 

Nous  leur  dirons  que  s'ils  veulent  empêcher  le  gou- 
vernement d'exécuter  la  décision  du  plus  haut  tribunal 
de  l'empire,  de  faire  respecter  la  constitution,  et  de 
secourir  une  minorité  opprimée  dans  ses  droits  constitu- 
tionnels, ils  font  aussi  bien  de  se  préparer  à  aller  passer 
vingt  ans  dans  les  froides  régions  de  l'opposition. 

Les  gens  du  News,  les  partisans  et  les  complices 
honteux  de  McCarthy,  ces  pseudo-conservateurs,  dépu- 


230  MÉLANGES 

tés,  journalistes  ou  tireurs  de  ficelles  qui  pactisent  en 
sous-main  avec  la  P.  P.  A.,  nous  les  connaissons. 

Il  n'y  en  a  pas  de  plus  affamés,  de  plus  attachés  au 
pouvoir,  de  plus  ardents  à  la  curée. 

Qu'ils  choisissent  entre  la  satisfaction  de  leurs  haines 
et  de  leurs  misérables  préjugés,  et  la  ruine,  l'effondre- 
ment, l'annihilation  politiques. 

Car  pour  nous  notre  résolution  est  prise  ;  et  nous  ne 
parlons  pas  en  notre  nom  seul,  mais  au  nom  de  l'opi- 
nion conservatrice  en  cette  province. 

Nous  sacrifierons  tout  au  triomphe  de  la  justice  et 
de  la  constitution.  Nous  briserons  tous  les  obstacles 
qui  se  dresseront  sur  notre  route. 

Nous  romprons  avec  quiconque  s'écartera  de  cette 
voie.  Et  s'il  faut  que  notre  parti  tombe  au  milieu  de 
cette  crise,  au  moins  nous  aurons  sauvé  l'honneur  de 
notre  drapeau,  le  drapeau  de  Lafontaine,  de  Morin,  de 
Taché  et  de  Cartier. 

Mais  le  parti  conservateur  ne  tombera  pas.  Il  va  se 
grandir  en  rendant  justice  aux  faibles,  malgré  les  rugis- 
sements du  fanatisme,  et  il  va  remporter  la  victoire  en 
ralliant  à  sa  cause  tous  les  meilleurs  éléments  de  la 
Confédération. 


LE  DISCOURS  DE  M.  LAURIER 

ET  LES  QUESTIONS  DU  COURRIER  DU  CANADA 

14  mars  1895. 

M.  Laurier  a  prononcé  ses  oiacles  à  Saint- Roch,  avant- 
hier  soir. 


MÉLANGES  231 

VEiecteur   et  l'Evénement  rapportent   longuement 
son  discours,  et  nous  l'avons  lu  attentivement. 

Qu'y  a-t-il  dans  cette  harangue  ?  A  part  les  attaques 
à  l'adresse  de  ses  adversaires,  rien  ou  presque  rien. 

M.  Laurier  s'est  beaucoup  occupé  de  notre  journal. 
Il  tenait  le  Courrier  du  Canada  à  la  main,  et  à  plus 
d'une  reprise  il  a  lancé  ses  foudres  contre  son  directeur, 
M.  Chapais.  Mais  il  a  complètement  négligé  de  répon- 
dre aux  questions  que  nous  lui  avons  posées. 

Voici  quelles  étaient  ces  questions  : 

"  M.  Laurier  est  à  Québec. 

"  Aurait-il  l'obligeance  de  donner  son  avis  sur  quel- 
ques questions  très  actuelles. 

"  Que  pense-t-il  de  l'article  du  Glohe  ^  du  6  mars  cou- 
rant? 

"  Est-il  d'opinion  que  le  gouvernement  fédéral  doit 
intervenir  dans  la  question  des  écoles  du  Manitoba  ? 

"N'est-il  pas  d'avis  que  la  conduite  de  ses  amis  Green- 
way,  Martin,  Sifton,  chefs  libéraux  du  Manitoba,  a  été 
déloyale,  lâche  et  brutale  dans  cette  affaire  ? 

"  Va-t-il  flétrir  ces  hommes,  ses  alliés,  comme  ils  le 
méritent  ? 

"  Est-il  prêt  à  déclarer  comme  VEiecteur  que  le  gou- 
vernement fédéral  a  forfait  à  son  devoir  en  ne  désa- 
vouant pas  la  loi  de  1890  et  celle  de  1894  ? 
'  "  Nous  aimerions  beaucoup  à  entendre  M.  Laurier 
donner  des  réponses  franches  et  catégoriques  à  ces  ques- 
tions pertinentes." 


1  _  Le  Globe  de  Toronto,  le  plus  important  organe  du  parti 
libéral  au  Canada,  avait  publié  un  article  à  sensation  dans 
lequel  il  protestait  énergiquement  contre  toute  intervention 
fédérale  dans  les  affaires  scolaires  du  Manitoba. 


232  MÉLANGES 

Ces  questions  n'avaient,  croyons-nous,  rien  de  mal- 
honnête, rien  de  déloyal,  rien  d'inopportun.  M.  Laurier 
est  chef  de  parti,  il  demande  la  confiance  de  l'électorat, 
et  tout  électeur,  à  plus  forte  raison  tout  organe  de  l'opi- 
nion publique,  a  le  droit  de  lui  demander  quelles  sont 
ses  vues  et  quel  est  son  programme. 

Le  Globe,  le  plus  important  journal  de  l'opposition, 
vient  de  se  déclarer  contre  l'intervention  fédérale  dans 
le  système  scolaire  du  Manitoba.  Il  importe  que  nous 
sachions  si  cette  politique  est  celle  de  M.  Laurier,  de 
M.  Laurier  qui  répète  toujours  en  termes  habilement 
vagues  qu'il  rendra  justice  s'il  arrive  au  pouvoir. 

11  rendra  justice,  comment  ?  par  quel  moyen  ?...  11 
n'y  a  qu'un  seul  moyen,  l'intervention  ;  or,  le  Globe 
dit  :  Pas  d'intervention  !  11  est  bien  naturel  qu'on 
demande  à  M.  Laurier  de  contredire  le  Globe. 

MM.  Greenway,  Martin,  Sifton,  sont  les  chefs  du 
parti  libéral  au  Manitoba.  Ils  ont  reçu  M.  Laurier  en 
triomphe  l'automne  dernier  à  Winnipeg.  Et  ces  mêmes 
hommes  sont  les  auteurs  de  la  persécution  dirigée  con- 
tre les  catholiques.  Lorsque  la  presse  libérale  maudit 
MM.  Bowell,  Haggart,  Tupper,  etc.,  qui  ne  sont  pas  les 
auteurs  de  la  persécution,  nous  aurions  voulu  entendre 
M.  Laurier  dénoncer  les  vrais  auteurs  du  mal,  les 
Greenway  et  consorts,  et  donner  ainsi  une  preuve  de  sa 
sincérité  et  de  sa  justice. 

VElecteur,  la  Patrie,  fulminent  contre  le  gouverne- 
ment fédéral  parce  qu'il  n'a  pas  appliqué  le  désaveu 
aux  lois  scolaires  du  Manitoba.  11  nous  paraissait  im- 
portant que  M.  Laurier,  dont  le  rôle  naturel  est  de 
censurer  le  gouvernement,  fît  connaître  son  opinion 
quant  à  ce  non  désaveu.    S'il  croit  le  gouvernement 


MÉLANGES  233 

digne  de  censure,  qu'il  le  dise;  si  au  contraire,  il  croit 
que  le  gouvernement  a  mieux  fait  de  ne  pas  appliquer 
le  désaveu, — et  en  réalité,  telle  est  son  opinion, — il  est 
intéressant  de  savoir  que  notre  presse  libérale  flétrit  le 
gouvernement  pour  une  ligne  de  conduite  dont  M.  Lau- 
rier est  complice  dans  son  cœur. 

Comme  on  le  voit,  toutes  nos  questions  étaient  perti- 
nentes et  touchaient  à  des  sujets  d'une  palpitante  actua- 
lité. 

M.  Laurier  pouvait  ne  pas  s'occuper  de  ces  questions, 
il  pouvait  ne  pas  les  avoir  lues,  il  pouvait  prétendre  les 
ignorer.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  grave,  c'est  qu'il  s'en  est 
occupé  et  qu'il  n'y  a  pas  répondu. 

Nous  allons  citer  le  compte  rendu  de  l'Electeur  «t 
celui  de  l'Evénement,  Voici  d'abord  l'Electeur  : 

"  Aujourd'hui,  les  journaux  à  bons  principes,  comme 
le  Courrier  du  Canada,  ne  s'adressent  pas  à  leurs  amis 
pour  savoir  ce  qu'ils  vont  faire,  mais  c'est  à  moi.  Je  suis 
•prêt  à  répondre  aux  questions  du  "  Courrier"  Avant 
longtemps  je  serai  Premier-ministre  du  Canada 
(appel)  et  alors  je  ne  reculerai  pas  de  vaut  les  responsabi- 
lités qu'il  me  faudra  assumer." 

Le  compte  rendu  de  Y  Evénement  est  plus  long  : 

"  A  ce  sujet,  il  est  très  intéressant  de  lire  les  jour- 
naux conservateurs,  les  journaux  à  bons  principes.  Je 
tiens  dans  ma  main  le  Courrier  du  Canada  qui  me 
pose  des  questions  auxquelles  j'aurai  occasion  de 
répondre  dans  un  instant. 

"  Jusqu'ici  j'avais  cru  que  je  n'étais  rien  qu'un  sim- 
ple député  représentant  Québec-Est  aux  Communes  ; 
mais  à  lire  le  Courrier,  je  serais  tenté  de  croire  que  je 
vais   devenir  premier  ministre    du    Canada,  puisqu'il 


234  MÉLANGES 

s'adresse  à  moi  et  me  demande  de  régler  la  question  des 
écoles.  Il  est  possible  que  lorsque  le  peuple  se  sera 
prononcé  je  devienne  quelque  chose.  Il  est  possible 
que  je  sois  un  jour  premier  ministre  du  Canada.  Mais 
en  attendant,  pourquoi  le  Courrier  ne  s'adresse-t-il  pas 
à  Sir  Adolphe  Caron,  à  l'honorable  M.  Angers  et  à  sir 
Mackenzie  Bowell  ?  On  ne  fait  pas  cela.  C'est  Laurier 
qui  doit  se  prononcer,  c'est  lui  qui  doit  indiquer  la  voie 
à  suivre,  c'est  lui  qui  doit  enseigner  aux  ministres  la 
vraie  manière  de  régler  cette  grande  question. 

"  Evidemment,  les  organes  à  bons  principes  savent 
que  leurs  ministres  ne  sont  pas  sur  un  lit  de  roses  et  ils 
ont  la  naïveté  de  l'avouer.  Quant  à  moi,  j'avoue  fran- 
chement que  cela  ne  me  fait  pas  de  peine  de  voir  le 
gouvernement  dans  l'embarras  (rires  et  appl.). 

"  A  la  rigueur,  je  ne  vois  pas  pourquoi  je  serais 
obligé  de  me  prononcer.  Mais  comme  ^e  me  suis  tou- 
jours efforcé  d'avoir  le  courage  de  mes  convictions,  je 
tiens  à  déclarer  ici  que  je  suis  'prêt  à  accepter  la  res- 
ponsahilité  du  régleraient  de  cette  question  lorsque  le 
temps  viendra  (appl.)." 

C'est  clair,  n'est-ce  pas  !  M,  Laurier  prendra  la  res- 
ponsabilité du  règlement  de  la  question  des  écoles 
quand  il  sera  premier  ministre  !  !  ! 

Quel  sera  ce  règlement  ?...  quelle  sera  sa  portée  ?... 
sera-t-il  dans  le  sens  du  Glohe  ou  dans  celui  de  VElec- 
teurl...  Vous  saurez  cela  plus  tard  ;  en  attendant  votez 
pour  moi  et  mes  candidats. 

Voilà  l'attitude  de  M.  Laurier. 

Eh  bien,  nous  disons  que  c'est  l'attitude  d'un  fourbe. 

M.  Laurier  ne  veut  pas  dire  s'il  approuve  ou  désap- 
prouve le  Olobe. 


MÉLANGES  235 

Il  ne  veut  pas  dire  s'il  condamne  ou  ne  condamne 
pas  Greenway,  Martin  et  consorts. 

Il  ne  veut  pas  dire  s'il  blâme  ou  ne  blâme  pas  le 
gouvernement  pour  n'avoir  pas  désavoué  les  lois  de 
1890  et  de  1894. 

Muet  sur  toute  la  ligne. 

M.  Laurier  n'est  pas  un  chef  de  parti,  c'est  un  sphinx. 

Nous  dénonçons  son  attitude  à  tous  les  gens  de  bonne 
foi. 

Il  prétend  que  nous  ne  nous  adressons  pas  à  nos 
amis  pour  savoir  ce  qu'ils  vont  faire. 

C'est  faux.  Nous  avons  demandé  au  gouvernement 
fédéral  de  rendre  justice,  nous  lui  avons  demandé  d'in- 
tervenir dans  la  question  scolaire,  nous  avons  posé  car- 
rément notre  ultimatum,  et  le  gouvernement  a  déjà 
commencé  à  nous  répondre  en  entendant  avec  toute  la 
célérité  possible  l'appel  des  catholiques.  Nous  avons  le 
ferme  espoir  qu'il  va  continuer  à  suivre  cette  voie. 

Et  nous  devons  à  la  justice  de  proclamer  que,  dès  à 
présent,  l'attitude  du  cabinet  fédéral  est  dix  fois  plus 
courageuse  et  plus  nette  que  l'attitude  pleine  de  réti- 
cences et  de  faux-fuyants  de  M.  Laurier. 


M.  CLARKE  WALL  ACE 


16  mars  1895. 


Si  les  paroles  que  M.  Clarke  Wallace  vient  de  pro- 
noncer devant  la  grande  loge  orangiste  sont  exactement 
rapportées,  le  contrôleur  des  douanes  a  commis,  non 


236  MÉLANGES 

seulement  contre  la  vérité  et  la  justice,  mais  aussi 
contre  le  parti  et  contre  le  gouvernement  conservateurs 
un  inqualifiable  outrage. 

Un  homme  qui  occupe  la  position  de  M.  Wallace  n'a 
pas  le  droit  de  parler  de  la  sorte.  Quand  une  question 
aussi  grave  que  la  question  des  écoles  du  Manitoba  est 
sous  la  considération  du  gouvernement  dont  il  est  soli- 
daire, de  qui  il  relève,  et  sous  lequel  il  occupe  une 
position  d'honneur  et  de  profit,  il  n'est  pas  loisible  à 
M.  Wallace  de  préjuger  cette  question,  de  la  trancher 
du  haut  de  son  ignorance,  et  de  sa  brutalité  sectaire. 

Nous  en  avons  assez  de  toutes  ces  frasques  périodi- 
ques, de  tous  ces  coups  de  tête  ineptes  et  dangereux. 

Le  moment  n'est  pas  aux  incartades.  Jamais  le  parti 
conservateur  n'a  eu  plus  besoin  de  sagesse,  de  clair- 
voyance et  de  courage. 

Arrière  les  brouillons  et  les  enragés,  et  que  ceux  qui 
savent  penser  et  prévoir  fassent  taire  ceux  qui  ne  savent 
faire  ni  l'un  ni  l'autre  ! 


JUSTICE  AUX  CATHOLIQUES 


22  mars  1895. 


C'est  avec  bonheur  que  nous  venons  annoncer  à  nos 
lecteurs  que  le  gouvernement  fédéral  s'est  montré  à  la 


1  —  L'appel  de  la  minorité  catholique  du  Manitoba  avait 
été  entendu  devant  le  Conseil  Privé  d'Ottawa,  les  4,  5,  6  et 
7  mars  1895.  M.  Ewart  plaidait  pour  les  catholiques,  M.  Dal- 
ton  McCarthy  pour  le  gouvernement  de  Winnipeg.  Le  21 
mars  l'arrêté  en  conseil  connu  sous  le  nom  de  remédiai  order 
fut  adopté  par  le  gouvernement. 


MÉLANGES  237 

hauteur  de  sa  tâche,  à  la  hauteur  de  son  devoir,  à  la 
hauteur  de  sa  mission  la  plus  sacrée,  celle  de  protéger 
les  minorités  opprimées. 

L'ordre  en  conseil  que  nous  avons  si  souvent  annoncé, 
le  remédiai  order  adressé  au  gouvernement  du  Mani- 
toba,  a  été  adopté  et  signé  avant-hier.  Hier  ce  docu- 
ment important  est  parti  pour  Winnipeg. 

Et  ce  n'est  pas  une  de  ces  pièces  diplomatiques  qui 
ne  veulent  rien  dire,  où  l'absence  d'une  pensée  nette  se 
dissimule  sous  le  fatras  des  mots. 

Non,  c'est  une  décision  qui  est  prise  solennellement 
et  qui  s'affirme  catégoriquement,  une  décision  virile, 
courageuse,  absolue,  une  décision  basée  sur  le  droit  et 
la  constitution,  et  ayant  pour  objet  de  rendre  justice  à 
la  minorité  catholique  du  Manitoba. 

Nous  publions  ci-dessous  le  remédiai  order. 

Il  est  clair,  sans  équivoque. 

Il  dit  que  la  législature  du  Manitoba  doit  rendre  à 
la  minorité  catholique  tous  les  droits  et  i^rivilèges  sco- 
laires dont  ils  jouissaient  avant  la  loi  de  1890, 

Et  dans  l'ordre  en  conseil  sur  lequel  est  basé  le 
remédiai  order,  le  cabinet  déclare  que  si  la  législature 
du  Manitoba  néglige  ou  refuse  d'adopter  une  législation 
réparatrice,  alors  il  appartiendra  au  Parlement  fédéral 
d'adopter  telle  législation. 

Et  comme  corollaire  à  tout  cela,  le  cabinet  fédéral 
convoque  le  parlement  pour  le  18  avril. 

C'est  un  coup  de  maître. 

Et  nous  crions  :  bravo  !  du  fond  du  cœur,  à  nos 
ministres. 


238  MÉLANGES 

LES  INIQUITÉS  DE  L'ESPRIT  DE  PARTI 

25  mars  1895 

C'est  en  lisant  la  presse  libérale  depuis  quelques 
jours  que  l'on  comprend  bien  jusqu'où  peuvent  aller 
l'esprit  de  parti  et  l'iniquité  du  fanatisme  politique. 

Il  ne  devrait  y  avoir  en  ce  moment  parmi  nous  qu'une 
seule  voix  pour  reconnaître  et  applaudir  le  grand  acte 
de  justice  que  vient  d'accomplir  le  cabinet  d'Ottawa. 

Qu'on  soit  libéral  ou  conservateur,  on  doit  pouvoir 
être  assez  impartial,  au  moins  dans  certaines  circonstan- 
ces solennelles,  pour  admettre  que  des  adversaires  font 
leur  devoir,  et  leur  prêter  main  forte  au  besoin,  sauf  à 
reprendre  la  bataille  au  lendemain  de  cette  trêve. 

Lorsque  M.  Mercier  a  réglé  la  question  des  Jésuites, 
le  Courrier  du  Canada  lui  a  reconnu  son  mérite,  l'a 
félicité  et  soutenu  dans  cette  mesure,  ce  qui  ne  nous  a 
pas  empêché  de  combattre  plus  tard  et  de  dénoncer 
énergiquement  ses  erreurs  et  ses  fautes. 

Dans  la  presse  libérale,  on  ne  comprend  pas  ainsi  les 
choses.  C'est  une  honte  de  voir  comment  nos  journaux 
rouges  se  ruent  sur  le  remédiai  order,  qui  comble  de 
joie  évêques,  prêtres,  laïques,  en  un  mot  tous  les  catho- 
liques dignes  de  ce  nom  1 

Qu'on  lise  par  exemple  l'Electeur  de  samedi. 

Que  dit-il: 

"  Après  avoir  lu  ce  document,  attendu  depuis  si  long- 
temps, on  se  demandera  avec  nous  ce  que  doivent  en 
penser  les  catholiques. 

"  Doivent-ils  en  être  satisfaits  ? 


MÉLANGES  239 

"Ou  bien  ne  doivent- ils  pas  plutôt  regretter  de  se 
voir  encore  leurrés  par  un  autre  moyen  dilatoire  ! 

"  Pour  tout  homme  sincère,  dégagé  un  peu  des  res- 
ponsabilités ou  des  attaches  du  parti  au  pouvoir,  il  n'y 
a  pas  de  doute  que  le  message  officiel  ne  comporte 
aucune  mesure  satisfaisante  ;  qu'il  ne  peut  pas  avoir 
pour  effet  de  rétablir  les  écoles  catholiques  du  Manitoba, 
même  s'il  était  sanctionné  par  le  parlement. 

"  Et  c'est  pourtant  cela  que  les  journaux  bleus  affi- 
chent dans  leurs  colonnes  comme  le  "  remédiai  order  " 
qui  doit  satisfaire  les  justes  réclamations  du  Canada 
catholique  ! 

"  C'est  cela  que  des  Canadiens-français,  ayant  quel- 
ques prétentions  d'être  pris  au  sérieux  comme  hommes 
d'Etat,  occupant  de  hautes  charges  dans  leur  parti,  s'en 
•viennent  nous  donner  comme  un  règlement  de  la  ques- 
tion des  écoles  dans  le  sens  catholique  ! 

"  N'est-ce  pas  plutôt  avec  ce  délire  hypocrite  de  p)ar- 
tisan  que  l'on  compromettra  définitivement  le  sort  de 
cette  question  scolaire  au  Canada  ?  " 

En  vérité,  une  telle  injustice,  un  tel  aveuglement 
inepte  ne  sont-ils  pas  chose  révoltante  ? 

Mais,  pauvres  fanatiques,  le  remédiai  order  recon- 
naît, proclame,  sauvegarde  tous  les  droits  et  privilèges 
de  la  minorité  catholique,  tous,  sans  exception  ! 

Le  remédiai  order  met  le  gouvernement  du  Mani- 
toba en  demeure  de  rendre  à  la  minorité  catholique 
tout  ce  qui  lui  a  été  enlevé  par  la  loi  néfaste  de  1890  ; 
tout,  sans  exception  ! 

Otez  vos  lunettes  rouges,  et  lisez  ceci,  gens  de  l'Elec- 
teur : 

"  En  conséquence,  le  comité  recommande  que  le  dit 


240  MÉLANGES 

appel  soit  permis  et  que  Votre  Excellence  en  conseil 
juge  et  décide,  que  par  les  deux  actes  passés  par  la 
Législature  de  la  province  du  ManiLoba,  le  1er  jour  de 
mai  1890,  intitulés  respectivement  :  "  Un  acte  concer- 
nant le  département  de  l'Education,"  et  "  Un  acte  con- 
cernant les  Ecoles  publiques,"  les  droits  et  privilèges 
de  la  dite  minorité  catholique  romaine  de  la  dite 
province  au  sujet  de  l'éducation,  antérieurs  au  1er 
jour  de  mai  1890,  ont  été  affectés  en  privant  la  mino- 
rité des  droits  et  privilèges  suivants  dont  jouissait, 
antérieurement  et  jusqu'au  1er  jour  de  mai  1890,  la 
dite  minorité,  savoir  : 

"  (a)  Le  droit  de  construire,  de  maintenir,  d'équiper, 
d'administrer,  de  conduire  et  de  supporter  les  écoles 
catholiques  romaines  de  la  manière  stipulée  par. les  dits 
statuts  qui  ont  été  abrogés  par  les  deux  actes  de  1890» 
précités. 

"  (b)  Le  droit  de  recevoir  une  part  proportionnelle 
de  toute  allocation  des  fonds  publics  pour  les  fins 
d'éducation. 

"  (c)  Le  droit  d'exemption  des  dits  catholiques 
romains,  comme  contribuant  déjà  aux  écoles  catholiques 
romaines  de  tout  paiement  ou  contribution  pour  le  sou- 
tien de  toutes  les  autres  écoles." 

"  Et  le  comité  recommande  aussi  que  Votre  Excellence 
en  Conseil  déclare  de  plus  et  décide,  que  pour  la  juste 
exécution  des  dispositions  de  la  section  22  de  l'Acte  du 
Manitoba,  il  semble  nécessaire  que  le  système  d'éduca- 
tion contenu  dans  les  deux  actes  de  1890  précités, 
devrait  être  supplémenté  par  un  acte  provincial  ou  des 
actes  provinciaux  qui  rendraient  à  la  minorité  catho- 
lique romaine,  les  dits  droits  et  privilèges  dont  la  dite 


MÉLANGES  241 

minorité  a  été  'privée  tel  que  susdit  et  qui  modifie- 
raient les  dits  actes  de  1890  en  autant,  et  en  autant 
seulement,  qu'il  peut  être  nécessaire  jJour  donner  effet 
aux  dispositions  rétablissant  les  droits  et  privilèges 
contenus  dans  les  paragraphes  (a),  (h)  et  (c)  ci-dessus 
mentionnds," 

Nous  avons  souligné  les  passages  qui  font  mieux 
ressortir  toute  la  portée  de  cet  ordre. 

Par  cette  décision,  le  gouvernement  fédéral  affirme 
que  la  législature  du  Manitoba  a  enlevé  à  la  minorité 
ses  droits  et  privilèges;  il  énumère  ces  droits  et  privi- 
lèges dans  leur  intégrité,  et  il  juge  et  décide  qu'il  est 
nécessaire  que  ces  droits  et  privilèges  soient  rendus  à 
la  dite  minorité. 

Ce  n'est  pas  tout  ;  le  remédiai  order  ajoute  : 

"  Si  Votre  Excellence  trouve  bon  d'approuver  les 
recommandations  ci-dessus,  le  comité  désire  déclarer 
qu'il  s'ensuit  que  le  refus  ou  la  négligence  de  la  légis- 
lature du  Manitoba  de  passer  la  législation  répara- 
tHce,  qui  semble  nécessaire  à  Votre  Excellence  en  Con- 
seil, conférera  au  Parlement  l'autorité  de  passer  telle 
loir 

Voilà  le  corollaire,  voilà  la  sanction  du  remédiai 
order  nettement  indiquée.  Si  le  gouvernement  et  la 
législature  du  Manitoba  n'agissent  pas,  il  appartiendra 
au  Parlement  fédéral  d'agir,  et  d'adopter  la  loi  répara- 
trice qui  rendra  à  la  minorité  catholique  tous  les  droits 
et  privilèges  qui  lui  ont  été  enlevés. 

Tel  est  le  remédiai  order. 

Pouvait-il  être  plus  conforme  aux  demandes  des 
catholiques  du  Manitoba  ? 

Pouvait-il  être  plus  large,  plus  juste,  plus  réparateur  ? 
16 


242  MÉLANGES 

Ce  ne  sont  pas  là  les  ëcoles  neutres,  les  écoles  simple- 
ment non  protestantes,  telles  que  semblait  vouloir  les 
indiquer  comme  solution  Laurier  le  taciturne. 

Ce  sont  les  écoles  séparées  dont  jouissaient  les  catho- 
liques avant  1890  que  le  gouvernement  fédéral  entre- 
prend de  rendre  aux  catholiques. 

Et,  c'est  en  présence  d'une  mesuie  aussi  complète, 
aussi  catégorique,  aussi  vigoureuse,  que  des  journaux 
comme  VElccteur  ont  le  triste  courage  d'élever  la  voix 
pour  injurier  les  hommes  publics  qui  ont  eu  la  cons- 
cience, l'intrépidité  et  le  sens  politique  de  l'adopter  ! 

Nous  livrons  cette  attitude  odieuse  et  criminelle  aux 
sévérités  de  l'opinion  publique. 


NOTRE  ATTITUDE 


26  mars  1895. 
Ou  lit  dans  l'Electeur  d'hier  : 

"  Jamais  encore  peut-être  le  Courrier  du  Canada 
ne  s'est  montré  aussi  scrvile,  aussi  plat  valet  du  gou- 
vernement d'Ottawa  que  dans  cette  discussion  sur  la 
question  des  écoles.  Le  public  éclairé  qui  nous  lit  con- 
naît le  texte  officiel  du  message  du  gouvernement  fédé- 
ral. 11  peut  se  former  une  opinion  indépendamment  de 
celle  des  journalistes. 

Eh  bien,  nous  l'invitons  tout  simplement  h.  lire  les 
remarques  qu'inspire  au  Courrier  la  dernière  démarche 
du  gouvernement.  " 

Puis  l'Electeur  reproduit  ce  que  nous  avons  écrit  en 


MÉLANGES  243 

publiant,   vendredi  dernier,   le  remédiai  order,  et  il 
ajoute  : 

"  Conçoit-on  rien  de  plus  servile  et  de  plus  lâche  que 
ces  exclamations  de  contentement  ?  Y  a-t-il  un  homme, 
serait-ce  le  conservateur  le  plus  acharné,  qui  n'admet- 
tra pas  que  ce  journal-là  est  prêt  à  vendre  les  droits 
les  plus  sacrés  de  ses  compatriotes  pour  des  fins  de 
parti  ?  " 

Nous  nous  moquons  parfaitement  de  cette  explosion 
de  rage  du  journal  rouge. 

Oui,  nous  applaudissons  du  fond  du  cœur  à  l'acte 
courageux  que  vient  d'accomplir  le  gouvernement  fédé- 
ral. Oui,  c'est  avec  bonheur  que  nous  avons  reçu  et  lu 
les  documents  mémorables  par  lesquels  le  cabinet 
d'Ottawa  s'est  constitué  le  champion  de  la  justice,  du 
droit,  de  la  constitution.  Oui,  nous  sommes  heureux  et 
fier  que  le  parti  conservateur,  dont  nous  défendons  le 
drapeau  depuis  que  nous  avons  l'âge  d'homme,  ait 
répondu  à  nos  espérances,  et  se  soit  montré  digne  du 
grand  rôle  et  de  la  noble  mission  qui  s'offraient  à  lui. 
Et  nous  avons  d'autant  plus  le  droit  de  nous  réjouir 
après  la  réalisation  de  nos  vœux,  que  nous  avions  parlé 
plus  haut,  que  nous  avions  lutté  avec  plus  d'énergie, 
auparavant,  pour  obtenir  le  résultat  désiré. 

Car,  nous  invoquons  avec  confiance  le  témoignage 
de  nos  fidèles  lecteurs  :  avons-nous  fléchi  un  instant 
dans  la  bataille  ?  Avons-nous  un  seul  instant  faibli 
dans  nos  combats  pour  la  justice  ?  Avons-nous  hésité 
à  dire  notre  pensée  sans  ménagement,  toutes  les  fois 
que  les  circonstances  de  la  lutte  réclamaient  une  pro- 
testation, ou  une  vérité,  quelque  dure  qu'elle  fût  pour 
certains  hommes  publics  ? 


244  MÉLANGES 

L'Electeur,  cet  effronté  thuriféraire  dont  toute  la  car- 
rière n'a  été  qu'une  oscillation  perpétuelle  entre  l'en- 
censoir et  la  hotte,  l'encensoir  pour  ses  idoles,  la  hotte 
pour  ses  adversaires,  l'Electeur  ose  parler  de  notre  ser- 
vilisme. 

Faisioiis-nous  du  servilisme  lorsque,  au  lendemain 
de  la  luort  de  Sir  John  Thompson,  et  lorsque  M.  Bowell 
était  déjà  reconnu  comme  son  successeur,  nous  affir- 
mions loyalement  et  courageusement  nos  préférences 
pour  Sir  Charles  Tupper  ? 

Faisions-nous  du  servilisme,  lorsque  nous  disions  son 
fait  au  Hamilton  Spectator,  grand  journal  conserva- 
teur, et  que  nous  donnions  à  qui  de  droit  cet  avertisse- 
ment, dans  notre  numéro  du  28  février  : 

"  Notre  pays  est  dans  un  de  ces  moments  solennels 
où  la  voix  des  préjugés  doit  se  taire,  nous  en  avertis- 
sons le  Hamilton  Spectator. 

"  Il  faut  que  le  parti  conservateur  règle  la  question 
des  écoles,  et  protège  la  minorité,  ou  qu'il  tombe. 

"  Si  le  Hamilton  Spectator  veut  que  le  parti  con- 
servateur tombe,  qu'il  persévère  dans  la  voie  indiquée 
par  son  article." 

Faisions-nous  du  servilisme,  lorsque  dans  le  Courrier 
du  1er  mars  nous  adressions  les  paroles  suivantes  à 
l'élément  fanatique  du  parti  conservateur  : 

"  Nous  dirons  aux  fanatiques  du  Neivs  et  à  ses 
pareils  qu'ils  ne  sont  pas  le  parti  conservateur  et  qu'ils 
ne  mèneront  pas  le  parti  conservateur. 

Nous  leur  dirons  que  le  jeu  qu'ils  veulent  jouer  se 
joue  à  deux.... 

"  Les  gens  du  Neivs,  les  partisans  et  les  complices 
honteux  de  McCarthy,  ces  pseudo-conservateurs,  dépu- 


MÉLANGES  245 

tés,  ijourualistes  ou  tireurs  de  ficelles  qui  pactisent  en 
sous-main  avec  la  P.  P.  A.,  nous  les  connaissons. 

"  Il  n'y  en  a  pas  de  plus  affamés,  de  plus  attachés 
au  pouvoir,  de  plus  ardents  à  la  curée. 

"  Qu'ils  choisissent  entre  la  satisfaction  de  leurs 
haines  et  de  leurs  misérables  préjugés,  et  la  ruine, 
l'effondrement,  l'annihilation  politiques. 

"  Car  pour  nous,  notre  résolution  est  prise  ;  et  nous 
ne  parlons  pas  en  notre  nom  seul,  mais  au  nom  de 
l'opinion  conservatrice  en  cette  province. 

<'  Fous  sacrifierons  tout  au  triomphe  de  la  justice 
et  de  la  constitution.  Nous  briserons  tous  les  obstacles 
qui  se  dresseront  sur  notre  route. 

"  Nous  romprons  avec  quiconque  s'écartera  de  cette 
voie.  Et  s'il  faut  que  notre  parti  tombe  au  milieu  de 
cette  crise,  au  moins  nous  aurons  sauvé  l'honneur  de 
notre  drapeau,  le  drapeau  de  Lafontaine,  de  Morin,  de 
Taché  et  de  Cartier.  " 

Ces  paroles  étaient  significatives  et  ne  sentaient  pas 
l'aplatissement. 

Faisions-nous  du  servilisme  lorsque  nous  faisions 
cette  menace  à  un  groupe  de  nos  alliés  ontariens  : 

"  Nous  leur  disons  que  s'ils  veulent  empêcher  le  gou- 
vernement d'exécuter  la  décision  du  plus  haut  tribunal 
de  l'empire,  de  faire  respecter  la  constitution  et  de 
secourir  une  minorité  opprimée  dans  ses  droits  consti- 
tutionnels, ils  font  aussi  bien  de  se  préparer  à  aller 
passer  vingt  ans  dans  les  froides  régions  de  l'opposi- 
tion." 

Faisions-nous  du  servilisme,  lorsque,  le  15  mars,  nous 
répondions  ainsi  aux  hurlements  des  loges  orangistes 


â46  MÉLANGES 

qui,  du  Pacifique  à  l'Atlantique,  venaient  de  lancer  leur 
insolent  ultimatum  : 

"  C'est  bien  ;  nous  aimons  les  situations  nettes. 

"  Si  l'ordre  orangiste  aime  mieux  suivre  les  conseils 
de  certains  cerveaux  brûlés  officiels  et  officieux  que 
ceux  des  hommes  plus  pondérés  qu'il  y  a  dans  ses  rangs, 
c'est  son  affaire. 

"  Notre  affaire  à  nous  est  d'être  sur  nos  gardes. 

"  Il  s'agit  de  savoir  qui  va  triompher  :  le  fanatisme 
ou  l'équité  ? 

"  Nous  voulons  que  l'équité  triomphe  coûte  que 
coûte.  Et  nous  avertissons  ceux  qui  veulent  faire 
triompher  le  fanatisme,  de  boucler  leurs  malles  pour 
l'opposition." 

Faisions-nous  du  servilisme,  lorsque  nous  parlions  en 
ces  termes  de  M,  Clarke  Wallace  : 

"  Quand  une  question  aussi  grave  que  la  question  des 
écoles  du  Manitoba  est  sous  la  considération  du  gouver- 
nement dont  il  est  solidaire,  de  qui  il  relève,  et  sous 
lequel  il  occupe  une  position  d'honneur  et  de  profit,  il 
n'est  pas  loisible  à  monsieur  Wallace  de  préjuger  cette 
question,  de  la  trancher  du  haut  de  son  ignorance  et  de 
sa  brutalité  sectaire. 

"  Nous  en  avons  assez  de  toutes  ces  frasques  pério- 
diques, de  tous  ces  coups  de  tête  ineptes  et  dangereux. 

"  Le  moment  n'est  pas  aux  incartades.  Jamais  le 
parti  conservateur  n'a  eu  plus  besoin  de  sagesse,  de 
clairvoyance  et  de^  courage. 

^*  Arrière  les  brouillons  et  les  enragés,  et  que  C(MX 
qui  savent  penser  et  prévoir  fassent  taire  ceux  qui  ne 
savent  faire  ni  l'un  ni  l'autre  !  " 

Voilà  comment  nous  avons  été  servile. 


MÉLANGES  247 

Nous  souhaitons  à  V Electeur  d'avoir  le  cœur  de  par- 
ler à  son  parti  comme  nous  avons  parlé  au  nôtre. 

Aujourd'hui  nous  nous  réjouissons  parce  que  la  cause 
qui  nous  est  chère  et  pour  laquelle  nous  avons  lutté  a 
remporté  une  grande  victoire,  et  a  fait  un  pas  décisif 
vers  le  triomphe  final. 

Sans  doute  la  campagne  n'est  pas  terminée.  Si  le 
Manitoba  refuse  de  faire  son  devoir,  il  va  falloir  faire 
adopter  une  loi  réparatrice  par  le  Parlement  fédéral,  et 
il  y  aura  encore  bataille.  Nous  serons  à  notre  poste 
pour  ce  nouveau  combat  comme  pour  le  premier. 

Mais,  en  attendant,  nous  avons  bien  le  droit  de  crier 
bravo  !  aux  chefs  qui  nous  ont  fait  remporter  un  pre- 
mier succès,  et  de  stigmatiser  les  traîtres  qui  ne  sont 
bons  qu'à  récriminer  et  à  semer  le  doute  et  la  division 
dans  nos  rangs. 


POLEMIQUE  MALHONNETE 


30  mars  1895. 

On  lit  dans  le  Cultivateur  : 

"  Depuis  cinq  ans,  la  minorité  catholique  se  débat 
contre  les  injustices  de  lois  que  le  gouvernement  fédé- 
ral avait  le  pouvoir  et  le  devoir  d'anéantir. 

"  Dans  ces  cinq  années,  les  Canadiens-Français  de 
l'Ouest  ont  perdu  leur  système  d'écoles  et  l'usage  offi- 
ciel de  leur  langue. 

"  Le  cabinet  de  la  Puissance  a  laissé  libre  voie  au 
fanatisme. 


248  MÉLANGES 

"  Voici  que  le  Conseil  privé  le  met  au  pied  du  mur, 
l'accule  à  la  nécessité  d'une  action,  d'une  attitude. 

"  La  Minerve  s'extasie  et  qualifie  de  grande  politi- 
que cette  démarche  tardive  et  obligée  ! 

"  On  est  peu  difficile  à  ce  journal,  rédigé  par  l'homme 
sans  courage  et  sans  convictions  qui  a  sanctionné  les 
lois  spoliatrices  de  la  législature  du  Nord-Ouest. 

"  Mais  !  Que  pouvaient  donc  faire  MM.  Bowell, 
Angers,  Caron,  Ouimet,  en  présence  de  la  décision 
du  Conseil  Privé  ? 

"  Tant  qu'ils  ont  pu  reculer,  fuir  leur  responsabi- 
lité, éviter  d'accomplir  leur  devoir,  ils  l'ont  fait. 

"  Un  jour,  ils  se  sont  trouvés  encerclés,  prisonniers 
de  leurs  propres  intrigues.  Il  leur  a  fallu  se  mouvoir." 

Monsieur  Tarte  sait  que  ce  qu'il  écrit  là  est  injuste. 

Les  ministres  n'ont  pas  reculé  devant  la  responsabi- 
lité.   Ils  ont  couru  au-devant. 

A  un  certain  moment  ils  se  sont  apparemment  trou- 
vés débarrassés  de  cette  responsabilité.  C'est  lorsque  la 
Cour  Suprême  a  décidé,  au  mois  de  février  1894,  que 
les  catholiques  n'avaient  pas  le  droit  d'appel  devant  le 
gouverneur  en  conseil. 

A  ce  moment,  tout  paraissait  fini,  la  cause  de  la 
minorité  semblait  enterrée,  la  question  semblait  morte. 

C'est  alors  que  Mgr  Taché  sentit  l'amertume  envahir 
son  âme,  et  repoussa  toute  idée  d'effort  ultérieur  devant 
les  tribunaux,  et  d'un  dernier  appel  au  Conseil  Privé. 

Qui  prit  l'initiative  de  cet  appel  suprême  ?  Qui  fit 
sortir  du  tombeau  judiciaire  la  cause  enterrée?  Qui 
ressuscita  la  question  morte  ? 

Vous  le  savez,  M.  Tarte. 

Les  hommes  qui  firent  revivre  la  question,  ce  furent 
M,  Angers  et  ses  collègues. 


MÉLANGES  249 

Ils  s'abouchèrent  avec  M.  Ewart,  l'avocat  de  la 
minorité.  Ils  souscrivirent  personnellement  une  forte 
somme  \  et,  grâce  à  eux,  la  cause  fut  portée  au  Conseil 
Privé  où  la  victoire  finale  l'attendait. 

Dites,  M.  Tarte,  était-ce  là  fuir  la  responsabilité  ou 
la  rechercher  ? 

Le  20  février  1894,  la  Cour  Suprême  décidait  que  la 
minorité  catholique  n'avait  pas  droit  d'appel  devant  le 
gouverneur-général  en  conseil. 

Si  cette  décision  n'était  pas  réformée,  les  ministres 
étaient  virtuellement  débarrassés  de  cette  épineuse  et 
dangereuse  question. 

Ils  n'avaient  qu'à  se  croiser  les  bras  et  à  laisser  faire. 

Au  lieu  de  cela.  M,  Angers  et  ses  collègues  s'agitent, 
écrivent  à  Winuipeg,  à  Saint-Boniface,  déterminent  les 
membres  catholiques  du  cabinet  à  souscrire  personnel- 
lement quatre  ou  cinq  cents  piastres  chacun  pour  les 
frais,  en  un  mot  remettent  en  branle  cette  cause  arrêtée 
et  considérée  comme  définitivement  perdue. 

Leur  responsabilité  était  dégiigée  :  ils  cherchent  à 
l'engager  de  nouveau. 

Ils  disent  aux  catholiques  :  allez  à  Londres,  voici  de 
l'argent  ;  faites  décréter  par  le  Conseil  Privé  que  nous 
avons  le  droit  de  recevoir  votre  appel,  contrairement  à 
ce  que  la  Cour  Suprême  a  décidé,  puis  revenez  devant 
nous  ;  nous  vous  entendrons  et  nous  vous  rendrons 
justice. 


1  —  Les  souscripteurs  furent  :  Sir  John  Thompson,  Sir 
Frank  Smith,  Sir  Adolphe  Caron,  les  honorables  MM.  Ouimet, 
Angers  et  Costigan.  Si  nos  souvenirs  ne  nous  trompent  pas, 
ils  eurent  à  payer  chacun  cinq  cents  ($500)  piastres. 


250  MÉLANGES 

C'est  ce  qui  a  eu  lieu.  Les  catholiques  sont  allés  à 
Loudres,  ils  ont  eu  gain  de  cause,  ils  sont  revenus 
devant  le  cabinet  fédéral  et  ils  ont  eu  justice. 

Nous  défions  M.  Tarte  de  nier  ces  faits. 

Voilà  comment  nos  ministres  ont  reculé,  fui  leur 
responsabilité,  évité  d'accomplir  leur  devoir. 

C'est-à-dire  qu'ils  ont  fait  tout  le  contraire. 


LOI  REPARATRICE  OU  DESAVEU? 


30  mars  1895. 

Nous  lisons  ce  qui  suit  dans  un  article  du  Cultiva- 
teur : 

"  Les  journaux  conservateurs  de  la  province  de  Qué- 
bec se  sont  réjouis  bruyamment  de  la  publication  de 
l'ordre  en  conseil  du  21  mars.  On  dirait  qu'ils  com- 
mencent déjà  à  rentrer  leur  plaisir  et  à  voir  les  terribles 
difficultés  qu'd  y  a  dans  le  chemin  à  parcourir.  Il  peut 
s'écouler  des  années  et  des  années  avant  que  nous 
voyions  la  solution  de  la  question  qui  eût  dû  être  réglée 
péremptoirement  par  le  désaveu,  ou  au  moins  par  un 
appel  entendu  dès  1890  ou  1891." 

Au  point  de  vue  pratique,  il  importe  peu  de  savoir 
actuellement  si  le  désaveu  aurait  mieux  valu  que  des 
lois  réparatrices  pour  le  règlement  de  la  question  des 
écoles  du  Manitoba.  L'heure  du  désaveu  est  passée,  et 
nous  sommes  en  présence  de  la  politique  réparatrice 
qu'il  est  du  devoir  de  tous  les  bous  citoyens  d'appuyer 
et  de  faciliter. 


MÉLANGES  251 

Pour  notre  part  nous  aurions  certainement  approuvé 
l'application  du  droit  de  veto  aux  lois  tyranniques  du 
Manitoba.  Mais  en  y  réfléchissant  bien  aujourd'hui» 
nous  nous  demandons  si  l'exercice  du  désaveu  aurait 
réglé  la  question  mieux  et  plus  vite. 

Il  est  assez  probable  que  ce  qui  suit  serait  arrivé  :  le 
gouvernement  fédéral  aurait  désavoué  la  loi  ;  la  légis- 
lature provinciale  se  serait  réunie  immédiatement  et 
l'aurait  adoptée  de  nouveau  ;  de  nouveau  le  gouverne- 
ment fédéral  l'aurait  désavouée,  de  nouveau  la  législa- 
ture provinciale,  mise  au  défi,  l'aurait  adoptée.  On  aurait 
eu  désaveu  sur  désaveu,  et  remise  en  vigueur  sur  remise 
en  vigueur. 

Durant  cette  lutte  entre  le  pouvoir  fédéral  et  le  pou- 
voir provincial,  les  opinions  se  seraient  exaltées,  les 
préjugés  se  seraient  enflammés,  les  appels  au  fanatisme 
se  seraient  donnés  carrière,  et  après  cinq  ans  de  conflit 
aigu,  le  pouvoir  fédéral  serait  peut-être  pratiquement 
désarmé  et  obligé  de  s'arrêter  devant  le  cri  d'autonomie 
provinciale  poussé  par  ses  adversaires.  Dans  tous  les 
cas,  il  est  fort  probable  que  la  bataille  ne  serait  pas 
encore  terminée. 

En  quoi,  alors,  le  remède  du  dé^iaveu  aurait-il  été 
meilleur  et  plus  prorapt  que  celui  qu'on  adopte  à  pré- 
sent ? 

La  loi  réparatrice  pourra  soulever  une  violente  con- 
tradiction, sans  doute.  Mais  elle  sera  la  loi  ;  et,  une 
fois  adoptée,  elle  mettra  la  minorité  catholique  sous  la 
protection  des  tribunaux.  Quand  on  voudra  percevoir 
d'un  catholique  la  taxe  scolaire  dont  il  aura  été  exempté 
légalement,  ce  catholique  pourra  répondre  :  votre  taxe 
est  illégale,  et  il  aura  gain  de  cause. 


252  MÉLANGES 

Comme  effet  pratique,  qui  ne  voit  la  supériorité  de 
la  loi  réparatrice  ? 

M.  Tarte  nous  dit  que  la  politique  actuelle  du  gou- 
vernement pourra  prendre  des  années  et  des  années 
avant  d'amener  une  solution.  11  se  peut  que  le  gouver- 
nement manitobain  résiste  tant  qu'il  pourra.  Mais  cela 
n'empêche  pas  que  si  le  parlement  d'Ottawa  adopte  la 
loi  annoncée,  du  coup  les  catholiques  verront  leur  droit 
placé  sous  la  sauvegarde  de  la  légalité,  et  ce  sera  un 
immense  avantage. 

Les  libéraux  crient  bien  haut  maintenant  :  des  mesures 
réparatrices,  fi  donc  !  c'est  le  désaveu  qu'il  aurait  fallu. 
Eh  bien,  alors,  pourquoi,  de  1890  à  1895,  le  parti 
libéral,  l'opposition,  M.  Laurier,  n'ont-ils  jamais  eu  le 
courage  de  proposer  un  vote  de  censure  contre  le  non 
exercice  de  ce  désaveu  qu'ils  proclament  le  remède  par 
excellence  aujourd'hui  ? 


LA  REPONSE  DU  MANITOBA 


20  juin  1895. 

Voici  les  dépêches  de  Winnipeg  qui  nous  apportent 
le  dernier  mot  de  la  Législature  du  Manitoba  : 

"  19  juin, — Le  vote  sur  la  motion  Greenway  refusant 
d'obéir  à  l'ordre  du  gouvernement  a  été  pris  ce  soir,  La 


1 Après  plusieurs  ajournements  de  la  législature  nianito- 

baine,  le  gouvernement  Greenway  avait  enfin  rendu  publique 
sa  réponse  au  remédiai  order.  Cette  réponse  était  une  fin  de 
nonrecevoir. 


MÉLANGES  253 

majoiitc  du  gouvernement  a  été  de  15  voix  :  25  pour  la 
motion  Greenway  et  10  contre. 

"  II  n'est  pas  probable  que  cette  question  revienne 
devant  la  législature  pendant  cette  session;  la  bataille 
se  fera  maintenant  au  parlement  d'Ottawa.  " 

Ainsi  la  législature  du  Manitoba,  emboîtant  le  pas 
derrière  son  gouvernement,  refuse  d'accepter  le  remédiai 
orcler,  et  répond  au  gouvernement  fédéral  par  un  refus 
d'accéder  à  ses  représentations. 

Après  des  hésitations  sans  sincérité,  la  majorité 
régnante  à  Winnipeg  considère  comme  non  avenus  le 
jugement  du  Conseil  Privé  et  l'ordre  en  conseil  du  cabi- 
net d'Ottawa. 

La  question  se  trouve  donc  plus  nettement  posée  que 
jamais. 

Le  refus  du  Manitoba  donne  naissance  à  la  juridiction 
du  Parlement  fédéral. 

Le  Parlement  fédéral  a  maintenant  le  pouvoir  légal  de 
redresser  les  griefs  de  la  minorité  catholique. 

Nous  comptons  que  la  justice  va  suivre  son  cours, 
que  le  gouvernement  va  maintenir  les  principes  énon- 
cés dans  son  ordre  en  conseil,  et  qu'il  va  se  trouver  au 
sein  du  Parlement  une  majorité  intelligente,  loyale  et 
équitable  pour  soutenir  la  constitution  et  le  droit. 


254  MÉLANGES 

UNE  LETTRE  DE  M.  LAURIER 

29  juin  1895. 

En  réponse  à  un  article  de  l'Echo  de  LouÂseville, 
intitulé  :  Evêque  et  Député,  M.  Laurier  adresse  à  ce 
journal  la  lettre  suivante  : 

Ottawa,  27  juin  1895. 
A  M.  le  Rédacteur  de 

h' Echo  de  Louisevillc, 

Louiseville,  P.  Q. 
Monsieur, 

Mon  attention  a  été  attirée  sur  un  article  publié  sous 
le  titre  "  Evêque  et  Député,"  dans  VEcho  de  Louise- 
ville  du  21  courant,  et  d'après  lequel  Sa  Grandeur  Mgr 
Laflèche,  evêque  des  Trois-Eivières,  se  serait  exprimé 
ainsi  en  parlant  de  moi  :  "  M.  Laurier,  le  chef  du  partî 
libéral,  m'a  déclaré  à  moi-même  qu'il  préfère  les  écoles 
neutres  aux  écoles  libres," 

Lors  de  l'assemblée  que  j'ai  tenue  aux  Trois-Rivière^!, 
le  20  de  février  dernier,  j'ai  profité  de  mon  passage  en 
celte  ville  pour  aller  présenter  mes  hommages  à  Mgr 
Laflèche.  La  question  des  écoles  fit  tous  les  frais  de  la 
conversation.  Si  Sa  Grandeur  a  compris  par  ce  que  je 
lui  ai  dit  alors  que  j'étais  en  faveur,  sous  aucune  cir- 
constance quelconque  des  écoles  sans  Dieu,  je  n'ai  qu'à 
regretter  cette  interprétation  car  elle  a  toujours  été  et 
elle  est  encore  absolument  contraire  à  mes  pensées  et  à 
mes  convictions,  et  le  soir  même  aux  Trois-Rivières,  et 
quelques  jours  plus   tard  à  Saint-Jérôme,  je   me  suis 


MÉLANGES  255 

expliqué  à  ce  sujet  d'une  manière  qui  ne  saurait  prêter 
à  l'équivoque. 

J'ai  l'honneur  d'être, 
Monsieur, 

Votre  bien  dévoué, 

Wjlfrid  Laurier. 

Nous  reproduisons  cette  lettre  parce  que  nous  tenons 
à  ce  qu'on  ne  puisse  pas  nous  accuser  de  déloyauté 
envers  le  chef  de  l'opposition. 

Mais  nous  disons  que  M.  Laurier  ne  doit  s'en  pren- 
dre qu'à  lui-même  s'il  passe  pour  être  un  partisan  de 
ce  que  l'on  appelle  l'Ecole  Nationale,  c'est-à-dire  de 
l'école  non  confessionelle. 

M.  Laurier  a  beau  crier  dans  les  moments  critiques  : 
je  ne  suis  pas  pour  les  écoles  sans  Dieu.  Cela  ne  suffit 
pas  pour  établir  la  rectitude  de  sa  doctrine  en  matière 
scolaire.  Cela  prouve  sans  doute  que  M.  Laurier  est 
déiste,  mais  rien  de  plus. 

Depuis  deux  ans  le  chef  de  l'opposition  se  tue  à 
répéter  sa  fameuse  balançoire  :  "  Siles  écoles  publiques 
du  Manitoba  sont  2^'>'otestanles,  c'est  une  iniquité," 
laissant  croire  par  là  que,  si  ces  écoles  sont  absolument 
non-confessionnelles,  il  ne  peut  plus  y  avoir  de  grief. 
Eh  bien,  voilà  ce  qui  fait  dire  à  presque  tout  le  monde  : 
M.  Laurier  n'est  pas  un  partisan  des  écoles  séparées. 

Maintenant,  il  paraît  qu'une  conversation  du  chef  de 
l'opposition  avec  le  vénérable  évêque  des  Trois-Eivières 
a  mis  celui-ci  sous  la  même  impression.  On  conviendra 
que  M.  Laurier  est  bien  malchanceux.  Comment,  voici 
un  homme  qui  est  enflammé  d'amour  pour  les  écoles 
séparées,  pour  les  écoles  confessionnelles,  cet  homme 


256  MÉLANGES 

est  doué  d'un  talent  de  parole  incontestable,  et  lui,  le 
silver  tongued,  il  est  incapable  d'exprimer  sa  flamme 
de  manière  à  ce  qu'on  le  comprenne  !  Il  prononce  vingt 
discours,  il  a  des  conversations  intimes  avec  les  évêques, 
et,  guignon  inexplicable,  auditeurs  et  évêques  concluent 
de  ses  discours  et  de  ses  conversations  qu'il  est  favora- 
ble à  un  système  d'écoles  nationales,  c'est-à-dire  non 
confessionnelles.     Conçoit-on  pareille  déveine  ? 

Allons,  M.  Laurier,  faites  un  effort  intellectuel  ; 
essayez  de  traduire  une  bonne  fois  d'une  manière  adé- 
quate votre  pensée  si  peu  lumineuse.  Dites  que  ce 
que  vous  voulez,  c'est  le  rétablissement  des  écoles  catho- 
liques dont  la  minorité  manitobaine  jouissait  avant 
1890. 

Alors  tout  le  monde  vous  comprendra,  et  vous  aurez 
bien  mérité  de  votre  province  et  du  pays  tout  entier. 

Mais  si  vous  restez  enseveli  dans  vos  nuages  et 
empêtré  dans  vos  conditionnels,  résignez- vous  à  être  et 
à  demeurer  un  grand  incompris. 


LA  SITUATION  A  OTTAWA 

23  juin  1895. 

Nous  prions  nos  lecteurs  de  se  tenir  en  garde  contre 
les  nouvelles  à  sensation  que  la  presse  libérale  publie 
au  sujet  de  ce  qui  se  passe  à  Ottawa. 

La  situation  est  peu  compliquée,  et  la  ligne  de  con- 
duite à  adopter  est  tellement  bien  tracée  que  nous  ne 
concevons  aucune  hésitation  possible. 


MÉLANGES  257 

Le  gouvernement  fédéral  a  transmis  au  gouverne- 
ment du  Manitoba  un  remédiai  order. 

Dans  l'ordre  en  conseil  sur  let[uel  est  basé  ce  remé- 
diai order,  on  lit  ce  qui  suit  : 

"  Le  comité  désire  déclarer  que  si  Votre  Excellence 
trouvait  bon  d'approuver  la  recommandation  ci-dessus, 
il  s'ensuivrait  que  le  refus  par  la  législature  du  Mani- 
toba d'adopter  la  mesure  réparatrice  que  Votre  Excel- 
lence en  conseil  aurait  jugée  nécessaire,  autoriserait  le 
Parlement  à  édicter  une  loi  dans  ce  but... 

"  Le  comité  émet  donc  l'avis  que  la  législature  pro- 
vinciale soit  priée  de  considérer  s'il  lui  serait  permis  de 
prendre,  sur  la  décision  de  Votre  Excellence  en  conseil, 
une  résolution  qui,  en  refusant  de  redresser  un  grief 
dont  la  plus  haute  cour  de  l'empire  a  reconnu  l'exis- 
tence, obligerait  le  Parlementa  accorder  unerépara- 
tion..." 

Dans  ces  lignes,  le  programme  que  se  proposait  de 
suivre  le  gouvernement  était  clairement  annoncé. 

Le  refus  par  le  Manitoba  de  faire  droit  aux  griefs  de 
la  minorité  obligera  le  Parlement  fédéral  à  accorder 
une  réparation.  Voilà  ce  que  le  gouvernement  d'Ot- 
tawa a  proclamé. 

Eh  bien,  le  gouvernement  et  la  législature  du  Mani- 
toba ont  refusé  de  se  rendre  aux  représentations  du 
cabinet  fédéral,  ont  refusé  de  redresser  les  griefs. 

Donc  le  Parlement  fédéral  est  obligé  d'accorder  lui- 
même  la  réparation. 

Il  n'y  a  pas  à  sortir  de  là. 

Le  gouvernement  doit  exécuter  le  programme  contenu 
dans  son  ordre  en  conseil,  et  le  Parlement,  s'il  est  animé 
17 


258  MÉLANGES 

d'un  véritable  esprit  de  justice,  doit  appuyer  le  gouver- 
nement. 

Et  cela  doit  se  faire  dès  à  présent,  car  il  y  a  cinq  ans 
que  cette  question  fatigue  l'opinion  publique,  et  que  la 
constitution  est  violée. 

La  parole  est  au  gouvernement  et  au  Parlement. 


28  juin  1895. 

L'Evénement  publie  une  longue  dépêche  d'Ottawa, 
dont  nous  reproduisons  les  passages  suivants  : 

"  Ottawa,  27. — La  situation  n'est  pas  aussi  grave 
qu'elle  paraît  de  Québec  et  que  les  libéraux  s'efforcent 
de  le  faire  croire. 

"  Les  conservateurs  d'Ontario,  moins  une  quinzaine, 
voteront  avec  le  gouvernement. 

"  Un  ministre  protestant,  déclarait,  hier  soir,  à  votre 
correspondant,  que  l'intervention  était  décidée.  Nos 
ministres  Canadiens-Français  sont  plus  déterminés  que 
jamais  à  faire  rendre  justice  à  la  minorité  manitobaine." 
Nous  espérons  que  les  nouvelles  contenues  dans  cette 
dépêche  sont  vraies. 

Il  n'y  a  pas  à  se  dissimuler  que,  depuis  quelques 
jours,  la  situation  s'était  considérablement  assombrie. 
Le  fanatisme  était  à  l'œuvre  et  exploitait  habilement 
la  publication  intempestive  de  certains  documents,  qui 
n'étaient  pas  destinés  au  public  et  dont  on  exagérait  la 
portée. 

Il  semble  maintenant  se  produire  une  détente.  Nous 
souhaitons  ardemment  que  la  lumière  se  fasse  dans 
tous  les  esprits  sincères,  et  que  la  voix  de  l'équité 
étouffe  celle  des  préjugés. 


MÉLANGES  259 

Le  gouvernement  a  un  noble  rôle  à  remplir.  Nous 
le  conjurons  de  ne  pas  reculer  devant  les  clameurs  des 
énergumènes  comme  McCarthy  et  Martin.  Il  est  le 
gardien  de  la  constitution,  de  la  justice,  le  protecteur 
des  minorités  ;  qu'il  se  tienne  à  la  hauteur  de  cette 
noble  mission  et  qu'il  aille  de  l'avant  sans  hésitation  et 
sans  peur. 

L'intégrité  de  la  constitution,  l'honneur  de  la  Cou- 
ronne, le  respect  de  la  foi  jurée,  la  protection  des  fai- 
bles, en  faut-il  davantage  pour  faire  de  la  cause  des 
catholiques  manitobains  une  de  ces  grandes  causes  pour 
lesquelles  un  gouvernement  peut  glorieusement  risquer 
jusqu'à  son  existence  ? 

La  question  de  l'émancipation  catholique  en  1828 
était  grosse  d'orages  et  de  périls.  Le  duc  de  fer,  Wel- 
lington, s'est  illustré  en  la  réglant,  en  arrachant  du  sein 
de  l'empire  britannique  ce  germe  de  discorde  et  de 
haine. 

Qu'on  ne  s'y  trompe  pas.  Les  hommes  publics  qui 
régleront  ici  la  question  des  écoles,  qui  feront  dispa- 
raître de  l'arène  politique  cette  source  de  divisions  et  de 
conflits  douloureux,  auront  accompli  un  grand  acte,  et 
seront  considérés  par  l'histoire  comme  des  bienfaiteurs 
publics. 

Pour  notre  part,  nous  ne  nous  lasserons  pas  de 
demander  que  justice  soit  faite. 

Fiat  justitia,  ruât  cœlum  ! 


260  MÉLANGES 


LA  FAUSSE  THEORIE  DE   M.  WELDON 


4  juillet  1895. 

L'Electeur  publiait,  ces  jours  derniers,  la  dépêche 
suivante,  d'Ottawa  : 

"  Le  Citizen  de  ce  matin  publie  une  entrevue  avec 
M.  Weldon,  député  conservateur  d'Albert,  sur  la  ques- 
tion des  écoles.  M.  Weldon  exprime  l'opinion  que  le 
gouvernement,  en  passant  le  remédiai  order,  n'a  agi 
qu'en  qualité  de  juge  d'un  tribunal  :  que  d'ailleurs  la 
constitution  ne  lui  laissait  pas  d'option  en  la  matière, 
mais  que,  nonobstant  l'opinion  contraire  de  M.  McCar- 
thy,  la  constitution  ne  l'oblige  pas  à  faire  suivre  ce 
remédiai  order  d'une  législation  réparatrice  qui  est  du 
ressort  du  Parlement, 

"  Cette  législation  pourra  être  soumise  à  la  Chambre 
comme  question  libre  par  un  député  quelconque,  et  le 
gouvernement  comme  gouvernement  ne  sera  pas  tenu 
de  l'appuyer  et  certains  ministres  pourront  voter  eu 
faveur  et  d'autres  à  l'encontre. 

"  M.  Weldon  dit  qu'il  est  bien  connu  que  les  minis- 
tres sont  divisés  sur  les  mérites  de  la  question  des 
écoles. 

"  Il  ajoute  que  demander  à  un  certain  nombre  de 
conservateurs  protestants  de  voter  en  faveur  d'une  loi 
réparatrice  équivaudrait  à  leur  demander  de  se  suicider, 
et  un  gouvernement  ne  peut  pas  faire  cela." 

Cette  entrevue  de  M.  Weldon  mérite  qu'on  s'en 
occupe.  Le  député  d'Albert  n'est  pas  le  premier  venu. 
C'est  un  homme  de  talent,  un  député  influent  et  dont 


MÉLANGES  261 

les  opinions  ont  du  poids  dans  le  parti  conservateur. 
Nous  ne  croyons  donc  pas  pouvoir  laisser  passer  inaper- 
çue cette  théorie  qu'il  vient  de  formuler. 

Elle  est  entièrement  inadmissible,  et  constitue  une 
négation  flagrante  du  principe  de  la  responsabilité  et  de 
la  solidarité  ministérielles. 

Comment,  le  gouvernement  aurait  adopté,  après  mûre 
délibération,  un  ordre  réparateur  dont  doivent  découler 
certaines  conséquences  parfaitement  prévues,  et  lorsque 
viendrait  le  moment  de  donner  à  cet  ordre  sa  suite 
logique,  le  gouvernement  se  déroberait,  se  diviserait,  se 
désintéresserait  de  la  question  et  l'abandonnerait  au 
caprice  ou  aux  préjugés  des  individus  !  !  Allons  donc, 
ce  serait  une  abdication  incroyable,  un  renversement  de 
tous  les  principes.  Et  nous  avons  le  droit  de  dire  au 
député  d'Albert  :  vous  n'êtes  pas  sérieux,  M.  Weldon  ! 

La  presse  conservatrice  anglaise,  qui  a  pris  une  si 
singulière  attitude  depuis  quelques  jours,  n'est  pas  plus 
logique  que  M.  Weldon.  Nous  avons  lu  les  articles  du 
Mail-Empire,  de  la  Gazette  de  Montréal  elle-même,  et 
nous  devons  déclarer  à  haute  et  intelligible  voix  qu'il 
n'en  faudrait  pas  beaucoup  de  ce  genre  pour  briser  et 
disloquer  le  parti  conservateur.  Ces  journaux,  organes 
du  gouvernement,  semblent  ignorer  que  la  responsabilité 
du  gouvernement  est  engagée.  Nous  leur  remettons 
encore  une  fois  sous  les  yeux  ces  termes  du  remédiai 
order  : 

"  Le  comité  désire  déclarer  que  si  Votre  Excellence 
trouvait  bon  d'approuver  la  recommandation  ci-dessus, 
il  s'en  suivrait  que  le  refus  par  la  législature  du  Mani- 
toba  d'adopter  la  mesure  réparatrice  que  Votre  Excel- 
lence en  conseil  aurait  jugé  néressaire,  autoriserait  le 
parlement  à  édicter  une  loi  dans  ce  but. 


262  MÉLANGES 

"  Il  émet  donc  l'avis  que  la  législature  provinciale 
soit  priée  de  cousidérer  s'il  lui  serait  permis  de  prendre, 
sur  la  décision  de  Votre  Excellence  en  conseil,  une  réso- 
lution qui,  en  refusant  de  redresser  un  grief  dont  la  plus 
haute  cour  de  l'empire  a  reconnu  l'existence,  obligerait 
le  Parlement  à  accorder  une  réparation. 

Voilà  le  programme  ministériel.  Le  refus  du  Mani- 
toba  de  redresser  les  giiefs  "  obligera  le  Parlement  à 
accorder  une  réparation."  Eh  bien,  le  Manitoba  a  refusé  ; 
le  Parlement  est  donc  obligé  de  réparer  l'injustice  dont 
souffre  la  minorité.  Mais  qui  doit  prendre  l'initiative  ? 

Evidemment  c'est  le  gouvernement  qui  a  adopté  le 
remédiai  order.  C'est  à  ceux  qui  ont  posé  les  prémisses 
à  tirer  les  conclusions. 

Le  gouvernement  ne  peut  agir  autrement  sans  abdi- 
quer. 

Que  nos  alliés  les  conservateurs  anglais  y  réfléchis- 
sent sérieusement.  La  minorité  manitobaine  a  pour  elle 
la  constitution  et  le  droit.  Elle  a  pour  elle  la  Couronne 
même,  puisque  le  plus  haut  tribunal  de  l'empire  s'est 
prononcé  en  sa  faveur.  Si  le  parti  conservateur  refusait 
de  se  ranger  du  côté  de  la  constitution,  du  droit  et  de 
l'honneur  de  la  Couronne,  alors  nous  dirions  :  que  le  parti 
conservateur  périsse,  il  n'a  plus  sa  raison  d'être. 

Nous  soumettons  ces  considérations  au  Mail-Empire, 
au  World,  à  la  Gazette  et  à  M.  Weldon. 


MÉLANGES  263 

LA  CAUSE  DU  RETARD 

6  juillet  1895. 

Parlant  de  la  question  qui  passionne  actuellement 
tous  les  esprits,  le  Canada  d'hier  soir,  que  l'on  dit  avoir 
l'oreille  des  ministres,  explique  comme  suit  les  retards 
du  gouvernement  à  soumettre  la  loi  des  écoles  au  par- 
lement. "  Unis  sur  le  principe,  l'étude  d'une  mesure 
où  il  ne  se  trouve  pas  moins  de  cent-cinquante  clauses, 
paraît-il,  demande  un  temps  assez  considérable.  La 
question  se  pose  donc  si  le  gouvernement  devrait  retar- 
der pendant  plusieurs  semaines  la  clôture  de  la  présente 
session,  ou  s'il  ne  devrait  pas  remettre  la  passation  de 
sa  loi  à  une  session  d'automne. 

"  La  clause  de  la  loi  qui,  paraît-il,  cause  le  plus  de 
division  dans  le  cabinet,  est  celle  qui  exempte  les  insti- 
tuteurs appartenant  aux  communautés  religieuses  de 
subir  des  examens  de  compétence.  Les  membres  anglais 
du  cabinet  disent  qu'il  faut  que  cette  clause  disparaisse. 

"  L'examen  et  le  diplôme,  telle  est  la  garantie  qu'ils 
exigent  de  l'efficacité  future  des  écoles  séparées  du 
Mauitoba." 

Le  cabinet  s'assemble  de  nouveau  aujourd'hui  pour 
discuter  la  question  de  savoir  si  la  session  actuelle  sera 
simplement  ajournée  ou  prorogée. 


264  MÉLANGES 

LA  CRISE   MINISTÉRIELLE   AU  SUJET 
DE  LA  QUESTION  SCOLAIRE 


Au  commencement  de  juillet  1895,  une  crise  ministérielle 
éclata  à  Ottawa,  à  propos  de  la  question  scolaire.  Quelques 
extraits  des  dépêches  de  la  capitale,  expédiées  au  Courrier 
du  Canada,  montreront  quel  aspect  prit  la  situation  : 

Ottawa,  8  juillet. 

La  position  est  plus  embrouillée  que  jamais.  A  une 
heure  cette  après-midi,  le  cabinet  est  encore  eu  séance. 
Toute  espèce  de  nouvelles  ont  couru  et  courent  encore 
la  ville  en  ce  moment.  Les  uns  disent  que  le  cabinet  n'a 
pasvoulu  samedi  s'engager  à  promettre  une  session  àl'au- 
tomne,et  que  les  ministres  français  ont  offert  leur  démis- 
sion samedi  soir.  Le  Citizen,  qui  annonçait,  samedi,  qu'il 
n'y  aurait  pas  de  législation  réparatrice  à  la  présente 
session,  dit,  ce  matin,  qu'il  n'y  a  encore  rien  de  décidé. 
Ce  qui  indiquerait  que  l'offre  de  démission  des  minis- 
tres français  a  eu  un  bon  effet  et  que  le  cabinet  veut 
essayer  de  faire  quelque  chose.  Dans  le  cas  où  le  cabinet 
ne  ferait  rien  et  ne  voudrait  rien  promettre,  les  trois 
ministres  français  insisteront  pour  que  leur  démission 
soit  acceptée,  et  M.  Dupont  proposera  un  vote  de  non- 
confîance.    On  attend  avec  anxiété  la  séance  de  cette 

après-midi. 

Ottawa,  9  juillet. 

La  nouvelle  de  la  démission  des  trois  ministres  cana- 
diens-français, se  confirme  de  plus  en  plus  et  la  chose 
est  regardée  comme  certaine,  maintenant. 


MÉLANGES  265 

Ottawa,  9  juillet. 

Nous  sommes  en  pleiue  crise,  ici.  Nos  trois  ministres  ^ 
ont  démissionné.  Leur  démission  paraît  surtout  motivée 
par  le  fait  que  le  cabinet  a  décidé  d'ouvrir  de  nouvelles 
négociations  avec  Manitoba,  ce  qui  a  pour  effet  d'ad- 
mettre que  le  parlement  n'a  pas  actuellement  juridic- 
tion pour  prendre  action  et  de  placer  le  gouvernement 
et  le  parlement  dans  l'impossibilité  de  légiférer,  l'hiver 
prochain,  si  M,  Greenway  donnait  une  réponse  illusoire. 
De  plus,  d'après  la  déclaration  ministérielle,  le  résultat 
de  ses  négociations  devra  être  soumis  au  Parlement,  le 
ministère  se  dégageant  ainsi  de  sa  responsabilité.  Nos 
ministres  auraient  accepté  comme  concession  extrême, 
le  délai  jusqu'à  la  prochaine  session  pour  présenter  la 
loi,  mais  ils  ont  refusé  de  mettre  en  doute  la  juridiction 
actuelle  du  Parlement  et  de  compromettre  ainsi  le 
règlement  futur  de  la  question. 

Voici  la  déclaration  ministérielle  faite  hier  après-midi, 
sur  la  question  des  écoles  du  Manitoba  : 

"  SiE  Mackenzie  Bowell. — En  réponse  à  l'honora- 
ble chef  de  l'opposition,  je  suis  prêt  à  donner  la  déci- 
sion à  laquelle  le  gouvernement  est  arrivé  sur  la  ques- 
tion des  écoles  du  Manitoba.  Je  désire  déclarer  que 
le  gouvernement  a  considéré  la  réponse  de  la  législature 
du  Manitoba  à  l'ordre  réparateur  du  21  mars  1895, 
et  que,  après  une  délibération  attentive,  il  en  est  arrivé 
à  la  conclusion  suivante  : 

"  —  Quoiqu'il  puisse  y  avoir  divergence  d'opinion 
sur  la  réponse  en  question,  le  gouvernement  croit  qu'elle 
peut  être  interprétée  comme  donnant  quelque  espoir  d'un 


1  —  Les  honorables  MM.  Angers,  Ouimet  et  Caron. 


266  MÉLANGES 

règlement  amical  de  la  question  des  écoles  du  Manitoba 
basé  sur  l'action  possible  du  gouvernement  et  de  la 
législature  du  Manitoba,  et  le  gouvernement  de  la  Puis- 
sance ne  veut  prendre  aucune  action  qui  pourrait  être 
interprétée  comme  prévenant  ou  empêchant  une  solu- 
tion amicale. 

"  Le  gouvernement  a  aussi  considéré  les  difficultés  à 
rencontrer  en  préparant  et  arrêtant  une  législation  sur 
une  question  aussi  importante  et  aussi  compliquée 
durant  les  dernières  heures  de  la  session. 

"  Le  gouvernement  a  en  conséquence  décidé  de  ne 
pas  demander  au  parlement  de  légiférer  sur  cette  ques- 
tion durant  la  présente  session. 

"  Un  message  sera  envoyé  immédiatement  au  gou- 
vernement du  Manitoba  sur  ce  sujet,  en  vue  de  s'assurer 
s'il  est  disposé  à  faire  un  arrangement  qui  donnera 
satisfaction  raisonnable  à  la  minorité  de  cette  province, 
sans  nécessiter  l'intervention  des  pouvoirs  du  Parle- 
ment fédéral. 

"  Une  session  du  parlement  actuel  sera  convoquée 
pas  plus  tard  que  le  premier  jeudi  de  janvier  prochain. 
Si,  à  cette  date,  le  gouvernement  du  Manitoba  ne  fait 
pas  d'arrangement  pour  remédier  aux  griefs  de  la  mino- 
rité, le  gouvernement  de  la  Puissance  sera  prêt  à  la 
prochaine  session  du  Parlement  qui  sera  convoquée  tel 
que  dit  plus  haut,  à  présenter  et  à  soutenir  telle  légis- 
lation qui  remédiera  aux  griefs  de  la  dite  minorité, 
basée  sur  le  jugement  du  Conseil  Privé  et  l'ordre  remé- 
diateur  du  21  mars  1895. 

"  Cela  est  clair  et  suËfisamment  distinct  pour -indi- 
quer la  politique  du  gouvernement  sur  cette  question 
compliquée.    Il  reste  au  Parlement  du  Canada  et  au 


MÉLANGES  267 

peuple  de  la  Puissance  à  dire  s'ils  approuvent  ou  non 

cette  politique," 

Ottawa,  ]0  juillet. 

La  situation  est  toujours  extrêmement  tendue.  11  n'y  a 
pas  eu  de  crise  semblable  à  celle-ci  depuis  vingt-cinq  ans. 

M.  Laurier  vient  de  demander  à  M.  Foster  s'il  peut 
renseigner  la  chambre  sur  la  résignation  des  trois 
ministres  canadiens-français,  qui  est  maintenant  dans 
toutes  les  bouches.  M.  Foster  a  répondu  que  demain 
il  aurait  une  réponse  positive  à  donner. 

Encore  vingt-quatre  heures  de  rumeurs  et  de  com- 
mentaires ! 

On  affirme  que  sir  MacKenzie  Bowell  serait  prêt  à 
faire  certaines  concessions,  mais  que  MM.  Haggart, 
Foster  et  Montague  s'y  opposent. 

Le  gouvernement  est   dans  le  plus    grand  danger. 

Hier,  si  nos  amis  eussent  voulu,  le  cabinet  eût  été  en 

minorité  de  huit  voix. 

Ottawa,  11  juillet. 

La  crise  touche  à  son  dénouement.  Personne  encore 
ne  peut  dire  ce  qui  va  arriver.  Plusieurs  tentatives 
d'arrangement  ont  été  essayées,  mais  jusqu'ici  tout  a 
manqué.  Il  a  été  question,  hier,  de  l'introduction  immé- 
diate du  bill  réparateur  par  le  gouvernement,  mais  on 
affirme  que  les  ministres  anglais  ont  refusé. 

On  parle  aujourd'hui  de  déclarations  nouvelles  ou  de 
réponses  à  des  questions  faites  en  Chambre  par  les- 
quelles le  cabinet  accentuerait  sa  politique. 

Il  y  aura  du  nouveau,  à  la  séance  de  cette  après-midi. 

Ottawa,  11  juillet. 

A  une  heure  cette  après-midi,  la  position  est  toujours 
la  même,  sir  Adolphe  Caron  et  M,  Ouimet  se  sont  ren- 


268  MÉLANGES 

dus  à  onze  heures  et  demie  ce  matin,  à  la  salle  du  Con- 
seil privé.  Quelques  instants  après,  ils  ont  étë  appelés 
dans  le  cabinet  particulier  du  premier  ministre  avec 
lequel  ils  ont  eu  une  longue  conférence.  L'honorable 
M,  Angers  n'était  pas  avec  eux.  Le  but  de  cette  entre- 
vue avec  le  premier  ministre  était  de  tâcher  d'en  venir 
à  une  entente.  L'honorable  sénateur  Masson  et  M. 
Girouard  ont  été  appelés  en  consultation  auprès  du 
premier  ministre  et  des  deux  ministres  français.  M. 
Costigan  est  entré  aussi  à  deux  ou  trois  reprises  dans 
le  bureau  de  M.  Bowall. 

A  une  heure  les  ministres  sont  sortis  du  cabinet,  M. 
Bowell  disant  qu'il  n'y  avait  rien  de  fait.  Une  nouvelle 
réunion  aura  lieu  à  deux  heures  et  demie.  Ou  dit  que 
M.  Angers  refuse  de  faire  aucune  des  concessions  que 
les  deux  autres  ministres  sont,  paraît-il,  prêts  à  faire 
pour  rétablir  l'accord  dans  le  cabinet,  et  qu'il  prépare 
en  ce  moment  le  discours  qu'il  prononcera  contre  le 
gouvernement,  s'il  n'y  a  pas  d'autres  incidents. 

1.45  h.  p.  m. — On  commence  à  dire  que  sir  A,  P. 
Caron  et  M.  Ouimet  vont  se  rallier  au  cabinet,  M. 
Angers  seul  persisterait  dans  sa  démission.  Cela  sau- 
verait le  gouvernement.  Mais  la  crise  ne  serait  peut- 
être  pas  finie  malgré  tout. 

2.30  h.  p.  m. — Il  est  certain  que  sir  A,  P.  Caron  et 
M.  Ouimet  rentrent  dans  le  cabinet.  L'excitation  est 
immense  parmi  les  députés  conservateurs  bas-canadiens. 
M.  Angers  persiste  dans  sa  décision.  M.  Dupont  va 
présenter,  à  trois  heures,  uu  vote  de  non  confiance, 
appuyé  par  M.  Belley. 


MÉLANGES  269 

LA.  SITUATION 

13  juillet  1895. 

La  situation  que  les  derniers  événements  ont  faite 
aux  conservateurs  bas-canadiens  est  extrêment  diffi- 
cile. 

Il  y  a  eu  quasi-rupture  entre  eux  et  le  gouverne- 
ment, et  quelque  jugement  que  l'on  porte  sur  la  manière 
dont  la  crise  s'est  dénouée,  il  nous  paraît  évident  que 
les  relations  entre  les  deux  groupes  du  parti  vont 
demeurer  très  tendues. 

Il  serait  bien  puéril  d'essayer  à  dissimuler  que  la 
défiance  est  éveillée  et  que  nos  amis  d'Ottawa,  s'ils 
n'ont  pas  voulu  renverser  le  cabinet  et  donner  le  pou- 
voir à  M.  Laurier,  n'ont  voté  qu'avec  réserve  et  sous 
condition. 

Après  la  rentrée  de  MM.  Carou  et  Ouimet  dans  le 
cabinet,  le  groupe  bas-canadien  conservateur  s'est 
trouvé  absolument  désorienté. 

Que  faire  ?  voilà  ce  que  chacun  se  demandait  à  l'ou- 
verture de  la  séance  de  jeudi.  Pour  un  grand  nombre, 
M.  Laurier  a  tranché  la  question.  Il  s'est  levé  aussitôt 
après  les  explications  ministérielles,  et  a  proposé  l'ajour- 
nement de  la  Chambre  purement  et  simplement.  Il  n'a 
pas  dit  un  mot  de  la  question  des  écoles,  il  s'est  borné 
à  dire  par  sa  motion  :  Je  veux  prouver  que  c'est  moi 
qui  dirige  la  majorité  dans  cette  Chambre,  et  je  veux 
prouver  cela  sans  m'engager  ni  engager  mon  parti 
d'aucune  manière  sur  la  question  d'une  législation 
réparatrice. 


270  MÉLANGES 

Le  ministre  de  la  justice,  Sir  Charles  Tupper,  s'est 
alors  levé  et  a  dit  à  M,  Laurier  :  Vous  pouvez  bien 
prononcer  un  discours  humoristique,  mais  vous  êtes 
incapable  de  dire  ce  que  vous  entendez  faire  sur  la 
question  des  écoles  ;  le  gouvernement  a  sur  cette  ques- 
tion une  politique  que  la  Chambre  et  le  pays  connais- 
sent, mais  vous,  vous  n'en  avez  pas. 

Etant  donnée  cette  situation,  nos  amis  ont  voté  cha- 
cun suivant  l'impression  qui  dominait  chez  lui.  Les 
uns  ont  voulu,  en  votant  pour  la  motion,  montrer  au 
gouvernement  qu'ils  se  défiaient  de  lui.  Les  autres,  en 
repoussant  la  motiou  d'ajournement,  ont  affirmé  qu'ils 
n'étaient  pas  prêts  à  donner  la  direction  de  la  Chambre 
et  le  pouvoir  à  un  homme  qui  ne  s'est  jamais  engagé  à 
présenter  une  législation  réparatrice  s'il  triomphe. 

Des  deux  côtés,  il  y  avait  d'excellentes  raisons,  et  la 
circonstance  était  une  de  celles  où  le  plus  difficile  est, 
non  pas  de  faire  son  devoir,  mais  de  le  connaître  claire- 
ment. 

De  tout  ceci  il  résulte  que  le  gouvernement  est  en  pré- 
sence d'une  épreuve  et  d'un  péril  simplement  ajournés. 

Dans  tous  les  cas,  nous  devons  nous  préparer  à  toutes 
les  éventualités.  Bien  des  symptômes  alarmants  sont 
visibles  à  l'horizon  politique  ! ... 

Si  le  cabinet  d'Ottawa  finit,  après  tous  ces  délais,  par 
rendre  justice  à  la  minorité  manitobaine,  nous  ne  lui 
retirerons  pas  notre  appui. 

Mais  si,  au  contraire,  tout  ce  qui  se  passe  n'aboutit 
qu'à  une  politique  de  déception,  nous  ferons  sans  hésiter 
tout  notre  devoir.  Nous  romprons  la  vieille  alliance 
nouée  en  ISôi,  et  qui  n'aura  plus  sa  raison  d'être. 
Nous  fermerons  un  livre  de   notre  histoire  politique, 


MÉLANGES  271 

pour  tourner  les  feuillets  d'un  livre  nouveau  et  inconnu. 
Nous  clierclierous  des  alliances  ou  nous  resterons  seuls. 
Mais,  seuls  ou  unis  à  d'autres,  à  quiconque  se  pronon- 
cera pour  la  justice,  nous  continuerons  à  combattre  les 
combats  de  la  constitution  et  du  droit. 


LE  DISCOURS  DE  SIR  MACKENZIE 
BOWELL 

15  juillet  1895. 

Voici  un  extrait  du  discours  prononcé  au  sénat  par 
sir  Mackenzie  Bowell  : 

"  Je  le  dis  franchement,  quoique  je  ne  fusse  pas  en 
faveur  des  écoles  séparées,  j'avais  établi  distinctement 
que  je  croyais  que  le  Manitoba  en  entrant  dans  la  confé- 
dération, devait  avoir  les  mêmes  droits  et  privilèges  que 
la  province  de  Québec  relativement  aux  écoles  séparées  ; 
et  comme  tel, — qu'importe  mon  opinion  individuelle, — 
comme  homme  pubhc,  je  me  considérais  lié  et  mon  parti 
avec  moi  à  remplir  les  promesses  qui  furent  faites  à  la 
Confédération,  et  qui  je  le  répète,  ont  été  transgressées 
par  la  législature  manitobaine.  Ce  n'est  pas  la  faute  du 
parti  conservateur  s'il  est  aujourd'hui  dans  cette  posi- 
tion difficile.  Autant  que  n'importe  qui,  je  sympathise 
avec  la  minorité  pour  le  retard..." 

Sir  Mackenzie  Bowell  a  accentué  encore  ses  déclara- 
tions. Il  s'est  écrié  : 

"  Dans  ma  lettre  à  l'honorable  M.  Angers,  lui  expri- 


272  MÉLANGES 

mant  mon  regret  de  sa  résignation,  car  je  la  regrette  sin- 
cèrement, je  lui  disais  : 

"  Tous  nos  collègues  étant  liés  à  supporter  une  mesure 
"  réparatrice,  laquelle  sera  soumise  par  le  gouverne- 
"  ment  afin  de  rendre  à  la  minorité  manitobaine  les 
"  privilèges  auxquels  elle  a  droit,  tel  que  déclaré  par  le 
"  Conseil  privé,  je  crois  que  cela  pouvait  être  accepté 
"  comme  une  garantie  de  leur  sincérité." 

"  Je  suis  peiné  de  constater  que  l'honorable  membre 
n'a  pas  confiance  dans  les  garanties  données  par  ses 
collègues.  Maintenant  je  dirai  au  nom  de  mes  collègues 
et  en  mon  nom  propre  que  les  garanties  que  nous  avons 
données,  comme  hommes  publics,  seront  tenues,  au  péril 
de  notre  vie,  et  si  nous  pouvons  les  faire  adopter  par  la 
majorité  du  Parlement... 

"  Je  considère  comme  admis  que  les  catholiques 
romains  qui  désirent  avoir  les  écoles  séparées  ont  besoin 
en  premier  lieu,  du  droit  d'établir  les  dites  écoles  sépa- 
rées ;  1^  le  droit  de  ne  pas  être  taxés  pour  les  écoles 
publiques  alors  qu'ils  supportent  les  leurs  ;  3"  le  pouvoir 
d'enseigner  la  religion  et  la  morale  comme  ils  l'entendent 
et  le  droit  de  recevoir  aussi  une  partie  du  fonds  public 
réservé  pour  l'éducation.  Je  considère  qu'aucun  homme 
raisonnable  ne  peut  refuser  ces  demandes  et  si  le  par- 
lement de  la  Puissance  veut  nous  prêter  son  appui 
dans  le  cas  où  le  Manitoba  demeurerait  endurci,  nous 
rendrons  justice  à  cette  partie  du  pays  et  nous  y  établi- 
rons la  paix." 

Telles  ont  été  les  déclarations  de  sir  Mackenzie 
Bowell,  le  premier-ministre,  devant  le  sénat,  jeudi  der- 
nier. 

Nous  ne  dissimulerons  pas  que  nous  trouvons  ces 


MÉLANGES  273 

déclarations  très  énergiques,  très  fortes.  Ou  ne  saurait 
leur  attacher  trop  d'importance. 

Nous  croyons  à  la  sincérité  de  sir  Mackenzie.  Nous 
croyons  à  son  désir  honnête  de  rendre  justice.  Plût  au 
ciel  que  nous  n'eussions  affaire  qu'à  des  hommes  de  sa 
trempe. 

Mais  tandis  que  sir  Mackenzie  Bowell  parle  de  cette 
manière  au  Sénat,  M.  Clarke  Wallace  parle  d'une  autre 
manière  devant  les  oraugistes.  Et  le  Mail-Empire 
le  World,  le  Hamilton  Spectator,  organes  accrédités  du 
parti  conservateur  ontarien,  crient  à  la  non-intervention. 

C'est-à-dire  qu'il  y  a  conflit  parmi  les  conservateurs 
protestants.  Les  uns  veulent  que  le  gouvernement  fédé- 
ral fasse  respecter  la  constitution  et  le  droit,  les  autres, 
s'y  opposent  énergiquement. 


LA  MOTION  LAURIER 

16  juillet  1895. 

Encore  une  fois  M.  Laurier  a  proposé  une  motion 
illusoire,  encore  une  fois  il  a  parle  sans  dire  quelle  est 
sa  politique  sur  la  question  des  écoles. 

Sa  motion  de  non-confiance  d'hier  soir  se  bornait  à 
déclarer  que  le  gouvernement  n'a  pas  une  politique  de 
nature  à  servir  les  intérêts  du  pays  dans  cette  question. 

Mais  que  signifient  ces  paroles  ?  M.  Laurier  veut-il 
dire  que  le  gouvernement  a  eu  tort  de  promettre  une 
législation  réparatrice,  ou  qu'il  a  eu  tort  de  ne  pas  pro- 
céder plus  vite  avec  cette  législation  ?  Nous  allions  dire  : 
18 


2  7 -4  MÉLANGES 

c'est  le  secret  de  M.  Laurier,  mais  non,  ce  n'est  plus 
un  secret,  car  il  a  laissé  voir  le  fond  de  sa  pensée.  Et 
de  son  discours  on  peut  conclure  que,  à  l'instar  de 
M.  Tarte,  M.  Laurier  est  hostile  <\  une  législation  répa- 
ratrice. 

Que  veut-il  alors,  que  deraande-t-il,  qu'olîre-t-il  ? 
Franchement,  le  temps  n'est-il  pas  venu  de  parler  ? 
Comment  veut-il  qu'on  lui  tende  la  main,  s'il  ne  nous 
donne  pas  de  garanties  ?  ^ 

Nous  sommes  mécontents  du  gouvernement  parce 
que  nous  trouvons  qu'il  tarde  trop  à  exécuter  ses  pro- 
messes. Mais  M.  Laurier  ne  veut  même  pas  faire  de 
promesses. 

Ne  serait-il  pas  temps  d'en  finir  avec  cette  tactique 
de  jouer  au  plus  fin. 


UN  IMPORTANT  DOCUMENT 

13  septembre  1895. 

Nous  reproduisons  de  notre  confrère  de  la  Vérité  une 
pièce  de  la  plus  haute  importance,  dont  il  a  eu  la  pri- 
meur. 

C'est  le  texte  de  l'arrêté  en  conseil  que  le  gouverne- 


1  —  II  est  certain  que  M.  Laurier,  s'il  eut  à  ce  moment 
déclaré  qu'il  voulait  agir  dans  le  sens  du  redressement  des 
griefs,  dans  le  sens  d'une  intervention  fédérale  pour  secourir 
la  minorité  manitobaine,  aurait  rallié  à  son  drapeau  la  masse 
du  parti  conservateur  de  Québec.  Nous  étions  alors  à  Ottawa, 
nous  avons  eu  une  connaissance  intime  de  tous  les  incidents 
extérieurs  et  intérieurs  de  cette  crise.  Et  nous  ne  croyons 
rien  exagérer  en  faisant  cette  affirmation. 


MÉLANGES  275 

ment  fédéral  a  adressé  le  27  juillet  dernier,  après  la 
session  fédérale,  au  gouvernement  du  Manitoba  pour  le 
prier  de  reconsidérer  sa  décision  dans  la  question  des 
écoles. 

Nous  ne  commenterons  pas  ce  document  aujour- 
d'hui. Nous  nous  bornerons  à  signaler  qu'il  s'écarte  du 
solide  terrain  sur  lequel  le  remédiai  order  du  21  mars 
avait  placé  la  question.  Et  nous  devons  immédiate- 
ment déclarer  que  nous  ne  voyons  pas  sans  inquiétude 
ni  sans  regret  cette  modification  nouvelle  dans  l'atti- 
tude du  ministère. 

Le  Courrier  du  Canada  reproduisait  ensuite  in  extenso 
cette  pièce.  Voici  le  passage  qui  nous  semblait  le  plus  alar- 
mant : 

"  Personne  ne  le  niera,  dans  l'intérêt  de  tout  le 
monde,  les  questions  touchant  l'éducation  devraient 
être  exclusivement  réglées,  si  cela  est  possible,  par  la 
législature  locale.  A  tous  les  points  de  vue,  selon  la 
manière  de  voir  du  sous- comité,  cette  ligne  de  conduite 
doit  être  préférée  ;  et  avec  l'espoir  que  cette  ligne  de 
conduite  sera  finalement  suivie,  le  sous-comité  a  main- 
tenant l'honneur  de  recommander  que  Votre  Excellence 
veuille  bien  insister  auprès  du  gouvernement  du  Mani- 
toba sur  les  observations  additionnelles  qui  suivent,  et 
qu'on  peut  faire  valoir  au  sujet  de  l'ordre  réparateur. 

"  L'ordre  réparateur  joint  à  la  réponse  du  gouver- 
nement manitobain,  a  conféré  à  la  législature  fédérale 
une  juridiction  complète  dans  l'espèce  ;  mais  il  ne  s'en 
suit  aucunement  que  le  gouvernement  fédéral  ait  le 
devoir  d'exiger  que,  pour  être  mutuellement  satisfai- 
sante, la  législation  provinciale  se  conforme  aux  termes 
précis  de  cet  ordre.    Il  faut  espérer,  toutefois,  que  les 


276  MÉLANGES 

autorités  locales  adopteront  un  moyen  terme,  afin  que 
l'intervention  fédérale  ne  soit  pas  nécessaire. 

"  En  vue  d'un  arrangement  sur  cette  base,  il  paraît 
désirable  de  savoir,  au  moyen  de  négociations  amicales, 
quels  amendements  on  peut  s'attendre  à  voir  la  législa- 
ture manitobaiue  faire  aux  actes  des  écoles  publiques 
dans  le  sens  des  principaux  désirs  de  la  minorité." 


LE  DISCOURS  DU  TRONE 


Le  20  décembre  1895,  le  gouvernement  Greenway  répondit 
à  l'ordre  en  conseil  adopté  par  le  cabinet  fédéral  le  27  juillet 
précédent,  en  refusant  péremptoirement  de  rendre  à  la  mino- 
rité catholique  ses  droits. 

La  session  du  Parlement  fédéral  s'ouvrit  le  2  janvier  1896. 
Le  discours  du  trône  contenait  un  paragraphe  dans  lequel  la 
législation  réparatrice  était  annoncée,  comme  l'indiquait  la, 
dépêche  suivante  : 

Ottawa,  2  janvier. — L'ouverture  du  Parlement  a  eu 
lieu  aujourd'hui  avec  le  cérémonial  ordinaire.  Un  assez 
bon  nombre  de  députés  et  de  sénateurs  sont  arrivés, 
malgré  l'ajournement  annoncé.  C'est  que  les  circon- 
stances sont  graves  et  que  la  partie  qui  va  s'engager 
est  d'un  intérêt  suprême. 

Le  discours  du  trône  qui  vient  d'être  lu  est  long,  très 
long,  mais  pour  bien  des  gens  il  ne  contient  qu'un 
paragraphe  :  celui  où  il  est  question  de  la  législation 
réparatrice. 

Voici  donc  le  programme  du  gouvernement  qui  se 
dessine.  Le  ministère  a  fait  un  pas  de  plus  vers  l'ac- 
complissement de  ses  promesses. 


MÉLANGES  277 

La  législation  réparatrice  annoncée  dans  le  discours 
du  trône,  c'est  là  un  fait  capital,  un  fait  qui  domine 
toutes  les  nouvelles  de  couloirs,  toutes  les  rumeurs  et 
tous  les  potins  politiques. 

Après  les  élections  de  Cardwell,  de  Montréal-Centre 
et  de  Jacques-Cartier,  bien  des  gens  disaient  :  Le  gou- 
vernement va  rebrousser  chemin.  Des  journaux  impor- 
tants faisaient  entrevoir  le  même  résultat.  Quelques-uns 
prétendaient  que  le  gouvernement  allait  faire  présenter 
le  bill  par  un  député,  suivant  l'idée  du  professeur  Wel- 
don,  et  laisser  la  question  libre.  .  Eh  bien,  tout  cela  est 
démenti  par  le  discours  du  Trône.  Le  gouvernement 
déclare  formellement  qu'il  va  présenter  cette  loi  comme 
mesure  ministérielle. 

Voici  le  passage  du  discours  officiel  qui  annonçait  la  légis. 
lation  réparatrice  : 

"  Immédiatement  après  la  prorogation  du  parlement, 
mon  gouvernement  a  transmis  par  l'intermédiaire  du 
lieutenant-gouverneur  du  Manitoba,  au  gouvernement 
de  cette  province,  une  communication  à  l'effet  de  con- 
naître quelles  auraient  été  les  modifications  que  les 
autorités  locales  du  Manitoba  auraient  été  disposées  à 
proposer  aux  lois  scolaires  de  la  province  et  quel  arran- 
gement il  aurait  été  possible  de  faire  avec  le  gouverne- 
ment manitobain  dans  le  but  de  rendre  inutile  l'inter- 
vention du  Parlement  fédéral  en  la  matière.  Je  regrette 
de  dire  que  les  aviseurs  du  lieutenant-gouverneur  ont 
refusé  de  considérer  favorablement  les  suggestions  faites, 
mettant  par  là  mon  gouvernement  dans  la  nécessité  de 
poursuivre  la  politique  qu'il  a  énoncée  et  d'introduire 
une  législation  sur  ce  sujet." 


278  MÉLANGES 

NOUVELLE  CRISE  MINISTÉRIELLE  i 

7  janvier  1896. 

Le  cabinet  fédéral  est  coupé  en  deux. 

Sept  ministres  ont  démissionné. 

Sept  ministres  demeurent  à  leur  poste. 

Quelle  est  la  cause  certaine  de  cette  crise  qui  a 
éclaté  comme  une  bombe  dans  notre  monde  politique  ? 

Personne  ne  le  sait,  et  tout  le  monde  en  est  réduit 
aux  conjectures. 

Est-ce  sur  la  question  des  écoles,  que  la  sécession 
des  sept  ministres  s'est  produite  ? 

C'est  possible  ;  mai",  le  fait  que  sir  Charles-Hibbert 
Tupper,  avocat  reconnu  de  la  législation  réparatrice, 
est  l'un  des  démissionnaires,  déroute  un  peu  ceux  qui 
seraient  tentés  d'adopter  cette  version  de  la  crise. 

S'agit-il  simplement  d'un  mouvement  pour  remplacer 
sir  MacKenzie  Bowell  par  sir  Charles  Tupper  senior  ? 
C'est  encore  possible,  et  l'article  de  la  Gazette  de  Mont- 
réal, que  nous  publions  ailleurs,  est  dans  ce  sens. 

Dans  tous  les  cas,  le  parti  conservateur  n'a  pas  depuis 
longtemps  traversé  une  crise  comparable  à  celle-ci.  Au 
lendemain  de  l'ouverture  de  la  session,  lorsque  le  dis- 
cours du  trône  contenant  le  programme  du  gouverne- 
ment vient  à  peine  d'être  lu,  à  la  veille  du  débat  sur 


1  —  Le  5  janvier,  une  crise  ministérielle  de  la  plus  extrême 
gravité  éclata  soudain  à  Ottawa.  Sept  membres  du  ministère 
Bowell  donnèrent  leur  démission.  C'étaient  les  honorables 
MM.  Foster,  Sir  C.-Hibbert  Tupper,  Haggart,  Montague,  Ives, 
Dickey  et  Wood.  Il  s'ensuivit  un  imbroglio  politique  qui 
dura  près  de  dix  jours. 


MÉLANGES  279 

l'adresse,  la  moitié  des  ministres  se  retire  et  le  premier 
ministre  se  voit  acculé  à  une  démission  forcée,  ou  à  une 
tentative  de  réorganisation  ministérielle  presque  impos- 
sible dans  un  pareil  moment  ! 

Dans  l'ignorance  où  nous  sommes  de  la  cause  exacte 
de  la  crise,  il  est  difficile  de  faire  des  commentaires.  Si 
sir  MacKenzie  Bowell  est  abandonné  parce  qu'il  veut 
tenir  toute  sa  parole,  et  faire  respecter  loyalement  la 
constitution,  les  hommes  d'honneur  applaudiront  à  son 
attitude  courageuse.  S'il  ne  s'agit  que  d'un  changement 
de  leader,  nous  nous  bornerons  à  faire  observer  qu'il 
aurait  été  bien  facile  en  décembre  1894,  au  lendemain 
de  la  mort  de  sir  John  Thompson,  de  placer  sir  Charles 
Tupper  à  la  tête  du  parti  conservateur. 

Nous  avons  alors  hautement  réclamé  Sir  Charles 
comme  chef,  mais  nous  avons  prêché  dans  le  désert,  et 
les  visées  personnelles  de  plusieurs  des  démissionnaires 
d'aujourd'hui  ont  empêché  cette  combinaison  facile  et 
destinée  à  donner  une  nouvelle  vitalité  au  parti  con- 
servateur. 

On  essaierait  aujourd'hui,  dans  des  conditions  diffici- 
les, ce  qui  aurait  pu  si  bien  se  faire,  il  y  a  dix-huit 
mois  ! 

Ce  matin,  un  grand  caucus  conservateur  se  tient  à 
Ottawa.  Que  va-t-il  en  sortir  ?  La  paix  ou  la  guerre  ? 
L'harmonie  ou  la  discorde  ?  Nous  le  saurons  probable- 
ment cette  après-midi. 

Le  conseil  suprême  que  nous  avons  à  donner  à  nos 
amis  du  Parlement  fédéral,  c'est  de  mettre  les  questions 
de  principes  au-dessus  des  questions  de  personnes,  et 
de  conserver  intact,  quoi  qu'il  en  coûte,  l'honneur  du 
drapeau  conservateur. 


280  MÉLANGES 

11  janvier  1896. 
Toujours  le  statu  quo,  à  Ottawa, 

Sir  MacKenzie  Bowell  est  toujours  premier  ministre 
d'un  cabinet  où  il  y  a  sept  places  vides, 

La  journée  d'hier  nous  a  cependant  apporté  du  nou- 
veau. Nous  avons  appris  que  sir  MacKenzie  est  allé 
donner  sa  démission  au  gouverne ar-géuéral,  qui  n'a  pas 
voulu  l'accepter,  dans  les  conditions  où  se  trouvent  le 
Parlement  et  les  partis. 

Et,  en  face  de  cette  situation,  les  chambres  se  sont 
ajournées  à  mardi  prochain  :  cinq  jours  de  vacance  par- 
lementaire. 

Dans  l'intervalle,  le  premier  ministre,  en  conséquence 
du  refus  de  lord  Aberdeen  d'accepter  sa  démission,  va 
travailler  à  réorganiser  son  cabinet. 

S'il  réussit,  il  rencontrera  les  chambres  mardi,  et  sou- 
mettra sa  politique  au  vote  de  la  députatiou,  avec  la 
perspective  de  dissoudre  le  Parlement  en  cas  de  défaite. 

S'il  échoue,  lord  Aberdeen  ne  pourra  plus,  d'après 
nous,  refuser  sa  démission.  Et  alors,  qui  le  gouverneur- 
général  appellera- 1- il  ? 

Sera-ce  M,  Laurier  ?  Mais  M.  Laurier  n'a  pas  la 
majorité,  ne  possède  pas  la  confiance  du  Parlement,... 

Advenant  la  retraite  définitive  de  sir  Mackeuzie,  le 
gouverneur-général  serait  donc  absolument  justifiable  de 
ne  pas  l'appeler. 

Bien  des  gens  croient  qu'alors,  sir  Charles  Tupper 
serait  choisi  et  accepterait  la  tâche. 

D'ici  à  deux  ou  trois  jours,  nous  saurons  à  quoi  nous 
en  tenir  sur  tout  cela. 

Pour  notre  part  tout  ce  que  nous  demandons,  c'est 
que  le  programme  du  parti  conservateur  sur  la  question 
des  écoles  ne  fasse  pas  naufrage  au  milieu  de  la  crise. 


MÉLANGES  281 

15  janvier  1896. 

La  crise  est  virtuellement  terminée. 

Le  gouvernement  conservateur  et  le  parti  conserva- 
teur sortent  sains  et  saufs  de  la  tourmente  qui  a  paru 
sur  le  point  de  les  détruire. 

Le  ministère  Bowell  reste  debout,  avec  une  accession 
importante.  Sir  Charles  Tupper  entre  dans  le  cabinet, 
et  lui  apporte  une  foi  ce  immense.  Le  programme  du 
ministère,  tel  qu'exposé  dans  le  discours  du  Trône,  n'est 
pas  changé  d'un  iota,  et  sera  accepté  par  la  majorité 
conservatrice  plus  facilement  qu'avant  la  crise,  cela 
nous  paraît  évident. 

Donc,  à  tous  ces  points  de  vue,  la  situation  est  bonne, 
meilleure  même,  suivant  nous,  qu'il  y  a  quinze  jours. 

Par  contre  —  nous  ajoutons  cela  parce  que  nous 
tenons  à  présenter  les  choses  telles  qu'elles  sont,  et  à 
faire  avant  tout  du  journalisme  sérieux  —  par  contre, 
le  parti  conservateur  a  été  soumis  à  une  dure  épreuve. 
Des  paroles  ont  été  dites  qui  ont  dû  faire  de  cruelles 
blessures,  des  dissentiments  se  sont  manifestés  qui  ont 
nécessairement  créé  une  impression  fâcheuse.  L'acte 
des  sept  ministres  démissionnaires  a  été  généralement 
censuré  par  leurs  propres  amis,  et  six  d'entre  eux  ren- 
trent cependant  au  ministère  aujourd'hui. 

Mais  ce  ne  sont  là  que  les  petits  côtés  de  la  situa- 
tion. Les  difficultés  personnelles,  les  blessures  d'amour- 
propre,  les  ressentiments  et  les  antipathies  disparaissent 
devant  la  grandeur  des  intérêts  et  des  causes  qui  sont 
en  jeu.  Et  c'est  pour  cette  raison  que  nous  saluons 
avec  une  satisfaction  sincère  l'heureuse  issue  de  cette 
crise  politique  où  le  parti  conservateur  pouvait  sombrer, 
et  dont  il  sort  victorieux  par  un  prodige  de  vitalité 
inouï. 


282  MÉLANGES 

Maintenant  la  session  va  reprendre  son  cours,  et  nous 
espérons  que  le  programme  du  cabinet  sur  la  question 
des  écoles  va  subir  avec  succès  l'épreuve  parlemen- 
taire. 


LA  LOI   REPARATRICE 


Le  11  février  1896,  le  bill  réparateur  annoncé  dans  le  dis- 
cours du  Trône  fut  présenté  et  lu  une  première  fois.  Dans 
son  ensemble,  il  justifiait  son  titre  et  était  vraiment  répara- 
teur. Le  Courrier  du  Canada  en  appuya  l'adoption  de  toutes 
ses  forces. 

14  février  1896. 

Nous  contiaissons  maintenant  les  grandes  lignes  de 
la  loi  réparatrice.  Et  ce  qui  en  a  été  publié  peut  donner 
une  assez  bonne  idée  de  la  portée  de  cette  mesure. 

Qu'est-ce  que  nos  amis  du  Manitoba  demandaient  ? 

Ils  demandaient  la  restauration  de  leur  autonomie 
scolaire. 

En  quoi  consistait  cotte  autonomie  ? 

Avant  1890,  les  catholiques  du  Manitoba  avaient 
une  organisation  scolaire  séparée. 

Ils  avaient  leurs  écoles,  leurs  syndics,  leur  institu- 
teurs, leurs  livres,  leur  bureau  d'éducation  et  leur  sur- 
intendant. En  un  mot  ils  jouissaient  d'un  système 
complet  d'instruction  publique,  dirigé  suivant  leurs 
vues,  leurs  principes  religieux,  et  leur  conscience. 

De  plus  ils  n'avaient  pas  à  payer  de  taxes  munici- 
pales pour  les  fins  scolaires,  et  ils  avaient  droit  à  leur 
juste  part  des  subventions  de  la  province  pour  l'éduca- 
tion. 


MÉLANGES  283 

Eh  bieD,  le  texte  même  du  bill  ne  nous  est  pas 
encore  parvenu.  Nous  n'avons  sous  les  yeux  que  les 
extraits  qui  ont  été  livrés  à  la  presse.  Et  c'est  à  l'aide 
de  ces  extraits  que  nous  voulons  examiner  avec  nos 
lecteurs  si  les  droits  dont  jouissaient  nos  coreligion- 
naires leur  sont  rendus  par  la  législation  proposée. 

Avant  1890,  les  catholiques  du  Mauitoba  avaient 
leurs  écoles. 

La  loi  réparatrice  .pose  eu  principe  que  les  écoles 
séparées  seront  rétablies  dans  la  province  du  Manitoba, 
qu'il  y  aura  un  bureau  d'éducation  pour  ces  écoles,  que 
les  conseils  municipaux  (article  10  de  la  loi)  constitue- 
ront des  districts  scolaires  et  en  délimiteront  l'étendue 
et  le  territoire,  qu'à  leur  défaut  le  bureau  d'éducation 
agira  en  leur  lieu  et  place.  L'article  10  ajoute  : 

"  Pourvu  que  la  formation  ou  l'altération  des  dis- 
tricts scolaires  par  les  conseils  municipaux,  par  les  syn- 
dics ou  les  maires  de  municipalités  ou  l'inspecteur  local 
ou  les  inspecteurs  locaux  soient  en  conformité  avec  les 
règlements  qui  pourraient  être  faits  de  temps  à  autre 
par  le  bureau  d'éducation;  et  tous  les  règlements  et 
résolutions  proposés  pour  la  formation  ou  modification 
des  districts  scolaires  devront  être  soumis  au  bureau  et 
recevoir  sa  sanction  avant  d'être  mis  en  vigueur  ; 
pourvu  que,  aussi,  sur  le  refus  ou  la  négligence  de  la 
part  d'un  conseil,  des  maires  ou  des  conseillers,  et  sur 
le  refus  des  inspecteurs  municipaux  d'établir  certain 
district  scolaire  quand  ils  y  seront  invités  par  au  moins 
cinq  pères  de  famille  dans  tel  district  ;  ou  sur  un  appel 
contre  les  décisions  des  autorités  susdites  formant  un 
certain  district  scolaire,  le  bureau  aura  le  pouvoir  d'an- 
nuler ou  de  confirmer  telle  décision  ou  action  contre 


284  MÉLANGES 

lesquelles  on  en  aura  appelé,  puis  de  former  ou  de 
modifier  tel  district  scolaire  de  la  manière  qu'il  le  jugera 
convenable  dans  les  trois  mois  qui  suivront  la  réception 
de  telle  requête  ;  pourvu,  en  outre,  qu'aucun  district 
scolaire  ne  soit  organisé  en  vertu  de  l'acte,  à  moins 
qu'il  n'y  ait  au  minimum  dix  enfants  catholiques  en 
âge  de  fréquenter  les  écoles  et  résidant  dans  tel  district, 
et  demeurant  à  une  distance  de  pas  plus  de  trois  milles 
d'un  endroit  qui  pourrait  être  choisi  comme  site  d'une 
école.  " 

Donc,  la  loi  réparatrice  rend  aux  catholiques  du 
Manitoba  leurs  écoles.  Cet  article  est  la  reproduction 
littérale  de  l'article  11  du  bill  préparé  par  M.  Ewart 
lui-même  et  soumis  au  gouvernement  avec  sa  plai- 
doirie, l'année  dernière. 

Avant  1890,  les  catholiques  avaient  leur  syndics 
d'écoles,  La  loi  réparatrice  reproduit  presque  mot  à  mot 
les  clauses  16  et  17  du  bill  préparé  par  M.  Ewart,  rela- 
tives aux  assemblées  scolaires  et  à  l'élection  des  syndics. 

Donc,  la  loi  réparatrice  rend  aux  catholiques  leurs 
syndics. 

Avant  1890,  les  catholiques  du  Manitoba  avaient 
leurs  instituteurs.  La  loi  réparatrice,  par  sa  clause 
deuxième,  décrète  qu'il  sera  du  devoir  du  bureau  d'édu- 
cation : 

"  2"  De  pourvoir  à  l'examen  et  à  la  classification 
convenable  de  ses  instituteurs  et  retirer  la  licence,  pour 
raisons  valables,  pourvu  que  le  degré  de  qualification 
des  instituteurs  soit,  en  matières  profanes,  le  même  que 
celui  qui  sera,  en  aucun  temps,  exigé  des  instituteurs 
des  autres  écoles  d'un  caractère  public  établies  en  vertu 
des  lois  du  Manitoba  et  pourvu  de  plus  que  les  licences 


MÉLANGES  285 

émises  par  le  département  provincial  d'éducation  soient 
admises  par  le  bureau  d'éducation  des  écoles  séparées." 

Donc  la  loi  réparatrice  rend  aux  catholiques  du 
Manitoba  leurs  instituteurs. 

Avant  1890  les  catholiques  du  Manitoba  avaient  leur 
bureau  d'éducation.  La  clause  deuxième  de  la  loi  répa- 
ratrice dit  : 

"  Le  lieutenant-gouverneur  en  conseil  de  la  province 
du  Manitoba,  devra  nommer  pour  former  et  constituer 
le  bureau  de  l'éducation  des  écoles  séparées  un  certain 
nombre  de  personnes,  ne  dépassant  pas  neuf  et  qui 
seront  toutes  catholiques. 

"  Si  le  lieutenant-gouverneur  en  conseil,  dans  hs 
trois  mois  qui  suivront  la  mise  en  vigueur  de  la  pré- 
sente loi,  ne  fait  pas  la  nomination  d'un  bureau  des 
écoles  séparées,  ou  si  le  lieutenant-gouverneur  en  con- 
seil ne  remplit  pas  une  vacance  qui  pourrait  se  pro- 
duire, pour  une  raison  quelconque,  dans  le  bureau  des 
écoles  séparées,  dans  les  trois  mois  qui  suivront  cette 
vacance,  alors  le  gouverneur  en  conseil  pourra  faire  les 
nominations  que  le  lieutenant-gouverneur  n'aura  pas 
faites." 

Donc  la  loi  réparatrice  rend  aux  catholiques  du 
Manitoba  leur  Bureau  d'éducation. 

Avant  1890,  les  catholiques  du  Manitoba  avaient 
leur  surintendant. 

La  loi  réparatrice  dit  : 

"  7.  Le  lieutenant-gouverneur  en  conseil  nommera 
un  des  membres  du  bureau  des  écoles  séparées  pour 
être  surintendant  des  écoles,  et  le  surintendant  sera 
secrétaire  du  bureau.    S'il  n'est  pas  fait  de  nomination, 


286  MÉLANGES 

le  bureau  choisira  un  de  ses  membres  pour  être  surin- 
tendant." 

Avant  1890,  les  catholiques  du  Manitoba  avaient 
leurs  livres.  La  loi  réparatrice  donne  au  bureau  d'éduca- 
tion catholique  le  pouvoir  : 

"  De  choisir  tous  les  livres,  cartes  et  sphères  qui 
seront  mis  en  usage  dans  les  éoles  sous  son  contrôle, 
pourvu  toujours  que  ces  livres,  cartes  ou  sphères  aient 
été  autoiisés  soit  dans  les  "  high  schools  "  ou  dans  les 
écoles  publiques  de  la  province  du  Manitoba,  soit  dans 
les  écoles  séparées  de  la  province  d'Ontario." 

Il  y  a  là  une  certaine  restriction  discutable,  ^  mais 
cette  clause  n'en  rend  pas  moins  aux  catholiques  du 
Manitoba  le  choix  de  livres  conformes  à  leurs  convic- 
tions religieuses. 

Avant  1890  les  catholiques  du  Manitoba  n'avaient 
pas  à  payer  de  taxes  pour  les  écoles  publiques  où  leur 
religion  leur  défendait  d'envoyer  leurs  enfants.  La  loi 
réparatrice  contient  l'article  suivant  : 

"  28.  Les  contribuables  catholiques  d'un  district 
scolaire,  y  compris  les  sociétés  religieuses,  de  secours  ou 
d'éducatiou,  devront  être  taxés  pour  le  soutien  des  écoles 
séparées  du  district. 

"  (a).  Aucun  catholique  taxé  loour  le  soutien  d'une 
école  séparée  ne  pourra  être  forcé  de  contribuer  à 
V érection  ou  au  maintien  d'une  autre  école,  ni  par 
une  loi  provinciale  ou  autrement;  de  même  aucune 
propriété  déjà  chargée  de  cette  taxe,  ne  sera  sujette  à 
l'impôt  scolaire." 


1  —  Cette  clause  fut  amendée  de  manière  à  permettre  au 
bureau  de  choisir  les  livres  parmi  ceux  qui  étaient  en  usage 
dans  les  écoles  publiques  ou  séparées  de  n'importe  quelle 
province. 


MÉLANGES  287 

Donc  la  loi  réparatrice  rend  aux  catholiques  du  Mani- 
toba  l'exemption  de  la  taxe  pour  les  écoles  publiques, 
exemption  dont  ils  jouissaient  avant  1890. 

Avant  1890  les  catholiques  du  Manitoba  avaient 
droit  à  leur  juste  part  de  taxes  municipales  pour  les 
fins  scolaires.  La  loi  réparatrice  renferme  une  clause 
dont  voici  les  dispositions  : 

"  L'article  23  enjoint  aux  municipalités  de  percevoir 
les  taxes  scolaires  pour  le  compte  des  écoles  séparées  et 
d'en  remettre  le  montant  aux  syndics  de  ces  écoles.  Si 
une  municipalité  refuse  ou  néglige  de  faire  cette  per- 
ception, le  bureau  des  écoles  séparées  aura  droit  de  le 
faire  à  sa  place." 

Donc  la  loi  réparatrice  remet  les  catholiques  du  Mani- 
toba sur  le  même  pied  qu'avant  1890  quant  aux  taxes 
municipales. 

Enfin,  avant  1890  les  catholiques  du  Manitoba 
avaient  droit  à  leur  juste  part  des  subventions  de  la 
province  pour  l'éducation.  La  loi  réparatrice  contient  à 
ce  sujet  la  clause  suivante  : 

"  74 — Le  droit  d'obtenir  leur  part  proportionnelle  des 
fonds  publics  accordés  pour  la  diffusion  de  l'enseigne- 
ment ayant  été  décidé  et  étant  maintenant  l'un  des 
droits  et  privilèges  de  la  minorité  catholique  des  sujets 
de  Sa  Majesté  dans  la  province  du  Manitoba,  toute 
somme  accordée  par  la  législature  du  Manitoba  et  des- 
tinées aux  écoles  séparées,  devi'a  être  mise  au  crédit  du 
bureau  de  l'auditeur." 

Ici,  il  est  clair  que  le  pouvoir  fédéral  n'intervient  pas 
directement.  Cette  clause  prcclame  le  droit  des  catholi- 
ques à  leur  part  de  subventions  publiques,  elle  ne  décrète 
pas  qu'ils  toucheront  cette  part,  pour  la  bonne  raison  que 


288  MÉLANGES 

le  gouvernement  et  le  parlement  fédéral  sont  impuis- 
sants à  disposer  des  deniers  d'une  province.  Si  le  gou- 
vernement du  Manitoba  ne  veut  pas  payer  la  subven- 
tion à  laquelle  les  catholiques  ont  un  droit  légal,  le  par- 
lement fédéral  n'a  certainement  pas  le  pouvoir  consti- 
tutionnel de  forcer  les  provinces  à  payer  cette  subven- 
tion. 

11  y  a  là  une  difficulté  pratique  qui  ne  peut  être  sur- 
montée directement  mais  qui  pourra  l'être  probable- 
ment par  un  moyen  indirect.  La  discussion  de  la  loi 
et  les  renseignements  qui  nous  manquent  encore  nous 
apprendront  sans  doute  ce  qu'il  faut  en  penser. 

Evidemment  ce  sont  les  catholiques  du  Manitoba 
qui  sont  les  plus  intéressés.  Mgr  Langevin,  M.  Ewart 
ont  revendiqué  les  droits  de  la  minorité.  Nous  ignorons 
encore  leur  sentiment.  Pour  nous,  nous  avons  traduit 
l'impression  que  nous  avons  reçue  du  texte  encore 
incomplet  et  publié  par  les  journaux. 


OTTAWA  ET  WINNIPEG 

26  février  1896. 

JJ Electeur  d'hier  publie  un  long  article  pour  établir 
que  le  gouvernement  fédéral  a  mal  agi  envers  le  gou- 
vernement Greenway,  a  manqué  d'égards  et  de  diplo- 
matie dans  sa  manière  de  traiter  avec  lui  la  question 
scolaire,  eu  un  mot  a  fait  preuve,  dans  ses  relations 
avec  l'administration  manitobaine,  d'une  arrogance, 
d'une  précipitation  et  d'un  esprit  d'empiétement  vrai- 
ment intolérables. 


MÉLANGES  289 

C'est  bien  là  la  thèse  libérale,  la  thèse  de  M.  Laurier 
et  de  toute  sa  presse  :  Le  gouvernement  fédéral  s'est 
montré  trop  impératif  envers  le  gouvernement  mani- 
tobain  et  l'a  pris  à  la  gorge. 

Eh  bien,  nous  allons  voir,  à  la  lumière  des  faits,  si 
cette  thèse  est  soutenable. 

La  loi  scélérate  de  M.  Greenway  a  été  sanctionnée 
le  31  mars  1890. 

Le  gouvernement  fédéral  avait  un  an  pour  la  désa- 
vouer. Il  laissa  écouler  cette  année  sans  appliquer  le 
veto  à  la  législation  qui  blessait  si  gravement  les  droits 
de  la  minorité  catholique.  Nos  libéraux  disent  aujour- 
d'hui que  le  cabiuet  fédéral  eût  dû  désavouer.  Mais 
eux  qui  crient  tant  à  la  coercition  en  ce  moment,  ne 
croient-ils  pas  que  le  veto  eût  été  pour  le  moins  aussi 
coercitif  que  le  remédiai  act  î  La  minorité  catholique 
du  Manitoba  redoutait  le  désaveu  et  ne  demanda  pas 
au  gouvernement  d'employer  ce  moyen. 

On  intenta  des  procédures  pour  faire  déclarer  la  loi 
inconstitutionnelle.  Et  le  gouvernement  fédéral  atten- 
dit l'issue  des  procès. 

Jusque-là,  peut-on  dire  qii'il  prenait  le  gouverne- 
ment du  Manitoba  à  la  gorge  ? 

De  juridiction  en  juridiction  la  cause  se  rendit  au 
Conseil  Privé  qui  déclara  la  loi  Greenway  constitution- 
nelle, par  un  jugement  prononcé  le  30  juillet  1892. 

La  minorité  catholique  demanda  alors  au  gouverneur 
général  en  conseil  de  recevoir  son  appel  conformément 
à  la  section  deuxième  de  la  clause  22  de  l'Acte  du 
Manitoba.  Le  gouvernement  fédéral  se  hâta-t-il  d'agir  ? 
Non  ;  il  résolut  d'obtenir  au  préalable  une  décision  de 
la  Cour  Suprême  sur  la  question  de  savoir  si  le  gouver- 
19 


290  MÉLANGES 

neiir  général  en  conseil  pouvait  recevoir  l'appel,  après 
le  jugement  du  Conseil  Privé. 

Le  cabinet  d'Ottawa  demanda  au  gouvernement  de 
Winnipeg  de  se  faire  représenter  par  un  avocat.  Le 
cabinet  Greenway  refusa  de  se  faire  représenter  devant 
le  Conseil  privé  à  Ottawa,  et  refusa  de  plaider  devant 
la  Cour  Suprême. 

Au  milieu  de  toutes  ces  procédures,  le  gouvernement 
fédéral  montrait-il  une  hâte  indue  d'intervenir  dans  les 
affaires  du  Manitoba  ? 

La  Cour  Suprême  décida  que  la  minorité  n'avait  pas 
droit  d'appel,  par  un  jugement  prononcé  le  20  février 
1894. 

Au  mois  de  mai  de  la  même  année,  les  évêques  du 
Canada  adressèrent  au  gouvernement  fédéral  une  nou- 
velle pétition  lui  demandant  de  redresser  les  griefs  des 
catholiques. 
/  Ici,  nous  prions  nos  lecteurs  de  remarquer  l'attitude 
prise  par  le  cabinet  d'Ottawa. 

Que  fit-il  ?  Par  un  ordre  en  conseil  daté  du  26  juil- 
let 1894,  il  adressa  au  gouvernement  de  Winnipeg  un 
chaleureux  appel.  Il  lui  communiqua  le  mémoire  ou  la 
pétition  des  évêques,  qui  constituait  un  éloquent  plai- 
doyer en  faveur  de  la  minorité.  L'ordre  en  conseil  du 
26  juillet  se  terminait  par  les  lignes  suivantes  : 

"  Le  comité  désire  faire  remarquer  à  Votre  Excel- 
lence que  les  déclarations  contenues  dans  ce  mémoire 
sont  des  questions  d'une  grande  portée  et  d'une  grande 
influence  sur  les  intérêts  du  Dominion  en  général.  Il 
est  de  la  lolus  haute  importance  pour  le  peuple  du 
Canada  que  les  lois  qui  régissent  le  Dominion  ne 
soient  pas  telles  qu'elles  donnent  lieu  à  des  ]jlaintes 


MÉLANGES  291 

d'oppression  et  d'injustice  de  la  part  d'une  cause  ou 
d'une  partie  de  la  population  ;  mais  elles  devraient 
être  reconnues  comme  établissant  une  liberté  et  une 
égalité  parfaites,  surtout  dans  les  matières  concernant 
la  religion  et  les  croyances  et  pratiques  religieuses,  et 
le  comité  recommande  humblement,  en  conséquence,  à 
Votre  Excellence  de  s'unir  à  lui  pour  exprimer  le 
plus  vif  espoir  que  la  législature  duu  M anitoba  pren- 
dra en  considération,  à  la  plus  prochaine  date  pos- 
sible les  plaintes  formulées." 

Etait-ce  là  prendre  le  Manitoba  à  la  gorge  ?  Au  con- 
traire, ce  document  si  modéré,  si  mesuré  de  ton,  était 
une  porte  ouverte  à  la  conciliation.  C'était  un  appel 
patriotique  aux  autorités  provinciales,  par  lequel  on 
leur  demandait  de  remédier  elles-mêmes,  dans  la  pléni- 
tude de  leur  autonomie,  à  toute  plainte  bien  fondée,  et 
à  tout  grief  bien  constaté. 

Certes,  on  ne  prétendra  pas  qu'il  y  avait  là  l'ombre 
d'une  tentative  de  coercition. 

Le  gouvernement  fédéral,  dans  ce  document,  faisait 
exactement  ce  que  M.  Laurier  et  sa  presse  lui  reprochent 
de  ne  pas  avoir  fait.  Il  essayait  d'amener  le  gouverne- 
ment Greenway  à  entrer  dans  la  voie  de  la  conciliation. 

Eh  bien,  comment  ce  gouvernement  accueillit-il  la 
démarche  du  cabinet  d'Ottawa  ?  Il  l'accueillit  par 
une  fin  de  nou-recevoir  catégorique,  par  un  refus 
péremptoire.  Le  20  octobre  1894,  il  adopta  un  arrêté 
en  conseil  pour  répondre  à  l'appel  du  ministère  fédéral. 
Et  cet  arrêté  contenait  les  lignes  suivantes  sur  les- 
quelles nous  ne  saurions  trop  appeler  l'attention  de 
nos  lecteurs  : 

*'  Les   questions   qu'on   soulève    dans  le  rapport  à 


292  MÈLAKGES 

l'étude  ont  été  le  sujet  de  discussions  sans  fin  à  la 
législature  du  Manitoba,  pendant  les  quatre  dernières 
années.  Toutes  les  déclarations  faites  dans  le  mémoire 
adressé  au  gouverneur  général  en  conseil  et  bien  d'au- 
tres ont  été  souvent  faites  à  la  législature  et  discutées 
par  elle.... 

"  Après  une  harassante  contestation  judiciaire,  le 
plus  haut  tribunal  de  l'empire  a  décidé  que  la  législa- 
ture, en  adoptant  la  loi  de  1890,  était  dans  les  limites 
de  ses  pouvoirs  constitutionnels,  et  que  le  sujet  de 
l'éducation  appartient  à  la  législature.  Etant  données 
les  circonstances,  l'exécutif  de  cette  province  ne  voit 
aucune  raison  de  demander  à  la  législature  d'altérer 
les  principes  de  la  loi  dont  on  se  plaint.  Il  a  et 
clairement  établi  qu'il  n'y  a  pas  de  griefs  à  moins 
que  le  refus  de  subventionner  des  religions  particu- 
lières à  même  les  fonds  publics  ne  soit  un  grief.  La 
Législature  peut  difficilement  être  tenue  responsable  du 
fait  que  son  refus  de  violer  un  principe  de  gouverne- 
ment juste  et  rationnel,  crée,  comme  le  dit  le  rapport, 
un  sentiment  de  mécontentement  parmi  les  catholi- 
q.ues." 

Ainsi,  à  l'appel  plein  de  modération  du  gouverne- 
ment fédéral  en  faveur  d'une  politique  de  conciliation, 
le  gouvernement  Greenway  répondait  péremptoire- 
ment :  "  Toute  cette  question  a  été  débattue  à  fond  par 
notre  législature  depuis  quatre  ans;  les  catholiques 
n'ont  pas  de  griefs,  et  nous  ne  changerons  rien  à  notre 
loi." 

Nous  demandons  aux  gens  impartiaux  :  De  quel  côté 
étaient  les  bons  procédés,  la  modération  et  la  concilia- 
tion ? 


MÉLANGES  293 

Le  20  janvier  1895,  le  Conseil  Privé  impérial  rendit 
jugement  sur  la  question  du  droit  d'appel,  renversa  la 
décision  de  la  Cour  Suprême,  et  proclama  que  les  catho- 
liques avaient  de  justes  griefs.  La  minorité  demanda 
immédiatement  au  gouverneur  général  en  conseil  d'en- 
tendre son  appel.  Mais  avant  que  cet  appel  pût  être 
entendu,  la  législature  du  Manitoba  ouvrit  sa  session, 
le  14  février  1895,  (L'appel  des  catholiques  ne  com- 
mença à  être  plaidé  devant  le  Conseil  Privé  d'Ottawa 
que  le  4  mars  suivant). 

Le  gouvernement  manitobain  connaissait  alors  le 
jugement  du  Conseil  Privé,  prononcé  le  20  janvier;  il 
savait  que  les  droits  des  catholiques  avaient  été  recon- 
nus ;  il  avait,  en  outre,  par  devers  lui,  l'appel  à  la  con- 
ciliation que  lui  avait  adressé  le  gouvernement  fédéral 
le  26  juillet  précédent.  Quelle  belle  occasion  pour 
proclamer,  dans  le  discours  du  Trône,  que,  s'inclinant 
devant  la  décision  du  plus  haut  tribunal  de  l'empire, 
on  allait  généreusement  essayer  de  remédier  aux  griefs 
de  la  minorité  ! 

Non,  n'attendez  pas  cela  du  gouvernement  Greenway. 
Le  discours  du  Trône  parle  du  jugement  du  Conseil 
Privé  ;  mais  c'est  pour  dire  qu'il  ne  sera  pas  mis  à  eftet 
par  la  province.    Nous  citons  : 

"  Par  un  jugement  rendu  récemment  par  le  comité 
judiciaire  du  Conseil  Privé  sur  appel  d'une  décision  de 
la  Cour  Suprême,  il  a  été  déclaré  que  les  catholiques 
ont  droit  d'appel  devant  le  gouverneur  général  en  Con- 
seil et  que  celui-ci  a  le  pouvoir  de  faire  une  loi  remé- 
diatrice. Mon  gouvernement  ne  sait  pas  encore  si  le 
gouverneur  général  lui  demandera  de  modifier  la  loi 
scolaire  de  1890  ou  s'il  proposera  une  loi  réparatrice. 


294  MÉLANGES 

"  Dans  tous  les  cas  ce  n'est  'pas  l'intention  de  mon 
gouvernement  de  revenir  sur  la  détermination  bien 
arrêtée  qu'il  a  prise  de  maintenir  le  système  actuel 
des  écoles  publiques  qui  deviendra  bientôt  universel 
dans  la  province  si  on  le  laisse  fonctionner  comme  il 
fonctionne." 

Les  ministres  manitobains  mettaient  ce  discours  du 
Trône  dans  la  bouche  du  lieutenant-gouverneur  le  14 
février  1895.  Le  remédiai  order  ne  devait  être  adopté 
que  le  21  mars  suivant.  Par  conséquent  le  gouverne- 
ment fédéral  n'avait  en  aucune  manière  manifesté  son 
intention  d'intervenir.  Mais  M.  Greenway  courait  au 
devant  des  coups  et  s'écriait  :  j'ignore  ce  que  les  gens 
d'Ottawa  vont  faire,  mais  qu'ils  fassent  ce  qu'ils  vou- 
dront, je  les  avertis  que  nous  ne  changerons  pas  notre 
loi. 

De  quel  côté  étaient  l'arrogance  et  le  défi  ? 

Ce  n'est  pas  tout.  Un  député  libéral,  M.  Fisher,  pro- 
posa, dans  la  législature,  une  motion  où  il  était  dit 
qu'étant  donné  le  jugement  du  Conseil  Privé,  et  dans 
l'intérêt  de  l'autonomie  provinciale,  la  législature  était 
prête  "  à  considérer  les  griefs,  en  vue  d'accorder  un 
redressement  raisonnable,  tout  en  maintenant  autant 
que  possible,  les  principes  du  présent  acte."  Le  gouver- 
nement Greenway  fit  repousser  par  sa  majorité  cette 
nouvelle  proposition  de  conciliation!...  Pas  de  conces- 
sions, tel  était  son  mot  d'ordre. 

Le  pouvoir  provincial  prenant  une  pareille  attitude,  il 
ne  restait  plus  au  gouvernement  fédéral  qu'à  entendre 
l'appel  de  la  minorité  catholique.  Cet  appel  fut  entendu 
les  4,  5  et  6  mars.  Le  21  mars  le  remédiai  order  fut 
adopté.     On  dit  que  son  langage  était  trop  autoritaire. 


MÉLANGES  295 

Non  ;  ce  document  ne  pouvait  être  rédigé  autrement. 
Il  devait  suivre  autant  que  possible  les  lignes  tracées 
par  le  jugement  du  Conseil  Privé,  et  ne  pouvait  revêtir 
une  autre  forme  que  celle  d'un  arrêté  judiciaire.  Mais 
on  ne  doit  pas  oublier  qu'un  ordre  en  conseil  accompa- 
gnait l'arrêté  réparateur.  Et,  dans  cet  ordre  en  conseil, 
le  respect  de  l'autonomie  provinciale  était  hautement 
manifesté  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  lisant  le 
passage  suivant  : 

"  Le  comité  émet  donc  l'avis  que  la  législature  pro- 
vinciale soit  priée  de  considérer  s'il  lui  serait  permis  de 
prendre,  sur  la  décision  de  Votre  Excellence  en  conseil, 
une  résolution  qui,  en  refusant  de  redresser  un  grief 
dont  la  plus  haute  cour  de  l'empire  a  reconnu  l'exis- 
tence, obligerait  le  Parlement  à  accorder  une  répara- 
tion dont 'par  la  constitutiort,  la  législature  provin- 
ciale doit  être  proprement  l'initiatrice  et  V auteur  ; 
et  de  se  déposséder  ainsi  permanemment  dans  une  très 
grande  mesure  de  son  autorité  en  laissant  établir  dans 
la  province  un  système  d'instruction  publique  qui,  quels 
que  fussent  les  changements  dans  la  situation  future 
et  les  vues  de  la  population,  ne  pourrait  plus  être 
modifié  ni  révoqué  par  aucun  corps  législatif  eu  Canada." 

Il  y  avait  dans  ses  lignes  un  nouvel  appel  à  la  conci- 
liation. On  conjurait  presque  les  autorités  provinciales 
d'agir  elles-mêmes,  et  d'éviter  au  pouvoir  fédéral  la 
pénible  nécessité  d'intervenir. 

Quelle  fut  la  réponse  du  Manitoba  ?  Encore  un  refus 
péremptoire  : 

"  Nous  sommes  contraints  de  déclarer  respectueuse- 
ment à  votre  Excellence  en  conseil  que  nous  ne  pou- 
vons pas  accepter  la  responsabilité  de  mettre  à  exécution 


296  MÉLANGES 

les  ordonnances  contenues  dans  le  remédiai  order. 
Nous  nous  objectons  i^ar  principe  à  toute  modifica- 
tion dans  nos  statuts  relatifs  à  l'instruction  publique 
qui  p)ourraient  amener  V établissement  d'un  ou  de 
plusieurs  systèmes  d'écoles. 

"  Il  est  évident  que  l'établissement  d'un  système 
d'écoles  catholiques  avec  un  système  d'écoles  protes- 
tantes déciderait  probablement  les  mennonites  et  autres 
dénominations  religieuses  à  demander  un  système  d'éco- 
les à  elles  propres.  Cela  aurait  nécessairement  comme 
résultat  de  nuire  à  l'efficacité  de  l'enseignement  tel  qu'il 
est  établi  depuis  1S98,  et  nous  ne  pouvons  pas  nous 
soumettre  à  l'établissement  d'un  pareil  état  de  choses." 

C'était  là  un  refus  formel  et  catégorique  de  rétablir 
les  écoles  séparées. 

Cependant,  le  gouvernement  fédéral  voulut  encore 
tenter  un  effort.  Au  lieu  de  présenter  sa  loi  réparatrice 
à  la  session  de  l'été  dernier,  il  courut  le  risque  d'une 
crise  formidable,  pour  donner  une  dernière  chance  aux 
autorités  provinciales.  Il  demanda  aux  représentants  de 
la  minorité  d'attendre  six  mois  encore  ;  il  prorogea  le 
Parlement  sans  proposer  sa  législation  scolaire,  et  il 
adressa  au  gouvernement  Greenway  l'ordre  en  conseil 
du  27  juillet  dernier,  dans  lequel  il  poussait  l'esprit  de 
conciliation  jusqu'aux  extrêmes  limites. 

Le  gouvernement  manitobain  persista  dans  son  atti- 
tude de  défi  et  d'obstination.  Sans  doute,  dans  ses  deux 
dernières  réponses,  il  prononçait  le  mot  d'enquête,  mais 
en  faisant  bien  entendre  que  jamais  il  ne  rétablirait  les 
écoles  séparées. 

Ce  n'est  qu'après  tout  cela,  après  toutes  ces  vaines 
tentatives,  après  toutes   ces   démarches  infructueuses, 


MÉLANGES  297 

après  tous  ces  rameaux  d'olivier  tendus  au  gouverne- 
ment Greenway,  après  tous  ces  essais  de  conciliation 
suivis  de  toutes  ces  rebuffades,  que  le  ministère  fédéral 
s'est  décidé  à  agir. 

Il  a  rédigé  sou  bill  réparateur,  il  l'a  soumis  au  Parle- 
ment   Et  il  se  trouve   des  gens  pour  prétendre  que 

le  cabinet  d'Ottawa  a  pris  Manitoba  à  la  gorge  !  !  ! 

Et  il  se  trouve  des  discoureurs  pour  aller  crier  à 
Toronto  :  pas  de  coercition  ! 

Et  il  se  trouve  des  Electeurs  pour  répéter  ce  cri  et 
pour  accuser  le  gouvernement  fédéral  de  précipitation, 
d'arrogance,  de  manque  d'égards  envers  le  gouverne- 
ment manitobain  !  ! 

Franchement,  c'est  à  dégoûter  incurablement  de  la 
discussion  publique  avec  de  tels  adversaires. 


LA  TRAHISON  DE  M.  LAURIER 


4  mars  1896. 
La  trahison  est  consommée  ! 

M.  Laurier  a  commis  la  suprême  infamie  que  fai- 
saient prévoir  son  attitude  oblique  et  ses  déclarations 
tortueuses  depuis  un  an. 

Sur  la  motion  de  sir  Charles  Tdpper  pour  la  deu- 
xième lecture  du  remédiai  act,  M.  Laurier  a  proposé  le 
renvoi  à  six  mois,  le  six  months  hoist,  c'est-à-dire  la 
mort  ignominieuse  et  l'enterrement  honteux  ! 

Oui,  ce  Canadien- Français  et  ce  catholique  a  trouvé 
cela  dans  son  cœur  et  dans  sa  conscience  ! 


298  MÉLANGES 

Voici  un  bill  qui  restitue  aux  catholiques  manitobains 
leur  autonomie  scolaire,  qui  propose  au  parlement  fédé- 
ral l'affirmation  du  grand  principe  des  écoles  séparées, 
qui  répare  les  injustices  commises  par  un  gouvernement 
persécuteur,  qui  rend  à  nos  frères  de  là-bas  leurs  droits 
et  leurs  franchises  violés. 

Et  M.  Laurier,  ce  grand  patriote  propose  purement 
et  simplement  de  tuer  ce  bill  en  deuxième  lecture, 
comme  un  de  ces  projets  de  loi  ridicules  ou  odieux  con- 
tre lesquels  se  coalisent  parfois  les  répulsions  et  les 
sifflets  des  deux  côtés  de  la  chambre. 

Si  quelqu'un  eut  prédit  cela  il  y  a  un  an,  il  eût  été 
traité  de  menteur  et  de  calomniateur  par  toute  la  presse 
libérale. 

Si  quelqu'un  eut  dit,  il  y  a  dix-huit  mois  :  Le  gou- 
vernement va  proposer  un  bill  pour  rétablir  les  écoles 
séparées  au  Manitoba,  et  M.  Laurier  va  proposer  bruta- 
lement le  six  months  hoist,  une. clameur  d'indignation 
serait  sortie  de  toutes  tes  poitrines  libérales  contre  l'au- 
dacieux détracteur  du  chef  de  l'opposition. 

Eh  bien,  ce  qui  aurait  paru  alors  un  acte  impossible 
à  concevoir,  un  acte  dont  la  seule  supposition  aurait  été 
une  insulte,  M.  Wilfrid  Laurier,  député  de  Québec-Est 
et  chef  de  l'opposition  l'a  froidement  commis  hier  soir. 

Il  a  demandé  à  la  chambre,  non  pas  d'étudier  le  bill, 
de  considérer  s'il  ne  serait  pas  possible  de  l'améliorer  ; 
il  a  demandé  à  la  chambre  de  le  tuer. 

Cette  attitude  est  celle  d'un  traître. 

Nous  la  dénonçons  à  tous  les  hommes  de  cœur,  à 
tous  les  esprits  honnêtes,  à  tous  les  vrais  patriotes. 

Une  longue  salve  d'applaudissements  enthousiastes 
va  accueillir  la  trahison  de  M.  Laurier  dans  tous  les  cen- 


MÉLANGES  299 

très  fanatiques  d'Ontario.  Mais  en  revanche  ici,  à  plus 
d'un  foyer  libéral,  il  y  aura  de  l'amertume  au  cœur  et 
de  la  honte  au  front. 

Pourtant  M.  Laurier  avait  un  beau  rôle,  un  grand 
rôle  historique  à  jouer.  Il  pouvait  marcher  sur  les  tra- 
ces de  ces  illustres  hommes  d'Etat  anglais  Peel,  Welling- 
ton, Grey,  Brougham,  Gladstone,  qui,  eu  mainte  occa- 
sion, surent  s'élever  au-dessus  des  mesquines  considéra- 
tions de  parti,  et  tendre  la  main  à  des  adversaires  pour 
régler  quelqu'une  de  ces  questions  brûlantes  dont  l'agita- 
tion prolongée  devient  un  péril  national.  Il  aurait  pu,  de 
concert  avec  sir  McKenzie  Bowell,  attacher  son  nom  à 
la  solution  pacifique  de  la  question  scolaire  du  Manitoba. 

Il  ne  l'a  pas  voulu. 

Il  a  préféré,  pour  flatter  les  préjugés  des  sectaires,  tra- 
hir la  cause  de  la  minorité,  trahir  la  cause  de  la  consti- 
tution, servir  les  haines  de  McCarthy  et  de  Wallace, 
mépriser  les  conseils  et  les  vœux  de  l'épiscopat,  se  ran- 
ger du  côté  des  persécuteurs  pour  leur  permettre  de  con- 
tinuer à  écraser  les  persécutés. 

C'est  bien.  Qu'il  aille  jusqu'au  bout  dans  cette  voie. 
Il  n'aura  pas  même  le  salaire  de  sa  défection. 

Il  veut  tuer  le  bill  réparateur. 

C'est  le  bill  réparateur  qui  va  le  tuer. 

Et,  dans  la  défaite  écrasante  qui  l'attend,  il  lui  man- 
quera la  chevaleresque  consolation  de  François  1er,  et 
il  ne  pourra  répéter  le  mot  célèbre  du  vaincu  de  Pavie 
qu'avec  cette  variante  : 

"  Tout  est  perdu,  même  l'honneur  "  !  ^ 


1 Au  lieu  d'être  écrasé,  comme  nous  avions  alors  raison 

de  le  croire,  M.  Laurier  a  triomphé,  et,  sa  carrière  depuis 
cette  date  n'a  été  qu'une  longue  série  de  succès  et  de   vie- 


300  MÉLANGES 

QUI  FAUT-IL  CROIRE  ? 

18  mars  1896. 

Il  nous  semble  que,  dans  tout  le  débat  relatif  à  la 
question  scolaire,  il  y  a  certaines  considérations  de  sim- 
ple bon  sens  et  de  commune  raisoa  qui  devraient 
frapper  tous  les  gens  à  esprit  droit. 

Voyons  un  peu  ?  Que  les  honnêtes  lecteurs,  à  quelque 
parti  qu'ils  appartiennent,  sous  les  yeux  de  qui  tombe- 
ront ces  ligues,  fassent  abstraction  pour  un  instant  de 
leurs  opinions  politiques,  de  leurs  préférences,  de  leurs 
sympathies  ou  de  leurs  antipathies,  et  qu'ils  raisonnent 
comme  raisonneraient  des  jurés  qui  auraient  fait  serment 
d'apprécier  les  témoignages  avec  un  esprit  libre  de  tout 
préjugé. 

Le  point  à  décider  est  celui-ci  :  La  loi  réparatrice  est- 
elle  bonne,  est-elle  acceptable,  est-elle  efficace,  est-elle 
satisfaisante  pour  la  minorité  catholique  du  Manitoba  ? 

A  cette  question,  les  uns  répondent  oui,  les  autres 
répondent  non. 

Pour  juger  la  valeur  de  ces  deux  opinions  contradic- 
toires, il  faut  examiner  quelles  sont  les  personnes  qui 
les  manifestent,  et  quels  sont  les  motifs  qui  les  animent. 

toires.  Mais  le  démenti  que  nous  ont  donné  les  événements 
ne  nous  empêche  pas  de  reproduire  cet  article,  qui  était  l'ex- 
pression d'une  conviction  ardente  et  sincère. 

M.  Laurier  a  sacrifié  la  cause  des  écoles  séparées  du  Mani- 
toba ;  et  il  est  monté  au  Capitole.  Mais  l'tieureuse  fortune 
qui  semble  s'être  attachée  à  ses  pas  ne  change  rien  à  l'énor- 
mité  de  la  faute  commise  par  lui  au  mois  de  mars  1896.  Le 
succès  qui  couronne  un  acte  ne  saurait  jamais  être  la  mesure 
de  sa  moralité. 


MÉLANGES  301 

Ceux  qui  disent  que  la  loi  n'est  pas  acceptable  sont 
MM.  Laurier,  Tarte,  Langelier,  Geoffrion,  Choquette, 
etc.,  etc. 

Sont-ils  impartiaux,  sont-ils  désintéressés,  sont-ils 
sans  préjugés  ? 

La  réponse  est  facile.  Ils  ne  sont  ni  impartiaux,  ni 
désintéressés,  ni  à  l'abri  des  préjugés.  Ils  sont  les  enne- 
mis du  gouvernement  qui  présente  la  loi,  voués  à  la 
critique  de  tout  ce  que  fait  ce  gouvernement,  intéressés 
à  ce  que  ce  gouvernement  succombe  à  la  tâche,  espé- 
rant retirer  de  la  chute  du  gouvernement,  celui-ci  le 
titre  et  le  rang  suprême  de  premier-ministre,  celui-là 
un  portefeuille,  cet  autre  une  place  de  juge,  et  ainsi  de 
suite,  c'est-à-dire  que  tous  attendent  de  l'échec  du 
cabinet  sur  cette  question  honneur  et  profit. 

De  l'autre  côté,  quels  sont  ceux  qui  disent  que  la  loi 
est  satisfaisante  et  acceptable  ?  Ce  sont  Sa  Grandeur 
Mgr  l'archevêque  de  Saint-Boniface,  qui  n'a  d'autre 
parti  que  celui  de  Dieu  et  de  l'Eglise  ;  M.  James  Pren- 
dergast,  un  libéral,  adversaire  du  gouvernement  conser- 
teur  ;  M.  Ewart,  un  avocat  libéral,  qui  n'a  d'autre  inté- 
rêt dans  la  cause  que  celui  de  ses  clients  :  le  K.  P. 
Lacombe,  un  vieil  apôtre,  dont  la  seule  ambition  est  de 
voir  triompher  les  droits  de  ses  frères  du  Manitoba,  etc.  ^ 


1  —  Le  P.  Lacombe  avait  écrit  à  M.  Laurier  une  lettre  éner- 
gique et  émouvante  dans  Laquelle  il  le  conjurait  d'appuyer  la 
loi  réparatrice.  Et  Mgr  Langevin  avait  envoyé  au  vénérable 
missionnaire  cette  dépêche  : 

"  Au  révérend  Père  Lacombe, 

"  Université  d'Ottawa. 
"  La  loi  est  applicable,  efficace  et  satisfaisante.    Je  l'ap- 
prouve.    Tous    les   évêques   et    tous   les   vrais   catholiques 


302  MÉLANGES 

Qu'importe  à  ces  hommes  personnellement  le  succès 
du  ministère  ?  Il  n'ont  à  attendre  ni  titres,  ni  faveurs, 
ni  places,  ni  argent.  Tout  ce  qu'ils  veulent,  tout  ce 
qu'ils  désirent,  c'est  le  redressement  des  griefs  de  la 
minorité  catholique  persécutée  et  ostracisée. 

Telle  est  la  situation. 

La  loi  réparatrice  est  là,  soumise  à  l'appréciation 
publique. 

Mgr  Langevin,  M.  Prendergast,  M.  Ewart,  le  P. 
Lacombe,  représentants  de  la  minorité,  et  dont  l'unique 
intérêt  est  celui  de  la  justice,  disent  :  la  loi  est  bonne 
et  acceptable. 

D'autre  part,  M.  Laurier  qui  veut  être  premier- 
ministre,  M.  Tarte  qui  veut  être  ministre,  M.  Langelier 
qui  veut  être  juge,  et  toute  la  meute  libérale  qui  sou- 
pire après  la  curée,  disent  :  la  loi  est  mauvaise  et  inac- 
ceptable. 

Quelle  opinion  faut-il  suivre  ? 

Celle  des  hommes  qui  ont  un  intérêt  personnel,  inté- 
rêt d'ambition,  intérêt  de  lucre,  dans  l'issue  du  débat  ? 

Ou  celle  des  hommes  qui  n'ont  absolument  rien  à  eu 
retirer  pour  eux-mêmes,  et  dont  l'unique  mobile  est 
évidemment  la  victoire  du  droit  ? 

Il  nous  semble  que  pas  un  homme  impartial,  pas  un 
homme  de  bon  sens,  ne  peut  hésiter  un  instant. 

Les  principes  les  plus  élémentaires  du  raisonnement 


devraient  l'approuver.  La  vie  est  dans  le  bill.  Succès  à  vous 
et  à  Larivière.  J'approuve  entièrement  votre  déclaration 
écrite. 

"  (Signé),        Archevêque  Langevin." 

M.  Ewart,  M.  Prendergast  avaient  fait  des  déclarations  non 
équivoques  dans  le  même  sens. 


MÉLANGES  303 

indiquent  clairement  que  c'est  l'opinion  désintéressée 
qu'il  faut  suivre,  et  non  l'opinion  intéressée  ;  que  Mgr 
Langevin,  M.  Preudergast,  M.  Ewart  sont  des  guides 
plus  compétents,  plus  sûrs,  plus  dignes  de  créance,  que 
des  politiciens  affamés  du  pouvoir. 

Nous  prions  nos  lecteurs  de  bien  se  pénétrer  de  ce 
facile  raisonnement  et  de  le  faire  valoir  autour  d'eux. 


EN  AVANT! 


La  loi  réparatrice  fut  adoptée  en  deuxième  lecture— ce 
qui  sanctionnait  le  principe  du  bill-le  20  mars  1894,  par  un 
vote  de  112contre  94.  M.  Laurier  et,  à  sa  suite  vingt-un  dépu- 
tés libéraux  catholiques  votèrent  le  rejet  du  bill. 

Il  s'agissait  ensuite  d'étudier  les  clauses  du  projet  de  loi 
en  comité.  Le  leader  de  la  Chambre,  sir  Charles  Tupper,  fit 
les  plus  grands  eli'orts  pour  hâter  la  procédure. 

21  mars  1896. 

VElecteur  disait  dans  son  numéro  de  lundi  : 

"  On  se  rappelle  qu'au  dernier  caucus  conservateur, 
les  députés  Wilson  et  Larivière  et  sir  Donald  Smith 
furent  nommés  en  sous-comité  chargé  de  réconcilier 
les  deux  factions  du  parti  ministériel. 

"  Il  est  évident  que  ce  sous-comité  a  réussi  dans 
une  grande  mesure. 

"  Pour  sauver  la  vie  du  gouvernement,  on  a  tout 
simplement  sacrifié  les  droits  des  cathohques. 

"  Il  a  été  convenu  que,  pour  cacher  la  trahison  des 
députés  catholiques,  on  voterait  la  seconde  lecture  du 


304  MÉLANGES 

bill.  Puis,  pour  sauver  la  'position  des  députés  tories, 
on  n'irait  pas  plus  loin.  On  emploierait  les  quelques 
jours  qui  restent  du  parlement  actuel  en  négociations 
fictives." 

Les  italiques  sont  de  nous. 

Eh  bien,  une  fois  de  plus,  l'Electeur  est  démenti  par 
les  faits. 

Que  s'est-il  passé,  dans  la  chambre  des  Communes, 
immédiatement  après  le  vote  mémorable  qui  faisait 
triompher  le  droit  et  la  constitution  ?  Une  dépêche 
d'Ottawa  résume  ainsi  l'incident  significatif  qui  s'est 
produit  : 

"  L'orateur  ayant  demandé  si  la  chambre  désirait  aller 
en  comité  de  suite,  sir  Charles  Tupper  s'est  levé  et  a 
dit  :  oui. 

"  L'honorable  M.  Laurier  a  immédiatement  déclaré 
que  après  une  aussi  longue  séance  à  six  heures  du  matin, 
il  n'était  pas  raisonnable  de  se  mettre  à  étudier  "  l'acte 
réparateur  "  en  comité.  Sir  Charles  a  répondu  qu'il 
avait  été  décidé  de  pousser  vigoureusement  l'adoption 
du  bill  et  qu'il  entendait  se  conformer  à  cette  détermi- 
nation. Cependant  l'honorable  M.  Laurier  ayant  insisté, 
sir  Charles  a  consenti  à  ce  que  la  chambre  ne  se  consti- 
tuât en  comité  général  qu'à  trois  heures  aujourd'hui. 
Tous  les  députés  ont  reçu  ordre  de  rester  à  leur  poste." 

Cette  scène,  dont  on  trouvera  un  récit  plus  détaillé  à 
notre  compte  rendu  des  débats,  met  en  son  plein  jour 
l'attitude  respective  des  partis  et  des  chefs. 

D'un  côté  sir  Charles  Tupper,  vieux  lutteur  de 
soixante  -  seize  ans,  debout  à  son  poste,  après  cette 
effroyable  séance  de  trente-huit  heures,  veut  pousser  en 
avant  le  bill  et  lui  faire  faire  un  nouveau  pas. 


MÉLANGES  305 

Qui  donc  s'y  oppose,  et  s'y  oppose  avec  colère  ?  M. 
Laurier,  le  chef  du  parti  libéral. 

Sir  Charles,  prenant  en  considération  la  fatigue 
extrême  des  députés  consent  à  l'ajournement  immédiat, 
mais  en  déclarant  qu'à  trois  heures  de  l'après-midi,  il 
proposera  que  la  chambre  se  forme  en  comité  pour 
commencer  à  adopter  le  bill  clause  par  clause. 

Voyons  maintenant  ce  qui  s'est  passé  hier  après-midi 
et  hier  soir. 

A  trois  heures,  sir  Charles  Tupper  a  fait  sa  motion 
pour  que  les  lundis  et  les  jeudis  fussent  consacrés 
comme  les  autres  jours  aux  mesures  du  gouvernement. 
Lui  et  M.  Poster  ont  déclaré  que  leur  but  était  de 
hâter  l'adoption  du  bill  sans  perdre  une  minute,  que 
l'honneur  du  gouvernement  était  engagé,  quil  fallait 
que  le  bill  fût  adopté;  et  M.  Foster  est  allé  jusqu'à 
dire  que  l'on  sacrifierait  plutôt  le  budget  pour  faire 
passer  le  bill. 

En  réponse  à  un  membre  de  l'opposition  qui  trouvait 
cette  hâte  incompatible  avec  la  conférence  annoncée  ^ 
sir  Charles  a  déclaré  que  cela  n'empêcherait  pas  la 
conférence,  mais  que  le  gouvernement  voulait  procéder 
sans  relâche  à  l'adoption  des  clauses  du  bill,  afin  que 


1 Sur  les  instances  de  sir  Donald  Smith,  le  ministère 

lédéral  avait  consenti  à  charger  une  délégation  composée  des 
honorables  MM.  Dickey  et  Desjardins,  membres  du  cabinet, 
et  de  sir  Donald  lui-même,  d'aller  faire  une  démarche  suprême 
auprès  du  gouvernement  Greenway  afin  de  l'induire  à  rendre 
justice  aux  catholiques.  Dans  ce  cas  la  loi  réparatrice  aurait 
été  inutile.  Cette  conférence  fut  sans  résultat,  le  gouverne- 
ment Greenway  refusant  d'admettre  le  principe  des  écoles 
séparées. 

20 


306  MÉLANGES 

cette  législation  fut  complétte  durant  la  présente  ses- 
sion, au  cas  où  la  conférence  n'aboutirait  à  rien. 

Sir  Richard  Cartwright,  MM.  McMullen,  Choquette, 
McCarthy  ont  combattu  avec  acharnement  la  proposi- 
tion du  gouvernement.  Ils  ont  fait  siéger  la  Chambre 
jusqu'à  trois  heures  cette  nuit.  Le  gouvernement  a 
alors  consenti  à  l'ajournement  du  débat  jusqu'à  lundi, 
vu  l'épuisement  des  députés. 

Après  cela,  nous  demandons  aux  gens  impartiaux  de 
nous  dire  ce  que  valent  les  prédictions  de  VElecteur. 
L'organe  libéral  affirmait  que,  après  la  deuxième  lecture 
du  bill,  le  gouvernement  allait  le  laisser  dormir  et  n'irait 
ims  plus  loin. 

Eh  lien,  le  gouvernement,  au  contraire,  aussitôt  après 
la  deuxième  lecture,  fait  des  efforts  inouïs  pour  envoyer 
le  bill  en  comité  et  hâter  son  adoption. 

Et  c'est  le  parti  libéral  qui  s'y  oppose. 

L'attitude  du  gouvernement  nous  paraît  très  satisfai- 
sante. Qu'il  y  persiste,  qu'il  ne  cède  plus  d'une  ligne, 
qu'il  prenne  tous  les  moyens  parlementaires  possibles 
pour  faire  marcher  le  remédiai  act.  Sou  honneur  et 
son  intégrité  lui  tracent  également  cette  ligne  de  con- 
duite. 

En  avant  !  en  avant  !  tel  doit  être  le  mot  d'ordre  du 
cabinet  et  du  parti  conservateur,  dans  le  moment  actuel. 


L'OBSTRUCTION 


Pour  empêcher  le  bill  réparateur  de  passer,  ses  adversaiios 
de  toute  nuance,  libéraux,  McCarthyites  et  conservateurs  dis- 
sidents, résolurent  d'avoir  recours  à  la  tactique  parlemen- 


MÉLANGES  307 

taire  connue  sous  le  nom  d'obstruction.  On  eut  alors,  pen- 
dant des  jours  et  des  nuits,  une  série  de  discours  against  tke 
time,  suivant  l'expression  anglaise.  Sir  Charles  Tupper 
déploya  une  extrême  énergie  pour  avoir  raison  de  cette  tac- 
tique. 

8  avril  1896. 

Nons  ne  saurions  dissimuler  l'admiration  sincère  et 
la  satisfaction  profonde  que  nous  fait  éprouver  la 
vaillante  et  loyale  attitude  de  sir  Charles  Tupper  en  ce 
moment. 

Il  a  hautement  et  nettement  déclaré  la  guerre  aux 
fanatiques  et  au  fanatisme.  Il  ne  craint  pas  de  dire 
aux  députés  conservateurs  qui  croient  pouvoir  faire  le 
jeu  des  McCarthy  et  des  Wallace  que  leur  place  n'est 
plus  dans  les  rangs  du  parti  de  la  constitution.  Sa 
main  de  fer  écrase  les  sectaires  du  dedans,  en  même 
temps  qu'elle  porte  des  coups  mortels  aux  ennemis  du 
dehors. 

C'est  bien  là  ce  que  nous  attendions  de  lui.  C'est  ce 
qui  nous  faisait  désirer  son  retour  dès  le  lendemain  de 
la  mort  de  sir  John  Thompson.  Il  était  temps  qu'une 
volonté  s'affirmât,  qu'un  bras  énergique  se  fît  sentir. 

Il  ne  saurait  y  avoir  que  des  adversaires  de  mau- 
vaise foi  pour  ne  pas  rendre  hommage  à  l'attitude  si 
loyale  de  sir  Charles.  Nous  aimons  à  citer  de  nouveau 
les  paroles  mémorables  prononcées  l'autre  jour  par  le 
vieux  lutteur.  Parlant  de  l'obstruction,  il  s'est  écrié  : 

"  C'est  la  fin  du  régime  parlementaire,  si  la  même 
obstruction  doit  se  répéter  de  jour  en  jour.  TocTt  le 
pays  comprendra  quel  est  le  but  que  poursuit  l'opposi- 
tion. Il  est  manifeste  qu'on  veut  empêcher  le  bill  de 
devenir  loi.  Il  est  de  l'intérêt  vital  du  pays  que  cette 
mesure  soit  adoptée  j  c'est  essentiel  à  la  paix,  à  la  tran 


308  MÉLANGES 

quillité  et  au  bonheur  du  pays.  En  faisant  de  l'obstruc- 
tion, les  libéraux  vont  empêcher  non  seulement  la  loi 
réparatrice,  mais  les  crédits  budgétaires  et  nombre  de 
mesures  urgentes  d'être  adoptées  et  ils  en  seront  tenus 
responsable  par  l'électorat. 

"  Le  gouvernement  est  résolu  à  mettre  toutes  son 
énergie  à  faire  adopter  la  loi.  Si  c'est  nécessaire,  la 
Chambre  siégera  nuit  et  jour.  Notre  santé  pourra  en 
souffrir,  et  des  gens  de  mon  âge  jouent  leur  vie  dans  ces 
veilles  continues,  mais  l'importance  de  la  question  jus- 
tifie les  plus  grands  sacrifices. 

"  Je  suis  prêt  à  épuiser  tout  ce  que  je  puis  avoir  de 
force  physique  en  siégeant  ici  nuit  et  jour,  afin  d'empor- 
ter la  mesure.  Je  désire  être  bien  compris  ;  si  les  hono- 
rables messieurs  de  l'autre  côté  persistent  à  essayer  de 
tuer  le  bill,  à  gaspiller  cette  session  et  un  demi-million 
d'argent  public,  je  déclare  que  je  combattrai  cette  tac- 
tique, d'abord  en  épuisant  mes  forces  physiques,  et  je 
crois  que  mes  amis  de  ce  côté  de  la  chambre  sont  prêts 
à  coopérer  avec  moi  (tonnerre  d'applaudissements  minis- 
tériels), et  ensuite  en  faisant  appel  à  l'électorat  pour  qu'il 
juge  entre  la  conduite  du  gouvernement  et  les  moyens 
employés  par  l'opposition  pour  tuer  ce  bill." 

Cette  attitude  et  ce  langage  sont  ceux  d'un  homme 
d'Etat.  Et  tous  les  bons  citoyens,  tous  ceux  qui  aiment 
l'équité,  le /air  ylay,  et  qui  tiennent  à  ce  que  la  cause 
du  droit  et  de  la  constitution  triomphent,  devraient  y 
applaudir  comme  nous. 


11  avril  1896. 


UElecteur  a  beau  pousser  des  cris  de  paon  et  calcu- 
ler combien  de  colonnes  du  Hansard  chaque  parti  a  pris 


MÉLANGES  309 

pour  la  discussion  de  la  deuxième  lecture  du  remédiai 
ad,  il  ne  donnera  pas  le  change  aux  gens  qui  suivent 
ce  qui  se  passe  actuellement  à  Ottawa, 

Nous    accusons    nettement   l'opposition   libérale   de 
coalition  criminelle  avec  le  parti  McCarthy  pour  faire 
obstruction  au  bill  réparateur. 
Cette  coalition  est  manifeste. 

Qu'on  prenne  le  compte  rendu  des  débats  depuis 
lundi.  A  part  sir  Charles  Tupper  et  quelques  autres, 
qui  sont  obligés  de  parler  de  temps  en  temps  pour  repous- 
ser une  calomnie  ou  essayer  de  faire  passer  une  clause, 
les  discours  prononcés  dans  un  but  d'obstruction  ont  été 
faits  par  McCarthy,  Wallace,  O'Brien,  McNeil,  Sproule, 
d'une  part,  et  par  Cartwright,  Davies,  Martin,  Charlton, 
Patterson,  Fraser,  Somerville,  Edgar,  Cameron,  McDo- 
nald, Mulock,  etc.,  de  l'autre. 

Ce  jeu  a  commencé  dans  la  nuit  de  lundi  à  mardi. 
M.  Wallace  a  parlé  pendant  deux  heures  et  demie  sur 
l'amendement  de  M.  Frémont.  A  quatre  heures  et  demie 
du  matin,  M.  Martin,  libéral,  a  proposé  que  le  comité 
s'ajournât  avec  permission  de  siéger  de  nouveau.  M. 
Casey,  libéral,  a  parlé  une  heure  sur  cette  motion.  M. 
Tyrwhitt,  McCarthyite,  a  parlé  une  vingtaioe  de  minu- 
tes. Puis  MM.  Campbell,  MacMillan,  Bain,  Welch, 
Mulock,  Martin,  tous  libéraux  ont  parlé  jusqu'à  neuf 
heures  et  demie  mardi  matin.  Alors  Sir  Eichard  Cart- 
wright a  paru  sur  la  scène  et  a  demandé  l'ajourne- 
ment... ^ 

1  _  Cette  séance  d'obstruction  dura  six  jours  et  six  nuits. 
(Journaux  de  la  Chambre  des  Communes,  1896,  pp.  169,  170, 
171). 


3l0  MÉLANGÉS 


16  avril  1896. 


Dans  son  numéro  du  16  avril,  le  Courrier  du  Canada 
publiait  une  dépêche  d'Ottawa  où  se  trouvaient  ces  lignes  : 

"  Je  vous  ai  raconté  hier  que  les  obstructionnistes 
avaient  partagé  les  24  heures  du  jour  en  trois  parties 
égales.  Les  McCarthyites  fournissent  8  heures  de  tra- 
vail, les  libéraux  anglais  et  français  en  fournissent  16  ; 
8  heures  pour  chaque  parti.  N'est-ce  pas  que  l'obstruc- 
tion est  bien  organisée  ?  Français,  orangistes,  catho- 
liques, fanatiques,  grits,  tout  ce  monde  là  s'entend 
pour  empêcher  les  catholiques  du  Manitoba  d'avoir 
justice.  Quel  monstrueux  alliage  !  Quelle  trahison  ! 

"  Sir  Charles  a  pris  la  parole,  à  trois  heures  après  midi, 
pour  dénoncer  à  la  Chambre  et  au  pays  l'obstruction, 
pour  rappeler  qu'avec  un  peu  de  bonne  volonté,  il  était 
encore  possible,  d'ici  au  24  avril,  que  le  bill  fût  adopté. 

"  Il  a  lu  la  dépêche  suivante,  qui  n'a  pas  plu  aux 

rouges  : 

"  Montréal,  13  avril  1896. 

"  Au  nom  de  la  minorité  du  Manitoba  que  je  repré- 
sente officiellement,  je  demande  à  la  Chambre  des  Com- 
munes de  voter  l'acte  réparateur  dans  son  entier  tel 
qu'il  est  présentement  modifié.  Il  sera  satisfaisant  pour 
la  minorité  catholique  qui  l'acceptera  comme  un  règle- 
ment final  de  toute  la  question  des  écoles  en  confor- 
mité avec  la  constitution." 

"  A.-D.  Langevin, 
"  Archevêque  de  Saint-Boniface." 

"  Sir  Charles  a  fait  un  appel  vraiment  pathétique  à 
la  Chambre.  Il  ne  demande  rien  en  son  nom,  mais  c'est 
au  nom  des  faibles,  des  opprimés  du  Manitoba,  au  nom 


MÉLANGES  311 

des  deux  millions  de  catholiques  de  ce  pays,  qu'il  sup- 
plie la  chambre  de  cesser  l'obstructiou  honteuse  dont 
nous  sommes  témoins. 

"  Quand  j'ai  vu  M.  Laurier  se  lever  pour  répondre 
au  leader,  j'ai  eu  un  moment  d'espoir.  La  voix  du  sang, 
la  voix  de  la  raison  allait-elle  se  faire  entendre,  enfin. 
Non,  Laurier  n'a  d'oreilles  que  pour  ses  alliés  les  fana- 
tiques de  toute  nuance. 

"  Le  chef  libéral  a  refusé  d'accepter  la  demande  de 
Mgr  Langevin  et  de  sir  Charles. 

"  La  minorité  est  satisfaite  du  bill,  mais  M.  Laurier 
et  ses  amis  ne  le  sont  pas  !  !  Et  l'obstruction  continue." 


17  avril  189^. 

Encore  la  nuit  dernière,  M.  Edgar,  lieutenant  de 
M.  Laurier  et  son  ami  intime,  a  été  l'un  des  meneurs 
de  l'obstruction  à  la  loi  réparatrice. 

Si  le  chef  du  parti  libéral  n'est  pas  complice  de  cette 
criminelle  tactique,  qu'il  arrête, donc  ses  partisans,  ceux 
qui  sont  ses  bras  droits. 

Qu'il  ait  le  courage  de  faire  ce  que  Sir  Charles 
Tupper  a  fait,  par  exemple,  pour  M.  McNeil. 

Lorsque  des  journaux  sans  vergogne  comme  l'Elec- 
teur persistent  à  soutenir  ce  ridicule  mensonge  que  le 
leader  de  la  chambre  n'est  pas  sincère  dans  sa  lutte 
pour  le  bill,  il  importe  de  rappeler  les  termes  de  cette 
mémorable  exécution.  Ecoutez  Sir  Charles  ; 

"  Maintenant  j'ajouterai  un  mot  pour  M.  McNeil  qui 
a  voulu  me  donner  une  leçon  de  commandement  (rires 
ministériels).    Ce  monsieur  m'a  dit  que  je  ne  pouvais 


312  MÉLANGES 

pas  le  mettre  hors  du  parti.  Cela  est  parfaitement  vrai: 
c'est  im  acte  qui  ne  peut  être  fait  que  par  lui-même. 
Mais  je  vais  vous  prouver  que,  par  sa  conduite  et  son 
langage,  ce  monsieur  vient  de  sortir  lui-même  des  rangs 
du  parti  conservateur.  (Applaudissements  ministériels.) 
Il  dit  que  je  ne  représente  pas  le  parti  conservateur. 
Qui  le  représente  ?  Est-ce  M.  McCarthy  qui  est  allé 
lui  demander  de  parler  de  façon  à  empêcher  que  la 
chambre  se  forme  en  comité  avant  six  heures  ?  Quand 
un  homme  se  fait  l'agent  d'un  politicien  comme  M. 
McCarthy  dont  le  seul  souci  depuis  des  années,  a  été 
de  faire  la  guerre  aux  conservateurs  et  de  détruire  la 
confiance  qu'ils  ont  dans  leur  chef,  je  crois  que  cet 
homme-là  sort  de  lui-même  des  rangs  de  son  parti. 
(Applaudissements  ministériels).  Plus  que  cela,  ce  mon- 
sieur dit  que  si  nous  avons  tant  de  hâte  de  faire  passer 
la  loi  c'est  parce  que  nous  avons  peur  d'être  défaits  aux 
prochaines  élections.  Ainsi  donc  il  base  son  opposition 
sur  l'espoir  de  renverser  le  gouvernement  !  Mais  je 
n'admets  point  cela.  Lorsque  nous  irons  devant  le  pays 
il  comprendra  que  nous^  avons  fait  notre  devoir  et  il 
nous  en  récompensera.  Le  pays  ne  veut  point  de  guerre 
de  race  et  de  religion,  il  ne  veut  point  d'hommes  comme 
M.  McCarthy  qui  a  maintenant  un  digne  partisan.  Non, 
je  n'ai  pas  jeté  M.  McNeil  en  dehors  des  rangs  du  parti, 
mais  si  jamais  un  homme  a  réussi  à  s'y  mettre,  c'est 
bien  lui  et  j'en  suis  très  satisfait.  (Applaudissements 
ministériels  prolongés  et  enthousiastes).  Je  suis  prêt  à 
faire  la  bataille  avec  un  ennemi  déclaré,  mais  je  ne  veux 
point  de  traîtres,  (Nouveaux  applaudissements). 

"  J'ajouterai  que  je  préfère  dix  mille  fois  siéger  dans 
l'opposition  que  de  siéger  à  droite  avec  la  confiance 
d'un  homme  comme  M.  McNeil. 


MÉLANGES  313 

"  Je  ne  sais  pas  s'il  l'ignore,  mais  il  devrait  le 
savoir  ;  à  cette  heure  même  en  Angleterre,  le  gouver- 
nement conservateur  anglais  soumet  aux  Communes 
une  loi  qui  donne  aux  différentes  croyances  religieuses 
précisément  ce  que  nous  voulons  rendre  à  la  minorité. 
Cette  loi  garantit  aux  écoles  volontaires  une  subven- 
tion parlementaire  tout  comme  aux  écoles  publiques  et 
elle  permet  aux  protestants  ou  aux  catholiques  d'y 
faire  donner  à  leurs  enfants  une  instruction  religieuse 
en  harmonie  avec  leur  conscience,  chose  dont  M.  McNeil 
voudrait  priver  la  minorité  manitobaine.  Je  ne  veux 
pas  retenir  la  chambre  plus  longtemps,  mais  je  fais 
appel  à  son  patriotisme  pour  repousser  comme  elle  l'a 
fait  cet  après-midi,  cette  nouvelle  tentative  d'obstruc- 
tion à  une  loi  aussi  importante,  et  qu'elle  a  déclarée 
nécessaire  dans  les  circonstances,  en  votant  la  seconde 
lecture.  J'espère  qu'elle  ne  faiblira  pas  devant  le 
devoir  à  accomplir,  quels  que  soient  les  sacrifices  per- 
sonnels qu'il  nous  faille  faire.  Quels  sont  les  hommes 
qui  s'opposent  à  cette  loi  ?  Une  poignée  d'esprits  étroits 
qui  ont  dépensé  leurs  forces  et  leurs  talents  à  soulever 
les  animosités  de  race  et  de  religion  auxquels  s'est 
joint  un  parti  qui  nous  prouve  que  pour  atteindre  le 
pouvoir  plusieurs  de  ses  membres  sont  prêts  à  sacrifier 
leur  race  et  leur  religion." 

Non,  messieurs  les  libéraux,  vous  ne  réussirez  pas  à 
faire  croire  aux  gens  sains  d'esprit  que  l'homme  qui  a 
tenu  cet  admirable  langage  est  l'allié  des  McCarthy  et 
des  McNeil. 

Si  nous  avions  eu  besoin  d'une  preuve  de  la  sincérité 
de  sir  Charles,  nous  l'aurions  dans  cette  terrible  et 
implacable  philippique  ?  Quand  on  joue  une  comédie  on 


314  MÉLANGES 

ne  porte  pas  à  ses  comparses  de  ces  incurables  bles- 
sures. 

Nous  défions  M,  Laurier  d'en  faire  autant  à  l'adresse 
des  Edgar,  des  Mulock,  des  Charlton,  des  Sommer  ville 
et  de  toute  cette  clique  grite  qui  prête  main  forte  à 
McCarthy  et  à  Wallace, 

Puisqu'il  ne  la  répudie  pas,  nous  avons  le  droit  de 
le  tenir  responsable  de  la  conduite  de  son  parti,  et  de  le 
dénoncer  à  l'opinion  publique  comme  un  traître  à  la 
cause  de  la  minorité  catholique. 


24  avril  1896. 

Dans  la  nuit  de  mercredi  à  jeudi  de  la  semaine  der- 
nière, M.  Larivière  a  donné  lecture  à  la  Chambre  des 
Communes  d'un  télégramme  inédit  de  Sa  Grandeur 
Mgr  l'archevêque  de  Saint-Boniface,  qui  est  tombé  sur 
la  tête  de  M.  Laurier  et  de  sa  cohorte  de  traîtres  comme 
du  plomb  fondu. 

Voici  ce  passage  du  discours  de  M.  Larivière  que 
nous  trouvons  à  la  page  6557  du  Hansard  : 

"  Quelqu'un  m'ayant  dit  au  cours  du  mois  de  mars 
qu'il  y  avait  une  rumeur  tendant  à  affirmer  que  quel- 
ques évêques  étaient  soit  indifférents  soit  opposés  à 
cette  législation,  je  télégraphiai  à  l'archevêque  de  Saint- 
Boniface,  qui  était  en  constante  communication  avec 
ses  frères  de  l'épiscopat,  et  je  lui  demandai  s'il  y  avait 
quelque  fondement  à  cette  rumeur.    Sa  réponse  fut  : 

"  Aucun  évêque  ne  diffère  d'avec  moi  ;  tous  sont 
*'  extrêmement  sympathiques.  Les  catholiques  qui  com- 
"  battent  le  Mil  trahissent  la  minorité  catholique." 

"  (Signé)  A.-D.  Langevin, 

"  Archevêque  de  Saint-Boniface." 


MÉLANGES  315 

Comme  on  le  voit  nous  ne  commettons  aucune  injus- 
tice quand  nous  accusons  de  trahison  les  députés  qui 
ont  voté  contre  le  remédiai  ad.  Nous  faisons  simple- 
ment écho  à  la  parole  indignée  du  représentant  de  la 
minorité,  du  digne  archevêque  de  Saint-Boniface  qui 
déclare  que  les  députés  catholiques  hostiles  à  la  loi  répa- 
ratrice ont  trahi  la  cause  catholique. 

Les  Laurier,  les  Tarte,  les  Choquette,  les  CarroU,  les 
Godbout,  les  Guay,  les  Langelier,  les  Rinfret,  auront 
beau  essayer  d'excuser  leur  lâche  désertion. 

Ils  ne  se  relèveront  pas  de  cette  parole. 

Ce  sont  des  traîtres  ! 


NOTRE  DEVOIR 


La  tactique  de  l'obstruction  fut  couronnée  de  succès.  L'exis- 
tence légale  du  parlement  touchait  à  son  terme.  Les  cinq 
années  de  sa  durée  expiraient  le  25  avril  à  minuit.  Le  bill 
réparateur  ne  devint  donc  pas  loi.  Le  cabinet  conservateur 
ne  put  même  pas  faire  voter  le  budget  ! 

La  session  fut  close  le  23,  et  immédiatement,  comme  cela 
était  entendu  depuis  la  crise  du  mois  de  janvier,  sir  Mac- 
kenzie  Bowell  démissionna  et  sir  Charles  Tupper  forma  un 
nouveau  cabinet  qui  se  présenta  au  peuple  avec  le  bill  répa- 
rateur dans  son  programme. 

Il  avait  appelé  à  le  seconder  dans  le  ministère  l'honorable 
M.  Angers,  que  l'on  considérait  à  bon  droit  dans  la  province 
de  Québec  et  le  parlement,  comme  le  champion  le  plus 
ardent  de  la  minorité  catholique  du  Manitoba.  Pour  demeurer 
fidèle  à  cette  cause,  M.  Angers  avait  même  refusé  les  hautes 
fonctions  de  juge  de  la  Cour  Suprême,  après  sa  sortie  du 
cabinet,  en  juillet  1895.  11  n'hésita  pas  à  tendre  la  main  à 
sir  Charles  Tupper,  pour  faire  triompher  devant  l'électorat 
la  liberté  scolaire  des  catholiques  manitobains. 


316  MÉLANGES 

4  mai  1896. 

La  victoire  de  M.  Laurier,  ce  serait  le  projet  d'enquête 
qui  aboutirait  à  uu  compromis  dans  lequel  nous  serions 
sacrifiés  encore  une  fois.  Il  ne  serait  plus  question  d'in- 
tervention, puisque  M.  Laurier  l'a  repoussée  par  sa 
motion  du  six  rtionths  hoist.  Le  compromis,  c'est  l'aban- 
don des  écoles  séparées,  puisque,  lors  de  la  conférence 
avec  les  commissaires  fédéraux,  Greenway  a  déclaré 
qu'il  ne  consentirait  pas  à  les  rétablir. 

Donc,  il  faut  donner  au  gouvernement  une  majorité 
qui  lui  permette  de  rendre  justice  sans  plus  tarder  et 
sans  avoir  à  craindre  l'opposition  des  fanatiques.  Ce 
devoir  incombe  à  tous  ceux  qui  veulent  le  respect  de 
la  constitution  ;  mais,  pour  nous  plus  particulièrement, 
c'est  une  obligation  sacrée. 

La  minorité  manitobaine  est  notre  sœur  par  la  foi, 
par  la  langue  et  par  le  sang.  L'abandonner  serait  men- 
tir à  notre  passé  et  trahir  notre  avenir. 


LE  MANIFESTE  CONSERVATEUR 


7  mai  1896. 

Nous  donnons  m  extenso  le  manifeste  de  Sir  Charles 
Tupper  aux  électeurs  du  Canada. 

Cet  important  document  peut  se  passer  de  commen- 
taires. 

Sir  Charles  y  affirme  une  fois  de  plus  la  politique 
conservatrice.  La  politique  conservatrice  quant  aux 
questions   commerciales,  aux  questions  de  tarif  et  de 


MÉLANGES  317 

budget,  la  politique  conservatrice  quant  au  respect  de 
la  constitution  et  des  droits  de  la  minorité  cathalique 
du  Manitoba  opprimée  par  une  majorité  libérale. 

Voici  le  passage  de  ce  manifeste  relatif  à  la  question  des 
écoles  du  Manitoba  : 

"  Il  n'est  pas  nécessaire  pour  moi  d'essayer,  dans  le 
couit  espace  d'un  alinéa  de  faire  une  revue  complète 
de  la  position  du  gouvernement  sur  la  question  des 
écoles  du  Manitoba.  Quoique  la  conduite  du  gouver- 
nement ait  été  honteusement  représentée  à  faux  par 
des  hommes  qui  ont  en  cela  un  but  à  atteindre  ou  sont 
trompés  par  une  conception  erronée  de  la  question 
prise  en  son  mérite  réel,  c'est  un  fait  admis  que  le 
gouvernement  a  pris  une  position  claire  et  définie  sur 
le  côté  constitutionnel  de  cette  affaire.  Nous  avons 
tout  simplement  fait  ce  que  nous  croyions  être  juste 
en  accomplissant  le  devoir  que  nous  impose  le  juge- 
ment du  plus  haut  tribunal  de  l'empire,  et  nous  avons 
cherché  à  remédier  aux  griefs  de  la  minorité  catho- 
lique romaine  du  Manitoba  en  la  rétablissant  dans  la 
jouissance  des  droits  et  privilèges  que  lui  garantit  la 
constitution.  Sachant  que  notre  cause  repose  sur  une 
base  constitutionnelle  solide,  et  convaincus  que  nous 
faisons  ce  qui  est  juste,  c'est  pour  nous  un  devoir 
patriotique  de  persister  dans  la  politique  que  nous 
avons  adoptée  à  ce  sujet  ;  et  nous  en  appelons  mainte- 
nant pour  la  revendication  de  notre  conduite,  au  sage 
sentiment  de  justice  du  peuple  canadien." 


318  MÉLANGES 

LES  INSULTES  AUX  ÉVÊQUES 

19  mai  1896. 
La  Patrie  d'hier  dit  : 

"  Mgr  Lange  vin  est  en  tournée  quasi- politique  dans 
le  comté  de  Laprairie  et  ses  sermons  ont  l'air  bien  plus 
inspirés  par  Tupper  que  par  le  Saint-Esprit." 

Nous  voyons  là  le  fond  du  cœur  des  libéraux. 

Pour  leur  plaire  les  évêques  ne  devraient  pas  dire  un 
mot  des  questions  où  les  intérêts  les  plus  graves  de  la 
religion  sont  en  jeu. 

Les  paroles  de  Mgr  Langevin  n'ont  pourtant  rien 
d'extraordinaire.  Monseigneur  est  le  chef  de  la  mino- 
rité catholique  qui  demande  que  ses  droits  lui  soient 
rendus  ;  qu'y  a-t-il  donc  d'étonnant  à  ce  qu'il  conjure 
ses  compatriotes  de  l'aider  à  faire  respecter  ces  droits. 

Les  injures  de  la  radicaille  à  l'adresse  de  nos  évêques 
ne  porteront  pas  grands  fruits  au  parti  libéral. 


LA  PAROLE  EPISCOPALE 


Au  moment  des  élections,  les  évoques,  qui  à  diverses  repri- 
ses avaient  énergiquement  revendiqué  les  droits  de  la  mino- 
rité manitobaine,  publièrent  un  mandement  collectif  pour 
donner  à  l'électorat  catholique  une  direction  jugée  j^ar  eux 
opportune  et  nécessaire. 

Les  journaux  de  l'opposition  essayèrent  de  dénaturer  ce 
mandement  et  d'en  paralyser  l'eflet  par  des  interprétations 
déloyales.  / 


MÉLANGES  319 

20  mai  1896. 

Nos  Seigneurs  les  évêques  disent  dans  leur  mande- 
ment : 

"  C'est  pourquoi  N,  T.  C.  F.,  tous  les  catholiques  ne 
devront  accorder  leur  suffrage  qu'aux  candidats  qui 
s'engageront  formellement  et  solennellement  à  voter  au 
Parlement  en  faveur  d'une  législation  rendant  à  la 
minorité  catholique  du  Mauitoba  les  droits  scolaires  qui 
lui  sont  reconnus  par  l'honorable  Conseil  Privé  d'An- 
gleterre. Ce  grave  devoir  s'impose  à  tout  bon  catho- 
lique et  vous  ne  seriez  justifiables  ni  devant  vos  guides 
spirituels  ni  devant  Dieu  lui-même  de  forfaire  à 
cette  obligation."  • 

Quel  homme  désirant  sincèrement  le  règlement  de 
la  question  scolaire,  peut  appuyer  un  candidat  qui  a 
déjà  voté  contre  la  loi  réparatrice  ? 

Qui  a  trahi  une  fois  déjà  trahira  encore. 


26  mai  1896. 

Dans  son  sermon  à  Laprairie  l'archevêque  de  Saint- 
Boniface  vient  d'exposer  clairement  son  attitude  à 
l'égard  de  la  loi  réparatrice.     Il  a  dit  : 

"  C'est  mou  devoir  de  dire  que  cette  loi  était  satis- 
faisante pour  nous  avec  les  amendements  qu'on  pouvait 
y  faire.  Avant  d'approuver  cette  loi,  j'ai  consulté.  La 
partie  religieuse  m'appartenait  comme  évêque,  et  j'ai 
consulté  mon  clergé  ;  la  partie  légale  regardait  les  hom- 
mes de  loi,  et  je  me  suis  adressé  à  des  légistes  du 
Manitoba,  à  des  hommes  des  deux  croyances,  et  leur  ai 
demandé  leur  opinion.  Ces  hommes  étaient  intéressés 
plus  que  tout  autre  ;  ils  avaient  des  enfants.     J'avais 


320  MÉLANGES 

l'assurance  qu'étant  intéressés,  ils  y  verraient  de  plus 
près.  Ils  m'ont  dit  :  Cette  loi  est  légale  et  pratique,  et, 
si  nous  pouvons  l'obtenir,  tant  mieux." 

L'Electeur,  pour  jeter  un  voile  sur  la  trahison  des 
libéraux,  conclut  en  disant  que  la  loi  réparatrice  était 
inefficace  !  Mgr  Langevin  va  répondre  lui-même  à  cette 
absurde  objection  soulevée  par  les  rouges  : 

"  On  s'est  écrié  que  la  loi  ne  nous  donnait  que  des 
miettes...  Pardon  !  Est-ce  nous  donner  des  miettes  que 
de  nous  accorder  des  inspecteurs  catholiques,  des  écoles 
catholiques,  le  droit  de  nous  taxer  nous-mêmes,  etc. 

"  Ceux  qui  ont  voté  pour  cette  loi  sont  nos  vrais 
amis.  Quanta  ceux  qui  ont  voté  contre  cette  loi,  à  vous 
de  donner  votre  opinion,  à  vous  de  tirer  des  conclu- 
sions, à  vous  de  les  juger." 

Oui,  le  peuple  jugera  bientôt  ceux  qui  ont  voté  con- 
tre la  loi  réparatrice.  Et  nous  espérons  que  son  arrêt 
sera  non  équivoque. 


2juin  1896. 

UElecteur  cherche  par  tous  les  moyens  à  faire  croire 
au  public  que  les  évêques  sont  divisés  sur  la  question 
des  écoles.  C'est  un  mensonge,  et  nous  allons  le  démon- 
trer .'par  un  extrait  d'un  sermon  prononcé  à  Sainte- 
Angèle  de  Laval  le  28  mai  1896,  par  Mgr  Gravel, 
évêque  de  Nicolet: 

"  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  cette  question  des 
écoles,  car  elle  nous  intéresse  au  plus  haut  degré  ;  c'est 
une  question  de  justice  :  c'est  pourquoi  les  évêques  ont 
envoyé  ce  mandement  à  leurs  ouailles. 

"  Il  ne  faut  pas  croire  que  les  évêques  sont  divisés 
sur  cette  question.  Tous  les  évêques  du  Dominion  n'ont 
qu'une  même  pensée,  ils  sont  tous  unanimes." 


MÉLANGES  321 

LES  DÉCLARATIONS  PANACHÉES 
DE  M.  LAURIER 

9  juin  1896. 

Jj'Electeur  de  vendredi  disait  ceci  : 

"  Qu'on  nous  nomme  donc  un  seul  candidat  libéral, 
depuis  Halifax  jusqu'à  Vancouver  qui  n'adopte  pas  en 
son  entier  le  programme  de  M.  Laurier  ?  " 

Il  s'agit  ici  de  la  question  des  écoles.  Or  quel  est  le 
programme  de  M.  Laurier  sur  cette  question  ?  Il  varie 
suivant  les  croyances  et  les  provinces,  et  quelquefois 
même  dans  la  même  province.  En  effet,  qu'a-t-il  déclaré 
à  Québec  ?  Ce  sont  les  journaux  rouges  qui  vont  nous 
renseigner  là-dessus  : 

"  Si  le  peuple  du  Canada  me  porte  au  pouvoir  comme 
j'en  ai  la  conviction,  je  réglerai  cette  question  à  la 
satisfaction  de  toutes  les  parties  intéressées.  J'aurai 
avec  moi  dans  mon  gouvernement  Sir  Oliver  Mowat 
qui  a  toujours  été  dans  Ontario,  au  péril  de  sa  propre 
popularité,  le  champion  de  la  minorité  catholique  et 
des  écoles  séparées.  Je  le  mettrai  à  la  tête  d'une  com- 
mission où  les  intérêts  en  péril  seront  représentés,  et 
je  vous  affirme  que  je  réussirai  à  satisfaire  ceux  qui 
souffrent  dans  le  moment.  Est-ce  que  le  seul  nom 
vénéré  de  M.  Mowat  n'est  pas  une  garantie  du  sucnès 
de  ce  projet  ? 

"  Et  puis,  en  fin  de  compte,  si  la  conciliation  ne 
réussit  point,  j'aurai  à  exercer  ce  recours  constitution- 
nel que  fournit  la  loi,  recours  que  j'exercerai  complet 
et  entier." 

21 


322  MÉLANGES 

Maintenant,  allons  à  London,  dans  la  province  d'On- 
tario, et  écoutons  parler  M,  Laurier  : 

"  La  seule  manière  de  régler  cette  question,  comme 
pour  tout  grief  dont  ou  se  plaint,  est  de  faire  une 
enquête  sur  la  question  et  de  faire  droit  d'après  la 
preuve  produite." 

Comme  c'est  terne  !  seulement  l'enquête,  et  puis 
l'enquête  !  Eh  bien,  messieurs  les  libéraux,  est-ce  là  ce 
que  demandent  NN.  SS.  les  évêques  ?  Dans  leur  lettre 
pastorale  ils  condamnent  ouvertement  ce  système  d'en- 
quête, parce  que  l'injustice  commise  envers  les  catho- 
liques du  Manitoba  est  reconnue  et  prouvée  depuis 
longtemps,  et  ils  demandent  avec  instance  une  loi  répa- 
ratrice. 

Est-ce  que  les  électeurs  catholiques  peuvent  approu- 
ver de  leurs  votes  le  programme  multicolore  de  M,  Lau- 
rier, un  programme  qui  est  opposé  à  la  direction  de 
NN.  SS.  les  évêques,  un  programme  dont  l'exécution 
serait  si  désastreuse  pour  la  minorité  catholique  du 
Manitoba  ? 


APRES  LA  DEFAITE 

26  juin  1896. 

Le  parti  libéral  triomphe  ! 

M.  Laurier  sera  premier-ministre  avant  un  mois. 

Nous  ne  récriminerons  pas  à  propos  des  causes  de 
notre  défaite. 

Une  seule  chose  nous  est  cruelle  dans  le  résultat  de 
mardi. 


MÉLANGES  323 

C'est  la  conduite  de  la  province  de  Québec. 

C'est  pour  elle  et  par  elle  que  la  question  des  écoles 
est  devenue  une  question  fédérale. 

C'est  pour  elle  que  le  parti  conservateur  a  risqué  son 
avenir  dans  les  provinces  anglaises  et  protestantes. 

C'est  pour  elle  que  sir  Charles  Tupper  s'est  jeté  dans 
la  bataille,  avec  le  drapeau  de  la  législation  réparatrice 
à  la  main. 

Et  la  province  de  Québec  oubliant  tout  cela,  sourde 
à  la  voix  du  devoir,  a  tourné  le  dos  à  ceux  qui  s'étaient 
faits  les  champions  de  sa  cause,  et  porté  au  pouvoir 
ceux  qui  l'avaient  trahie  ^. 

Voilà  le  côté  douloureux  des  élections  du  23  juin 
1896. 

Maintenant  que  va  faire  M.  Laurier  ?  11  est  le  maître 
du  Parlement.  De  quelle  façon  va-t-il  employer  la 
force  immense  que  les  élections  lui  ont  mise  entre  les 
mains. 

Il  a  promis  de  régler  la  question  des  écoles  à  sa 
manière  ? 

Il  a  promis  de  réformer  le  tarif  sans  le  bouleverser. 

Nous  l'attendons  à  l'œuvre,  disposés  à  lui  donner 
crédit  pour  ce  qu'il  fera  de  bien,  mais  aussi  à  lui  faire 
une  opposition  énergique  s'il  manque  à  ses  promesses. 


1  —  En  effet,  aux  élections  de  1896,  la  province  de  Québec 
donnait  à  elle  seule  trente-trois  voix  de  majorité  à  M.  Lau- 
rier ;  et  la  majorité  totale  des  libéraux  ne  dépassait  pas 
trente-cinq. 


324  MÉLANGES 

LE  PARTI  CONSERVATEUR  ET  LA 
SITUATION 

19  août  1896. 

La  Patrie  nous  adresse  le  morceau  suivant  : 

"  Les  torys  se  sont  donnés  rendez- vous  dans  le  comté 
de  North  Grey,  Ontario,  et  ils  ont  commencé  hier  la 
guerre  à  M.  Paterson  par  une  assemblée  à  Owen  Sound. 

M.  McLaughau,  le  candidat  conservateur,  a  adressé 
la  parole,  ainsi  que  MM.  Taylor,  Dr  Sproule,  Clarke 
Wallace,  McNeil  et  le  Dr  Beattie  Nesbilt. 

"  Le  Dr  Nesbitt  dans  son  discours,  a  déclaré  qu'il 
fallait  réorganiser  le  parti  conservateur,  et  que  M.  Clarke 
Wallace  était  tout  désigné  comme  chef. 

"  Le  Courrier  du  Canada  et  les  autres  journaux  à 
bons  principes  sont-ils  avec  ceux  qui  font  la  lutte  à  M. 
Paterson  et  sont-ils  prêts  à  applaudir  au  choix  de  M. 
Clarke  Wallace  comme  chef?" 

Cet  article  de  la  Patrie,  nous  fournit  une  excellente 
occasion  de  redresser  les  fausses  représentations  au 
moyen  desquelles  la  presse  libérale  essaie  d'égarer  l'opi- 
nion. 

Nos  adversaires  tâchent  de  faire  croire  que  nous  con- 
sentons benoîtement  à  voir  la  question  des  écoles  rélé- 
guée dans  l'ombre,  et  que  nous  sommes  prêts  à  nous 
incliner  devant  l'autorité  de  MM.  Clarke  Wallace, 
McNeil  et  Cie. 

Ce  sont  deux  audacieux  mensonges. 

Sur  la  question  des  écoles,  notre  attitude  n'a  jamais 
varié.    Nous  l'avons  toujours  considérée  comme  une 


MÉLANGES  325 

question  de  principe  et  non  comme  une  question  de 
parti.  Xous  avons  toujours  été  prêt  à  tous  les  sacrifi- 
ces pour  faire  triompher  la  cause  des  catholiques  mani- 
tobains.  Nous  aurions,  s'il  l'eût  fallu,  rompu  avec  les 
chefs  du  parti  conservateur  anglais,  s'ils  eussent  refusé 
de  prendre  en  mains  la  cause  de  la  constitution  et  de 
la  minorité  catholique. 

Ce  ne  sont  pas  là  de  vaines  paroles,  des  vantardises 
rétrospectives.  Nos  écrits  passés  sont  là,  pour  justifier 
notre  présente  affirmation. 

Pour  nous  la  question  des  écoles  n'était  pas  un 
hochet,  un  instrument  politique,  comme  elle  l'a  été 
pour  M.  Laurier  et  son  parti.  C'était  la  question  capi- 
tale, qui  primait  toutes  les  autres. 

Nos  appels  à  la  loyauté  du  parti  conservateur,  et, 
disons-le  sans  fausse  modestie,  nos  avertissements  réité- 
rés n'ont  pas  été  sans  résultats.  Nos  chefs  ont  fait  leur 
devoir.  Les  Clarke  Wallace  et  les  McNeil  ont  vu  leur 
intolérance  réprouvée  par  le  parti.  Sir  Charles  Tupper 
est  descendu  dans  l'arène  pour  faire  triompher  les 
droits  de  la  minorité  manitobaine.  La  loi  réparatrice, 
acceptée  par  nos  évêques,  a  été  proposée.  M.  Laurier 
et  son  parti  ont  tendu  la  main  aux  fanatiques  pour 
l'empêcher  d'être  adoptée  avant  l'expiration  du  parle- 
ment. Et  les  élections  ont  eu  lieu. 

Le  gouvernement  conservateur  avait  fait  son  devoir. 
Il  avait  répondu  à  notre  attente,  il  avait  inscrit  sur  son 
drapeau  :  justice  aux  minorités.  Nous  nous  sommes 
jeté  dans  la  mêlée  et  nous  avons  le  droit  de  nous  ren- 
dre la  témoignage  que  jamais  nous  ne  nous  sommes 
dépensé  davantage  pour  le  triomphe  d'une  cause  juste. 
Le  succès  n'a  pas  répondu  à  nos  efforts  et  à  notre 


326  MÉLANGES 

espoir.  Et,  chose  incroyable,  c'est  la  province  de  Québec 
qui  a  déterminé  la  défaite  du  parti  qui  risquait  son 
avenir  pour  rendre  justice  à  une  minorité  catholique  et 
française  ! 

En  notre  âme  et  conscience,  nous  croyons  que  notre 
électorat  a  commis  le  23  juin  un  acte  de  criminelle 
aberration,  dont  les  funestes  conséquences  se  feront 
peut-être  sentir  encore  après  plus  d'un  quart  de  siècle. 

Mais  l'insuccès  n'a  point  changé  notre  manière  de 
voir.  La  défaite  n'altère  en  rien  les  principes  en  jeu. 

Ce  ne  sont  pas  les  majorités  qui  font  ou  défont  le 
droit.  La  moralité,  l'équité  d'une  politique,  la  rectitude 
d'un  programme  ne  dépendent  point  d'une  bataille  per- 
due ou  gagnée. 

C'est  bien  là  ce  que  sir  Charles  Tupper,  le  chef  incon- 
testé du  parti  conservateur,  a  proclamé  dans  les  nobles 
paroles  qu'il  prononçait  au  lendemain  des  élections  et 
que  nous  citions  hier  : 

"  Le  parti  conservateur  fera  maintenant  son  devoir 
comme  opposition  loyale  et  constitutionnelle.  Sa  mis- 
sion sera  de  s'efforcer  de  protéger  autant  qu'il  le  pourra 
les  meilleurs  intérêts  du  pays,  tout  en  maintenant  le 
grand  principe  de  "  justice  égale  pour  tous  sans  accep- 
tion de  race  ou  de  croyance  religieuse  "  auquel  le  parti 
s'est  dévoué  sans  hésitation.  Il  gardera  dans  l'opposi- 
tion la  même  politique  qu'il  avait  dans  le  gouverne- 
ment. M.  Laurier  peut  donc  compter  sur  mon  cordial 
concours  pour  la  restauration  des  droits  et  des  privi- 
lèges de  la  minorité  canadienne-française  et  catho- 
lique du  Manitoha." 

Le  programme  du  parti  conservateur,  le  voilà,  et  nous 
lui  donnons  notre  adhésion. 


MÉLANGES  327 

Lorsque  quelqu'un  d'autorisé  —  pas  M.  Clarke  Wal- 
lace  —  viendra  nous  dire  qu'il  est  changé,  alors  nous 
aviserons,  avec  autant  de  liberté  d'esprit  que  nous  en 
montrions  lorsque  nous  menacions  de  rompre  avec  le 
pouvoir,  quand  nos  amis  le  détenaient. 


CE  QU'ILS  ONT  PROMIS 


20  août  1896. 
On  lit  dans  V Electeur  d'hier  : 

"  Les  négociations  qui  se  sont  poursuivies  entre  le 
gouvernement  Laurier  et  les  ministres  Sifton,  Gameron 
et  Watson  du  gouvernement  manitobain,  ont  eu  pour 
résultat  un  règlement  de  la  question  des  écoles,  règle- 
ment satisfaisant  pour  les  deux  partis.  La  question  sera 
réglée  sans  qu'on  ait  recours  à  une  législation  fédérale. 
"  L'affaire  ne  paraît  pas  être  si  difficile  maintenant 
qu'elle  est  remise  à  des  gens  bien  intentionnés,  qui  s'en- 
occupent  avec  le  désir  de  s'entendre  et  d'user  de  con- 
ciliation." 

Il  est  certain  que  l'affaire  ne  sera  pas  difficile  à  régler, 
si  les  gens  du  pouvoir  à  Ottawa  sont  décidés  à  sacrifier 
les  droits  de  la  minorité  catholique.  S'ils  se  déclarent 
satisfaits  d'un  compromis  boiteux,  s'ils  lâchent  l'auto- 
nomie scolaire  de  la  minorité,  s'ils  acceptent  comme 
satisfaisant  un  modus  vivendi  qui  sera  l'abandon  pra- 
tique des  droits  constitutionnels  de  nos  frères  manito- 
bains,  tout  ira  sans  aucun  doute  comme  sur  des  rou- 
lettes. 


328  MÉLANGES 

Mais  ce  n'est  pas  cela  que  les  catholiques  demandent 
depuis  six  ans. 

Ce  n'est  pas  cela  que  nos  libdraux  ont  promis. 

Ils  ont  prorais,  non  pas  un  sacrifice  des  droits  de  la 
minorité,  mais  une  loi  fédérale  meilleure  que  celle  de 
sir  Charles  Tupper  ! 

Qu'ils  tiennent  leur  parole,  ou  qu'ils  reconnaissent 
qu'ils  ont  trompé  le  peuple. 


LE  FAMEUX  REGLEMENT  LAURIER- 
GREENWAY 


Nos  craintes  n'étaient  que  trop  justifiées.  Api'ès  plusieurs 
semaines  de  rumeurs  inquiétantes,  le  20  novembre  1896  le 
Courrier  du  Canada  publiait  la  dépêche  suivante  : 

Ottawa,  20  novembre  1896. 

Le  règlement  de  la  question  scolaire  vient  d'être  livré 
au  public.  Je  vous  en  envoie  la  version  française  auto- 
risée qui  suit  : 

MÉMOIRE  POUR    LE   RÈGLEMENT   DE     LA.    QUESTION    DES 
ÉCOLES 

Une  loi  comprenant  les  dispositions  ci-dessous  sera 
présentée  et  adoptée  à  la  prochaine  session  régulière  de 
la  législature  du  Manitoba,  en  amendement  à  l'acte  des 
écoles  publiques,  dans  le  but  de  régler  les  difficultés 
provenant  de  la  question  des  écoles  dans  cette  province. 


MÉLANGES  329 

Il  y  aura  enseignement  religieux  dans  les  écoles,  de 
la  manière  qui  suit  : 

1"  Si  tel  enseignement  est  autorisé  par  une  majorité 
des  commissaires  d'écoles  (school  trustées)  ou, 

2"  Si  une  pétition  demandant  tel  enseignement  est 
présentée  aux  commissaires  d'écoles  par  les  parents  ou 
les  tuteurs  d'au  moins  dix  enfants  fréquentant  l'école 
dans  un  district  rural,  ou  par  les  parents  ou  tuteurs 
d'au  moins  vingt-cinq  enfants  fréquentant  l'école  dans 
une  cité,  ville,  ou  village. 

3**  L'enseignement  religieux  aura  lieu  entre  trois 
heures  et  demie  et  quatre  heures  de  l'après-midi,  sous 
la  direction  d'un  membre  du  clergé  de  toute  dénomina- 
tion chrétienne  ayant  sous  sa  charge  une  partie  du 
district  scolaire,  ou  d'une  personne  dûment  autorisée 
par  tel  membre  du  clergé,  ou  d'un  instituteur  autorisé 
à  cet  effet. 

4"  Sur  résolution  des  commissaires  d'écoles  à  cet  effet, 
ou  sur  demande  par  pétition  des  parents,  l'instruction 
religieuse,  pendant  les  heures  prescrites,  pourra  n'avoir 
lieu  qu'à  certains  jours  spécifiés  de  la  semaine  au  lieu 
de  tous  les  jours  de  classe. 

5"  Dans  les  écoles  de  villes  et  cités  où  l'assistance 
moyenne  des  enfants  catholiques  romains  est  de  qua- 
rante ou  plus,  et  dans  les  écoles  de  villages  et  districts 
ruraux  où  l'assistance  moyenne  de  tels  enfants  est  de 
vingt-cinq  ou  plus,  les  commissaires  devront,  s'ils  en 
sont  requis  par  les  parents  ou  tuteurs  de  ces  enfants, 
employer  dans  telles  écoles  au  moins  un  instituteur 
catholique  romain  dûment  diplômé. 

6°  Lorsque  l'enseignement  religieux  sera  requis  en 
vertu  des  stipulations  qui  précèdent,  s'il  y  a  dans  une 


330  MÉLANGES 

école  des  enfants  catholiques  romains  et  des  enfants 
non  catholiques  romains  et  si  la  division  de  l'école  ne 
permet  pas  de  placer  les  élèves  dans  des  classes  sépa- 
rées pour  les  fins  de  l'enseignement  religieux,  le  dépar- 
tement de  l'éducation  établira  des  règlements  (et  les 
commissaires  d'écoles  devront  les  observer)  par  lesquels 
le  temps  accordés  pour  l'enseignement  religieux  sera 
divisé  de  telle  manière  que  cet  enseignement  sera  donné 
aux  enfants  catholiques  romains  à  l'heure  prescrite, 
pendant  la  moitié  des  jours  de  classe  dans  chaque  mois, 
et  l'enseignement  religieux  aux  enfants  non  catholiques 
romains  pourra  être  donné  pendant  l'autre  moitié  des 
jours  de  classe,  dans  chaque  mois,  également  à  l'heure 
prescrite. 

7°  Le  département  de  l'éducation  aura  le  pouvoir  de 
faire  des  règlements  non  incompatibles  avec  les  dispo- 
sitions de  cet  acte  pour  en  mettre  les  clauses  à  effet. 

8°  Les  élèves  ne  devront  pas  être  séparés  par  déno- 
minations religieuses  pendant  le  travail  séculier  de 
l'école. 

9"  Là  où  l'arrangement  de  l'école  à  la  disposition  des 
commissaires  le  permettra,  au  lieu  d'allouer  différents 
jours  de  la  semaine  aux  différentes  dénominations  pour 
enseignement  religieux,  les  élèves  pourront  être  séparés 
lorsque  l'heure  de  l'enseignement  religieux  arrivera,  et, 
placés  dans  des  classes  distinctes. 

10'*  Dans  les  écoles  où  il  y  aura  dix  élèves  dont  le 
français  (ou  toute  autre  langue  à  part  l'anglaise)  sera 
la  langue  maternelle,  l'enseignement  sera  donné  à  ces 
élèves  en  français,  (ou  toute  autre  langue  maternelle), 
et  en  anglais  d'après  le  système  bilingue. 

11"  Il  ne  sera  permis  à  aucun  élève  d'assister  à  l'en- 


MÉLANGES  331 

seignement  religieux  à  moins  que  les  parents  ou 
tuteurs  ne  le  désirent.  Dans  le  cas  où  des  parents  ou 
tuteurs  ne  désireraient  pas  que  leurs  enfants  assistent 
à  tel  enseignement,  ces  élèves  seront  renvoyés  avant  les 
exercices  ou  seront  placés  dans  une  autre  salle. 


24  novembre  1896. 

Qu'est-ce  que  les  catholiques  du  Manitoba  deman- 
daient depuis  six  ans  ? 

Il  demandaient  la  restauration  de  leur  autonomie 
scolaire. 

En  quoi  consistait  cette  autonomie  ?  Avant  1890, 
les  catholiques  du  Manitoba  avaient  une  organisation 
scolaire  séparée. 

Ils  avaient  leurs  écoles  catholiques,  leurs  syndics 
catholiques,  leurs  instituteurs  catholiques,  leurs  livres 
catholiques,  leur  bureau  d'éducation  et  leur  surinten- 
dant catholiques.  En  un  mot,  ils  jouissaient  d'un 
système  complet  d'instruction  publique  dirigé  suivant 
leurs  vues,  leurs  principes  religieux,  et  leur  conscience. 

De  plus  ils  n'avaient  pas  à  payer  de  taxes  pour  les 
écoles  publiques  où  leur  religion  leur  défendait  d'envo- 
yer leurs  enfants.  Et  ils  avaient  droit  h  leur  juste  part 
des  taxes  municipales  pour  les  fins  scolaires,  et  à  leur 
juste  part  des  subventions  de  la  province  pour  l'éduca- 
tion. 

C'est  tout  cela  que  la  loi  réparatrice  présentée  par  le 
gouvernement  conservateur,  et  repoussée  par  les  libé- 
raux, rendait  à  la  minorité  catholique. 

Elle  lui  rendait  ses  districts  d'écoles  catholiques  ; 


332  MÉLANGES 

Ses  instituteurs  catholiques  ; 

Ses  livres  et  manuels  catholiques  ; 

Ses  inspecteurs  catholiques  ; 

Son  bureau  d'ëdiicatioa  catholique; 

Son  surintendant  catholique. 

En  un  mot  elle  remettait  les  catholiques  en  pleine 
possession  de  la  liberté  et  de  l'autonomie  scolaires  que 
leur  avaient  enlevées  les  lois  spoliatrice  de  1890  et  1894. 

Les  libéraux  ont  repoussé  cette  loi  vraiment  répara- 
trice en  promettant  de  faire  mieux. 

Et  que  voyons-nous  ? 

Le  misérable  compromis  dont  MM.  Laiirier  et  Tarte 
porteront  la  honteuse  responsabilité  dans  l'histoire  cana- 
dienne ne  rend  aux  catholiques  aucun  de  leurs  privi- 
lèges, aucun  de  leurs  droits  reconnus  par  la  constitu- 
tion. 

Il  laisse  tout  le  système  scolaire  entièrement  sous  le 
contrôle  de  la  majorité  protestante. 

Toutes  les  écoles  seront  soumises  à  la  direction  du 
bureau  d'éducation  composé  uniquement  de  protes- 
tants. 

Le  choix  des  livres  et  manuels  scolaires  sera  abso- 
lument entre  les  mains  de  ce  bureau.  Et  la  brochure 
du  K.  P.  Leduc,  Hostilité  démasquée,  nous  apprend  ce 
que  cela  signifie. 

Bref  la  minorité  catholique  est  livrée  à  la  majorité, 
sans  garantie  et  sans  recours. 

C'est  la  plus  odieuse  et  la  plus  lâche  des  trahisons. 


MÉLANGES  333 

LA  PROTESTATION  DE  Mgr  LANGEVIN 


25  novembre  1896. 

Sa  Grandeur  Mgr  Langevin  a  parlé,  à  la  cathédrale 
de  Saint-Boniface,  au  sujet  de  la  question  des  écoles. 
Voici  ce  que  Monseigneur  a  dit  : 

"  C'est  aujourd'hui  le  jour  le  plus  triste  de  ma  car- 
rière épiscopale.  C'est  le  cœur  brisé  que  je  me  présente 
devaut  vous.  Les  négociations  entre  les  autorités  locale 
et  fédérale  sont  terminées;  il  en  résulte  ce  qu'on  nous 
donne  comme  un  règlement  de  la  question. 

"  Je  proteste  de  toutes  mes  forces  contre  l'emploi  de 
ce  mot  règlement... 

"  Nous  sommes  peu  nombreux  et  nous  sommes  pau- 
vres !  ce  n'est  pas   une  raison  pour  insulter  à   notre 
misère  et  jamais  cela  ne  nous  forcera  à  accepter  un  com- 
promis honteux. 
"  Nous  voulons  : 

"  Premièrement,  le  contrôle  de  nos  écoles. 
"  Deuxièmement,  des  districts  scolaires  catholiques 

partout. 

"  Nos  livres  d'histoire  et  de  lecture. 

"  Nos  inspecteurs  catholiques. 

"  Des  maîtres  compétents  formés  par  nous. 

"  Le  produit  de  nos  taxes,  et  nos  exemptions  de  taxes 
pour  les  autres  écoles. 

"  La  loi  réparatrice  nous  donnait  tout  cela  en  prin- 
cipe. On  s'y  est  opposé  parce  qu'elle  ne  nous  donnait 
pas  assez.  Qu'avons-nous  à  la  place  ? 

"  Pas  un  seul  de  nos  droits,  pas  un  seul  ! 


\ 


334  MÉLANGES 

"  Maintenant,  il  me  reste  à  prendre  la  direction  de 
nos  (écoles.  Je  ne  suis  pas  un  homme  de  parti,  je  suis 
évêque  avant  tout  et  m'occupe  peu  des  intérêts  dépar- 
tis. J'ai  pris  comme  devise  :  "  Depositum  custodi  "  et 
je  n'oublierai  jamais,  dussé-je  combattre  toujours. 

"  Si  je  faiblissais,  les  ombres  de  Mgr  Provencher  et 
de  Mgr  Taché  auraient  le  droit  de  se  dresser  devant  moi." 


LE  COMPROMIS   LAURIER-GREENWAY 

7  décembre  1896. 

L'Electeur  et  les  autres  journaux  libéraux  ont  beau 
s'escrimer,  ils  ne  réussiront  pas  à  faire  croire  que  le 
règlement  Laurier-Tarte-Greenway  rend  aux  catho- 
liques leurs  droits  scolaires,  et  peut,  de  bonne  foi,  être 
accepté  par  eux. 

Qu'est-ce  que  les  catholiques  manitobaius  avaient, 
en  fait  de  droits  scolaires,  avant  les  lois  scélérates  de 
1890  et  de  1894  ? 

Ils  avaient  : 

Des  districts  scolaires  catholiques;  des  syndics  catho- 
liques ;  des  instituteurs  catholiques  ;  un  bureau  d'édu- 
cation catholique  ;  un  surintendant  catholique  ;  des 
livres  de  classe  catholiques  ;  leur  quote-part  des  sub- 
ventions législatives,  et  l'exemption  de  taxes  pour  les 
écoles  publiques. 

En  un  mot  ils  avaient  un  système  complet  d'écoles 
séparées,  d'écoles  confessionnelles,  où  ils  pouvaient 
faire  instruire  leurs  enfants  conformément  à  leur  foi. 


MELANGES 


335 


La  législation  Greenway-Martin  leur  a  enlevé  tout 

cela. 

La  loi  réparatrice  le  leur  rendait. 
Voyons  dans  quelle  position  les  laisse  l'arrangement 
Laurier- Greenway. 

D'abord  il  porte  un  coup  mortel  aux  écoles  séparées. 
L'article  8  du  compromis,  dit  :  "  aucune  division  des 
élèves,  d'après  les  dénominations  religieuses,  n'aura  lieu 
durant  renseignement  séculier  à  l'école."  Ecoles  mixtes, 
voilà  ce  que  proclame  le  pseudo-règlemeat. 

En  second  lieu  il  livre  la  minorité  catholique,  au 
point  de  vue  scolaire,  à  la  direction,  au  contrôle,  au  bon 
plaisir  absolus  de  protestants.  En  effet,  les  lois  votées 
en  1890,  sous  l'inspiration  de  Jos.  Martin,  restent  en 
vigueur  ;  tout  ce  que  fait  le  pseudo -règlement  c'est  de 
garantir  quelques  amendements  qui  laissent  absolument 
intact  l'ensemble  du  système  proposé  et  voté  par  les 
sectaires. 

Ainsi  toutes  les  écoles  seront  soumises  au  régime 
décrété  par  le  statut  relatif  au  département  de  l'éduca- 
tion édicté  en  1890,  et  qui  se  trouve  aux  Statuts  refon- 
dus du  Manitoba. 

Qu'on  lise  les  dispositions  de  cette  loi,  (53  Victoria, 
chapitre  37).  Nous  allons  les  résumer. 

Toutes  les  écoles  publiques  relèvent  du  "  départe- 
ment de  l'éducation  "  et  du  "  bureau  d'aviseurs."  Ce 
sont  ces  deux  corps  qui  ont  la  direction  suprême  de 
l'instruction  primaire.  Ce  sont  eux  qui  nomment  les 
inspecteurs,  les  instituteurs,  qui  président  à  l'examen 
de  ces  derniers,  qui  choisissent  tous  les  manuels  et 
livres  de  classe  pour  les  écoles,  qui  déterminent  à  qui 
les  certificats  d'instituteurs  sont  accordés,  et  qui  annu- 


336  MÉLANGES 

lent  ces  certificats,  suivant  leur  bon  plaisir,  qui  font 
tous  les  règlements  pour  l'organisation,  la  discipline  et 
le  gouvernement  des  écoles.  En  un  mot  ce  sont  ces 
deux  corps  qui  ont  dans  leur  main  et  sous  leur  autorité 
souveraine  toutes  les   écoles  publiques  de  la  province. 

Or,  que  sont  ces  deux  corps  ? 

Le  premier,  c'est-à-dire  le  département  de  l'éduca- 
tion, c'est  tout  simplement  le  gouvernement,  le  Conseil 
Exécutif;  c'est  "Greenway,  Cameron,  McMillan,  tous 
les  sectaires  et  les  tyrans  au  petit  pied  qui  depuis  six 
ans  ont  persécuté  et  opprimé  nos  frères.  C'est  un  corps 
composé  uniquement  de  protestants,  et  de  protestants 
fanatiques.  C'est  un  corps  dont  le  chef,  Greenway,  un 
"  vulgaire  hâbleur  politique  "  d'après  M.  Tarte,  a  donné 
sa  mesure  en  foulant  aux  pieds  les  engagements  solen- 
nels qu'il  avait  pris  envers  Mgr  Taché,  en  1888. 

Le  second,  c'est  un  bureau  dont  quatre  membres  sont 
nommés  par  le  même  Greenway  et  ses  collègues  ;  dont 
deux  sont  élus  par  les  instituteurs  des  écoles  publiques, 
qui  sont  en  immense  majorité  protestants,  et  dont  le 
septième  est  nommé  par  le  conseil  de  l'Université,  où 
les  protestants  ont  aussi  la  plus  complète  prépondé- 
rance. 

C'est  donc  là  également  un  corps  protestant.  M. 
Greenway  a  dit,  paraît-il,  qu'il  consentirait  à  nommer 
au  bureau  d'aviseurs  un  catholique.  Mais  ce  catholique 
serait  noyé  et  perdu,  sans  influence  aucune,  au  milieu 
de  tous  ses  collègues  protestant-,  au  milieu  d'hommes 
comme  le  révérend  Dr  Bryce  et  comme  le  révérend  Dr 
King  qui  sont  des  ennemis  acharnés  de  l'enseignement 
catholique. 

Yoilà  quels  sont  les  maîtres,  les  directeurs,  les  régu- 


MÉLANGES  337 

lateurs  des  écoles  publiques  au  Manitoba,  d'après  la  loi 
en  vigueur  après  comme  avant  le  pseudo-règlement. 

Et  l'on  voudrait  forcer  les  catholiques  manitobains  à 
subir  un  pareil  régime  ! 

On  voudrait  les  forcer  à  remettre  leurs  écoleî  au  bon 
plaisir  d'un  département  et  d'un  conseil  protestants  ! 

On  voudrait  les  engager  à  abandonner  le  choix  des 
livres  de  lecture,  de  morale  et  d'histoire  à  des  hommes 
comme  M.  Greeuway  ou  le  Dr  Bryce  ! 

Parole  d'honneur  !  c'est  à  croire  que  tous  ces  bons 
apôtres,  Laurier,  Tarte,  et  à  leur  suite  la  tourbe  des 
scribes  libéraux,  ont  perdu  la  tête. 

Des  écoles  catholiques,  dirigées,  inspirées,  surveillées, 
inspectées  par  des  protestants  enragés,  qui  cherchent  à 
tuer  ces  écoles  depuis  six  ans  !  ! 

Voilà  le  fameux  et  ignominieux  règlement  qu'on 
essaie  en  ce  moment  de  faire  avaler  à  l'opiniou  catho- 
lique canadienne  !  ! 

Mais,  songez  donc  aux  deux  immenses  concessions 
obtenues  par  Laurier,  nous  crie-t-on.  Oui,  parlons-en 
de  ces  concessions  :  Une  demi-heure  d'instruction  reli- 
gieuse, après  les  heures  régulières  de  classe,  et  encore 
pas  tous  les  jours,  dans  bien  des  cas,  mais  peut-être 
une  dizaine  de  fois  par  mois  seulement.  Ecoutez  ce 
que  Mgr  Taché  disait  de  cette  demi-heure,  dans  sa 
brochure  du  mois  de  mars  1894:  : 

"  Point  d'instruction  religieuse  (même  pour  les  jeunes 
enfants)  excepté  pendant  une  demi-heure  immédiate- 
ment avant  la  fermeture  :  précisément  quand  les  en- 
fants sont  le  plus  fatigués,  quand  l'obscurité,  pendant 
les  jours  si  courts  de  nos  saisons  d'hiver,  les  pousse  à 
la  dissipation,  à  l'ennui  et  à  l'envie  de  retourner  à 
22 


338  MÉLANGES 

la  maison,  et  quand  l'inquiétude  des  parents  doit  natu- 
rellement les  porter  à  faire  en  sorte  que  leurs  enfants 
quittent  l'école,  aussitôt  que  la  loi  le  permet  ;  et  elle 
le  permet  même  avant  l'instruction  religieuse,  si  les 
parents  le  demandent." 

Cette  demi-heure  n'est  qu'une  dérision  et  un  trompe- 
l'œil;  elle  ne  constitue  pas  cet  enseignement  religieux 
dans  l'école,  cette  école  religieuse  réclamée  parles  Papes 
et  par  l'Eglise  ;  elle  ne  saurait  satisfaire  que  les  lâches 
et  les  tièdes  qui  ne  savent  pas  ce  que  c'est  que  le  sens 
catholique. 

Mais  le  français  !  M.  Laurier  a  obtenu  l'enseigne- 
ment du  français  dans  les  écoles  publiques  !  Le  vil 
troupeau  des  satisfaits  bêle  en  chœur  cette  imbécile 
ritournelle.  Eh  bien,  nous  affirmons  aux  gens  intelli- 
gents et  honnêtes,  qui  veulent  comprendre  et  savoir 
que  c'est  encore  là  une  sinistre  farce  ! 

En  vertu  de  la  clause  dix,  dans  les  écoles  où  il  y  aura 
dix  élèves  parlant  le  français  ou  toute  autre  langue  que 
l'anglais,  l'enseignement  sera  donné  en  français,  ou  eu 
telle  autre  langue,  et  en  anglais,  d'après  le  système 
bilingue. 

D'après  le  système  hilingiie  !  Nos  gobeurs  ont  glissé 
sur  ces  mots  essentiels.  D'après  le  système  hiUngue. 
c'est-à-dire  qu'aux  enfants  qui  n'entendent  que  le  fran- 
çais, il  sera  permis  de  parler  en  français  pour  leur 
apprendre  l'anglais.  Voilà  la  grande  victoire  de  M.  Lau- 
rier !  Quelle  moquerie  ! 

Veut-on  savoir  ce  que  c'est  que  ce  système  bilingue  ? 
Qu'on  ouvre  la  brochure  du  révérend  Père  Leduc,  Hos- 
tilité démasquée  à  la  page  40.    M.  Forget  parlant  de 


MÉLANGES  339 

l'enseignement  du  français  dans  les  Territoires,  y  dé- 
clare ce  qui  suit  : 

"  On  n'en  permet  l'usage  que  pour  un  cours  ridicu- 
lement élémentaire  contre  lequel  les  inspecteurs  ne 
cessent  de  s'insurger.  Les  livres  autorisés  pour  ce  pré- 
tendu cours,  les  Bilingual  readers,  sont  en  réalité 
composés  de  telle  sorte  qu'ils  sont  bien  plus  directe- 
ment et  efficacement  un  enseignement  de  l'anglais  que 
de  la  langue  française." 

Nous  le  répétoQs  :  les  prétendues  concessions  obte- 
nues par  M.  Laurier  sont  une  farce  odieuse. 

Les  écoles  catholiques  sont  livrées  sans  compensa- 
tion au  contrôle,  à  la  direction,  à  l'arbitraire  d'une 
bande  de  fanatiques  qui  sont  les  pires  ennemis  de  notre 
religion  et  de  notre  race. 

Les  misérables  qui  ont  mis  leur  nom  au  bas  de  ce 
honteux  marché  méritent  l'exécration  de  tous  les  hom- 
mes de  cœur,  de  tous  les  hommes  d'honneur,  et  de  tous 
les  hommes  de  foi. 


UN  DELEGUE  -DU  PAPE 


Devant  l'attitude  énergique  des  évêques  et  de  la  minorité 
catholique  du  Manitoba,  M.  Laurier  essaya  de  conjurer  le 
danger  dont  il  était  menacé.  Il  craignait  une  condamnation 
du  règlement  par  le  Saint-Siège.  Il  eut  recours  à  diverses 
manœuvres  pour  la  prévenir.  M.  l'abbé  Proulx,  M.  Gustave 
Drolet,  ancien  zouave  pontifical,  furent  chargés  de  missions 
officieuses  auprès  des  autorités  romaines.    M.  Fitzpatrick, 


340  MÉLANGES 

solliciteur  général,  se  rendit  à  Eome.  Dans  la  Ville  Eternelle, 
il  eut  des  entrevues  avec  le  cardinal  Ranipolla,  et  présenta 
naturellement  les  faits  sous  l'aspect  le  plus  favorable  à 
M.  Laurier.  Il  obtint  aussi  une  audience  du  Saint-Père.  Il  ne 
négligea  rien  pour  créer  un  courant  d'opinion  favorable  au 
compromis.  Et  il  demanda  finalement  l'envoi  d'un  délégué 
du  Saint  Siège  au  Canada  pour  étudier  sur  place  la  situation. 
Cette  demande,  faite  au  nom  du  premier  ministre  catholique 
d'un  pays  en  majorité  pi'otestant,  ne  pouvait  facilement  être 
refusée.  Elle  était  d'ailleurs  appuyée  par  des  catholiques 
anglais  de  haute  position,  enrégimentés  sous  la  bannière  de 
M.  Laurier,  grâce  aux  bons  offices  de  M.  Charles  Russell, 
avocat  anglais  catholique,  tils  de  lord  Russell  de  Killowen, 
le  juge  en  chef  d'Angleterre.  M.  Russell,  dont  notre  sollici- 
teur général  s'était  assuré  le  concours,  fit  lui-même  le  voyage 
de  Rome  et  plaida  chaleureusement  la  cause  de  ses  clients 
canadiens.  Bref  toutes  ces  démarches  furent  couronnées  de 
succès,  et  le  Saint-Père,  en  présence  d'affirmations  et  de 
représentations  conti"adictoires,  (car  les  évêques  canadiens 
de  leur  côté  s'étaient  fait  entendre),  nomma  un  délégué  apos- 
tolique chargé  de  venir  ici  se  renseigner  cZe  visu  et  audiiu,  et  de 
faire  ensuite  rapport  au  Pape.  Le  choix  du  Souverain-Pontife 
tomba  sur  Mgr  Merry  del  Val,  jeune  prélat  du  Vatican,  fils 
de  l'ambassadeur  d'Espagne  auprès  du  Saint-Siège.  Il  était 
âgé  de  trente-un  ans,  et  avait  reçu  une  i^artie  de  son  éduca- 
tion en  Angleterre,  où  M.  Charles  Russell  avait  été  son  con- 
disciple. 

Mgr  Merry  del  Val  arriva  au  Canada  dans  les  derniers  jours 
du  mois  de  mars  1897.  Le  29  mars,  le  fameux  règlement  Lau- 
rier-Greenwaj'  était  soumis  à  la  législature  du  Manitoba  par 
le  gouvernement  de  cette  province,  et  ratifié  par  l'Assemblée 
législative.  Il  semblait  qu'on  voulût  se  hâter  et  mettre  le 
délégué  de  Rome  en  présence  d'un  fait  accompli. 

Au  moment  où  Son  Excellence  Mgr  Merry  del  Val  arrivait 

au  Canada,  le  Courriel'  du  Canada  publia  la  communication 

suivante  : 

29  mars  1897. 

Lorsqu'il  est  devenu  certain  qu'un  délégué  papal 
avait  été  nommé  pour  venir  au  Canada,  un  catholique 


MÉLANGES  341 

notable  de  Québec  a  adressé  à  un  dignitaire  ecclésias- 
tique important  à  Rome  la  dépêche  suivante  : 

"  A  X.  X., 

"  Rome,  Italie, 

"  Nouvelle  répandue  ici  que  délégué  papal  nommé 
par  St-Père  au  sujet  affaire  écoles  Manitoba. 

"  Des  libéraux  importants  afi&rment  qu'il  vient  pour 
faire  accepter  règlement  scolaire  et  blâmer  les  évêques. 
Voulez- vous  prendre  renseignements  certains  et  nous 
les  envoyer. 

"  Notre  population  veut  être  renseignée  d'une  manière 
exacte. 

C." 

Cinq  jours  après  l'envoi  de  cette  dépêche,  c'est-à-dire 

hier,  nous  avons  reçu  la  dépêche  suivante  qui  parle  par 

elle-même, 

"  Rome,  30  mars. 
"  A  C, 

"  Québec, 

"  Monseigneur  Raphaël  Merry  del  Val  est  nommé 
délégué  apostolique  au  Canada. 

"  Sa  mission  ne  consiste  pas  à  tâcher  de  faire  approuver 
le  règlement  scolaire  fait  par  M.  Laurier  avec  le  Mani- 
toba, Ce  règlement  est  inacceptable,  Rome  le  condamne 
et  le  St-Père  ne  peut  pas  transiger  sur  ce  point.  La 
Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande  ne  peut  approuver 
ce  prétendu  règlement,  qui  est  contraire  à  la  doctrine 
catholique.  Le  St-Père  et  le  Cardinal  Préfet  ont  déclaré 
à  plusieurs  évêques  canadiens,  notamment  à  Mgr  Lan- 
gevin  et  à  Mgr  Bégin,  que  ce  prétendu  règlement  ne 


342  MÉLANGES 

pouvait  pas  être  accepté  et  il  les  ont  engagés  à  le  com- 
battre  

"  L'honorable  M.  Fitzpatrick  est  venu  ici  comme  mi- 
nistre du  gouvernement  canadien,  il  était  porteur  d'une 
requête  signée  par  les  députés  catholiques  libéraux  du 
parlement  canadien  demandant  la  nomination  d'un 
délégué  et  il  a  représenté  :  1"  Qu'il  était  possible  pour 
ce  délégué  d'obtenir  plus  que  ce  que  Grecnway  avait 
accordé,  2"  Que  cette  (|uestion  menaçait  de  soulever 
les  protestants  et  d'amener  un  trouble  considérable  et 
un  conflit  sérieux  entre  les  diverses  nationalités  et 
croyances.  3"  Que  le  jugement  du  Conseil  privé  était 
mal  interprété  par  vos  évêques  et  qu'il  n'ordonnait  pas  le 
rétablissement  des  écoles  séparées  comme  elles  existaient 
avant  1890.  4°  Que  certains  membres  du  clergé  étaient 
tombés  dans  des  excès  regrettables  qui  menaçaient  de 
détruire  la  paix  religieuse  au  Canada. 

"  En  présence  de  ces  représentations,  le  Saint-Siège  a 
nommé  Mgr  del  Val  dans  le  but  d'arriver  par  la  diplo- 
matie, et  une  mission  de  paix,  à  un  règlement  accepta- 
ble à  la  minorité  catholique  manitobaine.  En  d'autres 
termes,  le  délégué  va  au  Canada  pour  prêter  main- forte 
aux  évêques  afin  qu'ils  obtiennent  les  concessions  que 
le  Saint-Siège  désire," 


RUMEURS  DE  COMPROMIS 


Mgr  Merry  del  Val  passa  trois  mois  au  Canada.  Il  visita 
Québec,  Montréal,  Ottawa,  Winnipeg.  Il  réunit  les  évêques 
canadiens  et  conféra  avec  eux.    Il  eut  des  entrevues  avec  les 


MÉLANGES  343 

ministres  fédéraux,  ainsi  qu'avec  beaucoup  de  membres  du 
clergé  et  de  laïques.  Des  pourparlers  importants  eurent  lieu 
entre  lui  et  Sir  Wilfrid  Laurier,  et  probablement  entre  celui- 
ci  et  M.  Greenway,  le  premier  ministre  manitobain. 

Au  bout  de  quelque  temps,  la  presse  libérale  commença 
à  mettre  en  circulation  des  rumeurs  de  compromis.  Ces 
rumeurs  nous  inspirèrent  les  commentaires  suivants  : 

12  juin  1897. 

Une  dépêche  de  Wianipeg  transmettait  avant-hier  les 
renseignements  suivants  : 

Winnipeg,  10 — Le  Free  P/'ess,dans  son  édition  d'hier, 
dit: 

"  Pendant  qu'il  discutait  les  rumeurs  en  circulation 
au  sujet  de  l'attitude  du  clergé  catholique  sur  la  ques- 
tion des  écoles  du  Manitoba,  un  reporter  du  Free  Press 
a  été  informé  par  un  homme  qui  a  pris  une  part  impor- 
tante dans  la  difficulté,  que  l'agitation  va  s'apaiser,  et 
que,  se  reposant  sur  la  promesse  du  gouvernement  que 
les  décisions  de  la  loi  seront  interprétées  avec  libéralité, 
les  dignitaires  de  l'église  vont  cesser  toute  opposition 
ultérieure." 

Nous  ignorons  quelle  est  la  part  du  vrai  et  quelle  est 
la  part  du  faux  dans  toutes  ces  rumeurs,  qui  sont  répan- 
dues depuis  quelques  jours  avec  tant  de  persistance. 

Sommes-nous  pour  assister  à  une  acceptation  du 
statu  quo  scolaire  du  Manitoba,  grâce  à  certaines  pro- 
messes officielles  de  libéralité  et  de  bienveillance  dans 
l'application  des  lois  relatives  aux  écoles  publiques  ? 
Nous  le  saurons  probablement  d'ici  à  peu  de  temps. 

Mais,  quant  à  nous,  nous  doutons  fort  que  cela  soit 
possible.  A  nos  yeux  les  plus  graves  objections  s'élèvent 
contre  une  telle  solution.  Le  gouvernement  manitobain 


344  MÉLANGES 

a  proclamé  à  maintes  reprises  qu'il  ne  pourrait  concourir 
au  maintien  d'un  système  d'écoles  séparées  et  confes- 
sionnelles. 11  a  déclaré  que  jamais  il  ne  consentirait  à 
ce  que  l'enseignement  confessionnel  fut  donné  dans  les 
écoles  subventionnées  par  l'Etat.  Nous  avons  déjà  publié 
de  nombreuses  citations  pour  établir  ce  point. 

Elles  démontrent  clairement  que  le  gouvernement 
Greenway  ne  voulait  pas  que  les  écoles  établies  par  la 
loi  scélérate  de  1890  devinssent  des  écoles  confession- 
nelles. 

Les  écoles  publiques  du  Manitoba  sont  donc,  à  tout 
le  moins,  des  écoles  neutres.  Comment  l'Eglise  pour- 
rait-elle les  accepter  et  conseiller  aux  pères  catholiques 
d'y  envoyer  leurs  enfants  ?  En  France,  où  des  lois  de 
malheur  ont  établi  l'instruction  gratuite,  obligatoire  et 
laïque,  les  catholiques,  sur  la  parole  de  leurs  pasteurs, 
ont  de  toutes  parts  organisé  l'enseignement  libre,  afin 
que  l'enfance  ne  soit  pas  exposée  à  perdre  la  foi  dans 
les  écoles  neutres.  Ils  se  sont  imposé  pour  cela  les  plus 
grands  sacrifices,  tant  on  a  considéré  comme  vitale  cette 
question  de  l'enseignement  religieux  dans  l'école. 

On  ne  peut  donc  pas  supposer  qu^  le  St-Siège  ou 
son  représentant  puisse  accepter  l'école  neutre  sous  une 
forme  quelconque. 

Mais,  nous  dit-on,  ce  ne  sera  pas  l'école  neutre. 
Greemvay  a  senti  enfin  s'amollir  son  cœur  de  roc.  Le 
coivboy  qui  préside  aux  destinées  du  Manitoba  com- 
mence à  s'humaniser.  Sans  changer  son  système  d'écoles 
publiques,  sans  amender  le  règlement  qu'il  a  bâclé  avec 
M.  Laurier,  et  qui  est  inacceptable  au  point  de  vue  des 
principes  catholiques,  daiîs  la  pratique  il  va  devenir 
plus  coulant  ;  il  va  tolérer,  sans  faire  semblant  de  rien, 


MÉLANGES  345 

l'enseignement  religieux  dans  les  écoles  des  paroisses 
ou  des  arrondissements  catholiques.  Est-ce  que,  étant 
données  les  circonstances,  un  tel  modus  vivencH  ne 
devrait  pas  être  accepté,  plutôt  que  d'éterniser  une 
résistauce  désespérée. 

Tel  n'est  pas  notre  avis,  nous  devons  le  déclarer  en 
toute  franchise  et  en  toute  loyauté.  Si  un  semblable 
dénouement  de  la  grande  lutte  qui  se  livre  ici  depuis 
sept  ans  devait  être  accepté  par  qui  de  droit,  nous  nous 
inclinerions  sans  hésiter,  mais  la  douleur  dans  l'âme, 
car,  à  nos  yeux,  ce  serait  un  désastre.  La  cause  sacrée 
de  l'école  confessionnelle,  de  l'école  catholique,  qui  a 
droit  de  cité  en  ce  pays,  subirait  un  échec,  un  amoin- 
drissement fatals.  La  tolérance  acceptée  à  la  place  du 
droit,  l'hypocrisie  du  demi-jour  substituée  à  la  liberté 
publique,  le  mensonge  officiel  et  précaire  au  lieu  de  la 
loyale  et  sûre  reconnaissance  des  franchises  constitu- 
tionnelles !  Quelle  chute,  quelle  capitulation,  quelle 
incertitude  du  lendemain,  quel  péril  pour  l'avenir  ! 

Au  lieu  de  ce  dangereux  modus  vivendi,  mieux  vaut 
la  lutte.  Mieux  vaut  réclamer  sans  relâche  l'application 
loyale  des  clauses  de  la  constitution,  qui  garantissent 
le  droit  de  la  minorité,  et,  en  attendant,  continuer  à 
organiser  l'enseignement  catholique  libre,  à  côté  de  l'en- 
seignement neutre  des  écoles  de  l'Etat.  Cela  demande 
des  sacrifices,  c'est  vrai.  Mais  c'est  la  vie  pour  le  présent, 
et  c'est  l'avenir  non  compromis. 

Avec  l'arrangement  dont  nous  parlent  les  dépêches, 
ce  serait  le  régime  du  bon  plaisir  et  de  l'arbitraire  pour 
les  catholiques  manitobains,  et  le  coup  de  mort  porté 
aux  garanties  que  des  hommes  d'Etat  à  l'esprit  large 
avaient  inscrites  dans  la  constitution  de  ce  pays. 


346  MÉLANGES 

Quoi  qu'il  advienne,  une  chose  est  sûre.  La  lettre  et 
l'esprit  de  la  constitution  ont  été  violés  dans  cette  ques- 
tion des  écoles  du  Manitoba,  Tous  les  compromis  du 
monde  ne  sauraient  masquer  ce  fait  brutal.  La  loi  répa- 
ratrice était  un  redressement  de  ce  grief,  et  une  affir- 
mation du  droit  constitutionnel  de  la  minorité.  Des 
Canadiens-Français  et  des  catholiques  ont  repoussé  cette 
loi  en  promettant  de  donner  davantage  s'ils  en  avaient  le 
pouvoir.  Ils  ont  maintenant  le  pouvoir,  et  depuis  un 
an  ils  s'épuisent  en  manœuvres,  en  intrigues,  en  menées 
de  toute  sorte  pour  éviter  de  tenir  leur  parole. 

Eh  bien,  qu'ils  ne  s'imaginent  pas  pouvoir  récolter 
paisiblement  le  fruit  de  leur  perfide  tactique.  Si  nos 
frères  du  Manitoba  étaient  obligés,  par  le  malheur  des 
temps,  de  renoncer  à  la  plénitude  de  leurs  droits,  cela 
n'empêcherait  pas  M.  Laurier  et  ses  complices  de  res- 
ter nos  justiciables  sur  le  terrain  politique. 

Par  leur  lâche  complicité  avec  Greenway,  ils  ont 
sacrifié  les  droits  constitutionnels  d'une  minorité.  Nous 
leur  jetterons  cette  trahison,  ce  crime  politique  à  la  face, 
jusqu'à  ce  que  le  jour  de  la  rétribution  soit  arrivé,  et 
qu'ils  aient  reçu  leur  châtiment  de  l'électorat  trompé 
par  eux  en  1896. 


LETTRE  D'ADIEU  DU  DELEGUE  PAPAL 


Au  commencement  de  juillet  1897,  Mgr  Merry  del 
Val  quitta  le  Canada.  Avant  son  départ  il  adressa  à 
Mgr  Langevin,  archevêque  de  Saint-Boniface  une  lettre 
qui  était  en  même  temps  destinée  à  tous  les  catholiques 


MÉLANGES  347 

canadiens.    Le  6  juillet  1897,  le  Courrier  du  Canada 
la  recevait  d'Ottawa  et  la  publiait  : 

Ottawa,  6. — Je  vous  envoie  le  texte  même  de  la 
lettre  d'adieu  de  Mgr  Merry  del  Val  à  Mgr  Langevin  : 

Monseigneur, 

A  la  veille  de  mon  départ  du  Canada  pour  la  Ville 
Eternelle  où  j'irai  bientôt  déposer  entre  les  mains  augus- 
tes de  Sa  Sainteté  le  résultat  de  mes  investigations  et 
de  mes  efforts,  je  viens  adresser  une  parole  à  Votre 
Grandeur  comme  à  l'évêque  le  plus  immédiatement 
intéressé  dans  la  question  qui  a  fait  l'objet  principal  de 
ma  mission,  et,  par  son  entremise,  j'entends  m'adresser  à 
tous  les  catholiques  du  pays.  Avant  tout,  Monseigneur, 
qu'il  me  soit  permis  d'unir  aux  sentiments  respectueux 
et  dévoués  que  j'offre  de  grand  cœur  à  tous  les  arche- 
vêques et  évêques  du  Dominion,  une  expression  sincère 
de  reconnaissance  pour  la  bienveillance  dont  LL.  GG. 
out  voulu  m'accorder  des  preuves  signalées.  Mes  remer- 
ciements sont  dus  aussi  à  tous  les  membres  du  clergé 
et  aux  fidèles  des  différents  diocèses  pour  l'accueil  cor- 
dial et  touchant  qu'ils  m'ont  constamment  offert.  Je 
regrette  qu'il  ne  me  soit  pas  donné  d'exprimer  à  chacun 
ce  que  mon  cœur  sent  profondément.  J'ai  eu  encore  à 
me  louer  de  la  grande  courtoisie  des  autorités  civiles  et 
je  tiens  à  leur  donner  ici  un  témoignage  de  ma  grati- 
tude et  de  mon  respect.  Il  nous  faut  espérer  que  l'œu- 
vre si  sainte  de  paix  et  de  justice,  désirée  par  le  Saint- 
Siège  et  par  nous  tous,  sera  pleinement  réalisée. 

A  ce  propos,  je  puis  assurer  Votre  Grandeur  que  Sa 
Sainteté  se  trouvera  à  même  avant  peu  d'émettre  une 
décision  et  de  tracer  aux  catholiques  canadiens  la  ligne 
de  conduite  à  suivre  dans  la  situation  présente.  Le 
Saint-Père  a  épuisé  toutes  les  sources  d'informations 
et  à  moins  de  vouloir  se  dérober  à  la  vérité,  il  est 
impossible  de  douter  qu'il  ne  soit  parfaitement  rensei- 
gné sur  les  faits  et  leurs  circonstances.    Dans  Tinter- 


348  MÉLANGES 

valle,  il  reste  cependant  un  devoir  impérieux  pour 
tous  et,  dans  l'exercice  de  mes  fonctions,  j'ai  l'obliga- 
tion de  l'inculquer  d'une  manière  formelle,  avec  la 
certitude  que  les  évêques  et  le  clergé  dévoués  comme 
ils  le  sont  au  Saint-Siège,  veilleront  à  son  accomplisse- 
ment exact  de  la  part  des  fidèles.  Ce  devoir  est  celui 
de  s'abstenir  entièrement  de  toute  agitation,  d'oublier 
les  divisions  et  les  ressentiments  et  de  suspendre  toute 
discussion.  Les  choses  étant  entrées  pour  les  catho- 
liques dans  une  phase  nouvelle  par  le  seul  fait  de  l'in- 
tervention directe  du  Souverain  Pontife,  c'est  à  lui 
qu'il  revient  aujourd'hui  de  déterminer  en  dernier  lieu 
leurs  obligations  par  rapport  au  côté  religieux  de  cette 
question,  et  il  n'est  pas  de  notre  ressort  ni  du  ressort 
de  personne  de  prévenir  son  jugement  et  son  action. 
Il  doit  être  évident  pour  tout  catholique  éclairé  qu'on 
ne  peut  ni  invoquer  ni  soutenir  l'autorité  du  pasteur 
suprême  en  entamant  celle  des  évêques,  et  que  d'un 
autre  côté  on  affaiblit  l'autorité  épiscopale  en  entravant, 
même  indirectement,  le  libre  exercice  de  celle  du  chef 
de  l'Eglise.  Pour  ma  part,  Monseigneur,  j'ai  trop  vite 
appris  à  estimer  les  catholiques  du  Canada  et  à  admi- 
rer leurs  vertus  pour  douter  qu'ils  ne  se  réjouissent  de 
pouvoir  laisser  au  vicaire  de  Jésus-Christ  avec  soumis- 
sion et  confiance  le  soin  de  veiller  à  leurs  intérêts 
religieux,  intimement  persuadés  que  sa  direction  sera 
la  plus  sainte  et  la  plus  sage.  Que  Votre  Grandeur 
veuille  bien  agréer  l'assurance  de  mon  estime  et  de 
mon  attachement  sincère,  et  qu'elle  me  permette  de  lui 
exprimer  mon  désir  ardent  de  voir  prospérer  sous  le 
regard  de  Dieu  ce  peuple  du  Manitoba,  objet  de  son 
zèle,  de  ses  labeurs  et  de  ses  prières. 

De  Votre  Grandeur  le  serviteur  très  dévoué  en  N.  S. 

Eaphael  Merry  Del  Val, 

Délégué  Apostolique. 

A  Sa  Grandeur  Mgr  Adélard  Langevin, 

Archevêque  de  St-Boniface,  Manitoba. 


MÉLANGES  349. 

EN  PRISON  LES  CATHOLIQUES  ! 

14  octobre  1897. 

Ecoutez  ceci,  Canadiens-rrançais  et  catholiques  qui 
avez  voté  pour  mettre  M.  Laurier  au  pouvoir. 

Ce  grand  patriote  vous  promettait  de  régler  la  ques- 
tion des  écoles  "  en  six  mois  "  et  de  faire  rendre  "  jus- 
tice entière  "  à  nos  coreligionnaires  du  Manitoba. 

Quinze  mois  sont  écoulés,  et  que  se  passe-t-il  là-bas  ? 

Les  catholiques  ont- ils  cette" justice  entière  "  ?  Sont- 
ils  libres  ?  Out-i!s  la  jouissance  de  leurs  droits  consti- 
tutionnels? Leur  a- t-on  rendu  les  écoles  qu'on  leur  a 
volées  ? 

Hélas  !  non.  Bien  au  contraire  la  persécution  semble 
prendre  nne  nouvelle  recrudescence.  Le  Manitoba, 
rédigé  par  nu  prêtre  pieux  et  distingué,  nous  apporte  ce 
lamentable  fait,  dans  son  dernier  numéro  : 

"  Voici  ce  qui  se  passe  dans  un  district  scolaire  dans 
la  paroisse  Saiut-Eustache.  Deux  commissaires  sur  trois 
veulent  faire  de  l'école  une  école  catholique  !  Qu'ar- 
rive-t-il  ?  A-t-on  respecté  celte  décision  de  la  majorité  ? 
Parce  qu'ils  étaient  catholiques  et  voulaient  rester 
fidèles  à  leur  foi  et  à  leur  nationalité,  ils  ont  été  cités 
devant  les  tribunaux  et  ont  eu  la  gloire  d'être  con- 
damnés à  l'amende  ou  à  la  prison.  Ils  refusent  de  payer 
l'amende.  Ils  iront  en  prison. 

"  Bravo  pour  ces  nouveaux  témoins  de  notre  foi  et 
de  notre  patriotisme  !  Honneur  à  eux  et  à  leurs  familles  ! 
Et  maintenant  qui  sont  les  persécuteurs  et  qui  sont  les 
victimes  ? 


350  MÉLANGES 

"  Et  que  diront  nos  frères  de  la  province  de  Québec 
et  de  toute  la  Puissance  devant  cette  iniquité." 

En  prison  !  les  catholiques  manitobains  qui  veulent 
rester  fidèles  à  leur  foi  et  à  leurs  devoirs  sacrés  de 
pères  de  famille. 

En  prison  !  les  Canadiens-Français  du  Manitoba  qui 
ne  veulent  pas  trahir  la  cause  sainte  des  écoles  chré- 
tiennes. 

En  prison  !  nos  frères  qui  repoussent  de  toute  l'éner- 
gie de  leur  conscience  l'école  neutre  flétrie  par  l'Eglise 
et  réprouvée  par  Dieu. 

En  prison  !  Voilà  ce  que  réserve  aux  nôtres  ce  rustre 
sans  honneur,  ce  Greenway  compère  de  Laurier,  aux 
pieds  de  qui  trop  de  Canadiens  sont  allés  lâchement  se 
vautrer  l'automne  dernier  à  Montréal  ! 

C'est  à  cela,  c'est  au  cachot  pour  les  catholiques 
intrépides  qui  ne  veulent  pas  livrer  l'âme  de  leurs 
enfants  au  monstre  de  l'indifférentisme,  c'est  à  cet  excès 
d'outrage  et  de  persécution  que  devaient  aboutir  toutes 
les  défections,  tous  les  reniements,  toutes  les  reculades, 
toutes  les  trahisons  des  Laurier  et  des  Tarte, 

Et  ces  hommes  ont  eu  l'audace  de  dire  ici  et  ailleurs 
que  la  question  des  écoles  était  réglée,  ou  allait  se  régler, 
grâce  à  leurs  sunny  ways  et  à  leurs  belles  paroles  ! 

Fourbes  et  menteurs  ! 

Ah  !  elle  serait  réglée  aujourd'hui  si  ces  traîtres 
n'avaient  pas  tué  la  loi  remédiatrice  durant  la  session 
de  1896,  en  combinant  leurs  efforts  avec  ceux  de  tous 
les  mangeurs  de  catholiques  et  de  tous  les  mangeurs  de 
Français  de  la  Chambre  dt^s  Communes. 

Elle  serait  réglée  !  Et  le  père  catholique  à  qui  les 
sbires  de  Greenway,  le  cher  ami  de  sir  Wilfrid,  vou- 


MÉLANGES  351 

draient  mettre  la  main  au  collet  pour  le  jeter  en  prison, 
pourrait  répondre  fièrement  :  J'en  appelle  à  la  loi  fédé- 
rale qui  garantit  mon  autonomie,  ma  liberté  et  ma  foi. 

Commencez-vous  à  comprendre,  électeurs  catholi- 
ques qui  avez  voté  pour  Laurier  ? 

Le  voile  va-t-il  se  déchirer  ? 

La  voix  de  la  conscience  et  du  patriotisme  va-t-elle 
se  faire  entendre  ? 


L'ENCYCLIQUE  SUR  LA  QUESTION 
SCOLAIRE 


11  janvier  1898. 

lîome  a  parlé,  et  d'un  cœur  joyeux  et  sincère  nous 
venons  faire  acte  d'adhésion  à  sa  parole  souveraine. 

L'Encyclique  que  nous  avons  publiée  hier,  fera  épo- 
que dans  l'histoire  religieuse  du  Canada.  Pour  la  pre- 
mière fois,  le  Pontife  Suprême  a  adressé  solennellement 
la  parole  dans  un  grand  document  apostolique  à  l'église 
canadienne.  Ce  n'est  pas  sans  une  profonde  émotion 
que  nous  avons  lu  ces  lignes  en  tête  de  l'Encyclique  : 
"  A  nos  vénérables  Frères  les  Archevêques,  les  Evêques 
et  les  autres  Ordinaires  de  la  Confédération  canadienne, 
en  paix  et  en  communion  avec  le  Siège  Apostolique, 
Léon  XIII,  pape."  Le  chef  de  l'Eglise  universelle,  par- 
lant pour  la  première  fois  dans  une  Encyclique  à  la 
jeune  église  du  Canada,  quel  beau  et  émouvant  spec- 
tacle ! 

Nos  lecteurs  ont  parcouru  cette  mémorable  lettre.  Ils 
y  auront  trouvé  comme  nous  la  lumière,  et  l'indication 


352  MÉLANGES 

de  la  voie  qu'il  faut  continuer  à  suivre  pour  obtenir  le 
triomphe  de  la  juste  cause  pour  laquelle  nous  luttons 
depuis  tant  d'années. 

Quelle  consolation  et  quelle  force  pour  les  catholi- 
ques vraiment  dévoués  à  l'Eglise,  que  cette  parole  du 
Pape  !  Et  quelle  satisfaction  pour  nos  vénérables  évê- 
ques  que  cette  éclatante  approbation  donnée  à  toute  leur 
conduite  par  le  Souverain  Pontife  ! 

Nos  frères  du  Manitoba  et  leur  digue  archevêque 
devront  aussi  recevoir  avec  bonheur  cette  grande  parole 
qui  relève  leur  cause  écrasée. 

Ah  !  si  tous  les  catholiques  canadiens  pouvaient 
comprendre  quels  devoirs  comporte  l'Encyclique  ponti- 
ficale, et  s'unir  pour  le  triomphe  du  droit,  comme  la 
victoire  serait  vite  gagnée  ! 


Voici  les  passages  de  l'encyclique  Affari  vos  relatifs  au 
règlement  LaurierGreenway,  et  au  modus  vivendi  que  le  Saint- 
Père  conseillait  aux  catholiques  d'accejiter,  tout  en  conti- 
nuant à  réclamer  les  droits  dont  on  les  avait  dépouillés  : 

•'  Nous  ne  pouvons  toutefois  dissimuler  la  vérité  ;  la  loi  que 
l'on  a  faite  dans  le  but  de  réparation  est  défectueuse,  impar- 
faite, insuffisante.  C'est  beaucoup  plus  que  les  catholiques 
demandent  et  qu'ils  ont  —  personne  n'en  doute  —  le  droit  de 
demander 

"  En  attendant,  et  jusqu'à  ce  qu'il  leur  soit  donné  de  faire 
triompher  toutes  leurs  revendications,  qu'ils  ne  refusent  pas 
des  satisfactions  partielles.  C'est  pourquoi  partout  où  la  loi 
ou  le  fait,  ou  les  bonnes  dispositions  des  personnes  leur 
offrent  quelques  moyens  d'atténuer  le  mal  et  d'en  éloigner 
davantage  les  dangers,  il  convient  tout  à  fait  et  il  est  utile 
qu'ils  en  usent  et  qu'ils  en  tirent  le  meilleur  parti  possible." 


MÉLANGES  353 

UN  CRI  HONTEUX 

26  mai  1898. 

La  Patrie  nous  apporte  un  extrait  du  petit  journal 
rouge  de  Winnipeg,  VEcho  de  Manitoba. 

Cette  feuille,  fondée  par  des  partisans  quand  même 
de  M.  Laurier,  entreprend  de  faire  la  leçon  à  M,  Ber- 
geron  et  aux  autres  amis  de  la  minorité  manitobaine. 
Cela  se  termine  comme  suit  : 

"  Ils  peuvent  se  vanter  de  nous  embêter  diablement 
nous  autres  catholiques  du  Manitoba,  et  à  tel  point  que 
la  seule  réponse  que  nous  puissions  leur  faire  est 
"  Fichez-nous  la  paix." 

"  Oui,  nous  sommes  fatigués  de  ces  luttes  hypocrites 
dont  nous  ne  pouvons  qu'être  les  victimes  ;  nous  som- 
mes satisfaits,  entièrement  satisfaits  des  concessions 
obtenues,  et  nous  voulons  en  profiter  ;  nous  avons  soif 
de  tranquillité,  d'apaisement,  convaincus  que  par  là 
seulement  nous  arriverons  à  une  paix  définitive  ;  les 
conseils  de  notre  Saint-Père  le  Pape  nous  dictent  notre 
conduite,  et  les  résultats  actuels  nous  garantissent 
l'avenir," 

Véritablement  l'odieux  le  dispute,  dans  ces  lignes,  à 
l'ineptie. 

Ah  !  vous  êtes  "  satisfaits,  entièrement  satisfaits," 
messieurs  les  rougets  de  Winnipeg.  Eh  bien,  s'il  en  est 
réellement  ainsi,  vous  êtes  mûrs  pour  toutes  les  déché- 
ances, bons  pour  toutes  les  servitudes. 

Vous  êtes  "  satisfaits,  entièrement  satisfaits  "  de  vous 
être  vu  arracher  votre  autonomie  scolaire  ! 
23 


354  MÉLANGES 

Vous  êtes  satisfaits  d'avoir  vu  fouler  aux  pieds  vos 
franchises  constitutionnelles! 

Vous  êtes  satisfaits  de  n'avoir  plus  votre  bureau 
d'éducation  catholique,  votre  surintendant  catholique, 
vos  arrondissements  scolaires  catholiques,  toute  votre 
organisation  catholique,  indépendante  et  libre  ! 

Vous  êtes  satisfaits  de  voir  méprisé  le  jugement  du 
plus  haut  tribunal  de  l'empire,  rendu  en  votre  faveur  : 
Vous  êtes  satisfaits  d'un  état  de  choses  sans  garanties 
et  sans  sécurité,  où  le  compromis  remplace  la  loi,  où 
le  bon  plaisir  prend  le  pas  sur  la  constitution,  et  d'où 
le  droit  est  banni  au  profit  de  l'arbitraire  ! 

Vous  êtes  satisfaits  de  pher  devant  le  nombre,  de 
céder  devant  la  force  brutale,  de  recevoir  subreptice- 
ment quelques  jauvres  lambeaux  d'une  tolérance  pré- 
caire, au  lieu  de  voir  reconnaître  la  plénitude  de  vos 
légitimes  revendications  ! 

Eh  bien,  soyez  satisfaits,  soyez  entièrement  et  igno- 
minieusement satisfaits,  tristes  Canadiens  de  VEclio  du 
Manitoha,  puisque  le  drapeau  rouge  vous  est  plus 
cher  que  le  drapeau  de  vos  libertés. 

Mais  n'essayez  pas  d'abriter  votre  couardise  et  votre 
servilisme  derrière  l'auguste  parole  du  Pape.  Le  Saint- 
Père  ne  vous  a  pas  dit  de  vous  taire,  de  vous  aplatir  et 
de  lécher  la  main  qui  vous  a  dépouillés.  Il  vous  a  dit 
de  continuer  à  revendiquer  tous  vos  droits  avQc  une 
fermeté  calme,  tout  en  ne  repoussant  pas  les  réparations 
partielles  que  vos  persécuteurs  pourraient  vous  offrir. 
Dieu  merci,  vous  n'êtes  que  les  représentants  d'une 
infime  coterie,  car  si  votre  cri  de  satisfaction  honteuse 
était  l'écho  des  sentiments  de  la  minorité  manitobaiue, 
ce  serait  à  désespérer  de  notre  race. 


MÉLANGES  355 

OU  EST  LA  QUESTION  DES  ECOLES 

16  février,  1899 

Le  dernier  numéro  du  Manitoh'i  uous  apporte  des 
renseiguements  importants  relativement  à  la  question 
scolaire.  Les  voici  : 

"  La  semaine  dernière,  nous  avons  signalé  d'une  façon 
générale  les  plaintes  de  M.  Keam,  de  Lorette,  contre  le 
fonctionnement  de  la  loi  scolaire  et  l'appui  donné  à  ces 
plaintes  par  un  journal  de  Winnipeg.  M.  Keam  disait, 
entre  autres  choHes.que  M.  le  curé  Dufresne  avait  entendu 
la  confession  des  élèves  dans  l'école  durant  les  heures 
de  classe,  et  leur  avait  donné  congé  dans  l'après-midi. 

"  Depuis,  Sa  Grandeur  Monseigneur  l'archevêque  de 
St-Boniface  a  autorisé  la  publication  dans  le  Free  Press 
du  2  courant,  de  la  rectification  suivante  : 

"  Le  Rév.  M.  Dufresne  nie  catégoriquement  avoir 
"  entendu  les  confessions  dans  la  salle  de  l'école  durant 
"  les  heures  de  classe,  et  il  n'a  jamais  donné  de  congé 
"  tel  qu'on  l'allègue.  Cette  fausse  rumeur  va  de  pair 
"  avec  cette  autre  histoire  absurde  selon  laquelle  Sa 
<'  Grandeur,  l'archevêque  de  Saint  Boniface,  aurait  reçu 
"  de  M.  Greenway,  pour  les  écoles  catholiques,  un 
"  chèque  de  $4,00  J.  Si  les  catholiques  obtenaient  ce 
*'  qui  leur  est  dû  seulement  pour  Winnipeg,  le  montant 
*'  s'en  élèverait  au  moins  à  840,000.  Sa  Grandeur  serait 
"  très  aise  de  recevoir  ce  montant  de  M.  Greenway." 

"  D'une  autre  part  la  Tribune  du  2  courant  publie 
le  paragraphe  suivant  : 

"  Il  est  entendu  que  le  département  de  l'éducation 


356  MÉLANGES 

"  fait  actuellement  une  enquête  sur  les  infractions  de  la 
"  loi  scolaire  qu'on  a  dénoncées  dans  le  sud- est  de  la 
"  province,  mais  cette  enquête  n'est  pas  terminée.  Le 
"  Dr  Blakely,  chef  du  département,  est  allé  visiter  les 
"  écoles  de  Lorette  et  de  Sainte-Anne." 

Tout  cela  jette  beaucoup  de  lumière  sur  la  situation 
réelle  de  la  minorité  mauitobaine  en  matière  d'éducation. 

En  effet,  qu'arrive-t-il  ?  Se  fiant  aux  promesses  et 
aux  bonnes  paroles  officieuses,  une  école  catholique 
prend-elle  vraiment  le  caractère  d'école  catholique,  vite 
on  la  dénonce  aux  autorités.  Il  se  trouve  des  douzaines 
de  fanatiques  pour  crier  :  "  A  tel  endroit  l'école  est 
conduite  contrairement  à  la  loi,  la  loi  est  violée."  Et 
aussitôt  un  inspecteur  protestant  part  pour  faire  une 
enquête  et  constater  le  délit. 

Dans  bien  des  cas  nous  sommes  convaincus  que  la 
loi  est  réellement  violée,  par  suite  des  assurance  diplo- 
matiques qui  ont  été  données.  Et  alors  quelle  est  la 
position  des  catholiques  ?  Celle  de  violateurs  de  la  loi, 
passibles  de  toutes  les  pénalités  et  punitions  édictées  en 
pareil  cas. 

Voilà,  prise  sur  le  vif,  la  situation  actuelle  des  catho- 
liques manitobains.  On  les  induit  à  violer  la  loi  tous 
les  jours,  puis,  s'ils  sont  dénoncés  comme  ayant  violé  la 
loi,  on  fait  contre  eux  des  enquêtes. 

C'est  de  cette  manière  que  la  question  des  écoles  a 
été  réglée  par  MM,  Laurier,  Tarte  et  Greenway.  Tel 
est,  dans  toute  sa  beauté,  le  règlement  dont  on  se  vante. 

Eh  bien,  ce  règlement  n'est  qu'une  nouvelle  forme 
des  dénis  de  justice  dont  nos  coreligionnaires  ont  été 
abreuvés  depuis  dix  ans.    On  les  a  poussés  dans  une 


MÉLANGES  357 

situation  fausse,  sur  un  terrain  dangereux,  où  ils  sont 
absolument  les  jouets  de  l'arbitraire. 

Ils  n'ont  pas  la  liberté. 

Ils  n'ont  pas  l'autonomie. 

Ils  n'ont  pas  l'indépendance. 

Ils  n'ont  pas  la  sécurité. 

Ils  sout  constamment  exposés  à  des  poursuites  et  à 
des  vexations  odieuses. 

Ils  sont  campés  au  bord  d'un  précipice  avec  les 
foudres  officielles  toujours  suspendues  sur  leurs  têtes. 

Et  cela  en  dépit  des  droits  sacrés  qui  leur  sont 
garantis  par  la  constitution,  et  qui  ont  été  sanctionnés 
par  le  plus  haut  tribunal  de  l'empire  ! 

Où  est  la  promesse  de  M,  Laurier,  de  faire  rendre 
aux  catholiques  raanitobains  l'intégrité  de  ces  droits  ? 


LES  ECOLES  CATHOLIQUES  HORS 
LA  LOI 

18  février  1899 

Le  Star  de  jeudi  publie  la  dépêche  suivante  qui  n'a 
pas  besoin  de  commentaires  : 

Winnipeg,  IC. —  Parlant  devant  l'association  libérale, 
ici,  le  premier  ministre  Greenway  a  fait  l'allusion  sui- 
vante à  la  question  des  écoles  : 

"  Il  y  a  des  gens  qui  se  donnent  actuellement  pour 
mission  de  faire  des  insinuations  au  sujet  de  l'attitude 
du    gouvernement,    concernant   les    écoles    publiques. 


3o8  MÉLANGÉS 

Ces  gens  n'hésitent  pas  à  dire  que  le  gouvernement  a 
faibli  dans  la  position  qu'il  a  prise  depuis  longtemps, 
et  à  ces  gens,  je  désire  dire  qu'ils  n'ont  jamais  fait  si 
grande  erreur.  Il  est  impossible  pour  le  gouvernement 
de  tenir  des  officiers  au  guet  à  la  porte  de  chaque  école. 
Mais  ce  que  le  gouvernement  peut  faire,  et  ce  qu'il  fera, 
c'est  de  voir  à  ce  que  dans  chaque  cas  où  la  loi  régissant  les 
écoles  est  violée,  la  subvention  du  gouvernement  leur  soit 
retenue.  Le  gouvernement  occupe  aujourd'hui  la  position 
qu'il  a  toujours  occupée  depuis  l'adoption  de  l'acte  des 
écoles  publiques.  Son  but  est  de  rendre  le  peuple  de 
cette  province  un  dans  l'éducation  et  un  dans  le  déve- 
loppement du  pays,  et  il  ne  souffrira  aucune  intervention 
dans  la  mise  à  exécution  de  sa  politique  d'après  ces 
principes." 

Ces  paroles  brutales  ont  au  moins  le  mérité  de  la 
franchise.  Elles  jettent  un  jour  sinistre  sur  la  situation 
réelle  de  nos  coreligionnaires  du  Manitoba, 

Cette  situation,  comme  nous  l'avons  démontré  ces 
jours-ci,  est  absolument  précaire  et  périlleuse.  Les  catho- 
liques manitobains  ne  peuvent  avoir  des  écoles  vraiment 
catholiques,  qu'en  violant  la  loi  des  écoles  publiques  ; 
et  s'ils  violent  la  loi,  ils  seront  frappés  par  le  gouverne- 
ment, s'écrie  M.  Greenway. 

Le  règlement  de  la  question  des  écoles,  le  voilà  ! 

Est-ce  là  ce  que  M.  Laurier  avait  promis? 

Est-ce  là  ce  que  la  presse  libérale  avait  annoncé  ? 

Est-ce  là  le  résultat  de  cette  fameuse  conciliation — 
ihe  sunny  ways  of  conciliation — qu'on  nous  avait  tant 
piônée  d'avance  ? 

M,  Greenway  en  a  assez  des  hypocrisies  auxquelles 
on  l'avait  condamné.    Il  lève  le  masque.    Il  montre  sa 


MÉLANGES  359 


figure  de  persécuteur.  Il  se  moque  des  catholiques  atti- 
rés sur  un  terrain  semé  de  pièges,  et  il  les  menace  des 
rigueurs  de  la  loi. 

C'est  ainsi  que  la  question  des  écoles  est  réglée  ! 


LA  QUESTION  DES  ECOLES  ET  SIR 
WILFRID  LAURIER 

30  septembre  1899 

Pour  la  première  fois  depuis  bien  longtemps,  sir  Wil- 
frid  Laurier  a  parlé  de  la  question  des  écoles,  dans  son 
discours  de  Drummondville. 

Nous  empruntons  à  la  Patrie  les  paroles  qu'il  a  pro- 
noncées en  cette  occasion  : 

"  Les  bleus  prétendent  avoir  reçu  du  ciel  l'art  divin 
de  gouverner;  ils  croient  qu'ils  ont  la  science  infuse  du 
gouvernement.  J'ai  toujours  répété  que  si  nous  ne  pou- 
vions pas  mieux  gouverner  qu'eux,  il  ne  valait  pas  la 
peine  d'opérer  de  changement.  Je  me  suis  fait  fort, 
pendant  les  dernières  élections,  que  si  nous  arrivions  au 
pouvoir,  en  six  mois  nous  ferions  ce  qu'ils  n'ont  pas  été 
capables  de  faire  en  six  ans, 

"  Vous  savez  qu'en  1896,  une  question  irritante 
jetait  le  trouble  dans  le  pays.  C'était  une  question  où 
la  religion  et  la  politique  étaient  confondues,  La  solu- 
tion de  cette  question  exigeait  les  plus  fortes  qualités 
chez  un  homme  d'état.  Uancienne  administration  pré- 
tendait avoir  réglé  cette  question  par  la  présentation 


360  MÉLANGES 

d'un  bill  appelé  réparateur,  mais  qui  ne  réparait  rien 
du  tout.  Ce  bill,  d'uu  autre  côté,  était  de  nature  à 
irriter  la  population  d'une  province  sœur.  La  mesure 
échoua,  et  nous  arrivâmes  au  pouvoir.  Nous  avons 
promis  de  régler  la  question  en  six  mois.  Vous  êtes 
témoins  que  cette  promesse  a  été  remplie  à  la  lettre. 

"  La  question  des  écoles  n'existe  plus,  bien  que  nos 
amis  les  bleus  cherchent  à  la  remettre  sur  le  tapis." 

La  question  des  écoles  n'existe  plus  !  Tel  est  l'oracle 
prononcé  par  sir  Wilfrid. 

Qu'est-ce  à  dire  ?  La  minorité  catholique  du  Mani- 
toba  a-t-elle  été  replacée  dans  la  position  qu'elle  occu- 
pait avant  1  890  ? 

A-t-elle  été  remise  en  possession  de  son  autonomie 
scolaire  ? 

Lui  a-t-on  rendu  les  franchises  qu'elle  possédait  en 
vertu  de  la  constitution  ? 

Si  le  premier  ministre  ne  peut  répondre  affirmative- 
ment à  ces  interrogations  —  et  il  en  est  incapable  — 
comment  peut-il  affirmer  que  la  question  des  écoles  est 
réglée  ? 

En  effet,  qu'est-ce  que  c'est  que  la  question  des  écoles 
du  Manitoba  ?  La  question  des  écoles  du  Manitoba, 
voici  en  quoi  elle  consiste  :  D'après  l'acte  fédéral  en 
vertu  duquel  le  Manitoba  est  devenu  l'une  des  pro- 
vinces de  la  confédération  canadienne,  la  législature  de 
cette  province  ne  pouvait  toucher  en  aucune  façon  aux 
écoles  confessionnelles  qui  y  existaient  alors.  A  ce 
moment,  les  catholiques  manitobains  avaient  leurs  écoles 
catholiques,  qu'ils  soutenaient  de  leurs  deniers,  sans  être 
obligés  de  contribuer  en  rien  au  soutien  des  écoles  pro- 
testantes.   Après  l'union  une  loi  fut  passée  par  la  légis- 


MÉLANGES  361 

lature,  établissaut  un  système  complet  d'écoles  coufes- 
sionuelles  ;  les  catholiques  avaient  leur  comité  d'éduca- 
tion, leur  surintendant,  leurs  municipalités  scolaires, 
leurs  livres  ;  ils  payaient  leur  part  de  taxes  scolaires  et 
ils  retiraient  du  trésor  public  leur  part  de  subventions. 
Ce  régime  de  justice  et  de  liberté  fonctionna  admirable- 
ment pendant  dix-neuf  ans. 

Au  bout  de  ce  temps,  en  1890,  un  ministère  libéral, 
le  ministère  Greenway,  encore  au  pouvoir  aujourd'hui, 
abrogea  la  loi  de  1871,  et  les  lois  qui  l'avaient  amendée, 
abolit  les  écoles  catholiques,  enleva  à  la  minorité  son 
autonomie  scolaire,  et  décréta  pour  toute  la  province  un 
système  d'écoles  publiques  protestantes,  ou  du  moins 
d'écoles  neutres.  Les  catholiques  réclamèrent  én-ergique- 
ment  contre  cette  iniquité.  Ils  s'adressèrent  aux  tribu- 
naux, ils  firent  valoir  leurs  griefs  devant  le  gouverneur 
général  en  conseil  et  le  Parlement  fédéral,  comme  la 
constitution  leur  en  donnait  le  droit.  Bref,  en  189G,  le 
gouvernement  conservateur  d'alors,  dirigé  par  sir  Mac- 
kenzie  Bowell  et  sir  Charles  Tupper,  proposa  une  loi 
qui  rendait  aux  catholiques  leur  autonomie,  leur  bureau 
d'éducation,  leur  surintendant,  leurs  instituteurs,  leurs 
livres,  et  qui  fut  déclarée  par  Mgr  l'archevêque  de  Saint- 
Boniface  un  "  règlement  substantiel,  raisonnable  et 
définitif  de  la  question  des  écoles  conformément  à  la 
constitution."  (Télégramme  du  13  avril  1896). 

Cette  loi  véritablement  réparatrice,  sir  Wilfrid  Laurier 
et  ses  partisans  en  empêchèrent  l'adoption.  Les  élections 
générales  eurent  lieu.  Le  chef  libéral  promit  de  faire 
mieux  que  les  conservateurs,  de  tenter  d'obtenir  pour 
les  catholiques  manitobains  "justice  entière,"  au  moyen 
de  la  conciliation,  et,  si  la  conciliation  ne  réussissait  pas, 


362  MÉLANGES 

d'exercer  "  complet  et  entier  le  recours  constitutionnel 
que  fournit  la  loi."  (Discours  de  M.  Laurier  à  St-Roch). 

Eh  bien,  voici  trois  ans  que  sir  Wilfrid  Laurier  est 
au  pouvoir.  Il  n'a  pas  eu  le  courage  d'aborder  de  front 
la  difficulté,  comme  l'avaient  fait  les  conservateurs.  Il 
a  préféré  biaiser,  tergiverser,  transiger.  11  a  négocié  avec 
son  ami,  M.  Greenway,  et  quand  il  a  vu  que  celui-ci 
ne  voulait  pas  rendre  aux  catholiques  leurs  droits  cons- 
titutionnels, il  a  abandonné  et  sacrifié  ces  droits. 

De  l'aveu  de  sir  Wilfrid  Laurier,  avec  son  consente- 
ment et  par  sa  faute,  la  constitution  reste  violée  au 
détriment  de  la  minorité  catholique  manitobaine. 

Il  demeure  acquis  que,  dans  notre  pays,  les  garanties 
constitutionnelles,  les  lois  protectrices,  les  conventions 
et  la  foi  publique  peuvent  être  impunément  foulées 
aux  pieds  par  une  majorité  injuste,  du  moment  que  la 
minorité  est  catholique  et  française  ! 

Ah  !  il  faut  avoir  le  courage  de  regarder  les  choses 
en  face,  et  de  les  appeler  par  leur  nom  :  ce  qui  est 
arrivé,  ce  qui  persiste,  ce  qui  se  prescrit  depuis  trois 
ans,  c'est  la  défaite  du  droit,  c'est  la  défaite  de  la  jus- 
tice, c'est  la  défaite  de  la  constitution,  parce  que  le 
droit,  la  justice  et  la  constitution  étaient  du  côté  de 
nos  coreligionnaires  et  de  nos  co-nationaux. 

En  effet,  quand  bien  même  M.  Laurier  aurait  obtenu 
d'immenses  concessions  de  M.  Greenway,  —  ce  qui 
n'est  pas  vrai, — il  n'en  resterait  pas  moins  certain  et 
manifeste  que  la  constitution  et  le  droit  sont  vaincus. 
Car  ces  concessions  sont  extra-légales  et  ultra-légales. 

De  par  la  loi  inique  édictée  par  M.  Greenway  en 
1890,  et  maintenue  par  lui  en  dépit  de  tout,  le  système 
scolaire  actuel  du  Manitoba,  c'est  l'école  neutre.    Nous 


MÉLANGES  363 

défions  sir  Wilfrid  Laurier  ou  qui  que  ce  soit  de  nous 
démentir. 

Quelles  sont  donc  les  concessions  dont  jouissent  çà 
et  là,  subrepticement,  furtivement,  les  catholiques  mani- 
tobains  ?  Ces  concessions  consistent,  paraît-il,  à  pouvoir 
violer  la  loi,  dans  l'ombre,  sans  garantie  contre  les 
éventualités  du  lendemain.  C'est  le  régime  du  bon  plai- 
sir, du  caprice  ministériel,  de  la  tolérance  périlleuse  et 
aléatoire,  de  l'illégalité  ténébreuse  et  sans  franchise, 
substitué  à  celui  de  la  liberté  sans  entraves,  de  la 
sécurité  légale,  du  plein  jour  et  du  droit. 

La  voilà,  la  question  des  écoles.  La  voilà  dans  ses 
différentes  phases,  et  dans  son  état  présent.  Et  après 
cet  exposé  rapide  et  sincère,  quel  homme  impartial  osera 
dire  qu'elle  est  réglée,  qu'elle  "  n'existe  plus." 

Sir  Wilfrid  Laurier,  quoi  que  vous  en  pensiez  et  quoi 
que  vous  en  disiez,  elle  existe  eucore  cette  question 
douloureuse  et  poignante.  En  ce  moment,  il  y  a  des 
catholiques  à  Winnipeg  à  qui  on  arrache  leur  argent 
pour  subventionner  des  écoles  protestantes  ou  neutres, 
et  qui  sont  obligés  de  payer  encore  pour  soutenir  les 
écoles  conformes  à  leur  foi  religieuse. 

Voilà  comment  vous  avez  réglé  la  question  des  écoles  ! 

Voilà  la  "  justice  entière  "  que  vous  avez  fait  rendre 
aux  catholiques. 

Voilà  le  recours  "  complet  et  entier  "  que  vous  avez 
exercé  en  leur  faveur  ! 

Et  vous  avez  l'audace  de  dire  que  vous  avez  tenu 
parole.  Satisfait  et  dispos,  vous  vous  frottez  les  mains 
et  proclamez  après  dîner  que  tout  est  fini. 

Non,  non,  sir  Wilfrid  Laurier,  tout  n'est  pas  fini.  Sans 
doute  il  s'est  produit  sur  cette  question  un  apaisement 


364  MÉLANGES 

de  surface.  Une  parole  auguste  et  souveraine,  pour  tout 
catholique  digne  de  ce  nom,  est  venue  tempérer  les 
ardeurs  de  la  lutte,  réprimer  les  indignations  trop  vives, 
indiquer  aux  revendications  des  opprimés  une  orienta- 
tion nouvelle,  suspendre,  pour  ainsi  dire,  les  hostilités, 
et  vous  donner  le  temps  d'être  juste.  Nous  nous  som- 
mes inclinés  devant  la  voix  du  Pontife  Suprême,  et  nous 
avons  presque  déposé  les  armes.  Mais  vous,  qu'avez- 
vous  fait  ?  Vous  avez  profité  de  ce  répit  pour  achever 
de  sacrifier  diplomatiquement  la  constitution  et  la  jus- 
tice. Aujourd'hui,  les  droits  constitutionnels  des  catho- 
liques manitobains  sont  plus  compromis  qu'ils  ne  l'ont 
jamais  été  depuis  dix  ans.  On  a  jeté  à  nos  frères  quel- 
ques os  à  ronger,  mais  ils  sentent  se  dérober  sous  eux 
le  bon  et  solide  terrain  constitutionnel  sur  lequel  ils 
étaient  campés  et  où.  ils  auraient  fini  par  vaincre.  La 
loi  scélérate  de  1890  reste  debout,  intacte,  toujours 
oppressive  et  tyrannique  dans  ses  dispositions,  et  sou 
auteur,  M.  Greenway,  vient  de  faire  en  public  la  décla- 
ration suivante  : 

"  Ce  que  le  gouvernement  peut  faire  et  veut  faire, 
c'est  de  confisquer  la  subvention  législative  si  les  règle- 
ments concernant  l'administration  de  ces  écoles  sont 
violés.  Le  gouvernement  conserve  aujourd'hui  la  même 
attitude  que  celle  qu'il  a  toujours  eue  depuis  la  passa- 
tion de  l'acte  des  écoles  publiques." 

C'est  ainsi  que  la  question  des  écoles  est  réglée. 

Dans  de  telles  conditions,  la  parole  de  sir  Wilfrid 
Laurier,  "  la  question  des  écoles  n'existe  plus,"  rend 
un  son  lugubre  et  funèbre.  C'est  la  dernière  pelletée 
de  terre  jetée  sur  la  fosse  où  gisent  le  droit  et  la 
justice. 


MÉLANGES  365 

Eh  bien,  non,  il  n'en  sera  pas  ainsi,  et  le  fossoyeur 
de  Drummondville  se  trompe  s'il  croit  avoir  définitive- 
meut  enterré  cette  cause  sainte.  D'autres  fossoyeurs 
politiques  avant  lui  ont  cru  aussi  enterrer  à  jamais 
des  causes  également  sacrées.  Mais  la  justice  et  le 
droit  sont  immortels,  et  sir  Wilfrid  s'apercevra  tôt  ou 
tard  qu'on  ne  les  supprime  pas  avec  un  geste  élégant 
et  un  sourire  de  dédain. 


UNE  LETTRE  DE  Mgr  LANGEVIN 


7  septembre  1901. 

Sa  Grandeur  Mgr  Langevin,  archevêque  de  Saint 
Boni  face,  vient  d'adresser  au  Manitoha  une  lettre  dont 
nous  extrayons  les  passages  suivants  : 

A  M.  le  rédacteur  du  Manitoha. 
Monsieur  le  rédacteur, 

Votre  article  du  21  du  courant,  publié  sous  la  rubri- 
que :  "  A  propos  des  écoles  catholiques  de  Winnipeg  ", 
et  renfermant  les  propositions  du  Bureau  des  écoles 
publiques  de  Winnipeg,  nou  ;  fournit  une  heureuse  occa- 
sion de  présenter  au  public  quelques  observations  que 
nous  vous  prions  de  reproduire  dans  votre  estimable 
journal 

Quand  une  armée  vaillante  abandonnée  par  des  frères 
et  des  alliés,  reçoit  de  son  généralissime  l'ordre  de  se 
rendre,  après  avoir  proclamé  cependant  ses  droits  et 


366  MÉLANGES 

exigé  les  honneurs  de  la  guerre,  elle  n'a  qu'une  chose 
à  faire  :  obéir  ou  mourir.  C'est  le  cas  de  la  minorité 
catholique  du  Manitoba  depuis  1897  :  nous  avons  obéi 
et  nous  vivons. 

Il  nous  reste  toutefois,  vous  le  savez,  M.  le  rédac- 
teur, le  droit  et  le  devoir,  comme  catholiques  et  citoyens 
libres,  de  réclamer  les  droits  sacrés  que  la  constitution 
de  notre  pays  nous  donne  à  des  écoles  confessionnelles, 
les  seules  qui  puissent  assurer  efficacement  l'avenir 
religieux  et  social  de  notre  jeune  patrie 

Aussi  est-ce  sous  l'inspiration  de  ce  devoir  si  grave 
de  notre  charge  pastorale  que  nous  avons  fait  des 
démarche?,  et  que  nous  nous  sommes  imposé  des  sacri- 
fices et  des  humiliations  de  toutes  sortes,  toujours  sous 
la  direction  du  St-Siège,  afin  d'améliorer  notre  situation 
scolaire  précaire,  gênante  et  fausse  par  plus  d'un  endroit. 

Espérant  que  nous  verrons  des  jours  meilleurs,  nous 
ne  négligerons  pas  de  tirer  partie  des  avantages  péril- 
leux et  incomplets  mais  réels  de  la  situation  présente. 

Je  demeure,  M.  le  rédacteur,  votre  bien  sincèrement 

dévoué. 

Adêlard,  0.  AI.  I. 

Archevêque  de  St-Boniface. 

Nous  avons  remarqué  dans  cette  lettre  si  digne  et  si 
douloureuse  la  phrase  suivante  :  "  Quand  une  armée 
vaillante,  abandonnée  par  des  frères  et  des  alliés,  reçoit 
de  son  généralissime  l'ordre  de  se  rendre,  après  avoir  pro- 
clamé cependant  ses  droits  et  exigé  les  honneurs  de  la 
guerre,  elle  n'a  qu'une  chose  à  faire  :  obéir  ou  mourir." 
Voilà  la  situation  scolaire  manitobaine  peinte  en  quel- 
ques lignes  graphiques.     La    minorité  catholique    du 


MÉLANGES  367 

Manitoba  a  été  abandonnée  par  ses  allies  et  ses  frères, 
c'est-à-dire  par  la  province  de  Québec  et  par  ses  chefs; 
et  alors,  se  conformant  aux  instructions  du  chef  suprême, 
elle  a  dû  capituler  en  essayant  d'obtenir  les  moins  mau- 
vaises conditions  possibles. 

Aujourd'hui,  l'école  confessionelle,  "  la  seule  qui 
puisse  assurer  efficacement  l'avenir  religieux  et  social 
de  notre  jeune  patrie,"  cette  école  est  morte  au  Mani- 
toba. Et  à  sa  place,  nos  frères  de  là-bas  doivent  accep- 
ter "  une  situation  scolaire  précaire,  gênante  et  fausse 
par  plus  d'un  endroit." 

C'est  ainsi  que  M.  Laurier  a  réglé  la  question  des 
écoles  du  Manitoba.  Il  a  "  abandonné  "  la  minorité 
catholique,  et  l'a  livrée  pieds  et  poings  liés  au  régime 
de  l'arbitraire  et  du  bon  plaisir. 


ERRA.TA 


Page  6,  au  lieu  de  :  "  la  prosélytisme,  "  dans  la  onzième 
ligne,  lisez  :  "  le  prosélytisme." 

Page  206,  au  lieu  de  :  "  ne  procède  pas,  "  dans  la  quinzième 
ligne,  lisez  :  "  ne  procède  pas." 

Page  221,  au  lieu  de  :  "  à  blaguer,"  dans  la  trentième  ligne 
lisez  :  "  de  blaeuer." 


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ligne,  lisez  :  "  6  mars  ".  ,       •     . 

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sixième  ligne,  lisez:  "  31  mars  1890  ". 


TABLE  DES  MATIÈRES 

Pages. 

Préface , 5 

Au  PUBLIC 15 

LA.    FÉDÉRATION    IMPÉRIALE 

Sir  Charles  Tupper  et  la  fédération  impériale ,  19 

La  fédération  impériale 20 

Le  journal  de  la  ligue  fédéraliste 25 

M.  Blake  et  la  fédération 27 

Le  Globe  et  la  fédération 31 

Nos  hommes  politiques  et  la  fédération  impériale 33 

Une  lettre  de  l'honorable  M.  Blake  39 

M.  Laurier  veut  une  fédération  anglo-saxonne 44 

Sir  Wilfrid  Laurier  fédéraliste  47 

La  fédération  impériale  et  M.  Tarte 55 

Fédéralistes  de  la  veille  et  du  lendemain 59 

La  fédération  et  nos  chefs  politiques 62 

QUESTIONS  RELIGIEUSES 

Les  idées  deVElecfeur 69 

Les  Jésuites  et  le  Mail 72 

Ultramontain 78 

Le  scandale  de  Maskinongé  et  le  Canadien 83 

Les  aventures  de  M.  Laurier , 88 

24 


370  TABLE  DES  MATIÈRES 

FIGURES  DISPARUES 

Pages. 

M.  Joseph  Doutre 93 

L'honorable  P.-J.-O.  Chauveau 94 

Sir  John  Macdonald 97 

Monseigneur  Taché ..., 103 

Monsieur  Gladstone 104 

La  reine  Victoria 106 

CRITIQUE  ET  BIBLIOGRAPHIE 

Frédéric  Ozanam,  sa  vie  et  ses  œuvres 111 

La  Vie  de  M.  le  curé  Painchaud 114 

Le  Fort  et  le  Château  Saint-Louis 118 

Une  œuvre  littéraire 120 

QUESTIONS  DE  MORALE  LITTERAIRE 

Les  réclames  de  V Electeur 125 

L'écho  des  coulisses 128 

La  littérature  malsaine 130 

Gare  le  poison  ! 132 

Deux  romans  feuilletons 133 

Les  farces  de  M.  Beaugrand 134 

La  fameuse  épître  de  M.  Beaugrand 139 

ÇX  ET   LÀ. 

Un  cardinal  à  Québec 143 

Le  Laurier  yankee  et  le  sir  Wilfrid  britannique 147 

Cavour  et  Laurier 149 


TABLE  DES  MATIÈRES  371 

Pages. 

Le  comte  de  Frontenac - •• 

La  Saint-Jean-Eaptiste ^"° 

Sur  la  tombe  du  XIXe  siècle 1^*^ 

LA   QUESTION    DES   ÉCOLES   DU    MANITOBA 

Les  amis  de  l'^Zec/ei/r  au  Manitoba 165 

La  crise  au  Manitoba 

Le  fanatisme  au  Manitoba 1'** 

L'attitude  du  Glohe ^'^^ 

Larmes  de  crocodile *''^ 

La  loi  des  écoles  du  Manitoba 181 

IQO 
Après  coup 

Le  triomphe  du  droit 1^^ 

Le  jugement  du  Conseil  Privé 1^* 

Le  temps  est  venu l"** 

La  motion  de  M.  Tarte 201 

L'opposition  a  la  parole -^-' 

Les  responsabilités ^^* 

Une  importante  nouvelle 210 

M.  Laurier  à  Winnipeg.. '^^^ 

La  position  de  M.  Laurier ■ 216 

La  victoire  des  catholiques  devant  le  Conseil  Privé 217 

M.  Laurier  à  Montréal -'1° 

Un  article  du  Hamilton  Spectator • 223 

Les  fanatiques  et  le  gouvernement 229 

Le  discours  de  M.  Laurier 230 

M.  Clarke  Wallace  235 

Justice  aux  catholiques  236 


/ 


372  TABLE  DES  MATIÈRES 

PagesT* 

Les  iniquités  de  l'esprit  de  parti.. 238 

Notre  attitude 242 

Polémique  malhonnête  247 

Loi  réparatrice  ou  désaveu  ?  250 

La  réponse  du  Manitoba 252 

LTne  lettre  de  M.  Laurier  254 

La  situation  à  Ottawa 256 

La  fausse  théorie  de  M.  Weldon 260 

La  cause  du  retard.  263 

La  crise  ministérielle 264 

La  situation  269 

Le  discours  de  sir  Mackenzie  Bowell  271 

La  motion  Laurier  , 273 

Un  important  document 274 

Le  discours  du  Trône 276 

Nouvelle  crise. 278 

La  loi  réparatrice  282 

Ottawa  et  Winnipeg 288 

La  trahison  de  M.  Laurier 297 

Qui  faut  il  croire  ? 300 

En  avant! 303 

L'obstruction 306 

Notre  devoir 315 

Le  manifeste  conservateur 316 

Les  insultes  auxévêques 318 

La  parole  épiscopale 318 

Les  déclarations  de  M.  Laurier 321 

Après  la  défaite ,, 322 


TABLE  DES  MATIÈRES  373 

Pages. 

Le  parti  conservateur  et  la  situation 324 

Ce  qu'ils  ont  promis 327 

Le  fameux  règlement  Laurier-Greenway 328 

La  protestation  de  Mgr  Langevin 333 

Le  compromis  Laurier-Greenway 334 

Un  délégué  du  Pape  339 

Rumeurs  de  compromis 342 

Lettre  d'adieu  du  délégué  papal 34G 

En  prison  les  catholiques 349 

L'Encyclique  sur  la  question  scolaire 351 

Un  cri  honteux 353 

Où  en  est  la  question  des  écoles 355 

Les  écoles  catholiques  hors  la  loi 357 

La  question  des  écoles  et  sir  Wilfrid  Laurier 359 

Une  lettre  de  Mgr  Langevin 305 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


F  Chapais,    (Sir)   Thomas 

5081  Mélanges  de  polémique  et 

G5  d'études  religieuses,   politiques 

et  littéraires 


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